Buffon (Georges-Louis Leclerc) (Larousse - G.D.U. XIXe siècle)

De Wicri Animaux
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Avant-propos

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L'article

BUFFON (Georges-Louis Leclerc, comte de)

BUFFON (Georges-Louis Leclerc, comte de), célèbre naturaliste et écrivain français, né à Montbard le 7 septembre 1707, mort à Paris, Parc Buffon a Montbard DSC 0011.JPG au Jardin du Roi, le 16 avril 1788, à l'âge de quatre-vingt-un ans, est un des plus grands génies dont la France ait le droit d'être fière. Son père, représentant d'une vieille race bourguignonne, était conseiller nu parlement de sa province ; lui-même fit ses études chez les jésuites de Dijon (Flag of France.svg). College des GODRANS.jpg Il ne nous est rien revenu de remarquable sur sa première enfance, si ce n'est la ténacité de son caractère et son grand amour pour les mathématiques.

A Angers, où il faisait son académie, il se prit de querelle avec un Anglais, se battit, donna un coup d'épée son adversaire, et fut forcé de revenir à Dijon ayant d'avoir achevé ses cours. Il se mit alors à voyager, et consacra les années 1730 et 1731 à visiter le midi de la France et le nord de l'Italie. Il avait pour compagnons de route un jeune Anglais fort riche, le duc de Kingston, et un Allemand du nom d'Hinckmann, gouverneur du duc; Hinckmann parlait de la nature avec l'enthousiasme le plus communicatif, et son influence ne fut pas étrangère au développement du génie de Buffon. Us se trouvaient à Rome au mois de février 1732, lorsque Buffon fut rappelé en France par la mort de sa mère. Il voyagea aussi en Suisse, où il connut les Cramer, et fit un séjour à Londres et à Thoresby , terre patrimoniale du due de Kingston  ; mais, à ces quelques excursions dans des pays voisins du nôtre se bornèrent ses voyages.

Buffon prit au milieu de l'aristocratie anglaise ces manières nobles et ces grandes façons qui lui valurent quelques critiques, mais qui firent dire à Hume, lorsqu'il le vit pour la première fois, qu'il répondait plutôt à l'idée d'un maréchal de France qu'à celle d'un homme de lettres. De retour d'Angleterre, il publia la Statistique des végétaux de Hales [NDLR 1] (1735), et le Traité des fluxions de Newton() LamethodedesfluxionsNewtonBuffon IA n4.jpg (1740). La préface de ce second ouvrage, œuvre personnelle tout à fait remarquable par le style et les idées, fixa sur lui l'attention publique.

« Je vais, au premier jour, écrivait Buffon en 1739 au président Bouhier, faire imprimer une traduction, avec des notes, d'un ouvrage anglais de physique qui a paru nouvellement, et dont les découvertes m'ont tellement frappé et sont si fort au-dessus de ce que l'on voit en ce genre, que je n'ai pu me refuser le plaisir de les donner en notre langue au public.  »

A l'académie des sciences

Depuis le 3 juin 1733, Buffon faisait partie de l'Académie des sciences, où il avait été appelé à l'âge de vingt-six ans, à la place de de Jussieu. Des expériences sur le degré de force que peuvent acquérir les bois par l'écorcement, une dissertation sur les causes du strabisme, différents mémoires sur l'agriculture, lus à diverses époques devant cette compagnie et insérés dans ses recueils, justifiaient son élection. Ses premières expériences sont marquées à un cachet tout particulier de grandeur ; pour celles qui sont relatives à la force de résistance des bois , on le voit opérer sur des forêts entières. La grande maîtrise voulut intervenir, mais le roi abandonna à Buffon par lettres patentes les forêts royales de Marly et de Saint-Germain, afin qu'il pût poursuivre en toute sécurité ses études. Buffon, voulant répondre à un doute de Descartes, résolut de retrouver les miroirs ardents d'Archimède :

« J'en avais, dit-il, conçu depuis longtemps, l'idée, et j'avouerai volontiers que le plus difficile de la chose était de la voir possible, puisque, dans l'exécution, j'ai réussi au delà même de mes espérances.»

Il fit ses premiers essais au château de la Muette en 1747, en présence de toute la cour. Afin de mieux démontrer la puissance de ses miroirs, il incendiait à de grandes distances des maisons qu'il payait ensuite au double de leur valeur, ou faisait fondre à leurs rayons sa vaisselle plate. Les nombreuses expériences auxquelles il dut se livrer par la suite, avant de produire son système de la formation de la terre, eurent lieu aussi sur une vaste échelle, dans les forges qu'il avait fait construire (Flag of France.svg), Forges Buffon 001.jpg plutôt pour servir la science que dans un but de spéculation. Afin de rendre sensible par la démonstration sa théorie du refroidissement du globe, il fit fondre en nombre considérable de vastes sphères de bronze. On les chauffait à différents degrés dans des fourneaux faits exprès, ensuite on les laissait refroidir. Les forges de Buffon furent comme un immense laboratoire, où il travailla toute sa vie.

