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H2PTM (2009) Broudoux

De H2PTM

La communication scientifique face au Web 2.0.

Premiers constats et analyse


 
 

 
H2PTM'09 Paris
Titre
La communication scientifique face au Web 2.0 : Premiers constats et analyse
Auteurs
Evelyne Broudoux(i), Ghislaine Chartron(ii)
Affiliations
(i) Université de Versailles-Saint-Quentin (DICEN)
  • evelyne.broudoux@iut-velizy.uvsq.fr
(ii)INTD-CNAM (DICEN
  • ghislaine.chartron@cnam.fr
Dans
actes du colloque H2PTM 2009 Paris
publié dans H²PTM09 : Rétrospective et perspective 1989 - 2009
Résumé
L’entre-deux créé par le web laisse apparaitre de nouveaux espaces d’expression dont les cadres régulateurs sont en (re)négociation, notamment pour ce qui est des publications en ligne. Prolongeant de premières considérations comparatives entre secteurs éditoriaux (Broudoux, Chartron, Eutic 2008, http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00337836/fr/), cette communication discute du terrain de la communication scientifique confrontée au web 2.0. Le propos s’intéresse tout d’abord à préciser le constat d’une « hybridation » observable dans les services accompagnant la communication scientifique et dans les pratiques des chercheurs-internautes. Une première typologie est proposée. La communication discerne ensuite les différents types de communication à l’œuvre et les enjeux respectifs associés. L’impact des ouvertures portées par les technologies Web 2.0 sur le processus d’évaluation scientifique (communication entre chercheurs) est relativisé au regard de la construction de la valeur dans ce champ de pratiques sociales. Mais inversement, les auteures s’interrogent sur le fait qu’à moyen terme la reprise des bonnes idées ou des controverses au sein de ces espaces de travail collaboratifs, la croissance de la e-science dans tous les domaines pourraient constituer un « cercle vertueux » pour le chercheur et en conséquence transformer la citation scientifique, plus largement l’autorité ?
Mots-clés 
communication scientifique, web 2.0, édition scientifique, évaluation par les pairs, synthèse, analyse

Introduction

De façon générale, l’entre-deux créé par le web laisse apparaitre des interstices d’expression dont les cadres régulateurs sont en (re)négociation, notamment autour de ce qui est publié en ligne. Les nouvelles parviennent souvent sans filtrage institutionnel à l’internaute qui peine à distinguer celles produites par les professionnels de l’information de celles qui sont simplement recopiées ou produites par les internautes eux-mêmes. Ce chambardement hiérarchique entre producteurs et consommateurs de médias a popularisé ce que l’on a appelé le web 2.0. Cependant, l’activité de filtrage pouvant être opérée après publication et le fait que l’activité éditoriale puisse intervenir a posteriori (Rebillard, Chartron, 2004) ouvrent de nouveaux champs d’activités.

En ce qui concerne la production scientifique, de nouveaux espaces intermédiaires s’ajoutent aux expressions médiatiques scientifiques classiques comme les revues, chapitres de livres et ouvrages, actes de conférences… Par exemple, les réseaux de revues sont venus compléter la littérature grise en accès libre, les dépôts institutionnels (pré-prints et post-prints des archives ouvertes) commençent tout juste à s’imposer comme complément plutôt qu’alternative aux revues traditionnelles, des conférences se déroulent aussi uniquement en ligne[1].

Cependant, alors que les activités de publication, de discussion, de documentation et d’édition sur le web ont encouragé des formes inédites d’autopublication, de participation, de constitution de réservoirs d’informations et d’échanges chez les internautes, il apparaît que la communication scientifique et ses processus d’évaluation évoluent lentement et montrent un certain conservatisme repérable au moins à trois niveaux :

- évaluation par les pairs : non utilisation des technologies d’exploration textuelles dans les documents numériques (outils d’analyse, comparaison, etc.) et maintien du travail en solitaire (peu de collaboration à grande échelle…, ni d’échanges entre évaluateurs de revues par exemple),

- non prise en compte de l’évolution de la collaboration en réseaux et du caractère transitoire des produits numériques de communication de la recherche, ayant plutôt un caractère de prototypage évolutif que de celui de produits manufacturés (revues imprimées),

- prédominance des méthodes quantitatives au détriment de l'appréciation qualitative dans l’évaluation des résultats et le classement des chercheurs.

