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H2PTM (1989) Lévy

De H2PTM

Vers une idéographie dynamique

Éléments de théorie


 
 

 
Titre
Vers une idéographie dynamique : Éléments de théorie
Auteurs
Pierre Lévy
Affiliation
Département de Sciences de l'éducation & "Le Concept Moderne", Genève.
56 rue Pasteur, 94400 Vitry-sur-Seine
Tél: (33)(1)46 80 24 19
Dans
actes du colloque H2PTM 1989 Paris
publié dans H²PTM89 : Communication interactive, Paris, France, 1990

Sommaire

Remerciements

Ce travail été réalisé grâce au soutien financier du Concept Moderne SA.Je remercie pour leurs idées, conseils et remarques constructives: — Eric Barchechat et Serge Pouts—Lajus, de l'Observatoire pour les technologies de l'Education en Europe (OTE), — Antonio Figueras, directeur du département d’informatique de l'Université de Coïmbra (Portugal) — Monique Linard, directrice du Laboratoire éducation et formation (LEF) au département de sciences de l'éducation de l'Université de Paris-X Nanterre. Je remercie enfin Xavier Comtesse, sans l'amitié, les encouragements et l'enthousiasme de qui ce texte n'aurait jamais vu le jour.



INTRODUCTION : REPENSER L’ÉCRITURE

L’idéographie dynamique est une forme nouvelle d'écriture conçue pour tirer le meilleur parti des ordinateurs et de leurs interfaces graphiques et sonores. Elle est articulée sur une modélisation spatio-temporelle directe, à base de mouvements, de champs de force et d'images. Ce n'est donc pas un décalque du langage parlé comme les écritures alphabétiques ou syllabiques. Son caractère translinguistique ajoute sans doute à ce projet une dimension européenne.

L'usage de l'idéographie dynamique (ID) pourrait être éducatif et pédagogique. Mais, on le verra, cette nouvelle forme d'écriture pourrait tout aussi bien servir de kit de simulation, de langage de programmation à base d'images ou d'interface informatique tous usages.

Nous développons plus particulièrement ici ce qui fait de l'idéographie dynamique :

  • une technologie intellectuelle d'aide à la communication et au raisonnement,
  • un instrument utile de modélisation et de simulation pour un grand nombre de domaines de savoir,
  • un support pédagogique.

Quoique nous en parlions dans ce texte au présent, en 1990 l'idéographie dynamique est encore un objet purement théorique: il est possible (quoiqu'improbable) que sa réalisation informatique ne soit jamais achevée. Mais même si aucun logiciel correspondant à notre description ne voyait le jour, ce texte ne serait pas inutile pour autant. Beaucoup d'éléments attribués ici à l'idéographie dynamique appartiennent peu ou prou à plusieurs formes déjà existantes de modélisation et de simulation visuelle par ordinateur. Des idéographies dynamiques spécialisées sont utilisées depuis plusieurs années en chimie ou en biologie moléculaire. Des logiciels comme les tableurs, les ateliers de génie logiciels, les langages de programmation à base d'images, les instruments d'aide à la décision (SIAD) et même les générateurs de systèmes experts fonctionnent aujourd’hui comme des instruments d'aide à la modélisation et à la simulation. Tout ce que l'on avance plus bas sur l'articulation entre l'idéographie dynamique et le système cognitif humain vaut également, à divers degrés, pour les nouvelles technologies intellectuelles à support informatique. Même s'il s'avérait que l'ID n'était qu'une utopie, y rêver nous aurait permis de mieux comprendre ce que les nouveaux outils visuels de simulation et de modélisation par ordinateur mettent en jeu sur le plan cognitif. Avec l'intelligence artificielle, les instruments de simulation à dominante visuelle, la synthèse d'images, l'hypertexte et le multimédia interactif, la fin du vingtième siècle est en train de réinventer l'écriture, peut-être plus profondément encore que la fin du quinzième siècle ne l'avait fait grâce à l'imprimerie. Ce texte peut être considéré comme une méditation sur le renouveau contemporain de l'écriture.

Les écritures-machines

La ligne de recherche sur les écritures formelles d’aide au raisonnement remonte au moyen âge, avec notamment les travaux de Raymond Lulle. Son projet de caractéristique universelle fait de Leibniz le plus remarquable représentant de cette tradition à l'âge classique. Au tournant du XXe siècle, l'écriture des concepts de Frege et les systèmes formels de la logique mathématique qui l'ont suivi ont, d'une certaine façon, atteint l'objectif leibnizien. En effet, il s'agit d'écritures indépendantes du langage naturel phonétique et grâce auxquelles on peut calculer la vérité de propositions aussi sûrement que l'on calcule des quantités. Gödel, Turing, Church, Kleene et Markov accentuèrent la dimension automatique des écritures logiques. Ils ont conçu des systèmes formels en forme de machines d'écriture (ou d'écritures-machines), dont la plus belle illustration est évidemment la machine universelle de Turing. Les "langages de programmation", qu'on devrait en toute rigueur appeler écritures de programmation, se sont développés dans le prolongement des écritures-machines de la logique mathématique.

Une des raisons pour lesquelles on a appelé les écritures de programmation "langages" ou "langues" est qu’un important courant de la linguistique a précisément pensé les langues en se servant des machines syntaxiques de la logique mathématique, entretenant ainsi une certaine confusion[1]


Résumons ici les principales thèses sur le langage, la communication et la cognition inspirées par les machines d'écriture de la logique mathématique et de l'informatique.

  • a)Autonomie formelle de la syntaxe

Il y aurait une autonomie formelle de la syntaxe par rapport aux autres dimensions du langage. La machine générative syntaxique pourrait fonctionner indépendamment de toute signification. La sémantique ne serait qu’une affaire d’interprétation possible (après coup) des "expressions bien formées" d'un langage.

  • b)Autonomie cognitive du langage

L'autonomie formelle du noyau syntaxique peut se généraliser en autonomie cognitive du langage en général. Les processus de production et de décodage linguistique fonctionneraient indépendamment des processus de conceptualisation, d'imagerie mentale, etc., un peu comme cela se passe dans les ordinateurs.

  • c)Séparation de la sémantique et de la pragmatique

La signification d'un énoncé dépendrait de ses conditions de vérité. Dans cette conception objectiviste, le sens d'une proposition serait donc indépendant du processus cognitif d'interprétation de cette proposition, qui lui-même dépend du contexte, de l'histoire antérieure de l'interprète, etc.

  • d)Existence de primitives universelles

A partir d'un nombre fini de primitives conceptuelles, ou à partir d'axiomes et de règles de réécriture, il serait possible de tout représenter, de tout reconstruire. C'est l'intuition fondamentale selon laquelle un dispositif d'écriture fini, grâce à ses capacités génératives, a en lui-même la puissance d'atteindre l'infini. Cette idée constructiviste a pris de très nombreuses formes en linguistique, en informatique et en psychologie[2]

La thèse de la compositionalité du sens est un des corollaires de la position constructiviste. S'il y a de véritables primitives conceptuelles ou infra-conceptuelles, toute signification est le produit de la composition de ces primitives. Le sens d'une expression résulte de la combinaison des sens des éléments qui la composent.