Le Jardin du Roi

Jardin du roi 1636.png Mais sa nomination à l'intendance du Jardin du Roi, où il succédait à Dufay (août 1739) , avait précédé ces premières expériences. Tout paraissait éloigner Buffon de cette charge  ; d'abord, sa jeunesse; ensuite, il était brouillé avec Dufay, son collègue à l'Académie, et celui-ci s'était déjà choisi un successeur dans la personne de Duhamel du Monceau. Buffon n'avait pour lui que le patronage du chimiste Hellot. Mais en quelques heures tout changea. Les deux savants se rapprochèrent, et Dufay, avant de mourir, désigna au ministre Maurepas Buffon pour son successeur. Duhamel était en Angleterre; à son retour, le ministre qui lui avait manqué de parole lui donna, à titre de compensation, une inspection générale de la marine. Sans ce concours heureux et fortuit de circonstances , avec une âme moins généreuse que celle de Dufay, avec un ministre plus esclave de sa parole que Maurepas, l'ambition de Buffon n'eût pas été satisfaite, et sans doute l‘Histoire naturelle n'eût pas été écrite.

En effet, l'entrée de Buffon au Jardin du Roi fut l'acte décisif de sa carrière. Il conçut aussitôt le vaste dessein d'écrire l'histoire de la nature, et de lui élever un temple digne d'elle, où seraient conservées, classées et expliquées ses productions diverses. Plan immense, bien fait pour décourager l'esprit le plus vaste, mais que Buffon envisagea sans effroi; on  !e vit toujours poursuivre, malgré les maladies, les obstacles imprévus, les chagrins, les injustices , sa double tâche avec une infatigable constance. C'est, au reste, un beau et salutaire exemple que cette longue vie vouée aux plus pénibles travaux  : le génie est un souffle qui ne vient pas de l'homme; l'homme supérieur n'est peut-être qu'un instrument dans la main de Dieu. Il a une mission, mission de lumière, ou de ruine, et ni l'enivrement des plaisirs ou de la gloire, ni les dissipations de la fortune, les souffrances morales, les misères physiques, ne pourront ie détourner de son but. C'est même à cette infatigable persistance et a cette ténacité dans les vues que se reconnaît le génie. Buffon le définissait  : Une plus grande aptitude à la patience  ; et sa vie tout entière fut le développement de cette définition. En effet, chez lui, deux vertus sont surtout saillantes  : l'amour de l'ordre et sa passion pour l'étude. S'expliquant lui-même sur cette première vertu, il dit à Mme Necker (25 juillet 1779)  :

«  Vous pourriez croire que c'est l'amour de la gloire qui m'attire dans le désert et me met la plume à la main , c'est le seul amour de l'ordre qui m'a déterminé. »

L'esprit d'ordre et la méthode ont contribué à donner à sa vie une noble unité, et à sa pensée cette logique absolue, cette précision forte, cette lucidité harmonieuse qui font à la fois le charme et la force de ses écrits.

Nous verrons plus loin jusqu'où Buffon poussait la passion pour l'étude.

l‘Histoire Naturelle

Buffon Hist Nat E.O. Tome 1 f11.jpg Les trois premiers volumes de l‘Histoire naturelle (voir ce mot) parurent en 1747. Les volumes suivants se succédèrent sans interruption, d'année en année, jusqu'à la mort de Buffon. La sensation que produisit l'ouvrage fut immense; jamais la pensée humaine ne s'était élevée à une pareille hauteur, ni le génie à une telle hardiesse. On n'était pas accoutumé à entendre la science parler un aussi beau langage. Aussi la place de Buffon fut-elle marquée dès ce jour à l'Académie française, où il ne fut élu pourtant que le 1er juillet 1752. Le 25 août 1753, il vint prendre séance parmi ses nouveaux collègues, et prononça devant un auditoire d'élite son immortel discours sur le style. (V. style.) Grimm, rendant compte de cette séance fameuse, dit que l'Académie s'était donné un maître à écrire.

Quelques jours après sa réception, et comme pour justifier davantage le choix que l'Académie venait de faire, Buffon donna au public le quatrième volume de l‘Histoire naturelle.

Les collections du Jardin du Roi

Le soin de ses ouvrages ne l'empêchait pas de poursuivre parallèlement la réorganisation, on pourrait dire la fondation du Jardin du Roi. Sous sa volonté ferme et son impulsion puissante, cet établissement, abandonné depuis longtemps aux médecins de la cour, qui en avaient tait une ferme à revenus, avait changé d'aspect. Des galeries avaient été ouvertes, les collections arrivaient de toutes parts. Buffon avait appelé près de lui Daubenton pour les classer et les décrire. L'éclat que jetait son nom sur l'établissement confié à ses soins fut la principale cause de sa prospérité. Il y avait pour l'enrichir émulation entre les souverains, les savants, les missionnaires, les particuliers.

Des pirates même ayant capturé un vaisseau sur lequel se trouvaient des caisses aux armes du roi d'Espagne, et d'autres à l'adresse de Buffon, retinrent celles du roi, tandis qu'ils veillèrent scrupuleusement à ce que les caisses à l'adresse de Buffon lui fussent expédiées.