Influence du web 2.0 et acteurs scientifiques

Considérations générales

La vague des services « web 2.0 » a revitalisé des valeurs comme la participation (discussion), la mutualisation de ressources (collaboration massivement distribuée autour de projets), le partage (fichiers, idées, événements, etc.). La caractéristique première est que ces nouveaux outils d’expression servent à la fois le processus et la finalité du « devenir auteur » (Broudoux, 2009) en facilitant le recueil et l’affichage des inscriptions dans des gabarits fortement contraints.

Le processus de « devenir auteur » est l’activité d’écriture elle-même et comprend l’ensemble des étapes de production des signes (linguistiques, graphiques, infographiques, sonores, multimédia) jusqu’à la composition finale sur laquelle il est toujours possible de revenir. Dans le contexte du web 2.0, cette activité ne se déroule pas uniquement « pour soi » mais devant un public encouragé à réagir. La métaphore de la conversation a d’ailleurs été adoptée pour qualifier ces activités caractéristiques d’une écriture non pérenne qui tient compte du retour de l’audience. La finalité du « devenir auteur », qui est de se voir reconnu, se spécialise (cercles de connaissances sur le réseau) et se technicise (moteurs de recherche, flux rss, etc.).

Suivant le formatage de l’expression, les phases de marquage, publication et réseautage se combinent à divers degrés. Les dernières générations des outils, adaptés à la mobilité et à ses supports, intègrent les innovations précédentes (voir Tableau 1).


Repérage Publication Réseautage
Bookmarking Wiki Blogging et dérivés Microblogging Agrégateurs Social Network
Format du service Signets partagés Texte modifiable par les lecteurs Billet d'auteur Courts messages textes Abonnement RSS aux flux générés par (micro)blogs et réseau sociaux Mise-à-jour du statut et des membres, liens et billets
Valeurs ajoutées Partage par tags

Commentaires ou descriptions possibles
Classement par appréciations

Production collaborative

Historique des changements
Discussions autour des apports

Billet créé et publié par l'auteur

Commenté par les lecteurs

Texte(< 140 signes) accessible à une liste de personnes connectées

Partage d'événements, d'applications

Partage d'infos et suivi des activités de personnes ou groupes thématiques Texte publié en ligne et notifiction par mail des modifications aux groupes

Partage d'événements, d'applications

Format du réseau social Réservé aux membres

Réseaux privés et publics

Ouvert ou réservé aux membres

Communauté

Listes de blogs appréciés (blogroll) et listes de sites pointant vers le blog (backlinks) Connaissances

- liens unidirectionnels (listes de personnes suivies et suiveuses)
Message

Connaissances

- liens unidirectionnels
Salons thématiques (salons)
Onglets

Connaissances

- liens bidirectionnels (réciprocité des liens)
Groupes (groups)

Outils populaires Delicious,

Blogmarks

Wikimedia WordPress,

Tumblr

Twitter Friendfeed,

Netvibes

Facebook,

LinkedIn

Tableau 1 - Typologie de l'expression écrite web 2.0


Ceci nous permet de faire une distinction entre les services dont le mode principal d’émission est collectif (forums, listes de diffusion, parties privées des portails, wikis, etc.) et les services plus personnels (bookmarking, blogging) qui comportent un volet collectif mais qui s’articulent autour d’une partie créée par l’utilisateur. Une troisième sorte de service intègre et articule toutes les fonctionnalités en basant sa prestation principale sur la constitution d’un réseau de connaissances branché sur la personne qui renseigne son profil : il s’agit des « réseaux sociaux »[2]. Aux liens hypertextes référençant les contenus s’ajoutent les liens hypertextes référençant les personnes. Leur caractéristique principale est que les espaces personnels appartiennent aux espaces collectifs, ce qui provoque des recouvrements entre vie professionnelle, vie publique et vie privée.