Pour ce qui nous occupe, deux conclusions importantes découlent des conceptions linguistiques inspirées par les machines d’écriture logico-informatiques:

  • 1)Il n'y a pas de langage figuratif (analogique) possible, puisqu’il contredirait les quatre thèses ci-dessus.
  • 2)Aucune impossiblité de principe ne s'oppose à ce que l'on invente a priori et arbitrairement autant de "langages" que l'on veut.

Ces deux points seront discutés en détail un peu plus loin.

Langages naturels et langages d'images

Dans le paradigme que l'on vient de résumer, on modelait la théorie cognitive ou linguistique sur les technologies intellectuelles que sont les écritures formelles. Nous proposons de faire l'inverse. Pourquoi ne pas concevoir des technologies intellectuelles à partir de ce que nous ont appris les recherches empiriques sur le langage et la cognition?

Plusieurs courants de la psychologie, de la linguistique et de la pragmatique nous incitent en effet à renverser les présupposés de la tradition fondée sur les écritures-machines. La lignée théorique du formalisme a conduit à de magnifiques réalisations, notamment en informatique. Mais notre hypothèse est que la tradition opposée peut aussi mener à des réalisations concrètes de valeur tout en s'appuyant sur les acquis techniques de la précédente. L'idéographie dynamique se présente ainsi comme une alternative aux langages de programmation, non pas pour les remplacer, mais pour faire autre chose. Elle est fondée sur des postulats de base au sujet de ce qu'est un langage qui s’opposent terme à terme à l'approche syntaxique, formelle et constructiviste. L’idéographie dynamique tourne

résolument le dos à l’idéal axiomatique.

Toutes les thèses exposées plus haut valent pour certaines écritures formelles et des "langages" de programmation. En revanche, elles ne s’appliquent pas du tout au langage naturel, ni au processus réel de construction et d’interprétation du sens, qu’à la suite de Ronald Langacker et de nombreux autres auteurs nous caractérisons comme suit:

  • a)Dans un langage naturel, il n’y a pas d’autonomie formelle de la syntaxe. La grammaire, c'est-à-dire la disposition des symboles et les schémas de construction des expressions, possède une dimension sémantique intrinsèque.
  • b)Le sens d’un énoncé s’identifie aux processus cognitifs de construction et d’interprétation de cet énoncé, et non à ses conditions de vérité. Il faut souligner que l’appel aux expériences sensorielles, kinesthésiques ou émotives, ainsi que la reconnaissance du contexte immédiat (social, physique, linguistique, etc...), jouent un rôle essentiel dans l’interprétation. Il n’y a pas d’autonomie cognitive du langage.

En connectant a) et b) nous arrivons à l’hypothèse d'un continuum entre la syntaxe et la pragmatique.

  • c)Contrairement à l’hypothèse des primitives universelles, chaque domaine de connaissance, autrement dit chaque "monde" empirique, suppose un découpage conceptuel différent et donc des primitives sémantiques différentes. A la limite, chaque situation instantanée et subjective implique des primitives particulières. Il n’y a pas d’alphabet du sens. Corollairement, il n'y a pas non plus de stricte compositionalité de la signification mais seulement une dimension compositionnelle du sens: [UN TAILLE-CRAYON] est beaucoup plus spécifique que [QUELQUE CHOSE QUI TAILLE LES CRAYONS].

On devrait réserver la dénomination de langages aux instruments de communication et de représentation symbolique qui répondent aux caractéristiques ci-dessus.

Dans un langage d'images dynamique et analogique, il est clair que la syntaxe, c’est-à-dire l'ordre et la disposition des symboles ainsi que leur manière de se déplacer, possédera une signification intrinsèque. La dimension syntaxique déclenchera immédiatement un processus cognitif d'interprétation (de dotation de sens), au même titre que la reconnaissance des idéogrammes, que l’on pourrait rattacher à la dimension lexicale. Il n’y aura donc pas d’autonomie de la syntaxe dans un langage d’images comme l'idéographie dynamique.

L'interaction sensori-motrice avec les modèles, ainsi que le rôle explicite de l’imagerie mentale dans le maniement de l’idéographie dynamique, illustrent la thèse de la non-séparation entre les processus de production et d’interprétation linguistiques et les autres processus cognitifs. Enfin, l’ID n'est pas un langage autonome construit a priori, indépendant des domaines de connaissance et des modes de conceptualisation qui caractérisent les régions de l'encyclopédie et les différents groupes humains. Au contraire, les répertoires d'idéogrammes résultent d'une ingénierie des connaissances, c'est-à-dire d'une étude empirique des concepts et modes de pensée de groupes restreints, et ces répertoires sont en évolution constante aux mains de leurs utilisateurs. L'idéographie dynamique n'a donc pas de prétention constructive universelle à partir de primitives sémantiques ou procédurales quelconques, elle se projette dans une quantité indéfinie d'univers sémantiques singuliers en transformation permanente.

Ajoutons que l'ingénierie des connaissances suppose une approche subjective (individuelle ou collective) des concepts et de leur signification. Une approche prétenduement objective (non pas l'ingénierie "des connaissances", mais celle "des choses"), se résumerait en fait à un point de vue extérieur, celui d'une autre subjectivité.

Écriture et langage

La vision claire des rapports entre le langage et l'écriture a été brouillée par un long usage de l'écriture phonétique. En effet, étant exclusivement tourné vers la représentation du son, l'alphabet trahit dans une certaine mesure la vocation visuelle et icônique de l’écriture. Or, il y a comme une tension interne de l'écriture à s'émanciper du langage phonétique pour constituer un langage visuel autonome, une idéographie. Notre hypothèse est que l'idéographie n'a jamais accédé à la pleine dimension du langage parce qu’il lui manquait le mouvement, le dynamisme qui, depuis les origines, est demeuré le privilège de la parole.

Les machines d’écriture formelle possèdent certes une dimension dynamique et "générative" mais, pour toutes les raisons que nous venons de développer (autonomie de la syntaxe, primitives universelles, etc.), elles restent trop loin du processus cognitif réel pour mériter le nom de langages.

Le support informatique et l’interactivité à l’écran permettent de remédier aux insuffisances classiques des idéographies et des machines d’écriture. La syntaxe de l’idéographie dynamique gouverne le mouvement et la métamorphose des signes sur un mode analogique et signifiant et non seulement leur ordre statique ou leur recombinaison formelle. Un énoncé dans l'idéographie dynamique ne transcrit pas une phrase d’une langue phonétique, il traduit directement un modèle mental. L'idéographie dynamique serait la première écriture (la première technologie intellectuelle) à être en même temps, et au plein sens du terme, un langage.

Plan de ce qui suit

Dans un premier temps (chapitres 2 à 5) nous décrivons l'idéographie dynamique en tant que logiciel. Après avoir présenté l’organisation informatique sous-jacente de l'idéographie, les

objets (ch. 2), nous passons à l'écriture proprement dite en exposant les principales caractéristiques des idéogrammes dynamiques (ch. 3). On explique ensuite comment les relations entre idéogrammes (ou les échanges de messages entre objets) se manifestent visuellement par ce que nous appelons les champs d'action (ch. 4). Après avoir exposé la structure de l'idéographie dynamique (objets, idéogrammes et champs d'action) nous décrivons le générateur d'idéogrammes qui permet de construire des répertoires d'idéogrammes et de s'en servir (ch. 5).