D'un autre côté, le titre de Correspondant du Jardin du Roi et du cabinet d'histoire naturelle, dont Buffon avait obtenu la création, était devenu entre ses mains un moyen ingénieux d'émulation et de récompense. Il ne manqua jamais non plus de citer dans l'Histoire naturelle les noms de ceux qui avaient enrichi le cabinet de leurs dons, ou la science de leurs observations; et le seul désir de figurer dans ce grand ouvrage fut peut-être plus puissant que tous les autres moyens pour enrichir le Muséum. Les rois de Suède et de Danemark, l'impératrice Catherine envoyèrent des minéraux, le roi de Prusse des herbiers et des échantillons rares. Ces envois étaient des dons personnels faits à Buffon, qui aurait pu en former de riches collections  ; mais il les abandonna toujours généreusement au Cabinet d'histoire naturelle. Un ami lui ayant fait observer que cette façon d'agir portait préjudice à son fils, il répondit  :

«  Le Cabinet du Roi est mon fils ainé.  »

Comme le prince Henri de Prusse s'étonnait de ne point trouver à Montbard un cabinet d'histoire naturelle, Buffon lui dit qu'il n'en avait point d'autre que celui de Sa Majesté. Son désintéressement fut sans bornes. Lorsqu'il se présentait des acquisitions utiles et que l’État manquait de fonds, il achetait de ses propres deniers.

«  C'est un travers, disait-il, mais il ne fera que peu de tort à mon fils; j'y emploie surtout mes économies.  »

Dès l'année 1766, les collections avaient envahi toutes les galeries disponibles, et Buffon était contraint de leur abandonner son propre appartement. Il écrit au président de Brosses (1er septembre 1766)  :

«Les motifs de l'intérêt personnel n'ont aucune part ici, et je ne me suis déterminé que pour donner un certain degré de consistance et d'utilité à un établissement que j'ai formé. Tout était entassé, tout périssait dans nos cabinets faute d'espace il fallait 200,000 livres pour bâtir. Le roi n'est pas assez riche pour cela.  »
«  J'habite actuellement, écrit-il encore au président de Ruffey à la même époque, une assez belle maison rue des Fossés-Saint-Victor, à mille pas de distance du Jaidin du Roi, ce qui me donne la facilité d'y aller à pied pour y donner mes ordres. J'ai cédé mon logement pour étendre le Cabinet, qui commençait à s'encombrer, au point de ne pouvoir s'y reconnaître.  »

Pendant qu'il augmentait les collections du Cabinet d'histoire naturelle, Buffon agrandissait et décorait le Jardin , étendait ses limites jusqu'à la Seine, plantait des avenues, creusait des bassins, comblait le, lit infect de la Bièvre , construisait des serres, des amphithéâtres, et avançait, pour hâter l'achèvement de ces utiles travaux, des sommes importantes, dont sa famille ne put jamais obtenir le remboursement.

Les extensions

Une anecdote donnera une idée des obstacles de tout genre que Buffon eut à surmonter. Le Jardin du Roi touchait aux biens de l'abbaye de Saint-Victor, biens de mainmorte, par conséquent inaliénables. Toutefois Buffon parvint, après des négociations qui se prolongèrent pendant plusieurs années, à mettre le prieur dans ses intérêts, et à le faire consentir à un contrat d'échange.

« Il n'y a que quelques jours, écrit-il à son fils le 9 septembre 1782, que ces malheureux moines, qui m'ont fait tant de chicanes, sont enfin enchaînés. Le contrat d'échange de mon terrain vient enfin d'être signé. « 

Mais au jour fixé pour l'exécution du contrat, les moines se révoltèrent et refusèrent de quitter l'abbaye. Le lendemain, pendant qu'il tombait une pluie torrentielle et que la communauté était encore endormie, Buffon, usant de son droit de propriétaire, envoya des couvreurs qui se mirent à enlever les toitures. Le soir, l'immeuble était vide de ses hôtes.

L‘enseignement et la gloire

La prospérité matérielle du Jardin ne lui faisait pas non plus perdre de vue les intérêts de l'enseignement. On y voit la chimie enseignée tour à tour par Bourdelin, Rouelle, Maloin, Mucquer, Pourcroy. La chaire de botanique^ si longtemps et si dignement occupée par Antoine de Jussieu, est donnée à Lemonnier, auquel succède Antoine-Laurent de Jussieu. Dans la chaire d'anatoinie brillent successivement les noms de Hunauld, Winslow, Antoine Ferrein, Portai, Antoine Petit, Duverney et Mertrud. Les deux Daubenton, les deux Thoûin, Lacépède, Van Spaendonk, qui peignait les herbiers, appartiennent aussi à 1 histoire du Jardin du Roi pendant la glorieuse administration de Buffon. U ne faut pas oublier non plus ces naturalistes voyageurs, institués par Buffon, et dont les découvertes ont si largement con- tribué aux progrès de la science  : Poivre, Dombey, Commerson, Bougainville, Sonnerat, Dolimieu, Sonnini, Arthur, etc.

