Chat (Larousse - G.D.U. XIXe siècle)/Combat des chats
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Combat des chats
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Chats (COMBAT DES), OU Gatomachie[1] , poème
héroï-comique de Lope de Vega. C'est un petit
chef-d'œuvre de gaieté, d'esprit, écrit de ce
style abondant et facile qui distingue celui que
ses contemporains appelaient avec une emphase tout espagnole el monstruo de los ingenios. Lope de Vega parodie à la fois l'Iliade,
la Jérusalem délivrée, le Roland furieux (
) ; mais
les paladins sont des angoras, et la belle Hélène ou l'Angélique est une chatte capricieuse.
La belle Zapaquilda s'est assise pour prendre le frais sur le haut chevet d'un toit, aussi propre et lustrée que chatte de couvent, elle miaule d'une vois si harmonieuse qu'elle rend amoureux le vent lui-même, et, quand elle sort au soleil levant, on dirait une rose qui sort de son calice.
Les prétendants ne
peuvent manquer. Un chat de haute naissance, Marramaquiz a entendu parler de la
belle chatte ; il appelle son fidèle écuyer, Masuler, et ordonne qu'on amène son cheval.
C'est une guenon faite prisonnière dans une
grande bataille entre guenons et chats On la
lui présente caparaçonnée à la mode de son
pays. Marramaquiz chausse ses brodequins,
prend son épée, qui est une cuiller d'argent,
et revêt une cape rosé à la française ; pour
bonnet de Milan, il a sur la tête une moitié de
citron, ornée d'une aigrette rouge vert et brun
fournie par un malheureux perroquet mort
sous ses griffes; pour veste de buffle, il porte
deux moitiés dé gant attachées l'une par
devant; l'autre par derrière pour collerette,
la manchette d une petite fille. A cheval sur
sa guenon, on dirait le paladin Roland rendant
visite à la belle Angélique (). A sa vue, et pendant qu'il fait caracoler sa monture, Zapaquilda, se léchant les lèvres, baissant les yeux
en fille bien élevée, se sent prise d'une faiblesse pour un aussi galant chevalier, et un
mariage prochain est décidé dés cette première entrevue.
Par malheur, un autre prétendant, Micifuf, ç^in vaillant chat celui-là, au museau pointu, au nez retroussé, pattes et poitrine blanches, noir sur l'échine, queue en panache, beau comme pas un, s'est ému des menées de Marramaquiz, et vient à son tour faire valoir sa bonne tournure devant Zapaquilda. Qui dit femme, dit caprice il semble maintenant k la belle que c'est Micifuf qu'elle préfère. Voila la rivalité déclarée; laquais et pages en cam- pagne vont porter des cadeaux et des billeta doux. La Juliette des toits et des gouttières passe sa vie au balcon; ce ne sont que des cadeaux de choix qu'on lui fait comme pieds de porc, œufs farcis, trinngles de fromage, os h la moelle. On ne lui envoie ni bijoux ni pa- rures quelle parure vaudrait la jolie robe fourrée d'hermine de Zapaquilda? Malgré tout, Marramaquiz perd chaque jour du terrain, et Micifuf prend l'avance. Le pauvre délaissé tombe malade de langueur, et son médecin, un chat bien espagnol celui-là, ne trouve rien de mieux que de le saigner. La coquette est charmée d avoir un prétendant qui se meurt d'amour pour elle elle vient le consoler, lui fait toutes sortes de caresses et de chatteries, et enfin lui propose de l'épouser, mais à une condition, c est qu'il lui permettra Micifuf comme cavalier servant. Marramaquiz refuse, dût-il en mourir, et k peine rétabli s'en va consulter le sage Grafignant, un bonhomme de chat très-savant et même un peu soreier, qui lui donne une fort bonne idée; celle de de- venir amoureux d'une autre chatte.