Dans un deuxième temps (chapitres 6 à 9), nous décrivons l'idéographie dynamique en tant que technologie intellectuelle, c'est à dire comme un instrument d'aide à l'imagination (ch.6), au raisonnement (ch. 7) et à la communication (ch. 8). Nous terminons comme nous avons commencé, en revenant sur le problème de la possibilité d'un langage d'images. Nous montrons au chapitre 9 que l'on peut concevoir de manière rigoureuse la grammaire d'une idéographie dynamique.

LES OBJETS

Première approche des objets

L'idéographie dynamique adoptera résolument une structure et un mode de représentation de type "objet". En schématisant, on pourrait dire que la programmation classique consiste à organiser une chaîne d'opérations successives sur un flux de données tandis que la programmation "orientée objet" revient à agencer les interactions d'entités distinctes capables d'accomplir certaines actions et de s'envoyer réciproquement des messages.

Les objets sont organisés en classes et en sous-classes. Chaque objet particulier hérite automatiquement des propriétés de sa classe, ce qui allège considérablement le temps et la difficulté de la programmation. (Par exemple si l'on crée l'instance "Rolls Royce" de la classe "automobile" on n'a pas besoin de repréciser que la Rolls possède quatre roues, un moteur, etc.)

Actualité de la représentation par objets

La représentation de type objet est d'actualité en informatique et, selon la plupart des observateurs, elle est appelée à se développer de plus en plus dans l'avenir. L'idéographie dynamique sera donc en phase sur ce point avec le développement des techniques logicielles. En adoptant la représentation objet, on diminue les chances que l'ID devienne une "branche morte" de l'évolution technologique.

Un des premiers langage de programmation "orienté objet", Smalltalk, a été mis au point par Alan Kay au Palo Alto Reserch Center de Xerox. Les travaux d'Alan Kay ont très largement influencé la conception de la fameuse interface du Macintosh et par ricochet celle du PS2 d'IBM. L'interface du NeXT, qui est un véritable kit de programmation, est encore plus radicalement fondée sur la représentation "objet".

Un nombre important de langages de programmation (Lisp, Logo, C, Prolog, etc.) ont maintenant leur version "objet". Quelles sont les raisons de cette progression de la représentation par objet dans le monde de l'informatique? Sans prétendre être exhaustif, on peut avancer deux éléments de réponse:

  • 1)Il semble que la représentation par objets soit plus proche de la représentation intuitive que nous nous faisons des choses et de leurs rapports que celle qui est mise en oeuvre dans les langages de programmation plus classiques (dit aussi "procéduraux").
  • 2)les objets permettent une programmation modulaire, structurée et réutilisable d'une application à l'autre. Cette caractéristique s'accorde parfaitement avec ce qui est recherché aujourd'hui dans les ateliers de génie cognitif. Les développeurs de l'idéographie dynamique pourront donc réemployer à volonté des objets déjà mis au point pour une application particulière. Il existera des dictionnaires d'objets indépendants de programmes ou de systèmes particuliers. De son côté, l'utilisateur pourra importer ou retrouver des objets qu'il connaît déjà dans de nouvelles situations, exactement comme cela se passe pour les objets "réels", ce qui représentera une économie cognitive considérable.

Qualités cognitlves de la représentation par objets : schémas mentaux» possibilités de composition et de décomposition explicite.

L'"objet" informatique se caractérise par plusieurs paramètres et attributs fixes, ainsi que par des variables rattachées aux différents attributs. Par exemple, toute voiture comprend un moteur, des roues et une carrosserie; ce sont les paramètres fixes de l'objet Les carrosseries ont toutes une couleur, la couleur est un attribut du paramètre "carrosserie". L'attribut couleur peut prendre plusieurs valeurs (noir, rouge, etc.) et la même voiture peut évidemment changer de couleur en fonction des messages que d'autres objets (comme "pistolet à peinture") lui envoient.

L'objet possède un certain répertoire d'actions et de réactions possibles en fonction de son propre état interne et des transformations de son environnement (les messages envoyés par d'autres objets).

Enfin les objets entretiennent des rapports explicites d'emboîtement hiérarchique avec d'autres objets. Par exemple "automobile" est une instance de la classe "véhicule”, mais c'est une classe englobante par rapport à une "Rolls Royce". Ou bien le "culbuteur" est une partie du "moteur".

Toutes ces caractéristiques font de l'objet informatique un analogue simplifié du schéma ou du modèle mental tel qu'il est décrit par le courant dominant de la psychologie cognitive. Les schémas mentaux que nous utilisons pour nous représenter les choses comprennent eux aussi des répertoires de paramètres, d'attributs, de variables, d'actions et de réactions possibles. Ils sont eux aussi organisés en réseaux sémantiques décrivant les relations d'appartenance ou de hiérachie entre schémas. C'est d'ailleurs pourquoi la représentation de type objet est largement utilisée en intelligence artificielle, en particulier lorsqu'il s'agit de simuler le savoir-faire pratique d'un expert[3]

Enfin, et ce n'est pas le moindre des avantages de la représentation par objets sur un plan cognitif, Il sera possible d'agréger des objets en super-objets ayant des propriétés nouvelles par rapport à leurs éléments constituants. Imaginons par exemple un étudiant en chimie ayant réussi à constituer une molécule en assemblant des atomes selon une certaine organisation. La molécule se présentera à l'écran sous la forme d'un réseau tridimensionnel complexe d'idéogrammes figurant les atomes. L'étudiant pourra transformer cet agencement d'idéogrammes-objets en "boîte noire”. La molécule ne sera plus représentée à l'écran que par un seul idéogramme, et se comportera par la suite comme un seul objet, à moins qu'une réaction ne l'analyse ou que l'étudiant ne décide de rouvrir la boîte noire. On voit tout l'intérêt que peut présenter cette possibilité de construire et d'ouvrir des boîtes noires pour l'enseignement de la chimie, de la biologie, de l'architecture, dans toutes les disciplines technologiques et partout où s'exercent les deux mouvements intellectuels complémentaires que sont l'analyse et la synthèse.

De ce point de vue, l'idéographie dynamique doit être considérée comme une technologie intellectuelle rendant des services du même type que la notation algébrique[4]. Rappelons qu'une des principales vertus des technologies intellectuelles est d'offrir au système cognitif humain une mémoire externe et des systèmes de représentation propres à alléger la tâche de sa mémoire à court terme et à faciliter la concentration de son attention sur les éléments les plus pertinents d'un problème à un moment donné.

En représentant des classes d'objets ou des objets complexes par des idéogrammes, l'idéographie dynamique permet d’éliminer toute l'information non pertinente à leur sujet et favorise des opérations mentales (et informatiques) aisées.

Comme l'idéographie dynamique offre des possibilités de composition ou d’agrégation explicite, de grosses collections d'objets ou des systèmes compliqués peuvent être manipulés comme une seule entité, occupant beaucoup moins de mémoire de travail que si les constituants étaient représentés individuellement. L'utilisateur peut décider d'ignorer momentané-ment ce qu'il y a dans un objet puisque le système informatique le garde en mémoire et que l'on peut toujours consulter cette mémoire. On peut faire l'analogie avec la possibilité de mettre des expressions entre parenthèses dans la notation algébrique, qui permet par exemple de prendre la racine carrée d'une expression sans s'occuper de ce qu'il y a dedans.