Le public ne se montrait pas indifférent à ces grands travaux, et Buffon eut le rare privilège de jouir de sa gloire de son vivant. Les souverains étrangers se confondaient en préve- nances pour l'attirer dans leurs Etats ou tout au moins mériter son suffrage. Les uns lui écri- vaient sur le ton de la familiarité, les autres lui envoyaient de riches présents, d'autres lui de- mandaient son amitié. Le grand Frédéric lui soumettait ses manuscrits  ; le prince Henri , son frère, le prince philosophe, comme on l'ap- pelait, écrivait, après un séjour à Montbard (septembre 1784)  : «  Je n oublierai jamais l'homme doux, aimable et bienfaisant que j'ai vu à Montbard; si j'avais à désirer un père, ce serait lui; un ami, lui encore; une intelli- gence pour m'éclairer, et quel autre que lui? >

L'empereur Joseph II, frère de l'infortunée Marie-Antoinette, appréciait particulièrement Buffon. Dans ses différents séjours en France, il ne manquait jamais de le venir voir. U arri- vait au Jardin du Roi sans s'être fait annoncer, et disait  : «  Monsieur de Buffon, nous traiterons ici, si vous le voulez bien, de puissance à puis- sance, car je me trouve actuellement sur les terres de votre empire.  » Le 7 décembre 1784, lors de l'inauguration du Musée que Pilâtre du Rosier avait fondé dans les galeries du Palais- Royal, on vit le bailli de Suffren, de retour de ses dernières campagnes, y couronner solen- elleraent le buste de Buffon.

Soucis familiaux et ingratitude

Toutefois, cette vie glorifiée par le travail et honorée par les témoignages les plus éclatants de l'estime publique eut aussi ses. revers. Buffon avait vu mourir, en 1759, une fille, son premier enfant, qui, suivant son expression,

«  commençait à se faire entendre, c'est-à-dire aimer. »

Il avait épousé en 1752 une femme qu'il aimait, mais il l'avait perdue en 1769, à l'âge de trente-sept ans, dans tout l'éclat de sa grâce et de sa beauté. La douleur qu'il ressentit de cette perte est touchante.

«  Ce fut d'abord, dit-il, une plaie cruelle, qui dégénère aujourd'hui en une maladie que je regarde comme incurable, et qu'il faut que je m'accoutume à supporter comme un mal nécessaire.... Ma santé en est altérée et j'ai abandonné, au moins pour un temps, toutes mes occupations.  »

Il dit encore  : «  Il y a bien longtemps que mes malheurs m'ont empêché de m'occuper d'aucune étude (5 avril 1769).  » Et, un autre jour  :

«  Personne ne fut plus malheureux que moi deux ans de suite; l'étude a été ma seule ressource.  »

Enfin ni la gloire, ni la grande considération dont il jouissait, ni les services éclatants qu'il avait rendus, ne le mirent à l'abri de l'injustice et de l'ingratitude des cours. Au mois de février 1771, pendant une longue et douloureuse maladie qui alarma l'Europe savante, on disposa, à son insu, en faveur du comte d'Angiviller, déjà comblé de places et de pensions, de sa survivance, qu'il destinait à son fils. Le comte d'Angiviller n'avait aucun titre scientifique qui lui permît de prétendre à l'honneur de succéder a Buffon. La faveur seule avait inspiré ce choix. Louis XV, voulant du moins donner une compensation à Buffon et apaiser son juste mécontentement, érigea ses terres en comté (juillet 1772), et commanda sa statue en pied au sculpteur Pajou. Elle fut placée au Jardin du Roi pendant son absence, et on grava sur le socle cette inscription pompeuse : Majestati natwrœ par ingenium,

Son génie est égal à la majesté de la nature (1772.)» Mais Buffon se montra plus affecté de l'injustice qu'enorgueilli par de tels honneurs. Il écrivait au président de Ruffey  : «  Je vous remercie de la part que vous avez la bonté de prendre à cette statue que je n'ai, en effet, ni mendiée ni sollicitée, et qu'on m'aurait fait plus de plaisir de ne placer qu'après mon décès. J'ai toujours pensé qu'un homme sage doit plus craindre l'envie que faire cas de la gloire; et tout cela s'est fait sans qu'on m'ait consulté (13 janvier 1777).

Il disait, en 1784, à un architecte qui lui avait adressé, pour l'embellissement du quartier du Jardin du Roi, un projet dans lequel il n'avait rien négligé pour flatter l'amour-propre de Buffon  : «  Je ne puis consentir à aucune dépense qui aurait trait à ma gloire personnelle, ne m'étant point du tout mêlé de la statue qu'on a bien voulu m'ériger.  » Dans le même ordre d'idées, il écrivait à Mme Necker, le 12 juillet 1782  : «  Je ne cherche point la gloire, je ne l'ai jamais cherchée, et, depuis qu'elle est venue me trouver, elle me plaît moins qu'elle ne m'incommode. Elle finirait par me tuer, pour peu qu'elle augmente. Ce sont des lettres sans fin et de tout l'univers, des questions à résoudre, des mémoires à examiner. J'ai passé mes journées hier et avant-hier à faire des observations sur un long projet présenté au roi pour les planta- tions de cent mille sapins pour la mâture de la marine. Je n'aurais pas regret à mou temps si mes avis pouvaient être utiles  ; mais, dans ce haut pays où vous n'avez pas voulu rester, on consulte quelquefois les gens instruits, et on se détermine toujours par l'avis des ignorants. »

Une personnalité indépendante

Buffon ne consentit jamais à faire partie d'aucun cénacle ni d'aucune école, et voulut demeurer étranger aux menées des partis. Aussi sa noble physionomie se détache sur les coteries du xvm«  siècle, dans un majestueux isolement. Ce qui ne l'a pas empêché de prendre part au grand mouvement qui poussait les esprits vers les conquêtes de l'avenir, ni de figurer au nombre des libres penseurs.