Appropriation par la communication scientifique

Trois types d’acteurs majeurs sont engagés dans la communication scientifique : les auteurs individuels et leurs équipes qui fabriquent des objets de connaissance, les revues (organismes publics, privés ou public-privés) qui diffusent les savoirs après validation, les financeurs de la recherche (organismes variés) qui engrangent les résultats, constituent les bases de connaissance et orientent en conséquence les nouvelles subventions.

Ces trois acteurs se sont appropriés la génération des services web 2.0 de façon différenciée (voir le détail sur le Tableau II) :

- Les chercheurs et leurs équipes : individuelle et autoritative (blogs personnels), collective (wikis de projets d’équipes de recherche) (Bonetta, 2007).

- Les acteurs éditoriaux : ouverture d’espaces collaboratifs pour les auteurs (social bookmarking comme 2collab pour Elsevier par exemple, plate-formes de blogs, de carnets de recherche pour Nature ou Revues.org, partage de références en ligne pour CiteUlike de Springer, etc).

- Les financeurs de la recherche : portails thématiques, dépôts d’archives : articles, présentations, vidéos, etc.

Repérage et partage de références Carnet de recherche Communication science-société Réseaux généralistes Portails spécialisés - e-science
Modèles web 2.0 Social bookmarking

Wiki-biblio

Blogging Blogging

Wiki

Réseaux sociaux Réseaux sociaux
Détail de l'apport Co-construction d'ontologies

Descripteurs
Annotations
Groupes publics et privés

Billet créé et publié par l'auteur

Commentaire activé par défaut

Médiatisation de la sciences avec interactivité pour le grand public Services : wikis, blogs, forums, groupes, profils Outils de simulation, collaboratifs, éducatifs, contributifs et réseaux spécialisés

Partage de workflows, tags, fichiers, liens
Évaluations

Chercheurs

Équipes

Université d'Oslo

Fuzzing

O. Ertzscheid

Affordance

Enroweb

Café des sciences

Editeurs scientifiques Nature publishing group

Connotea
Springer
CiteUlike
Elsevier
2collab

Nature publishing group

blogs nature

Nature publishing group

Nature network
Postgenomic

Institutions scientifiques Université de Kassel

Bibsonomy'
INRP : service
Veille
Wiki-Indx

Cleo

Hypothèses

Institute for the Future (IFTF)

Signtific Lab
CNRS-IN2P3
Wiki-Cnrs

NSF Biological Databases & Informatics program

Openwetware biologie et ingénierie biologique

NSF Network for Computational Nanotechnology nanoHUB.org

Université de Southampton et Manchester MyExperiment

Autres sociétés et initiatives privées, etc.) ZigTag

Twine

SeedMedia Group Research blogging Scienceblogs

Scivee
Scivee.tv

BestThinking BestThinking

Entreprise créée par un ancien salarié de LeisNexis (Reed Elsevier)
Epernicus
Epernicus

Tableau 2 - Exemple d'intégration du web 2.0 dans la communication scientifique selon les acteurs


L’appropriation par la communication scientifique de ces services est variable :

- Individuelle d’abord avec l’auto-publication. La caractéristique des espaces destinés à une lecture publique ou collective (blogs, microblogging, rss) est qu’ils sont fortement interconnectés et médiatisés par les « chambres d’échos » que sont les moteurs de recherche et d’agrégation. Ils annoncent, valorisent la recherche et fabriquent une réputation.

- Collective privée ensuite, avec les espaces d'échanges d'informations entre pairs (listes de diffusion, forums, parties privées des portails ou autres sites web) qui fabriquent et diffusent de l'information et construisent une légitimité restreinte à l'intérieur des communautés.