Grâce à la possibilité de décomposer les super-objets, ou d'ouvrir les boîtes noires, l'attention peut être dirigée vers des composants individuels limités, et le reste de la représentation d'un problème peut être temporairement ignorée. De la même façon, dans un problème exprimé en notation algébrique, on peut s'occuper temporairement d'équations entre parenthèses sans prendre le reste en compte.

Qualités pédagogiques de la représentation par objets: la simulation interactive

La représentation par objets est particulièrement bien adaptée à la simulation d'environnements où interagissent de manière non triviale plusieurs entités autonomes.

On peut donner comme exemple "l'aquarium" réalisé par l'équipe d'Alan Kay. Dans ce projet, les caractéristiques et le mode de vie de plusieurs objets-poissons ont été définis par les programmeurs. Ces poissons ont ensuite été plongés dans le même aquarium (observable par l'écran d'un ordinateur) et ont interagi spontanément en fonction de leur "programme génétique" (poursuites, fuites, dévoration, frayage, etc.). Il faut noter que le déroulement des événements dans l'aquarium, lui, n'avait pas du tout été programmé. Des enfants pouvaient ajouter, enlever des poissons, ou modifier leurs caractères et observer ensuite les répercussions sur l'écologie de l'aquarium.

Au delà des expérimentations pédagogiques comme celles de l'aquarium, l'industrie de la synthèse d'images animées utilise déjà les principes de la programmation par objets pour simuler le comportement de grandes populations d'acteurs à l'écran. Par exemple on programme le comportement éthologique du canard ou de étourneau, puis on lance plusieurs dizaines de copies de l'oiseau type pour obtenir l'allure d'un vol de canards ou d'étoumeaux. Chaque objet calcule lui-même sa distance par rapport aux autres, le temps pendant lequel il peut rester éloigné du gros de la troupe, etc. Des recherches se poursuivent actuellement pour poursuivre dans cette voie. Dans quelques années il suffira peut-être de fournir un scénario et quelques indications de jeu à des objets-acteurs "intelligents" pour qu'ils calculent automatiquement leur film.

On entrevoit toutes les possibilités de simulation interactive offertes par la programmation "orientée objet". L'interaction avec le logiciel ne consiste plus à modifier certaines variables numériques d’un modèle fonctionnel abstrait, il revient à agir directement sur ce que l'on considère intuitivement comme les acteurs effectifs d'un environnement ou d'une situation donnés. On améliore ainsi non seulement la simulation des systèmes, mais encore la simulation de l'interaction naturelle avec les systèmes. Cet avantage est évidemment fondamental dans une perspective de formation ou d'éducation.

On connaît depuis longtemps le rôle fondamental de l'implication personnelle de l'étudiant dans l'apprentissage. Plus activement une personne participe à l'acquisition d'un savoir, mieux elle intègre et retient ce qu'elle a appris. Or, la représentation par objets, parce qu'elle se prête bien à la simulation, à l'interaction et à la simulation de l'interaction, favorise une attitude exploratoire, voire ludique, face au matériau à assimiler. C'est donc un instrument bien adapté à une pédagogie active.

LES IDÉOGRAMMES

Première approche de l'idéographie

Rappelons que l'idéographie est un des plus anciens systèmes sémiotiques utilisés par l'homme, après le langage, et qu'elle est à l'origine de l'écriture dans la plupart des grandes civilisations. Encore aujourd'hui, l'écriture chinoise est partiellement fondée sur la représentation directe des idées par des signes. Les hiéroglyphes égyptiens possédait également une dimension idéographique ainsi que l'écriture suméro-akkadienne, dite cunéiforme. Ces écritures fort éloignées du pur phonétisme alphabétique ont été employées pendant des millénaires par des peuples très divers parlant de nombreuses langues.

L'idéographie pure (sans éléments phonétiques ou syllabiques, les signes ne notant que les idées et leurs rapports) est en principe indépendante de la langue. Une idéographie est translinguistique. D’où l'intérêt évident de notre projet dans un cadre européen. L'idéographie dynamique (ID) peut contribuer à forger la culture européenne commune de demain (l’Europe comme « Chine de l'Ouest »... ).

Rapports entre l'idéogramme et l'objet dans l'idéographie dynamique

L’idéographie dynamique possède deux niveaux de réalité parallèles :

  • L’objet correspond à la réalité informatique sous-jacente. D’un point de vue logique, c'est fondamentalement un automate à états finis. On peut définir l'objet comme la dimension intérieure, active, l'âme de l’idéographie dynamique.
  • L'idéogramme correspond à la réalité sémiotique apparente. C'est la dimension extérieure, le corps expressif de l’idéographie. Par l'entremise de l'idéogramme, l'utilisateur connaît l'état de l'objet et peut agir dessus (déplacement, etc.). Lorsque deux objets agissent l’un sur l’autre (s'envoient des messages et modifient leurs états internes) on voit à l’écran deux idéogrammes qui se transforment mutuellement. Idéalement, l'idéogramme doit manifester l’ensemble des différents états de l’objet, il doit en déployer au maximum la réalité logique.

On peut dire que l’idéogramme est le signifiant, que l’objet est le signifié ou le concept et que la chose extérieure (hors représentation numérique) est le réfèrent.

Caractéristiques des idéogrammes dynamiques

L'idéogramme ne fait que radicaliser l'idée d'interface qu'il est convenu d'appeler "icône". Comme les icônes, les idéogrammes représentent des entités, des relations ou des actions, de la manière la plus évidente et la plus intuitive pour les membres de la même culture (européenne). Comme les icônes, ils donnent prise à l'action de l'utilisateur et peuvent servir d'outils pour effectuer diverses opérations. Mais les idéogrammes de notre projet sont beaucoup plus dynamiques que les icônes issues des travaux du PARC de Xerox.

Tout d'abord, les idéogrammes dynamiques ont un comportement plus autonome que celui des icônes. En effet, ils reflètent la situation d'un objet sous-jacent qui peut changer d'état ou envoyer des messages en fonction d'informations reçues antérieurement et d'une organisation logique propre. Par exemple, un objet peut être programmé pour changer de lieu cinq minutes après avoir reçu le message x. Lorsque l'idéogramme se déplacera à l'écran, l'utilisateur aura la sensation que l'idéogramme bouge "de lui-même".

Les changements d'état de l'objet sont symbolisés par des transformations de l'idéogramme. La variété et l'étendue de ces transformations excéderont de beaucoup celles que connaissent aujourd'hui les icônes. Par exemple :

  • changements continus de forme
  • changements continus de taille
  • changements de lieu
  • changements de direction
  • changements de vitesse
  • changements progressifs de couleur ou de niveau de gris
  • clignotement
  • expression sonore élaborée (musiques, paroles, bruits caractéristiques) et variable.

L'idéographie dynamique est donc à mi-chemin entre l'idéographie statique sur support papier et la simulation numérique par synthèse d'images animées.

Plus haut, nous avons rapproché l'objet informatique des schémas mentaux mis en évidence par la psychologie cognitive. On peut également faire une analogie entre l'idéogramme dynamique et l'image mentale. L'un comme l'autre sont assez différents de la photo ou de l'image fixe[5].