Ami de l'ordre et de l'autorité par tempérament, il n'approuva jamais ceux qui, par ambition de popularité plutôt que par un véritable patriotisme, semblaient avoir pris à tâche d'en saper les bases. Sa réserve, un peu hautaine, lui valut la haine de d'Alembert, qui ne l'appelait que le marquis de Tuffières, du nom du Glorieux de Destouches , et indisposa contre lui quelques écrivains, qui ne le ménagèrent pas. On regratte de voir figurer parmi aux d'Alembert, Condillac, La Harpe et Réaumur. Buffon s'était fait un principe de ne jamais répondre aux critiques dirigées soit contre sa personne, soit contre ses écrits. Il pensait que la dignité a toujours à perdre et que la vérité n'a rien à gagner, dans ces sortes de polémiques. La vivacité même de certaines attaques fut impuissante à le faire sortir de sa réserve. Le nombre des sincères admirateurs du génie de Buffon dépassa toujours de beaucoup celui de ses détracteurs. Voltaire, après avoir com- mencé par critiquer ses systèmes, finit par l'appeler Archimède II, par allusion à sa dé- couverte des miroirs ardents; Diderot disait de lui  : a J'aime les hommes qui ont une grande confiance dans leurs talents.  » Mirabeau écrivait : «  M. de Buffon est le plus grand homme de ce siècle et de bien d'autres. Jamais per- sonne ne le surpassera en élévation dans les grands sujets, en justesse et en propriété de termes dans les petits. U est tout a la fois fécond et serré, plein de gravité et de douceur, admirable par son abondance et par sa briè- veté. » Enfin Jean-Jacques a dit de Buffon  : . «  Je lui crois des égaux parmi ses contempo- rains, en qualité de penseur et de philosophe  ; mais, en qualité d'écrivain, je ne lui en connais aucun. C'est la plus belle plume de Sou siècle.  » Le prince Henri de Prusse s'était respectueu- sement découvert devant ce modeste cabinet de travail, qu'il appelait le berceau de l'histoire naturelle. Buflon y composa, en effet, la plus grande partie de ses ouvrages.

L'homme de Montbard

A l'exemple de Voltaire, qui ne quittait plus sa chère retraite de Ferney; de Montesquieu, qui travaillait à la Brède  ; de Jean-Jacques, qui vivait enfermé dans son ermitage d'Ermenonville , Buffon s'était retiré de bonne heure à. Montbard.

Buffon n'aimait point Paris. Dès le mois de février 1738, alors pourtant qu'il y trouvait réunis tous les succès et tous les plaisirs, il fait confidence à l'abbé Leblanc de ses aspirations vers la retraite et le repos des champs  : • Quand je pense, dit-il, que vous vous levez tous les jours avant l'aurore, je voudrais bien vous imiter; mais la malheureuse vie de Paris est bien contraire à ces plaisirs. J'ai soupe hier fort tard, et on m'a retenu jusqu'à deux heures après minuit. Le moyen de se lever avant huit heures du matin, et encore n'a-t-on pas la tète bien nette après ces six heures de repos l Je soupire pour la tranquillité de la campagne. Paris est un enfer! «Cette façon de penser se fait jour à chaque instant dans ses lettres  : «  Jamais ce pays-ci n'a été plus cher et plus désagréable, et je soupire pour le temps où je pourrai le quitter, et passer avec vous les moments les plus heureux de ma vie.  »(l77i.) ■ Le grand mouvement de ce pays-ci me fati- gue et m'ennuie. " (1777.) > La tranquillité du cabinet me fait autant de bien que le mouve- ment du tourbillon de Paris me fait mal. • ( 1 78 1 . )