- Collective publique : dépôts des productions scientifiques dans des archives avec sollicitation de commentaires, partages de références…

Ce que l’on peut retenir de cette appropriation technique est qu’elle amplifie la collaboration à distance et que les services lancés par les acteurs éditoriaux et institutionnels sont essentiellement basés sur cette fonctionnalité première. Les principaux éditeurs scientifiques ont leurs propres plates-formes web2, intégrant bookmarking, blogging et réseaux multidisciplinaires. Les institutions scientifiques auront tendance à favoriser le lancement de portails internationaux par spécialité lorsqu’elles ne visent pas l’interdisciplinarité intégrant wikis, forums, espaces de rencontres et de travail, etc.

Sans pouvoir pour le moment l’apprécier plus finement quantitativement et qualitativement, on constate une certaine appropriation autoritative du web2 par les chercheurs qui s'investissent de manière identifiée ou anonyme sur différents services. Lorsqu’ils s’identifient, ils recueillent une notoriété dans les réseaux souvent constitués de blogueurs mais celle-ci reste liée à la façon dont les moteurs de recherche recensent et référencent les contenus et ceux qui les produisent.

L’autre versant scientifique constitué par les acteurs éditoriaux a intégré les technologies web 2.0 dans une offre de services agencés autour de produits phares (revues et bases de données, moteurs de recherche spécialisés, etc.). Les acteurs institutionnels (associations de recherche, fondations et organismes financeurs) offrent des espaces massivement collaboratifs de grande envergure (MyExperiment), inter ou multidisciplinaires : leur caractéristique est d’être peu reliés. Des initiatives ouvertes au grand public existent dans un esprit d’ouverture, de vulgarisation ou d’éducation (Tree of Life Web Project) et seulement quelques services privés essaient d’agréger des chercheurs autour de services fabriquant de la notoriété (ex : CV de BestThinking, etc.).

Toutefois, au-delà de ces constats d’une hybridation certaine du Web 2.0 avec la communication scientifique, la recherche ne doit-elle pas éviter plusieurs écueils dont les principaux sont les influences idéologiques et les croyances religieuses, les pressions économiques et politiques ? Or, la publication autoritative qui exhibe l’auteur, ne peut-elle pas conduire à mélanger différents intérêts et engagements : professionnels, citoyens, politiques, pour citer les plus courants ?

Les espaces de discussion comme le blogging, les wikis, ne risquent-il pas de laisser place à l’immédiateté au détriment de la réflexion ? Les « réseaux sociaux » ne sont-ils pas les plus ambigus en tendant à promouvoir l’anecdotique au rang de l’intérêt général ?

Le nécessaire recul face à l’hybridation en cours

Ces dernières interrogations nous conduisent à analyser avec un peu plus de recul cette hybridation entre Web 2.0 et communication scientifique et d’apprécier ses probables limites.

S’intéresser aux impacts des technologies web 2.0 sur des pratiques sociales, renvoie nécessairement à la problématique plus générale de la négociation entre la technique et le social (Mallein & Toussaint, 1994). Or, les travaux des sociologues de l’innovation, ou des sociologues des techniques ont déjà largement mis en évidence que l’appropriation de ces techniques n’était bien entendu pas immédiate et venait se greffer sur des pratiques existantes, des valeurs sociales dont l’hybridation avec le numérique dépendait en grande partie du « gain », de la motivation de chaque acteur pour ces innovations techniques. Certains travaux se sont aussi attachés à mettre en évidence les stratégies de contournement, de reformulation d’innovations techniques.

Si l’on considère plus précisément l’exemple des revues scientifiques électroniques, les travaux de ces dernières années ont montré que l’appropriation de ces nouveaux supports dépendait de diverses caractéristiques sociales liées aux acteurs ou à leur contexte de travail, notamment le type d’activité de recherche menée (Mahé, 2004), la culture disciplinaire (Whitley, 2000), l’offre disponible (Derfoufi, 2009), la culture technique des individus … La greffe ne prend donc pas systématiquement, l’implication des acteurs demeure la condition fondamentale, leur motivation peut évoluer en fonction des contraintes ou opportunités rencontrées.