  • Comme les images mentales, et conformément aux objets qu'ils manifestent, les idéogrammes sont susceptibles de segmentation et d'organisation hiérarchique.
  • Contrairement à des photos ou à des images fixes, les idéogrammes peuvent représenter une information variant de manière continue.
  • On peut accomplir sur les idéogrammes des opérations analogues aux opérations spatiales. Les idéogrammes sont affectés d'un certain degré de malléabilité.
  • Les idéogrammes ne sont pas liés uniquement à la modalité visuelle mais aussi à une modalité spatiale et proprioceptrice. Ce point apparaîtra avec plus d'évidence après la lecture du chapitre sur les "champs d'action des idéogrammes.

Système des idéogrammes: Classements, répertoires, réseaux et diagrammes.

Les idéogrammes ne devront pas être créés anarchiquement mais, bien au contraire, de ma-nière systématique. On pourra s'inspirer, par exemple, du système de radicaux de l'écriture chinoise. Les idéogrammes apparentés ou possédant des éléments de signification communs partageront aussi des éléments sémiotiques ou icôniques identiques. Les objets créés par agrégation de plusieurs autres objets se manifesteront par des idéogrammes reprenant les composantes sémiotiques des idéogrammes correspondants. De cette façon, on pourra inférer ou intuitionner la signification d'un idéogramme même si on ne l'a jamais rencontré auparavant (ce qui n'est pas le cas, il faut le préciser, pour l'écriture chinoise).

Les idéogrammes pourront être rangés et retrouvés automatiquement par "radicaux", par ordre alphabétique suivant leur dénomination dans une langue donnée, par ordre de création si l'utilisateur en a composé lui-même, etc. De plus, on pourra les organiser par diagrammes, par tableaux ou par réseaux sémantiques de façon à faire ressortir leurs relations mutuelles de manière visuelle. Il y aura donc plusieurs genres d'organisations, et à l'intérieur d'un même genre, par exemple les réseaux sémantiques, il aura encore plusieurs manières pertinentes d'agencer les idéogrammes, suivant les objectifs pratiques poursuivis.

Plusieurs études d'ergonomie et de psychologie cognitive[6] montrent que pour bien saisir et mémoriser le contenu de configurations informationnelles complexes, telles que de longs textes, il est indispensable que les sujets dégagent leur macro-structure conceptuelle. Mais c'est une tâche difficile que de construire des schémas abstrayant et intégrant, par exemple, le sens d'un long texte. Les représentations de type cartographique prennent aujourd’hui de plus en plus d'importance dans les technologies intellectuelles à support informatique, précisément pour résoudre ce problème de construction de schémas. Les diagrammes dynamiques sont employés dans les ateliers de génie logiciel (aide à la programmation), les systèmes d'aide à la conception, à l'écriture, à la gestion de projet, etc. Les schémas interactifs rendent explicitement disponibles, directement visibles et manipulables à volonté les macro-structures de textes, de documents muldmédias, de programmes informatiques, d'opérations à coordonner ou de contraintes à respecter. Les systèmes cognitifs humains peuvent alors transférer à l'ordinateur la tâche de construire et de tenir à jour des représentations qu'ils devaient élaborer avec les faibles ressources de leur mémoire de travail, ou celles, rudimenaires et statiques, du papier et du crayon. Les schémas, cartes ou diagrammes interactifs comptent parmi les interfaces capitales des technologies intellectuelles à support informatique.

Le système d'idéographie dynamique proposera toujours plusieurs cartographies "par défaut” d'un domaine de savoir. Mais pour que l'utilisateur ait réellement la possibilité de s'appro-prier l'idéographie numérique, il peut être très important qu'il puisse ranger les idéogrammes et schématiser leur organisation comme il le désire lui-même à un moment donné.

D'un point de vue cognitif et pédagogique c'est toute cette dimension diagrammatique, schématique et taxinomique qui fait de l'idéographie dynamique un instrument supérieur à la pure simulation numérique par synthèse d'images "réalistes". Le passage de l'image au signe permet de concentrer l'attention sur l'essentiel et allège la charge de la mémoire à court terme, qui est la ressource la plus limitée du système cognitif humain.

L'idéographie dynamique, en condensant le sens sur des signes, rend possible l'abstraction. L'écriture permet une activité de comparaison, de classement, de mise en tableau, en diagramme ou en schéma. Elle autorise également la composition de signes nouveaux à partir des anciens. L'idéographie dynamique ouvre un espace à des processus de systématisation et de construction inventive qui ne pourraient avoir lieu si l'on se limitait à la simulation au moyen d'images "réalistes", l'ID est également supérieure à la simulation réaliste dans tous les cas où il est pertinent de représenter de façon dynamique et interactive des objets invisibles comme des particules élémentaires, des institutions sociales ou des stratégies.

Représentation et exploration de" domaines de savoir" à l'aide de l'idéographie dynamique

On appelle ici "domaine de savoir" une collection d'objets (au sens très large de ce terme) et un ensemble de règles régissant les relations entre ces objets. Du point de vue de l'utilisateur, un domaine quelconque du savoir sera représenté par un répertoire d'idéogrammes.

En mode cartographique, ce répertoire sera structuré par plusieurs diagrammes ou schémas représentant visuellement les relations des idéogrammes entre eux (et donc des concepts-objets qu'ils manifestent). L'étudiant pourra manipuler ces diagrammes de façon interactive.

En mode expérimental, les idéogrammes simuleront, autant qu'il est possible, les relations des objets réels entre eux. L'étudiant pourra donc découvrir leurs propriétés et leur manière d'interagir en "jouant" avec les idéogrammes qui les représentent

LES CHAMPS D’ACTION

Première approche des champs d'action

Si nous nous contentions de manifester les objets par des idéogrammes sans visualiser les messages qu'ils s'envoient, la dimension de simulation/expérimentation de notre idéographie dynamique resterait limitée. Or, pour que l'ID ait une véritable portée pédagogique, il faut que l'aspect "simulation par l'image" soit complète et relativement réaliste.

L'idéographie dynamique manifestera visuellement par des champs d'action la nature, la portée et l'intensité des messages émis par les objets en direction d'autres objets. Au plan informatique sous-jacent des objets et des messages correspond donc la manifestation visible sur l'écran des idéogrammes et de leurs champs d'action. Le champ d'action pourra être figuré à l'écran par un périmètre en pointillé autour de l'idéogramme, par une zone en grisé, par une "aura" de couleur, etc.

En règle générale, les messages envoyés par un objet A ne seront reçus par un objet B que si l'idéogramme de B se situe à l'intérieur du champ d'action de l'idéogramme de A.

Les transformations des messages émis par les objets seront visualisées par des transformations de leur champ d'action: extinction, réduction, extension, changement de forme, de couleur, d'intensité, etc.

L'interaction par le choc ou le contact direct correspond au cas particulier où le champ d'action est coextensif aux limites physiques de l'objet. Mais il y a évidemment bien d'autres cas de figure. Citons les forces de gravitation qui s'étendent plus loin que les frontières topologiques de la masse, les champs éléctromagnétiques dépassant de loin les dimensions des émetteurs, les phénomènes de contagion en épidémiologie, les interactions sociales, etc. Grâce à la visualisation des messages que s’envoient les objets, on pourra modéliser de manière claire et pédagogique les effets de propagation (de messages, d'actions), les dynamiques de population, et bien d'autres phénomènes "collectifs".

