Histoire naturelle (Buffon)/Tome 7/Le renard

De Wicri Animaux

Avant-propos

D'un point de vue historique, la partie rédigée par Buffon est la plus intéressante, celle de Daubenton étant nettement plus technique (et donc plutôt réservée aux spécialistes).

La partie de Buffon sera donc corrigée et indexée en détail.

La partie de Daubenton contient un exemple de traitement de tableau avec transcription. les autres tableaux sont laissés en l'état.

Le renard (par Monsieur de Buffon)

Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f97.jpg[75] Le renard[1]

Le Renard est fameux par ses ruses, et mérite en partie sa réputation ; ce que le loup ne fait que par la force, il le fait par adresse, et réussit plus souvent. Sans chercher à combattre les chiens ni les bergers, sans attaquer les troupeaux, sans traîner les cadavres, il est plus sûr de vivre. Il emploie plus d’esprit que de mouvement, ses ressources semblent être en lui-même : ce sont, comme l’on fait, celles qui manquent le moins. Fin autant que circonspect, ingénieux et prudent, même jusqu’à la patience, il varie sa conduite, il a des moyens de réserve qu’il fait n’employer qu’à propos. Il veille de près à sa conservation ; quoiqu’aussi infatigable, et même plus léger que le loup, il ne se fie pas entièrement à la vîtesse de sa course ; il sait se mettre en sûreté en se pratiquant un asyle où il se retire dans les dangers pressants, où il s’établit, où il élève ses petits : il n’est point animal vagabond, mais animal domicilié.

Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f98.jpg[76] Cette différence, qui se fait sentir même parmi les hommes, a de bien plus grands effets, et suppose de bien plus grandes causes parmi les animaux. L’idée seule du domicile présuppose une attention singulière sur soi-même ; ensuite le choix du lieu, l’art de faire son manoir, de le rendre commode, d’en dérober l’entrée, sont autant d’indices d’un sentiment supérieur. Le renard en est doué, et tourne tout à son profit ; il se loge au bord des bois, à portée des hameaux ; il écoute le chant des coqs et le cri des volailles ; il les savoure de loin, il prend habilement son temps, cache son dessein et sa marche, se glisse, se traîne, arrive, et fait rarement des tentatives inutiles. S’il peut franchir les clôtures, ou passer par dessous, il ne perd pas un instant, il ravage la basse-cour il y met tout à mort, se retire ensuite lestement en emportant sa proie, qu’il cache sous la mousse, ou porte à son terrier ; il revient quelques momens après en chercher une autre, qu’il emporte et cache de même, mais dans un autre endroit, ensuite une troisième, une quatrième, etc. jusqu’à ce que le jour ou le mouvement dans la maison l’avertisse qu’il faut se retirer et ne plus revenir. Il fait la même manœuvre dans les pipées et dans les boquetaux où l’on prend les grives et les bécasses au lacet ; il devance le pipeur, va de très-grand matin, et souvent plus d’une fois par jour, visiter les lacets, les gluaux, emporte successivement les oiseaux qui se sont empêtrés, les dépose tous en différents endroits, sur-tout au bord des chemins, dans les Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f99.jpg[77] ornières, sous de la mousse, sous un genièvre, les y laisse quelquefois deux ou trois jours, et sait parfaitement les retrouver au besoin. Il chasse les jeunes levreaux en plaine, saisit quelquefois les lièvres au gîte, ne les manque jamais lorsqu’ils sont blessés, déterre les lapereaux dans les garennes, découvre les nids de perdrix, de cailles, prend la mère sur les œufs, et détruit une quantité prodigieuse de gibier. Le loup nuit plus au paysan, le renard nuit plus au gentilhomme.

