CIDE (2009) Fournier

De Histoire de l'IST

L’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française et les nouvelles tendances web


 
 

 
titre
L’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française et les nouvelles tendances web
auteurs
Martin Fournier, François Côté (LogoWicriSicCide2021Fr.png),
Affiliations
Université Laval
In
CIDE.12 (Montréal), 2009
En PDF 
CIDE (2009) Turgeon.pdf

Cet article est une des premières publications sur l'Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française

Il a fait l'objet d'une communication spécifique. Mais le texte correspondant a été intégré dans un ensemble plus complet sous la direction de Laurier Turgeon.

Le patrimoine ethnologique et les nouvelles technologies web

Les premières parties de l'article sont visibles sur le wiki Wicri/Sic/CIDE :

L’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française et les nouvelles tendances web

L’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française est avant tout un projet de diffusion des connaissances contemporaines sur le patrimoine, incluant les nouvelles manières de le concevoir, de l’étudier et de le communiquer. Dans cette encyclopédie diffusée exclusivement sur Internet depuis avril 2008, le web est non seulement un moyen novateur de mieux communiquer toutes les dimensions du patrimoine, qu’elles soient matérielles ou immatérielles, textuelles, visuelles ou sonores, intellectuelles ou émotives, mais il est également une source de réflexion stimulante sur la relation entre le patrimoine et les gens qui le vivent.

Depuis plusieurs années, les campagnes de mise en ligne de millions de documents textuels, visuels, sonores et audiovisuels ont rendu accessibles plusieurs collections d’archives et de musées qui constituent le fondement d’un important patrimoine collectif. Les bâtiments, les lieux, la faune et la flore, les festivals et autres événements culturels, qu’ils soient des attractions locales ou des éléments du patrimoine mondial, sont également présents sur le web et, de ce fait, accessibles comme jamais par le passé. Cette accessibilité accrue de multiples éléments du patrimoine offre des possibilités nouvelles et change les perspectives dans ce domaine en effervescence.

L’Encyclopédie puise dans ces banques de données en ligne afin de sélectionner l’information la plus pertinente pour compléter ses articles. Elle participe également à ce processus de diffusion en numérisant elle-même nombre de documents multimédia inédits qu’elle met à la disposition des internautes. Elle vise à accroître la connaissance et la compréhension du patrimoine. En effet, grâce aux textes de nos articles, rédigés par des spécialistes, qui décrivent et expliquent des éléments majeurs et parfois méconnus du patrimoine des francophones d’Amérique, ainsi que l’histoire de leur formation et de leurs transformations, nous rendons disponibles ces connaissances à travers le monde. De plus, grâce aux nombreux documents multimédia qui permettent aux internautes de prendre contact plus intimement et plus directement avec un lieu, un bâtiment, une œuvre d’art, un savoir-faire, un rituel, un accent, une personne, le patrimoine prend vie, bien que de façon virtuelle. Rappelons cependant que le web est un puisant incitatif à visiter et à participer en chair et en os au patrimoine parfois découvert par l’entremise d’Internet.

Les initiatives en cours

À la jonction des perspectives du web 3.0 et des approches multidisciplinaires en sciences humaines, l’Encyclopédie s’efforce d’offrir une documentation intégrée sur le patrimoine. Non seulement des auteurs de disciplines diverses rédigent nos articles : ethnologues, historiens, littéraires, biologistes, gestionnaires, et autres, afin de couvrir les trois grandes catégories du patrimoine reconnues par l’UNESCO (immatériel, matériel et naturel), mais l’approche que nous privilégions pour décrire et analyser le patrimoine – la patrimonialisation – amène les auteurs à réfléchir à la convergence de plusieurs facteurs. Le patrimoine se forme en effet sous l’influence de valeurs culturelles dominantes, qui se transforment dans le temps, d’acteurs sociaux divers, organisés ou non, et répond à besoins économiques, sociaux et culturels de la collectivité qui varient eux aussi au fil du temps. Ainsi, l’Encyclopédie présente une information « convergente » sur l’évolution dynamique du patrimoine. Cette approche s’inscrit dans les réflexions actuelles les plus pointues sur les phénomènes humains, et dans les perspectives de développement du web.

Une autre pratique d’intérêt de l’Encyclopédie, en lien avec le web 3.0, consiste à joindre à chaque article de l’Encyclopédie une documentation multimédia qui en facilite la compréhension fine et détaillée. Bien sûr, des illustrations permettent de voir les sujets dont il est question dans les articles. Cet usage est fort répandu. Mais des documents audiovisuels, des chansons, des articles de journaux, des œuvres d’art et des témoignages sonores s’ajoutent aux illustrations. Cet ensemble de documents multimédias sélectionnés pour leur pertinence donnent accès à la profondeur culturelle du patrimoine décrit dans les articles. À l’inverse, le texte des articles facilite la compréhension et la contextualisation des documents multimédias présentés en lien avec les articles. Ce travail de recherche, de sélection et de présentation de documents complémentaire aux articles demande patience et réflexion. Car la convergence des informations sur un sujet donné, en vue d’en faciliter la compréhension et d’en approfondir la connaissance, n’est pas évidente à établir. Cette pratique développée dans l’Encyclopédie, et la réflexion qui la sous-tend, sont propices au développement d’un web plus « intelligent », qui serait davantage en mesure de rassembler une information variée et pertinente sur un sujet donné, alors que cette information se trouve aujourd’hui le plus souvent disséminée au travers d’innombrables sites, très peu connectés les uns aux autres. Notre expérience à ce niveau suggère que les progrès souhaités dans le développement du web 3.0 représentent un défi de taille.