Différents types de champs d'action

Prenons l'exemple simple d'un phénomène thermique envisagé à l'échelle macroscopique. Un feu peut réchauffer l'atmosphère bien qu'il ne soit en contact qu'avec une portion limitée de l'air d'une pièce. Sous le rapport de l'action "chauffer", on pourrait représenter le champ d'action des flammes par une sphère ayant pour centre l'idéogramme du feu. La teneur du message thermique envoyé par un objet X (ici le feu) à d’autres objets Y et Z est d'autant plus faible que Y ou Z sont loin de X. Le champ d'action de l'idéogramme du feu sera donc d'intensité décroissante à partir de l'idéogramme qui est au centre du champ d'action.

La structure des champs d'action peut être beaucoup plus complexe qu'une sphère d'intensité décroissante autour de l'idéogramme. La fonction définissant l'intensité du champ d'action peut être logarithmique, exponentielle, sinusoïdale, etc. En général, toutes les fonctions mathématiques, y compris les fonctions continues, sont utilisables pour définir la force variable du champ d'action. Des fonctions mathématiques complexes pourront ainsi être explorées par l'utilisateur autrement que par des représentations graphiques statiques ou des formules à base de signes alphabétiques. L'idéographie dynamique offre la possibilité d'une interaction sensori-motrice de style continu avec des objets mathématiques. En effet, les variations du champ d'action sont visualisées au moyen de changements de couleur, d'intensité, de motif, de forme, etc. Ces variations peuvent en outre être expérimentées par l'effet qu'elles produisent sur des objets contrôlés par l'utilisateur.

En ce qui concerne la forme, on peut imaginer des champs d'action fins et orientés partant d'un point précis d'un idéogramme: rayon laser, canons d'armes diverses, etc. On peut également imaginer des champs d'action réticulaires (en forme de réseaux) pour modéliser des relations complexes en biologie ou en sociologie.

Les quelques idéogrammes systématiquement utilisés pour modifier le champ d'action d'autres idéogrammes, indépendamment des domaines de savoir, seront appelés "idéogrammes-outils". Ils seront à la base de la nouvelle interface informatique générale. On peut imaginer des idéogrammes de clés pour activer des objets ou bien ouvrir des applications; des idéogrammes de coffres ou d'armoires pour effacer de l'écran et désactiver certains idéogramme tout en les gardant en réserve, etc.

Dans la mesure où tous les idéogrammes ont un champ d’action et peuvent donc modifier les autres idéogrammes, ce sont tous des outils.

En déplaçant certains idéogrammes-outils pour que leur champ d'action atteigne un objet x, on pourra modifier le champ d'action de x. Il sera notamment possible de le désactiver, de l'allumer ou de le faire basculer dans un autre registre de messages (commutation).

  • Un exemple de commutation: le message "chaleur" d'un feu pourra faire place au message "lumière".
  • Un exemple de modification: pour intensifier le champ d'action du feu on utilise l'idéogramme du soufflet, dont le champ d'action est directionnel.

L'interaction de deux objets peut en créer un troisième ou plusieurs autres. Pensons à la fonction reproductrice en biologie, aux réactions chimiques, etc. Pour prendre toujours le même exemple, lorsque l'idéogramme du grattoir entrera dans le champ d'action de l'idéogramme de l'allumette, l'idéogramme du feu apparaîtra automatiquement et se collera à celui de l'allumette. Par l'intermédiaire du champ d'action "chaleur", le feu pourra se propager à du papier, puis à une bûche, etc. On figurera le papier enflammé par l'idéogramme du feu combiné à celui du papier, de même pour la bûche. On pourra donc observer l'idéogramme du bois se transformer en idéogramme du bois enflammé sous l'action de la chaleur.

Fondements ontologiques et gnoséologiques de la distinction message/objet ou idéogramme/champ d'action.

Le couple idéogramme/champ d'action pourrait bien correspondre à une réalité plus fondamentale que celle des objets informatiques et des messages qu'ils s'envoient. Nous pouvons faire un parallèle entre les "ontologies intelligibles" définies par René Thom dans son ouvrage Esquisse d’une sémiophysique[7] et les éléments fondamentaux de l'idéographie dynamique proposée ici. Selon Thom, n'importe quel domaine réel pourrait se modéliser comme une interaction de saillances (l'analogue des objets) et de prégnances (l'analogue des messages) dans un espace géométrique. Il ne s'agirait pas là seulement d'un type de modélisation possible mais bel et bien de l'organisation fondamentale de notre manière de connaître.

Laissons la parole au célèbre créateur de la théorie des catastrophes: "Une ontologie intelligible [C'est-à-dire, pour nous, un domaine de savoir] est caractérisée par un espace où habitent tous les êtres considérés: l'espace substrat. (...). Dans cet espace, les êtres de l'ontologie se répartissent en deux classes: les saillances et les prégnances."

Thom explique ensuite que le prototype de la saillance est une boule topologique fermée. Cette saillance peut être organisée, c'est à dire qu'elle peut contenir elle-même plusieurs saillances articulées entre elles.

"Les prégnances sont des entités non localisées, émises et reçues par les formes saillantes. [H n'y a donc pas de génération spontanée des prégnances. La prégnance est émise par une saillance comme le message est émis par un objet et comme le champ d'action diffuse à partir d'un idéogramme-source]. Lorsqu'une forme saillante capture une prégnance, [Nous dirions: lorsqu'un objet reçoit un message] elle est investie par cette prégnance; elle subit de ce fait des transformations de son état interne qui peuvent produire des manifestations extérieures dans sa forme: ce sont les effets figuratifs." Thom donne comme exemple d'effet figuratif la réémission de la prégnance telle qu'elle a lieu, notamment dans les phénomènes de contagion.

Il y a dans l'ontologie de Thom une critique tout à fait explicite de l'idéal positiviste de la science contemporaine qui voudrait tout réduire à des saillances "La seule interaction permise étant la collision entre formes saillantes." Le contre-exemple canonique est le rapport proie/prédateur. Il est clair que cette relation ne se limite pas au contact direct des deux corps mais que les prégnances olfactives, auditives, visuelles, etc., jouent un rôle fondamental. On voit immédiatement comment les champs d'actions de l'idéographie dynamique permettront de représenter ces prégnances (pensons par exemple à la déformation et à l'orientation du champ d'action olfactif d'un prédateur sous l'effet d'un autre champ d'action, celui du vent...)

Parmi les différents types d'interaction possibles entre saillances et prégnances, Thom souligne l'intérêt et la complexité des actions de saillances sur des prégnances (correspondant à l'effet produit par des idéogrammes au champ d'action limité et fixe sur des champ d'action de type "flux"): limitation, canalisation, division (crible, delta, etc.), réémission dans une autre direction, objets faisant "travailler un flux (roue de moulin), traduisant une forme de flux dans une autre (turbine), etc. Si l'on suit Thom, un très grand nombre de techniques peuvent se modéliser par l'effet d'un idéogramme au champ d'action fixe sur un champ d'action de style flux.