De quelle communication scientifique parle-t-on ? Et dans quel contexte ?

Commençons par le contexte. La communication scientifique s’inscrit dans le contexte de la recherche scientifique dont il apparait utile de rappeler les fondamentaux afin d’analyser au mieux les comportements des acteurs.

La communauté scientifique partage généralement l’idée que ce qui fonde l’activité de recherche et ce à quoi elle doit s’attacher à répondre, concerne l’amélioration des connaissances, l’innovation et la créativité, les réponses que l’on peut apporter à des questions vives adressées par la société. Le troisième point est parfois polémique dans la mesure où certains y voient le risque d’une injonction des thématiques de recherche qui pourraient répondre aussi à divers lobbyings, pouvant fragiliser l’indépendance et l’initiative du chercheur. Quoi qu’il en soit, ces trois dimensions co-substantielles à l’activité de recherche doivent rester présentes à l’esprit quand on introduit une innovation technique dans les pratiques de communication scientifique. Par ailleurs, la concurrence des équipes de recherche est une réalité évidente surtout dans le contexte actuel de procédures d’évaluation renforcées et de recherches de plus en plus financées sur projets (Latour, Woolgar, 1988).

De quelle communication scientifique parle-t-on quand on veut la confronter aux technologies Web 2.0 ?

Il s’agit souvent de l’articulation sciences/société dans la mesure où les technologies Web 2.0 sont associées à l’ouverture sur un public élargi, renvoyant par ailleurs aux concepts d’innovation ascendante (Von Hippel, 2002) ou encore de « sagesse des foules »… L’exemple récent du projet Wiki-CNRS (wikicnrs.in2p3.fr) s’inscrit dans cet objectif, le wiki étant alors une nouvelle forme du transfert sciences-société (comme les magazines Pour la Science, Sciences et Vie, Journal du CNRS, les manifestations telles la Science en fête) mais dont le renouvellement serait l’introduction de technologies participatives de plus en plus inscrites dans les pratiques d’utilisation du réseau. La limite que l’on peut entrevoir à ces projets est l’intérêt des chercheurs à endosser cette fonction de communication, peu valorisante pour leur reconnaissance par leurs pairs dès lors que l’évaluation reste essentiellement fondée sur la publication dans des revues prestigieuses. Il est à parier que la motivation des chercheurs restera faible, sauf pour quelques cas marginaux.

Une autre communication concerne celle qu’entretiennent les chercheurs entre eux, communication spécialisée pour la co-production scientifique. L’introduction d’outils de communication numérique dans la phase d’élaboration des connaissances n’est pas tout à fait nouvelle : depuis un certain nombre d’années les travaux menés dans le champ international Computer Supported Cooperative Work (CSCW) ont exploré cette dimension, la nouveauté réside aujourd’hui dans la banalisation des outils. L’appréciation de leur usage réel est difficile dans la mesure où ces pratiques sont internes aux groupes, souvent peu visibles dans une posture externe. Certains travaux ont fait l’hypothèse que les logiciels sociaux pouvaient fortement influencer la créativité en reconfigurant, élargissant le réseau des échanges, a fortiori les connexions établies (Coenen, 2005). Mais la co-production présuppose des conditions sociales fortes qu’il ne faudrait pas oublier au risque d’un aveuglement technologique: la co-production nécessite un engagement partagé par les acteurs dans un projet commun et une propriété commune de la production réalisée notamment.

Enfin, une dernière communication importante concerne la relation édition-lectorat, à savoir les commentaires, les débats suscités par la publication de résultats scientifiques et la mise en relation des lecteurs-chercheurs à partir des articles publiés. Cette communication est de plus en plus prise en charge par les éditeurs des revues avec l’initialisation de services web 2.0, comme le font par exemple pour les éditeurs Nature, Elsevier ou encore les Presses Universitaires de France. Cette tendance est comparable aux commentaires des lecteurs pour la littérature générale sur les sites Amazon ou Fnac.com.

