Le Buffon choisi de Benjamin Rabier/Domestiques/Cochon
Le cochon, le cochon de Siam et le sanglier
Cette page introduit le chapitre dédiée au cochon dans la partie dédiée aux animaux domestiques du Buffon choisi de Benjamin Rabier.
Sommaire
Le cochon
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Nous mettons ensemble le cochon, le cochon de Siam et le sanglier, parce que tous trois ne font qu'une seule
et même espèce ; l'un est l'animal sauvage, les deux autres sont l'animal domestique.
De tous les quadrupèdes, le cochon paraît être l'animal le plus brut : les imperfections de la forme semblent influer sur le naturel ; toutes ses habitudes sont grossières, tous ses goûts sont immondes, toutes ses sensations se réduisent à une gourmandise brutale, qui lui fait dévorer instinctivement tout ce qui se présente, et même sa progéniture au moment qu'elle vient de naître. Sa voracité dépend apparemment du besoin continuel qu'il a de remplir la grande capacité de son estomac ; et la grossièreté de ses appétits, de l'hébétation du sens du goût et du toucher. La rudesse du poil, la dureté de la peau, l'épaisseur de la graisse, rendent ces animaux peu sensibles aux coups : l'on a vu des souris se loger sur leur dos et leur manger le lard et la peau sans qu'ils parussent le sentir. Ils ont donc le toucher fort obtus, et le goût aussi grossier que le toucher : les autres sens sont bons. Les chasseurs n'ignorent pas que les sangliers voient, entendent et sentent de fort loin, puisqu'ils sont obligés, pour les surprendre, de les attendre en silence, pendant la nuit, et de se placer au-dessous du vent pour dérober à leur odorat les émanations qui les frappent de loin et toujours assez vivement pour leur faire sur-le-champ rebrousser chemin.
La manière ordinaire d'engraisser les cochons est de leur donner abondamment de l'orge, du gland, des choux, des légumes
cuits et beaucoup d'eau mêlée de son : en deux mois ils sont gras, le lard est abondant et épais, mais sans être bien ferme et bien blanc ; et la chair, quoique bonne, est toujours un peu fade. On peut encore les engraisser avec moins de dépenses dans les campagnes où il y a beaucoup de glands, en les menant dans les forêts pendant l'automne lorsque les glands tombent et que la châtaigne et la faîne quittent leurs enveloppes. Ils mangent également de tous les fruits sauvages et ils engraissent en peu de temps, surtout si le soir, à leur retour, on leur donne de l'eau tiède mêlée d'un peu de son et de farine d'ivraie; cette boisson les fait dormir et augmente tellement leur embonpoint qu'on en a vu ne pouvoir plus marcher ni presque se remuer. Ils engraissent aussi beaucoup plus promptement en automne dans le temps des premiers froids, tant à cause de l'abondance des nourritures que parce qu'alors la transpiration est moindre qu'en été.
On n'attend pas, comme pour le reste du bétail, que le cochon soit âgé pour l'engraisser: plus il vieillit, plus cela est difficile et moins sa chair est bonne.
La durée de la vie du sanglier peut s étendre jusqu'à vingt-cinq ou trente ans.
Ces animaux aiment beaucoup les vers de terre et certaines racines comme celles de la carotte sauvage : c'est pour trouver ces vers et pour couper ces racines qu'ils fouillent la terre avec leur boutoir. Le sanglier, dont la hure est plus longue et plus forte que celle du cochon, fouille plus profondément; il fouille aussi presque toujours en ligne droite dans le même sillon, au lieu que le cochon fouille çà et là, et plus légèrement. Comme il fait beaucoup de dégâts, il faut l'éloigner des terrains cultivés, et ne le mener que dans les bois et sur les terres qu'on laisse reposer.
Quoique ces animaux soient fort gourmands, ils n'attaquent ni de dévorent, comme les loups, les autres animaux ; cependant ils mangent quelquefois de la chair corrompue : on a vu des sangliers manger de la chair de cheval, et nous avons trouvé dans leur estomac de la peau de chevreuil et des pattes d'oiseaux; mais c'est peut-être plutôt nécessite qu instinct. Cependant, on ne peut nier qu'ils ne soient avides de sang et de chair sanguinolente et fraîche, puisque les cochons mangent leurs petits, et même des enfants au berceau ; dès qu'ils trouvent quelque chose de succulent, d'humide, de gras ou d'onctueux, ils le lèchent et finissent bientôt par l'avaler. Leur gourmandise est, comme l' on voit, aussi grossière que leur naturel est brutal; ils n'ont aucun sentiment bien distinct ; les petits reconnaissent à peine leur mère, ou du moins sont fort sujets à se méprendre et à téter la première truie qui leur laisse saisir ses mamelles, La crainte et la nécessité donnent apparemment un peu plus de sentiment et d'instinct aux cochons sauvages; il semble que les petits soient fidèlement attachés à leur mère, qui paraît être aussi plus attentive à leurs besoins que ne l'est la truie domes- tique.
On chasse le sanglier à force ouverte avec des chiens, ou bien on le tue par surprise pendant la nuit au clair de la lune. Il ne faut attaquer que les plus vieux sangliers ; on les connaît aisément aux traces ; un jeune san- glier de trois ans est difficile à forcer, parce qu'il court très loin sans s'arrêter, au lieu que le sanglier plus âgé ne fuit pas loin, se laisse chasser de près, n'a pas grand' peur des chiens, et s'arrête souvent pour leur faire tête. Le jour, il reste ordinairement dans sa bauge, au plus épais et dans le plus fort du bois ; le soir, à la nuit, il en sort pour chercher sa nourriture ; en été, lorsque les grains sont mûrs, il est assez facile de le surprendre dans les blés et dans les avoines où il fréquente toutes les nuits. Il n'y a que la hure qui soit bonne dans un vieux sanglier, au lieu que toute la chair du marcassin, et celle du jeune sanglier qui n'a pas en- core un an, est délicate et même assez fine. Celle du verrat, ou cochon domestique mâle, est encore plus mauvaise que celle du sanglier.
Pour peu qu'on ait habité la campagne, on n'ignore pas les profits qu'on tire du cochon ; sa chair se vend à
peu près autant que celle du bœuf, le lard se vend au double et même au triple; le sang, les boyaux, les viscères, les
pieds, la langue se préparent et se mangent. Le fumier du cochon est plus froid que celui des autres animaux, et l'on
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ne doit s'en servir que pour les terres trop chaudes ou trop sèches. La graisse des intestins et de l'épiploon, qui est
différente du lard, fait le saindoux et le vieux-oing. La peau a aussi ses usages; on en fait des cribles, comme l'on fait
aussi des vergettes, des brosses, des pinceaux avec les soies. La chair de cet animal prend mieux le sel, le salpêtre,
et se conserve salée plus longtemps qu'aucune autre. Un des signes les plus évidents de la dégénération sont les
oreilles; elles deviennent d'autant plus souples, d'autant plus molles, plus inclinées et plus pendantes, que l'animal
est plus altéré, ou, si l'on veut, plus adouci par l'éducation et par l'état de domesticité ; et, en effet, le cochon
domestique a les oreilles moins raides, beaucoup plus longues et plus inclinées que le sanglier, qu'on doit regarder
comme le modèle de l'espèce.