En insistant sur l'importance des prégnances, Thom plaide pour une prise en compte explicite de l'ondulatoire, de la radiation, du flux, et du même coup pour une réhabilitation du continu.

Thom remarque de façon extrêmement juste que que la présentation des ontologies intelligibles (des domaines de savoir) peut être faite à un niveau préverbal, en s'appuyant uniquement sur l'intuition de l'espace et des interactions dans l'espace, ce qui est exactement le propos de notre idéographie dynamique.

L'axe fondamental de représentation adopté par l'idéographie dynamique est donc l'espace géométrique. La métaphore de base de son interface est l'interaction locale. Or, depuis le dix-septième siècle, la science est justement animée par l'idéal de modéliser toute relation entre objets par des interactions locales. A notre avis, même des objets apparemment non spatiaux comme "la science", "la démocratie" ou "l'éducation nationale" devraient pouvoir se modéliser par des réseaux de communication entre nœuds (idéogrammes-objets) de divers types, par des établissements locaux géographiquement situés, par des zones d'influence (champs d'actions) sur une carte. En admettant que certaines notions ne puissent pas se modéliser finement par des relations locales, il est encore possible d'utiliser des dispositions géométriques pour métaphoriser des relations dans un espace conceptuel: il s'agit de l'usage bien connu des tableaux, schémas, diagrammes et réseaux sémantiques.

L'idéal de la connaissance rationnelle rejoint ici, et ce n'est certainement pas par hasard, ce que nous savons par ailleurs des particularités du système cognitif humain. Nous y reviendrons, de nombreux travaux de psychologie cognitive montrent que nous retenons et comprenons mieux l'information visuelle que l'information verbale. Selon nous, ces considérations cognitives renforcent encore la pertinence gnoséologique de l'idéographie dynamique.

LE GÉNÉRATEUR D’IDÉOGRAMMES ET SON USAGE

L'idéographie-patchwork et son générateur d'idéogrammes

Que ce soit pour communiquer dans un groupe restreint, pour concevoir des environnements de formation, ou pour modéliser tel ou tel phénomène, l'utilisateur de l'ID doit toujours forger, transformer ou ajuster ses idéogrammes/objets. Le principal support logiciel de l'idéographie dynamique est donc un atelier de création et de transformation de "décors", de réseaux sémantiques et d'idéogrammes-objets. J'appelle cet atelier un générateur d'idéogrammes (GI). L'idéographie dynamique n’est pas un système encyclopédique universel centralisé, mis au point par un petit nombre de concepteurs. C'est un assemblage de micro-dictionnaires locaux, chacun d'eux étant produit, constamment mis à jour et réélaboré par les énonciateurs indigènes. Le compartimentage par domaines de connaissance n'empêche pas les gens d'un domaine de citer, réutiliser ou détourner les idéogrammes/objets des autres régions du savoir, surtout pour les énonciateurs situés aux marges ou aux frontières. Il y a donc perpétuellement des emprunts et réinterprétations d'un domaine de savoir, d'un "décor" à l'autre. L'unité de l'écriture est assurée par le petit nombre d'idéogrammes-outils "universels" du GI (ceux qui savent justement à créer/modifier les idéogrammes locaux), et par quelques principes de syntaxe réglant les rapports des idéogrammes entre eux1.

Les principes de base du générateur d'idéogrammes

Chaque élément de l'interface du GI est un objet et doit être représenté par un idéogramme. Les héritages et les agrégations d’objets en macro-objets sont utilisés au maximum.

De même que le Help d'Hypercard est un très bon exemple de ce qu'on peut faire avec ce logiciel, le GI est une excellente illustration de ce qu’on peut faire avec l'idéographie dynamique.

Un peu comme dans Hypercard également, il y a plusieurs niveaux d'utilisation de l'ID:

  • a) Un mode consultation, sans modification des objets et du décor. A ce mode doit correspondre un certain type d'idéogrammes-outils permettant de se déplacer dans le décor, de simuler des interactions entre idéogrammes, d'explorer la structure interne des objets
  • b) Un mode transformation, qui permet de faire une nouvelle proposition, de transformer le modèle. Ce mode implique l'utilisation du générateur d'idéogrammes proprement dit
  • c) Un mode conception, qui propose une aide à la création de réseaux sémantiques, de répertoires d'idéogrammes, de décors, et qui offre également des outils graphiques. Le GI en mode conception est un outil d'aide à l'ingénierie des connaissances.

Aux modes b et c correspondent un autre type d'idéogrammes-outils que ceux mis en œuvre dans le mode a. Ces outils devront donc se distinguer par leur forme, leur couleur ou leur déterminant iconique.

Comment créer un répertoire d'idéogrammes?

  • a) On découpera le domaine de connaissance en micro-domaines cognitifs, au sein duquel les objets peuvent interagir effectivement.

Dans leur usage courant, les idéogrammes seraient liés à un micro-domaine de connaissance/manipulation et un seul. Ce micro-domaine pourrait être symbolisé à l'écran par un "décor" indiquant à l'utilisateur à quelle échelle ou dans quelle région particulière du macro-domaine de connaissance il se situe. Certains éléments du décor pourraient d’ailleurs être des idéogrammes agissants (instruments et meubles d'un laboratoire, becs Bunsen ou réfrigérateurs par exemple). Le décor pourrait aussi aider l’usager à disposer ses idéogrammes et à régler leur champ d’action.

  • b) Il faudra ensuite construire les réseaux sémantiques de chaque micro-domaine et la manière dont ils se relient entre eux.
  • c) On formalisera les rapports prototype/extension et partie/tout des objets.
  • d) On précisera alors le mode d'action de chaque objet/idéogramme: les formes et les manières d'agir des champs d'action.
  • e) En fonction des étapes précédentes, on choisira la signalétique visuelle avec un infographiste (de préférence un véritable artiste).
  • f) Une fois construite la première maquette du répertoire d'idéogrammes, on la testera auprès des correspondants et des utilisateurs, puis on la modifiera. Les maquettes successives seront testées et améliorées aussi souvent que nécessaire suivant un processus itératif. Pendant le processus d'expérimentation, il serait bon d'employer les dispositifs d'observation suivants:
  • Enregistrements vidéo de la situation d'utilisation avec deux personnes de façon à pouvoir recueillir les commentaires qu'elles échangent dans le feu de l'action.
  • Enregistrement de la pensée "à voix haute" d'un utilisateur.
  • g) pour finir, on comparera une tâche de communication, de simulation ou de modélisation accomplie par les moyens habituels et avec l'ID. On mesurera les coûts pour l'usager, notamment en temps d'apprentissage et en temps d'utilisation du système.

Un cas fictif.

Les chercheurs sur le SIDA ont besoin d'un outil de simulation très efficace, qui pourrait leur servir aussi pour formaliser leurs discussions et améliorer leurs présentations dans les colloques internationaux, voire même pour les conférences de presse. L'Institut Pasteur à Paris passe donc un contrat avec une société d'ingénierie de la connaissance qu'on appellera "Le Concept Moderne".

a) Phase d'observation

Le cogniticien du Concept Moderne...