On peut y voir au moins trois intentions : un nouveau lieu d’expression de la controverse scientifique ouverte à l’international, un instrument marketing pour les éditeurs afin de sonder l’intérêt du lectorat sur les contenus publiés et enfin une mise en réseau sociale des chercheurs organisée par les revues afin d’élargir les communautés et d’assister en quelque sorte les rapprochements pour l’élaboration de projets communs, c’est notamment un objectif majeur du nouveau service 2collab d’Elsevier (Swabey, 2008).

Réseaux sociaux et « Evaluation par les pairs » : une mise à l’épreuve ?

L’évaluation par les pairs est le point central de la chaîne de valeur de la communication scientifique. Le développement des réseaux sociaux remet-il en cause un régime institué, souvent fermé et dont un certain nombre de biais sont pourtant biens connus : conflit d’intérêts potentiel, lenteur, indépendance (Brown, 2004). La question est particulièrement sensible dans le domaine biomédical où l’adossement à l’industrie pharmaceutique n’est pas exempt de pressions.

Le mythe de l’ouverture :

En conséquence, on aurait pu prévoir depuis ces dix dernières années l’émergence d’autres formes d’organisation de l’évaluation palliant ces biais et fondée sur une base ouverte d’évaluateurs. Mais ce phénomène est marginal, voire écarté par les tenants mêmes de l’open access comme Stevan Harnad qui a toujours souligné la distinction entre le « peer review » et le « peer commentary » perçu comme une fonction supplémentaire pouvant améliorer la qualité de l’évaluation et non comme une substitution au peer review, « Expert opinion or opinion poll ? (L'avis d'experts ou de sondage d'opinion ?) :

« Est-ce que c'est l'examen par les pairs ? Il n'est pas clair que les commentateurs auto-désignés seront des spécialistes qualifiés (ou comment cela doit être vérifié ?). Les experts dans une spécialité deviennent une ressource rare, déjà surexploitée par l’évaluation traditionnelle par les pairs. On se demande qui aurait le temps ou l'envie d'agir en tant qu’arbitre journalier dans un tel système, en particulier si l'ensemble de la littérature brute apparait en ligne. Voulons-nous vraiment confier cette fonction essentielle à ceux qui n'ont rien de plus pressé que de fouiller des flux non filtrés ? Et compte tenu de tout ce qui interfère sur le fait d’être publié ou non dans des revues scientifiques, il est facile d'imaginer des façons dont les auteurs pourraient manipuler un tel système à leur propre avantage... Beaucoup de chercheurs ne seraient pas enclin à souligner publiquement les erreurs d’un auteur qui pourrait être l’arbitre de leur prochaine demande de subvention…. » (Harnad, 1998).

Contrairement au débat public, la fonction d’évaluation reste attachée à un travail approfondi, cadré dans une relation de confiance entre des experts et des comités de rédaction. La transposition de cette fonction sur d’autres vecteurs que les revues n’est toujours pas perceptible même si certains en parlent depuis 10 à 15 ans et ont notamment envisagé de la greffer sur des archives ouvertes par exemple. Le processus reste globalement inchangé dans son principe organisationnel.

Effets de bord inéluctables ?

Il est pourtant difficile de croire que l’évaluation puisse s’abstraire des débats, forums, commentaires postés sur certaines archives ouvertes par exemple. Les effets de bord sont inéluctables, mais ils opèrent en parallèle, de façon inavouée assurant quoi qu’il en soit une nouvelle fonction de régulation si les procédures officielles venaient à être contestables. En quelque sorte, plus les pratiques sociales en réseaux sont présentes à l’international dans un champ scientifique, de façon parallèle à l’édition traditionnelle, plus il est à parier que l’expertise scientifique sera de bon niveau…

Transformation des espaces de la science

Alors que des voix discutent des rénovations à apporter au peer review[3], une direction se fait jour, traduisant peut-être l’influence du web 2.0 de façon positive.