Les développements à venir

L’Encyclopédie tente de tirer profit des développements rapides du web qui offrent constamment de nouvelles possibilités. La numérisation 3D, par exemple, dans laquelle s’engage l’Encyclopédie grâce à des appareils de numérisation maintenant portatifs, permettra un contact inégalé avec les objets du patrimoine conservés dans les musées, même si ce contact n’est que virtuel. En effet, les visiteurs des institutions muséales n’ont que très rarement la possibilité de manipuler les objets qui sont exposés, alors que la technologie 3D leur permettra d’observer ces objets sous tous les angles, à leur guise, en « manipulant » les images 3D diffusées sur notre site. Non seulement cette technique donnera-t-elle accès à tous les détails des objets, mais elle s’adaptera de surcroît aux intérêts et aux impulsions de chacun. Elle accroît donc la qualité et l’étendue de nos rapports aux objets du patrimoine, sans risque de détérioration de ceux-ci, grâce à la médiation du web.

L’Encyclopédie explore également le potentiel web dans le domaine du patrimoine immatériel, principalement dans la section de l’Encyclopédie destinés spécifiquement aux jeunes de 14-16 ans. Nous réalisons à leur intention divers modules interactifs dont le plus ambitieux porte sur la démocratie, en tant que valeur et savoir-faire clé de notre société. Ce module s’articule autour d’une simulation de haut niveau (serious gaming) des pratiques démocratiques actuelles et émergentes. Sur la base d’informations résumant l’évolution de la démocratie au Québec, son fonctionnement, ses institutions et son impact sur la société, depuis l’instauration du gouvernement responsable (XIXe siècle) jusqu’aux tendances les plus récentes (notamment l’utilisation du web lors de la récente campagne du président américain Barack Obama), ce module proposera aux participants de relever le défi suivant. Il s’agira de résoudre un problème de nature complexe par le biais des processus démocratiques : soit la conciliation du développement économique et de la protection de l’environnement dans une perspective durable. Les données de base de cette simulation reflèteront la diversité des enjeux, des acteurs et des opinions présents dans la société.

Les données statistiques sur les choix privilégiés par les participants à ce « jeu sérieux » deviendront progressivement le principal élément de la prise de décision démocratique qui permettra de résoudre le problème posé. Celle-ci évoluera donc au fur et à mesure que les participants s’additionneront. Elle sera également influencée par divers modes de scrutins qui seront proposés aux participants (majorité simple, système proportionnel, choix multiples énumérés en ordre de priorité sur les bulletins de vote, et autres). Enfin, elle illustrera clairement comment une opinion personnelle peut se transformer en une position influente au niveau collectif à travers l’engagement politique, la communication média et d’autres formes d’action publique tel le réseautage web (Facebook, etc.) Des données réelles reposant sur l’histoire, ainsi que des exemples récents de conciliation économie/environnement bien documentés, orienteront la simulation et canaliseront le parcours ludique. Ce module interactif s’avèrera donc à la fois un lieu d’information sur la problématique proposée et sur le processus démocratique. Elle servira à consolider la connaissance et la valeur de notre patrimoine démocratique en rappelant l’impact de la pratique démocratique sur les transformations sociales, culturelles et institutionnelles. Enfin, elle permettra de simuler des voies démocratiques en émergence qui pourraient se matérialiser bientôt dans notre société.

En considérant que ce « jeu sérieux » offrira de plus une excellente base à des animations de groupe sur les processus démocratiques, par exemple en classe, on constate que le web permet dans ce cas-ci une intégration très poussée de plusieurs facettes complémentaires de ce phénomène social complexe et important qu’est la démocratie, et ce à un coût raisonnable. Seul le web permet aujourd’hui un processus d’apprentissage interactif aussi global.

En explorant diverses possibilités nouvelles du web, l’Encyclopédie remplit pleinement son mandat d’éclairer le dynamisme du patrimoine, ce phénomène en constante transformation qui accompagne l’évolution de la société.

Passage à un nouveau paradigme technologique : le LEEM 2

La sauvegarde d’informations ethnologiques, réalisée encore récemment sur supports analogiques (bandes magnétiques et films), exigeait des équipements lourds, de longs séjours sur le terrain, des conditions de conservation particulières (salles à température et à humidité contrôlées) et des coûts élevés. Nous avons transformé ces modes de recherche. Nos équipements numériques nous ont permis d’innover en renouvelant les méthodes d’enregistrement, de conservation, d’étude et de valorisation du patrimoine immatériel. Plus encore, c’est notre approche intégrée de ces différentes technologies qui nous a permis d’innover dans ce domaine.