Buffon travaillait sans relâche. Quelqu'un lui ayant demandé comment il était parvenu à une telle gloire, il répondit simplement: «  En passant quarante années de ma vie à mon bureau;  » il aurait pu dire cinquante ans. H travaillait le matin, à l'heure où l'esprit est libre et l'intelligence reposée. A Paris , dans sa jeunesse, comme il aimait également le monde et le sommeil, et qu'il lui arrivait sou- vent — nous venons de l'apprendre de sa bou- che— de rentrer tard des soupers et des veil- les, son valet de chambre avait ordre de le jeter hors du lit, quelque résistance qu'il op- posât. A Montbard, où il vivait vraiment de la vie de son choix, il se levait à cinq heures. Enveloppé dans une longue robe de chambre, il quittait Sa maison et se dirigeait vers ut lieu élevé qui couronne la colline, à l'extré- mité de ses jardins. Là, dans une salle bâtis sur le massif d'une ancienne tour, un secré.- taire attendait, et on se mettait immédiatement à l'ouvrage. Buffon, parlant de son cabinet de travail, dit à M"'" Necker  : «  Vous rirez suns doute, en y entrant, de ma pauvre simplicité  ; il n'y a que les quatre murs.  » La porte en demeurait ouverte, Buffon se promenait dans les allées voisines et rentrait pour dicter. A neuf heures, son valet de chambre le coiffait et l'habillait. Pendant ce temps, il déjeunait d'un pain et d'un verre d'eau. A midi, il des- cendait pour dîner. Mme Nadault, sa sœur, faisait en son absence les honneurs du châ- teau. Après le repas, Buffon s'occupait de sa correspondance, de l'administration du Jardin du Roi, du règlement de ses affaires domesti- ques; mais le travail sérieux de' la journée était achevé. Il s'astreignit à cette règle sé- vère pendant toute sa vie. Rien n'était capable de le distraire de ses'travaux. Il écrit en 1781 à l'abbé Bexon, son collaborateur  : «  J'ai eu un rhume qui m'a fort incommodé d'abord, et qui m'a duré près d'un mois  ; cependant, je n'en ai pas moins travaillé souvent plus de huit heures par jour.  » Buffon n'était jamais content de ce qu'il avait écrit; il revoyait sans cesse ses ou- vrages. Ses manuscrits, ainsi que ceux de Jean-Jacques, sont surchargés de ratures. Il n'avait pas le travail facile  ; du reste, il en con- venait, disant à Voltaire  : «  N'est-il pas juste que la nature, qui vous a comblé de ses fa- veurs, continue de vous traiter avec plus d'é- gards et de ménagements qu'un nouveau venu comme moi, qui n'ai rien obtenu d'elle qu'à force de la tourmenter?  » De plus, il était myope et écrivait peu lui-même; mais il reli- sait sans cesse les pages qu'il avait dictées, et les corrigeait avec un soin minutieux. Dès que de nombreuses ratures rendaient la lecture du manuscrit difficile, il le faisait recopier. Ensuite, lorsque, après bien des retouches, il commençait à être à peu près satisfait de son travail, il se le faisait lire à haute voix, et marquait le passage où le lecteur avait hésité, pour le revoir et le corriger de nouveau. Ou bien il en donnait lecture le soir, au salon, à ses hôtes toujours nombreux, et provoquait leurs remarques. Il avait coutume de dire  ; «  Qu'il n'y a homme si simple dont les obser- vations ne soient bonnes à recueillir.  » Cette patience à se corriger sans cesse a valu à ses écrits une pureté et une correction inimitables.

On peut remarquer, en effet, que Buffon emploie toujours le terme propre et le mot le mieux approprié à la pensée qu'il veut rendre  ; d'Alembert, qui aimait à le trouver en faute, prit un jour au hasard un passage de l'Histoire naturelle et changea les mots, afin do voir si on pourrait, à 1 aide de synonymes, rendre la pensée avec la même force. L'épreuve fut concluante.

Buffon et le style

Buffon n'aimait pas les vers, et reprochait aux poètes de sacrifier l'expression aux nécessités de la rime. Cependant il avait appris des tirades entières d'Horace, qu'il récitait de mémoire. Parmi les modernes, tant prosateurs que poètes, ses trois auteurs favoris furent La Fontaine, Fénelon et Racine ; Racine surtout. Il le regardait comme l'écrivain qui, par la pureté de son style, s'est approché le plus de la perfection dont il croyait notre langue susceptible.

« C'est beau, disait-il, beau comme de la belle prose  ! »

Il ajoutait  :

«  j'aurais bien fait des vers comme un autre, mais j'ai bientôt abandonné un genre où la raison ne porte que des fers  ; elle en a bien assez d'autres sans lui en imposer de nouveaux. »

En matière de style, il n'aimait pas les courtes périodes, les phrases brèves et coupées; il appelait cette façon d'écrire le style asthmatique. Les qualités de sa plume sont généralement la majesté, l'ampleur, la dignité , la force plutôt que la souplesse. Après la perfection de la forme, l'imagination était ce qu'il estimait le plus. 11 parle sans cesse à ses collaborateurs de la belle imagination. Lorsqu'un ouvrage l'avait frappé, il le louait en ces termes  : C'est un bon livre, il y a de l'idée. Ses grandes vues sur les révolutions successives du globe, son étude philosophique de l'homme, sont des morceaux où la majesté du style est partout égale à la grandeur du sujet, et on a pu lui appliquer avec justice ce que lui-même disait de Platon  : C'est un peintre d'idées.