La chasse du renard demande moins d’appareil que celle du loup ; elle est plus facile et plus amusante. Tous les chiens ont de la répugnance pour le loup, tous les chiens au contraire chassent le renard volontiers, et même avec plaisir. Car quoiqu’il ait l’odeur très-forte, ils le préfèrent souvent au cerf, au chevreuil et au lièvre. On peut le chasser avec des bassets, des chiens courans, des briquets : des qu’il se sent poursuivi, il court à son terrier ; les bassets à jambes torses sont ceux qui s’y glissent le plus aisément : cette manière est bonne pour prendre une portée entière de renards, la mère avec les petits ; pendant qu’elle se défend et combat les bassets, on tâche de découvrir le terrier par dessus, et on la tue ou on la saisit vivante avec des pinces. Mais comme les terriers sont souvent dans des rochers, sous des troncs d’arbres, et quelquefois trop enfoncés sous terre, on ne réussit pas toûjours. La façon la plus ordinaire, la plus agréable et la plus sûre de chasser le renard, est de commencer par boucher les terriers ; on place les tireurs Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f100.jpg[78] à portée, on quête alors avec les briquets ; dès qu’ils sont tombés sur la voie, le renard gagne son gîte, mais en arrivant il essuie une première décharge : s’il échappe à la balle, il fuit de toute sa vîtesse, fait un grand tour, et revient encore à son terrier, où on le tire une seconde fois, et où trouvant l’entrée fermée, il prend le parti de se sauver au loin en perçant droit en avant pour ne plus revenir. C’est alors qu’on se sert des chiens courans, lorsqu’on veut le poursuivre : il ne laissera pas de les fatiguer beaucoup, parce qu’il passe à dessein dans les endroits les plus fourrés, où les chiens ont grand peine à le suivre, et que quand il prend la plaine il va très-loin sans s’arrêter.

Pour détruire les renards, il est encore plus commode de tendre des piéges, où l’on met de la chair pour appât, un pigeon, une volaille vivante, etc. Je fis un jour suspendre à neuf pieds de hauteur sur un arbre les débris d’une halte de chasse, de la viande, du pain, des os ; dès la première nuit les renards s’étoient si fort exercés à sauter, que le terrein autour de l’arbre étoit battu comme une aire de grange. Le renard est aussi vorace que carnassier ; il mange de tout avec une égale avidité, des œufs, du lait, du fromage, des fruits, et sur-tout des raisins : lorsque les levreaux et les perdrix lui manquent, il se rabat sur les rats, les mulots, les serpens, les lézards, les crapaux, etc. il en détruit un grand nombre ; c’est-là le seul bien qu’il procure. Il est très-avide de miel, il attaque les abeilles sauvages, les guêpes, les frelons, Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f101.jpg[79] qui d’abord tâchent de le mettre en suite, en le perçant de mille coups d’aiguillon ; il se retire en effet, mais c’est en se roulant pour les écraser, et il revient si souvent à la charge, qu’il les oblige à abandonner le guêpier ; alors il le déterre et en mange et le miel et la cire. Il prend aussi les hérissons, les roule avec ses pieds, et les force à s’étendre. Enfin il mange du poisson, des écrevisses, des hannetons, des sauterelles, etc.

Cet animal ressemble beaucoup au chien, sur-tout par les parties intérieures ; cependant il en diffère par la tête, qu’il a plus grosse à proportion de son corps  ; il a aussi les oreilles plus courtes, la queue beaucoup plus grande, le poil plus long et plus touffu, les yeux plus inclinés ; il en diffère encore par une mauvaise odeur très-forte qui lui est particulière, et enfin par le caractère le plus essentiel, par le naturel ; car il ne s’apprivoise pas aisément, et jamais tout-à-fait : il languit lorsqu’il n’a pas la liberté, et meurt d’ennui quand on veut le garder trop long-temps en domesticité. Il ne s’accouple point avec la chienne[2]; s’ils ne sont pas antipathiques, ils sont au moins indifférens. Il produit en moindre nombre, et une seule fois par an ; les portées sont ordinairement de quatre ou cinq, rarement de six, et jamais moins de trois. Lorsque la femelle est pleine, elle se recèle, sort rarement de son terrier, dans lequel elle prépare un lit à ses petits. Elle devient en chaleur en hiver, et l’on trouve déjà de petits renards Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f102.jpg[80] au mois d’avril : lorsqu’elle s’aperçoit que sa retraite est découverte, et qu’en son absence ses petits ont été inquiétés, elle les transporte tous les uns après les autres, et va chercher un autre domicile. Ils naissent les yeux fermés, ils sont, comme les chiens, dix-huit mois ou deux ans à croître, et vivent de même treize ou quatorze ans.