Ainsi, la proposition de N. Kriegeskorte qui vise à regrouper les évaluations des pairs – réalisées à l’étape de post-publication – dans des dépôts dédiés en accès libre. Ces commentaires critiques post-publication seraient réalisés à partir d’articles publiés évalués de manière traditionnelle. Reliés à l’article critiqué, de formes médiatiques diverses, ils pourraient également comprendre une note dont le poids serait fonction de l’authentification ou de l’anonymat de ceux qui les postent. Ainsi, chaque article post-publié en accès libre, serait lisible avec un entourage de commentaires, procurant un contexte à sa réception située.

Cette ouverture au public et la possibilité d’ouvrir des controverses et de les défendre est emblématique du changement de paradigme concernant l’autorité. En effet, même si la proposition précédente ne donne pas aux auteurs de possibilité de réponses, c’est bien l’intérêt traduit par le flux provoqué qui pourrait faire autorité chez les lecteurs, et aussi par une forme de cercle vertueux, chez ceux qui les évaluent. Mais il reste à voir l’accomplissement réel de ces évolutions dans les années à venir.

L’e-science qui se donne pour objectif de répondre aux nouveaux modes de travail de plus en plus dépendants de coopérations multidisciplinaires nationales et internationales est le palier suivant de la collaboration massivement distribuée. Le bilan d’un an de veille internationale du très grand équipement Adonis[4] reflète bien le dynamisme des évolutions en cours dont les espaces collaboratifs scientifiques témoignent :

- capacités de faire appel à un grand nombre des données distribuées (ex : interrogation de multiples bases de données),

- automatisation du traitement de ces données (exploration, datamining, sélection des données pertinentes, intégration dans des modèles, tests,)

- automates capables de fouiller dans les bibliothèques numériques à la place des chercheurs,

- composition d’articles à partir de données composites distribuées et libres d’accès susceptibles d’être mises à jour,

- extraction de données dans les revues en libre accès pour alimenter des bases de données (Biolit[5]).

Ainsi, la cyberinfrastructure Nanohub, plate-forme de simulation et espace médiatique d’éducation spécialisée dans les nanotechnologies, comporte 120 outils de simulations, a réalisé 1 200 séminaires, podcasts et est utilisée par 77 000 utilisateurs dans le monde dont 550 contributeurs depuis son lancement 2002 (Gable, 2008).

Face au gigantisme de ces initiatives et à l’avalanche des technologies de l’information qui concernent aussi bien le pouvoir de communication des personnes que les systèmes techniques, il est nécessaire de s’intéresser de près aux motivations et réticences des acteurs et donc à leur appropriation réelle de ces innovations technologiques.

Les réflexions menées dans cette communication concourent à préfigurer une enquête que l’on ambitionne de mener auprès de communautés scientifiques et permettant d’apporter des réponses de terrain aux interrogations majeures soulevées de ce texte :

Le durcissement actuel de l'évaluation de l’activité scientifique n’est-il pas un frein majeur à l’ouverture des systèmes de lecture et d’écriture des travaux scientifiques ?

Quels rapports entretiennent sciences et médias ? Quelles sont les dérives de la communication médiatisée par la technique ? Pour quelles raisons certaines communautés s’approprient les outils plus rapidement que d’autres ?

Le cercle vertueux procuré par la « présence Web 2.0 » des scientifiques sur le net ne se traduit-il pas essentiellement par un certain nombre d’invitations, de sollicitations à des conférences et à l’écriture d’articles, ces effets positifs participent-ils au renouvellement du débat d’idées ?