Ce qui a surtout contribué a rendre Buffon populaire , c'est la partie de son Histoire naturelle où il décrit les mœurs des animaux. Il a su nous intéresser à leur vie morale et physique, et a créé dans la langue un genre nouveau. Ensemble et détails, tout est irréprochable. Ses descriptions abondent en mots heureux, en images tour à tour fortes ou gracieuses; on cite, parmi ses tableaux célèbres, celui du désert, qui suit l'article du chameau. Lorsqu'il dépeint l'activité de l'oiseau préparant son nid, il dit que c'est un travail chéri; le nid lui-même est un domicile d'amour. Il représente la fauvette vive, agile, légère, sans cesse remuée ; le bœuf adonné a un travail pour lequel il faut plus de masse que de vitesse. Il dit de l'âne qu'il a parfois l'air moqueur et dérisoire. Il nomme les rôdeurs de nuit, que dispersent les aboiements du chien, des hommes de proie.

Sa philosophie est calme et sereine, sa morale rassurante. Il atteste que la vie est un bien  ; la tristesse est la douceur de l'âme, les passions en sont les abus. Tous les maux viennent de l'homme, mais ils sont hors de lui.

Buffon et la science

Malgré certains passages relevés par les théologiens et censurés par la Sorbonne, dans sa Théorie de la terre et ses Époques de la nature (voir ces mots), Buffon avait la foi, et il n'est pas de plus belle prière que l'invocation par laquelle il termine sa première Vue de la nature.

Comme savant, Buffon fut un esprit créateur. La science de l'histoire naturelle n'existait pas avant lui  ; il a su en montrer l'importance et en répandre le goût. Dans sa science, il y a même de la divination  ; car, bien souvent, il a prédit ce qui ne devait se réaliser que plusieurs années après, et a rencontré juste sans le secours de l'expérience, n'ayant d'autre guide que cette lumière intérieure qu'il avait coutume d'appeler la vue de l'esprit.

Buffon a pressenti la plupart des découvertes de la science moderne.

Dans la marche lente des générations vers le progrès, de tels hommes marquent les étapes.

«  Il avait jugé que le diamant est inflammable. Ce qu'il a conclu de ses remarques sur l'étendue dés glaces australes, Cook l'a confirmé. Lorsqu'il comparait la respiration à l'action d'un feu toujours agissant; lorsqu'il distinguait deux espèces de chaleur, l'une lumineuse et l'autre obscure ; lorsque, mécontent du phlogistique de Stahl, il en formait un à sa manière  ; lorsqu'il créait un soufre  ; lorsque , pour expliquer la calcination et la réduction des métaux, il avait recours à un agent composé de feu , d'air et de lumière , il faisait tout ce qu'on peut attendre de l'esprit; il devançait l'observation.  » (Vicq-d'Azyr.)
«  Ses idées sur les limites que les climats, les montagnes et les mers assignent à chaque espèce peuvent être considérées comme de véritables découvertes; ses idées concernant l'influence qu'exercent la délicatesse et le degré de développement de chaque organe sur la nature des diverses espèces sont des idées de génie,  » (Cuvier.)