Le renard a les sens aussi bons que le loup, le sentiment plus fin, et l’organe de la voix plus souple et plus parfait. Le loup ne se fait entendre que par des hurlemens affreux, le renard glapit, aboie, et pousse un son triste, semblable au cri du paon ; il a des tons différens selon les sentimens différens dont il est affecté ; il a la voix de la chasse, l’accent du desir, le son du murmure, le ton plaintif de la tristesse, le cri de la douleur, qu’il ne fait jamais entendre qu’au moment où il reçoit un coup de feu qui lui casse quelque membre ; car il ne crie point pour toute autre blessure, et il se laisse tuer à coup de bâton, comme le loup, sans se plaindre, mais toûjours en se défendant avec courage. Il mord dangereusement, opiniâtrément, et l’on est obligé de se servir d’un ferrement ou d’un bâton pour le faire démordre. Son glapissement est une espèce d’aboiement qui se fait par des sons semblables et très-précipités. C’est ordinairement à la fin du glapissement qu’il donne un coup de voix plus fort, plus élevé, et semblable au cri du paon. En hiver, sur-tout pendant la neige et la gelée, il ne cesse de donner de la voix, et il est au contraire presque muet en été. C’est dans cette saison que son poil Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f103.jpg[81] tombe et se renouvelle ; l’on fait peu de cas de la peau des jeunes renards, ou des renards pris en été. La chair du renard est moins mauvaise que celle du loup, les chiens et même les hommes en mangent en automne, sur-tout lorsqu’il s’est nourri et engraissé de raisins, et sa peau d’hiver fait de bonnes fourrures. Il a le sommeil profond, on l’approche aisément sans l’éveiller : lorsqu’il dort, il se met en rond comme les chiens ; mais lorsqu’il ne fait que se reposer, il étend les jambes de derrière et demeure étendu sur le ventre : c’est dans cette posture qu’il épie les oiseaux le long des haies. Ils ont pour lui une si grande antipathie, que des qu’ils l’aperçoivent ils font un petit cri d’avertissement : les geais, les merles sur-tout le conduisent du haut des arbres, répètent souvent le petit cri d’avis, et le suivent quelquefois à plus de deux ou trois cens pas.

J’ai fait élever quelques renards pris jeunes : comme ils ont une odeur très-forte, on ne peut les tenir que dans des lieux éloignés, dans des écuries, des étables, où l’on n’est pas à portée de les voir souvent ; et c’est peut être par cette raison qu’ils s’apprivoisent moins que le loup, qu’on peut garder plus près de la maison. Dès l’âge de cinq à six mois les jeunes renards couroient après les canards et les poules, et il fallut les enchaîner. J’en fis garder trois pendant deux ans, une femelle et deux mâles : on tenta inutilement de les faire accoupler avec des chiennes ; quoiqu’ils n’eussent jamais vû de femelles de leur espèce, et qu’ils parussent pressés du besoin de jouir, ils ne fûrent s’y déterminer, ils refusèrent Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f104.jpg[82] constamment toutes les chiennes ; mais dès qu’on leur présenta leur femelle légitime, ils la couvrirent quoiqu’enchaînés, et elle produisit quatre petits. Ces mêmes renards qui se jetoient sur les poules lorsqu’ils étoient en liberté, n’y touchoient plus dès qu’ils avoient leur chaîne : on attachoit souvent auprès d’eux une poule vivante, on les laissoit passer la nuit ensemble, on les faisoit même jeûner auparavant ; malgré le besoin et la commodité, ils n’oublioient pas qu’ils étoient enchaînés, et ne touchoient point à la poule.

Cette espèce est une des plus sujettes aux influences du climat, et l’on y trouve presque autant de variétés que dans les espèces d’animaux domestiques. La pluspart de nos renards sont roux, mais il s’en trouve aussi dont le poil est gris argenté ; tous deux ont le bout de la queue blanc. Les derniers s’appellent en Bourgogne renards charbonniers, parce qu’ils ont les pieds plus noirs que les autres. Ils paroissent aussi avoir le corps plus court, parce que leur poil est plus fourni. Il y en a d’autres qui ont le corps réellement plus long que les autres, et qui sont d’un gris sale, à peu près de la couleur des vieux loups ; mais je ne puis décider si cette différence de couleur est une vraie variété, ou si elle n’est produite que par l’âge de l’animal, qui peut-être blanchit en vieillissant. Dans les pays du nord il y en a de toutes couleurs, des noirs, des bleus, des gris, des gris de fer, des gris argentés, des blancs, des blancs à pieds fauves, des blancs à tête noire, des blancs avec le bout de la Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f105.jpg[83] queue noir, des roux avec la gorge et le ventre entièrement blancs, sans aucun mélange de noir, et enfin des croisés qui ont une ligne noire le long de l’épine du dos, et une autre ligne noire sur les épaules, qui traverse la première : ces derniers sont plus grands que les autres, et ont la gorge noire. L’espèce commune est plus généralement répandue qu’aucune des autres, on la trouve par-tout, en Europe[3], dans l’Asieb septentrionale et tempérée ; on la retrouve de même en Amériquec, mais elle est fort rare en Afrique et dans les pays voisins de l’Équateur. Les voyageurs qui disent en avoir vû à Calecutd et dans les autres provinces méridionales des Indes, ont pris les chacals pour des renards. Aristote lui-même est tombé dans une erreur semblable, lorsqu’il a dite que les renards d’Égypte étoient plus petits que ceux de Grèce ; ces petits renards d’Égypte sont des putoisf, dont l’odeur est insupportable. Nos renards, originaires des climats froids, sont devenus naturels aux pays tempérés, et ne se sont pas étendus vers le midi au delà de l’Espagne etg du Japon. Ils sont originaires