Nous avons placé l’utilisation de technologies numériques au coeur de nos pratiques, depuis la collecte jusqu’à la sauvegarde en passant par la diffusion. Nos travaux sont fondés sur la mise à profit d’appareils numériques portables, sélectionnés sur la base de leur simplicité d’utilisation. Ces outils simples et efficaces, capables de produire des contenus de grande qualité avec un minimum de ressources humaines, nous permettent d’alléger de manière considérable la gestion de nos opérations. Notre succès doit beaucoup à cette approche fondée sur la simplicité. Elle nous permet à la fois d’alléger la formation des chercheurs, le transport des équipements sur le terrain et leur entretien. Elle facilite de plus la propagation de notre méthode, autant en Occident que dans les pays en voie de développement. Enfin, ce parti pris nous met à l’abri d’une trop grande dépendance envers des techniciens et des ingénieurs, ce qui s’avère souvent coûteux pour des équipes en sciences humaines.

Nos premières années d’expérimentation nous ont permis de développer, valider et peaufiner nos méthodes. Nous sommes désormais prêts à passer à une seconde étape, où nos projets de recherche gagneront en appui technologique. Après une première phase qui revisitait par le numérique des pratiques ethnologiques classiques (photographie, film, enregistrement sonore monocanal ou stéréo), nous mettrons maintenant à profit des outils directement issus de l’ère de l’informatique multimédia: numérisation 3D et captations audiovisuelles immersives.

L’ajout de la numérisation 3D couleur aura un impact majeur sur nos activités d’enquête et d’inventorisation. Cette technologie consiste à enregistrer la forme et la couleur d’un objet à l’aide d’un appareil à balayage laser. Le patrimoine immatériel est le plus souvent inextricablement lié au patrimoine matériel. Nous avons donc besoin d’archiver les traces artefactuelles des pratiques et rites que nous étudions, de nous référer aux objets pour comprendre les idées et contextes qui les ont fait naître. Pour l’instant, ces besoins sont partiellement pris en charge par la photographie. Mais un artefact tridimensionnel offre une représentation infiniment plus juste, et comporte une importante valeur ajoutée sur le plan de la diffusion, car l’objet virtuel peut être observé à l’écran sous tous ses angles et transmis par voie électronique comme tout autre fichier numérique.

Même si la numérisation 3D couleur existe depuis des années, ce n’est qu’avec le lancement du balayeur laser VIUscan en 2008, par la compagnie canadienne Creaform, que son potentiel peut à notre avis s’actualiser dans le domaine du patrimoine culturel. Aucun appareil avant celui-ci ne permettait de se déplacer sur le terrain ou dans une réserve de musée avec un numériseur 3D couleur portable. Les artefacts devaient être transportés dans l’un des rares laboratoires équipés à cette fin, des opérations coûteuses qui prenaient plusieurs jours par objet, et impliquaient l’emballage méticuleux et le transport de chaque objet. Or, le nouvel appareil permet la numérisation en couleur de dizaines d’artefacts par jour, voir davantage, et cela in situ, donc sans emballage et transport préalable des objets. Ce nouveau paradigme facilite de manière radicale les opérations et s’accorde à la prédilection du LEEM pour des technologies simples d’utilisation.

Nous nous investirons donc au cours des prochains mois au développement de standards et meilleures pratiques pour le travail sur le terrain, l’archivage, l’analyse et la diffusion des données 3D. Un projet pilote, dans le cadre de l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, sera d’ailleurs mené au cours des prochains mois. Ce projet pilote devrait permettre de valider notre méthodologie.

Une autre technologie qui s’ajoute à nos équipements et qui bonifiera notre programme de recherche est la captation audiovisuelle panoramique. Jusqu’à maintenant, nos enquêteurs cadraient les scènes à filmer, pointaient le micro dans des directions précises. Désormais, à l’aide d’un micro ambiophonique et d’une caméra vidéo LadyBug, nous pourrons au besoin enregistrer des paysages sonores multicanaux (5.1) et des vidéos immersives. Ces médias nous permettront de capter sur 360 degrés le son et les images de lieux porteurs de patrimoine immatériel.

La numérisation 3D et la captation audiovisuelle panoramique ouvrent tout un univers de défis sur le plan de la diffusion sur le Web. Profitant des bases solides que nous offrent les projets IREPI, IPIR et l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, notre équipe procédera progressivement à différentes expériences, de manière à pouvoir proposer sous peu des solutions pertinentes dans le domaine. Mais nous pouvons déjà annoncer que ces solutions privilégieront des formules simples et accessibles à tous, une optique qui s’est jusqu’ici révélée efficace à la fois pour les chercheurs de notre Chaire et pour les publics qui consultent ses productions sur le Web.