Avant Cuvier, il a clairement établi la grande loi de la prééminence relative des organes, et répandu cette idée que l'état pré- sent du globe est le résultat de révolutions successives. Avant Bichat, il a marqué la distinction des deux vies animale et organi- que, et démontré les lois opposées qui les ré- gisse, t  : l'intermittence d'action de l'une et la continuité d'action de l'autre. Combien de dé- couvertes encore se trouvent en germe dans VJJisloire naturelle. Buffon a deviné l'avenir du charbon minéral. «  Bientôt, dit-il dans Y histoire des minéraux, on sera forcé de s'at- tacher a la recherche de ces anciennes forêts enfouies dans le sein de la terre, et qui, sous une forme de matière minérale, ont retenu tous les principes de la combustibilité des végétaux, et peuvent les suppléer, non-seule- ment pour l'entretien des fours et des four- neaux nécessaires aux arts, mais encore pour l'usage des cheminées et des poêles de nos maisons. (Je sont des trésors que la nature semble avoir accumulés d'avance pour les besoins à venir des grandes populations.  » On ne peut se défendre d'un sentiment profond d'admiration pour ce beau génie, en le voyant soulever d'une main sûre le voile de l'avenir, et prophétiser, un siècle a l'avance, les mer- veilles de l'industrie. On doit encore à Buffon, ainsi qu'un savant professeur du Muséum, M. Duméril, le proclamait dernièrement au pied de sa statue (8 octobre 1865), la première idée de l'acclimatation. Buffon disait, en effet, dès 1764  : «  Nous n'usons pas, à beaucoup près, de toutes les richesses qlle la nature nous offre. Elle nous a donné le cheval, le bœuf, la brebis, tous nos autres animaux do- mestiques, pour nous servir, nous nourrir, nous vêtir, et elle a encore des espèces de ré- serve qui pourraient suppléer à leur défaut et qu'il ne tiendrait qu'a nous d'assujettir et de faire servir à nos besoins. L'homme ne sait pas assez ce que peut la nature et ce qu'il peut sur elle.... J'imagine, dit-il encore en par- lant du lama et de ses congénères, que ces animaux seraient une excellente acquisition pour l'Europe, spécialement pour les Alpes et pour les Pyrénées, et produiraient plus de biens réels que tout le métal du nouveau monde.  » Il a pressenti le magnétisme et l'électricité. On a, toutefois, longtemps con- testé à Buffon les titres de naturaliste et de savant; mais la science moderne, en creusant le sillon ouvert par ce grand esprit, en arriva peu à peu à. confirmer ses principales décou- vertes; et aujourd'hui, sa valeur scientifique est considérée à l'égal de sa valeur littéraire. L'honneur de cette réhabilitation revient surtout à Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire et à. M. Flourens, qui ont consacré à notre grand naturaliste deux ouvrages spéciaux. Le style de Buffon l'a fait mettre depuis longtemps au nombre des écrivains classiques de la France  ; toutefois, un moderne, M. Damas-Hinard , n'a pas craint de lui refuser même le talent d'é- crire. Cette critique est, par sa violence, du nombre de celles que Buffon eut méprisées et que ne doivent pas relever ses historiens. D'ailleurs, elle se trouve tout naturellement réfutée par les pages éloquentes que MM. Vil- lcmain,Nisard, Henri Martin et Sainte-Beuve ont consacrées à {'historien de la nature, et qui sont elles-mêmes des monuments littérai- res. Un professeur ayant, dans ces derniers temps, attaqué dans une conférence publique le style de Buffon, fut contraint d'interrompre son discours. C'est que la gloire des grands hommes est le patrimoine commun de la pa- trie ; elle s'en montre jalouse, et ne permet pas qu'on l'outrage. La critique n'a pas res- pecté non plus chez Buffon le caractère de l'homme. Bon nombre de biographes, s'inspî- rant d'un pamphlet écrit par Hérault de Sê- chelles, se sont plu à dépeindre son insuppor- table vanité, ses mœurs dissolues, sa tyranni- que domination sur les vassaux de ses terres. De tout cela, il ne reste plus rien aujourd'hui. M. Henri Nadault de Buffon, avrière-petit- neveu de notre naturaliste, a vengé sa mé- moire, en mettant au jour sa correspondance annotée. Cet ouvrage, et le beau volume il- lustré de charmants portraits sur Bu/fon, sa famille et ses collaborateurs, qui le complète, seront désormais consultés avec fruit par tous les biographes de Buffon, et par ceux qui en- treprendront d'écrire une histoire complète du xvmc siècle. Buffon est bien connu désormais, et, après avoir admiré le génie de l'écrivain et de l'administrateur, et rendu hommage au sa- vant, on aime à le voir dans sa vie privée, simple et bon, fidèle aux amitiés de son en- fance, vénéré de sa famille, adoré des paysans de ses terres, chéri à Montbard, où se con- serve, toujours vivant, le souv*nir de ses bienfaits. On sait maintenant que Buffon avait le cœur généreux et l'àine sensible. Cette sen- sibilité daine, si souvent mise en doute, se manifeste notamment dans la douleur que cause à Buffon la perte de sa femme, dans celle qu'il laisse échapper lors de la mort de son père  : mais surtout dans les soins minu- tieux et (es attentions vraiment maternelles dont il entoura un fils unique, privé de sa mère à cinq ans.

La fin

On a souvent représenté Buffon comme étant de moeurs légères.

«  Mieux que personne, dit son secrétaire, dont M. Nadault de Buffon a mis au jour les notes manuscrites, je puis témoigner de la pureté de ses mœurs. Je demeurais dans son hôtel, je couchais dans un cabinet voisin de sa chambre, et je voyais, et j'entendais à toute heure les personnes qui entraient chez lui.  »

La mort vint surprendre Buffon au milieu de ses travaux. Il terminait un livre sur l‘Aimant, et mettait la première main a un Traité sur l'art d'écrire, qui forme comme le testament littéraire de ce grand écrivain. Quelques jours avant sa mort, on put le voir parcourir une dernière fois les allées du Jardin des Plantes, soutenu par deux valets, et donnant ses ordres. Son agonie fut lente, elle dura trois jours. La vie avait peine à quitter ce corps, dont la rare vigueur faisait dire à Voltaire que c'était l'âme d'un sage dans le corps d'un athlète. Sentant sa fin approcher, il fit appeler sou fils, et, prenant une dernière fois sa tète blonde entre ses mains séniles, il lui dit  :

«  Mon fils, ne quittez jamais le chemin de la vertu et de l'honneur ; c'est le vrai moyen d'être heureux.  »

Ses funérailles donnèrent lieu aux témoignages les plus touchants d'une douleur publique, dont on no revit d'exemple qu'a la mort de Mirabeau. Dans le trajet de Paris à Montbard, où Buffon avait voulu reposer, les populations se rendaient en habits de deuil sur les routes et dans les villages par où le convoi devait passer. En 1893, la sépulture de notre grand naturaliste fut un instant violée; mais la Convention et l'opinion publique protestèrent avec éclat contre cette profanation.

Aujourd'hui, Buffon repose dans le caveau de la chapelle seigneuriale de Montbard, entre son père et sa femme, au milieu d'une population depuis longtemps accoutumée à regarder sa gloire comme son plus cher patrimoine, dans une ville où reste toujours vivant le souvenir de ses. bienfaits.


Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. Il s'agit en fait de la Statique des végétaux
Sources