Bibliographie

[Bonetta, 2007] Bonetta L., "Scientists enter the blogosphere", Cell 129, May 4, 2007, doi: 10.1016/j.cell.2007.04.032

Broudoux E., Devenir auteur : le web comme un entre deux. Colloque Cide 11- 29/10/2008. Revue Ametist n°3 (publication en cours).
En ligne : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00390319/fr/

Broudoux E. et Chartron G., Edition en ligne : repositionnement d’acteurs, pratiques émergentes, Colloque EUTIC 2008, Lisbonne, Octobre 2008, publication en cours,
En ligne : archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00337836/fr/

[Brown, 2004] Brown T., (compiled by), Peer review and the acceptance of new scientific Ideas, Discussion paper from a Working Party on equipping the public with an understanding of peer review, November 2002 – May 2004, Sense About Science,
En ligne : www.senseaboutscience.org.uk/pdf/PeerReview.pdf

[Rebillard, Chartron, 2004] Rebillard F. et Chartron G., Quels modèles pour la publication sur le web ? Le cas des contenus informationnels et culturels, Actes du XIVe Congrès SFSIC, 2004.
En ligne : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000986.html

[Coenen, 2005] Coenen T., How social software and rich computer mediated communication may influence creativity, IADIS International Conference on web Bases Communities, 2005,
En ligne : www.iadis.net/dl/final_uploads/200502C001.pdf

Computer Supported Cooperative Work (CSCW), Journal, The Journal of Collaborative Computing,
En ligne : www.springer.com/computer/journal/10606

[Derfoufi, 2009] Derfoufi Dahoun I., Information scientifique pour la recherche en Education: Analyse comparée de l’offre et des usages entre la France et le Royaume-Uni, Thèsede doctorat, Lyon1, 19 juin 2009

[Gable, 2008] Gable C., The Future of Research. Présentation au British Library Board Awayday les 22-24 septembre 2008.
En ligne : http://www.slideshare.net/dullhunk/the-future-of-research-science-and-technology-presentation

[Harnad, 1998] Harnad S., « The invisible hand of peer review ». Nature, novembre 1998,
En ligne : www.nature.com/nature/webmatters/invisible/invisible.html

[Latour, Woolgar, 1988] Latour B. et Woolgar S., La Vie de laboratoire. La production des faits scientifiques trad. fr. 1988, rééd. La Découverte, coll. « Poche », 1996.

[Mahé, 2004] Mahé A., Beyond usage : Understanding the use of electronic journals on the basis of information activity analysis, Information Research, 2004, vol. 9,
En ligne : informationr.net/ir/9-4/paper186.html

[Mallein & Toussaint, 1994] Mallein P. et Toussaint Y., L’intégration sociale des technologies d’information et de communication. Une sociologie des usages. Technologies de l’information et de la société, 1994, n°4, p. 315-335.

[Swabey, 2008] Swabey P., Web 2.0 business success stories, Information Age, Octobre 2008,
En ligne : www.information-age.com

[Von Hippel, 2002] Von Hippel E., Horizontal innovation networks – by and for users. MIT Sloan School of Management. 2002, 4366-02, 27 p.,
En ligne : web.mit.edu/evhippel/www/papers/UserInnovNetworksMgtSci.pdf

[Whitley, 2000] Whitley R., The intellectual and social organization of the sciences. Second Edition. Oxford : Oxford University Press, 2000, 319 p.

Notes

  1. Rappelons text-e, colloque entièrement virtuel, qui a été organisé du 15 octobre au 30 mars 2001 par la BPI, l’association Euro-Edu, et la société Giant-Chair. Il concernait les effets de l’internet sur l’écrit et ses usages dans notre société.
  2. Les termes « réseaux sociaux » et activité de « réseautage » renvoient au même processus de mise en relation automatisé par l’outil, le « logiciel social ».
  3. « In particular, the current system suffers from a lack of quality and transparency of the peer review process, a lack of availability of evaluative information about papers to the public, and excessive costs incurred by a system, in which private publishers are the administrators of peer review […]. » http://futureofscipub.wordpress.com/open-post-publication-peer-review/, N. Kriegeskorte, le 10/02/09
  4. http://www.tge-adonis.fr/?La-veille-internationale-un-an, E. Caillon, le 24/03/09
  5. http://biolit.ucsd.edu/doc/index.html