Précisément, il a jusqu'ici repoussé les avances d'une fort jolie personne la petite Micilda, qui ne peut passer préside lui sans le frôler amoureusement, noyer ses yeux de lan- gueur et miauler d'une façon très-significative. Laquais, pages, cadeaux et petits sonnets prennent maintenant le chemin du boudoir de Micilda; la délaissée, jalouse, aiguise ses on- gles, renfle le dos, et le manège du.galant aboutit à une rencontre terrible. Zapaqu,ilda survient au beau milieu d'uni rendez-vous au clair de lune les deux rivales, après s'étre mesurées des yeux, se jettent l'une sur l'autre, griffent abominablement leurs petits mufles roses, s'étreignent corps à corps et finissent par tomber toutes deux du haut du toit. Mar- ramaquiz laisse faire fort content en lui-même de bette lutte en son honneur. Voilà les chattes alitées, et le médecin obligé d'avoir recours il son remède universel, la lancette. L'ingrat Marramaquiz ne va même pas faire visite k Micilda; car, malgré sa passagère infidélité, c'est toujours l'autre qui possède, tout son coeur; mais la coquette, furieuse, le fait mettre II faut en finir avec les prétentions perpé- tuelles de ce galant ennuyeux Micifuf tente une démarche diVisir» il va demander la vieux à poils blancs. Le bonhomme le reçoit fort bien, examine quelle est sa naissance, reluque les parchemins et constate qu'il est bien le descendant légitime de Zapyron, le chat rouge et blanc, qui depuis l'arche de Noé est le père commun de toute la race féline. Ferramoto donnera en dot a sa fille six mou- choirs de poche qui lui servent de lit de camp; pour tapis, quelques morceaux de couver- ture quatre fromages presque entiers et une guenon captive, parlant le style poétique et méme le comprenant. Il quand le jour des noces, ma douce amie? demande Micifuf k Za- paquilda. Quand tu voudras; mais, aupara- vant, il faut empoisonner Marramaquiz. Je vais vous rapporter ses oreilles, et, à. moins une bonne robe de chambre pour cet hiver. En attendant, on prépare tout pour le ma- riage. Le récit des noces, lé dénombrement des invités, des parents et amis, des chattes, la description de leurs parures, ouvrent le plus joli chant de l'ouvrage. Survient un incident imprévu, pendant que le mari essaye ses bottes
(que de malheur* peut causer la négligence d un cordonnier 1). Pendant que les invités, pour se distraire, préludent au bal par quelques danses légères, Marramaquiz, très-vivant et pas du .tout empoisonné, se précipite par la lement tes invités, «t, dégainant une arme ter- rible, une fourchette de fer très-pointue, as- somme M. Bavar d'un coup de revers, coupe la figure à M. Renard et brise une jambe à l'infortuné M. Joujou. Les invités, qui n'a- vaient que des épées de cérémonie, de simples cuillers de bois, sont aisément taillés en pièces, et Marramaquiz empores dans ses bras Zapa- quilda évanouie. Micifuf, enfin chaussé de brodequins tout neufs, est arrivé beaucoup trop tard. Son rival va cacher Zapaquilda au fond d'une tour. Là il essaye, mais en vain, de triompher de sa résistance. Zapaquilda ne cesse de faire couler des perles liquides le long de ses joues et n'en est que plus sédui- sante, comme l'Aurore quand elle pleure. En vain Marramaquiz lui fait des sonnets des concetti, de la prose, des vers, et s'alambique le cerveau à trouver des gracieusetés; elle reste inflexible.
Pendant ce temps, Mtcifuf a réuni le conseil des chats; il leur montre la félonie de son ad- versaire, qui est tombé armé au milieu de gens venus en habit de noces, raconte l'enlè- vement, soulève la famille de Micilda, cette infortunée si misérablement séduite et aban- donnée, et obtient enfin qu'il lui sera donné des troupes. On va faire le siège de la tour inexpugnable l'armée des chats a pour mous- quets des tibias de matou, pour canons des os de bœuf. Le siège dure longtemps et la famine va forcer Marramaquiz à se rendre, lorsqu'un soir, voyant Zapaquilda dépérir faute'd'aliments, il va se mettre k l'affût; afin de prendre un merle et de l'apporter à sa bien- 1 aimée. Un prince, qui tirait ce soir-là des mar- tinets, lui envoie une balle dans le corps. Mi- ~cifuf, ainsi délivré de la garnison qui défen- dait la tour, emporte la place d'assaut, et retrouve Zapaquilda, mais dans quel état, grands dieux amaigrie et exténuée par les privations N'importe, après tant de traverses, l'nnion s'effectue, et les deux amants font souche d'une nombreuse lignée de petits chats. On s'étonnera peut-étre qu'un esprit d'un ordre aussi élcvé que Lope de Vega se soit amusé à un pareil badinage, qui n'a pas moins de huit chants et de deux ou trois mille vers; niais, dans cette composition, il a déployé une imagination et une poésie merveilleuses. Lope de Vega, promettant, comme tous les poètes, l'éternité à son oeuvre, s'écrie en com- mençant
On lira ma Gatomachie
Des Indes jusqu'en Valaohiel
Cependant, il n'est peut-être pas d'œuvre plus profondément Inconnue, non-seulement en V alachie et aux Indes, mais en France. Il n'en a jamais été fait une traduction française, ni même aucune analyse. Quoiqu'elle ne vaille pas l'Gnéide, la Gatomachie tiendrait fort bien sa place, dans un cours de littérature compa- rée, entre la Boucle de cheveux enlevée et la Secchia rapita.
Cet ouvrage parut pour la première fojs dans les Rimas divinas y la del li- eenciado Tome Burguillos; il était dédié à Lope de Vega. Mais depuis longtemps les critiques espagnols Montalvan, Agu. Du- ran, etc., ont reconnu que le licencieKBur- guillos et Lope de Vegà n'ont jamais été qu'un seul et même personnage. On trouvera la Ga- lontaguia, avec les autres Rimes divines et humaines, dans les oeuvres non dramatiques de Lope de Vega, collection Rivadeneyra (Madrid, in-4o).
Pour accéder à ce poème
- Sur Internet Archive :https://archive.org/details/La_Gatomaquia-LopeFelixDeVegaCarpio/mode/1up
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Voir aussi
- Notes de la rédaction
- ↑ Le titre espagnol est La Gatomaquia