b Voyez la relation du voyage d’Adam Olearius. Paris, 1656, Tome I, page 368. c Voyez le voyage de la Hontan, Tome II, page 42. d Voyez les voyages de François Pyrard. Paris, 1619, Tome I, page 427. e Aristote. Hist. animal. lib. 8, cap. 18. f Aldrovande. Quadrup. hist. pag. 197. g Voyez l’histoire du Japon, par Kœmpfer. La Haye, 1719, Tome I, page 110. Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f105.jpg[84] des pays froids, puisqu’on y trouve toutes les variétés de l’espèce, et qu’on ne les trouve que là : d’ailleurs ils supportent aisément le froid le plus extrême ; il y en a du côté du polea antarctique comme vers le poleb arctique. La fourrure des renards blancs n’est pas fort estimée, parce que le poil tombe aisément, les gris argentés sont meilleurs, les bleus et les croisés sont recherchés à cause de leur rareté ; mais les noirs sont les plus précieux de tous, c’est après la zibeline la fourrure la plus belle et la plus chère. On en trouve au Spitzbergc, en Groenlandd, en Lapponie, en Canadae, où il y en a aussi de croisés, et où l’espèce commune est moins rousse qu’en France, et a le poil plus long et plus fourni.

a Voyez le voyage de Narborough à la mer du Sud. Second Volume des voyages de Coréal. Paris, 1722, Tome II, page 184. b Voyez le recueil des voyages du Nord. Rouen, 1716, Tome II, pages 113 et 114. Voyez aussi le recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la Compagnie des Indes orientales. Amsterdam, 1702, Tome I, pages 39 et 40. c Voyez id. ibid. d Les renards abondent dans toute la Lapponie. Ils sont presque tous blancs, quoiqu’il s’en rencontre de la couleur ordinaire. Les blancs sont les moins estimés ; mais il s’en trouve quelquefois de noirs, et ceux-là sont les plus rares et les plus chers ; leurs peaux sont quelquefois vendues quarante ou cinquante écus, et le poil en est si fin et si long, qu’il pend de tel côté que l’on veut, en sorte que prenant la peau par la queue, le poil tombe du côté des oreilles, etc. Œuvres de Renard, Tome I, page 175. e Voyez le voyage du pays des Hurons, par Sagard Theodat. Paris, 1632, pages 304 et 305.

Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f106.jpg[85]

Notes de la partie rédigée par Buffon

  1. [page 75 note * ]
    • Le Renard ; en Grec, Α'λὦπηξ ; en Latin, Vulpes ; en Italien, Volpe ; en Espagnol, Raposa ; en Allemand, Fuchss ; en Anglois, Fox ; en Suédois, Raef ; en Polonois, Liszka.
    Vulpes. Gesner. Icon. animal. quadrup. pag. 88.
    Vulpes. Ray. Synops. animal. quadrup. pag. 177.
    Canis caudâ rectâ. Linnæus.
    Vulpes vulgaris. Klein. Hist. nat. quadr. pag. 71.
    Canis fulvus, pileis cinereis intermixtis. Brisson. Regn. animal. pag. 239.
  2. [ page 79, note * ] Voyez les expériences que j’ai faites à ce sujet, Vol. V de cet ouvrage, article du chien.
  3. [ page 883, note a ] Voyez les Œuvres de Renard. Paris, 1742, Tome I, page 175.

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Buffon Hist Nat E.O. Tome 7 f123.jpg Collection Quadrupèdes Buffon 1749 tome 1 f138.jpg

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Histoire naturelle (Buffon)/Tome 8/Le coati


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