  • lit les articles écrits ces dernières années par les chercheurs du laboratoire en question.
  • Il observe les discussions entre chercheurs et en particulier les schémas et dessins griffonnés durant ces discussions.
  • Il observe l'environnement visuel et graphique dans le laboratoire
  • Il a de nombreux entretiens avec les ou le responsable de l'ID désignés par le laboratoire qu’on appellera les correspondants.

b) Phase de conceptualisation

En interaction avec les correspondants, le cogniticien construit un réseau sémantique de la recherche menée dans le laboratoire. Il dresse la liste des objets pertinents. Il commence à imaginer le mode de fonctionnement des champs d'action de ces objets. Les réseaux sémantiques et les premières maquettes de répertoires d'objets sont construits à l'aide du GI qui est un outil d'aide à l'ingénierie des connaissances.

c) Phase d'infographie

Une fois le réseau sémantique et la description des objets stabilisé, l'infographiste du Concept Moderne entre en scène et propose une ou plusieurs idéographies. Le choix et l'affinage de l'apparence visuelle, qui impliquent l'ensemble du laboratoire, sont animés par les correspondants. Il faut surtout vérifier que les signes connotent bien ce qu'ils doivent représenter, c'est pourquoi il faut avoir déjà une idée du réseau sémantique avant de choisir les symboles.

d) Phase de réalisation

Mise au point de l'idéographie, tests, appel à des experts extérieurs...

e) Phase de formation

Les correspondants forment les chercheurs à l'utilisation de l'idéographie. En principe cette formation ne devrait pas prendre plus de trois ou quatre heures, si tout le travail précédent a été bien fait.

f) Phase d'utilisation

Les chercheurs s'emparent de l'ID et la font évoluer. Au bout de quelques mois, des dizaines de versions du répertoire d’idéogrammes ont déjà été produites, toutes datées et signées. Les différentes versions du répertoire d'idéogrammes correspondent évidemment à des modèles différents du domaine ou à des nuances d’approche ou d’accent au sein d’un même modèle, ou encore à des hypothèses particulières. Seules deux ou trois versions sont en usage courant à un instant donné, puisque les chercheurs travaillent sur la ou les quelques dernières versions en circulation.

Plusieurs centaines de dessins animés/démo utilisant l'idéographie sont archivés: films visualisant d'importantes modifications du modèle de base, films montrant certaines interactions d'objets du domaine, films de présentation pour des colloques ou des séminaires internes...

L’IMAGINATION[8] ASSISTÉE PAR ORDINATEUR

Chacun de nous se fait des représentations internes de certains domaines d'action et de connaissance, sur un mode schématique ou imagé. Nous utilisons ces représentations pour rappeler des souvenirs, raisonner ou prendre des décisions. La vocation de l'idéographie dynamique est de fournir des analogues externes de ces représentations internes pour certains domaines de connaissance. N'étant pas contraints par les ressources limitées de la mémoire de travail biologique, ces analogues externes des images et schémas mentaux peuvent être beaucoup plus complexes que les représentations internes proprement dites. Elles sont d'autre part maintenues plus longtemps et avec moins d'effort dans le champ de l'attention.

En tant que prolongement des facultés de modélisation et d'imagerie mentale, l'idéographie dynamique, comme d'ailleurs la plupart des logiciels de simulation, est un outil d'imagination assistée par ordinateur. Afin de mieux analyser la fonction d'aide à l'imagerie de l'idéographie dynamique, il faut exposer brièvement certains acquis récents de la psychologie cognitive concernant les représentations mentales. On distingue trois formes de représentation: les représentations propositionnelles, les modèles mentaux et les images.

Les représentations propositionnelles

En un premier sens, les représentations mentales propositionnelles sont tout simplement des représentations linguistiques (phonétiques), que l'on peut exprimer verbalement. En un autre sens, plus spécialisé, l'expression "représentation propositionnelle" se réfère à une sorte de code neuronal sous-jacent qui permet de représenter aussi bien le langage intérieur que les images ou les modèles mentaux. Des propositions logiques élémentaires constitueraient une sorte de "langage de la pensée" de bas niveau (comme le langage machine des ordinateurs) et les phrases ou les images spatiales correspondraient à des structures de haut niveau, avec lesquelles il serait plus facile de travailler directement

Les modèles mentaux

Contrairement aux représentations linguistiques phonétiques, les modèles mentaux sont des analogues structurels du monde. Par exemple, pour décrire la hiérarchie d'une organisation, on peut employer une représentation de type linguistique classique ou une représentation de type spatial: un organigramme. Le modèle mental est de l'ordre de l'organigramme, même s'il ne se présente pas comme l'image précise d'un schéma.

Autre exemple: la phrase "Si l’on manœuvre le volant, les roues tournent dans le même sens" peut traduire une simulation sur le modèle mental que quelqu'un s'est fait du fonctionnement général d'une voiture. Cette simulation peut ressembler à une sorte de dessin animé schématique ou même n’avoir aucune traduction imagée bien précise.

Quel serait le modèle mental de ce qui est décrit par les deux propositions suivantes: «Il y a plus de a que de b.» et «Il y a plus de b que de c.»? Voici la réponse de Philip Johnson-Laird, qui a consacré un important ouvrage aux modèles mentaux:

a __ b __c
a __b __ c
a __b
a__b
a

Le modèle permet d'inférer directement qu'il y a plus de a que de c sans passer par les règles formelles de la logique qui sont d'ordre propositionnel.

Les images

A de nombreux égards, les images mentales ont les mêmes propriétés que les images perçues. Beaucoup de processus cognitifs utilisant une image mentale sont semblables à ceux qui travaillent sur une image directement présente à la vue ou à un autre sens (comptage, évaluation de distance, etc.)

Les images mentales sont les corrélats perceptuels des modèles. Il peut y avoir plusieurs images mentales du même modèle. Par exemple, la hiérarchie d'une même entreprise peut être figurée par cent organigrammes différents.

L'image mentale évoquée au cours d'une activité cognitive n'est pas nécessairement "réaliste". Elle peut se contenter d'actualiser seulement les traits figuratifs ou les propriétés physiques nécessaires à l'exécution de la tâche à laquelle est soumis le sujet. D'autre part, nombre d'objets abstraits n'ont tout simplement pas d'image physique: l'éducation nationale, le cash flow d'une société, la justice, etc. On dit que ces objets abstraits ont une "valeur d'imagerie" faible. Mais on peut toutefois leur associer une image conventionnelle (non réaliste) qui pourra être évoquée au cours d'exercices de mémorisation ou de raisonnements analogiques.

Un logiciel d'imagination assistée par ordinateur devra donc se concentrer sur certains traits figuratifs pertinents des domaines de connaissance en cause plutôt que sur une simulation réaliste. C'est précisément l'option que nous avons choisi avec l'idéographie dynamique en privilégiant l'icône et la représentation spatiale schématique.

Relations entre images et modèles mentaux

Il importe de ne pas confondre images et modèles mentaux, Une image est une "vue" du modèle. Les images ne représentent que les traits perceptibles et transitoires des modèles. Dans l'idéographie dynamique...

  • Un modèle correspond à un ensemble structuré d'idéogrammes (un répertoire), c'est-à-dire une collection d'objets, avec toutes leurs propriétés et les règles qui régissent leurs interactions.
  • Une image est ce que l'on voit à l'écran à un moment donné.
  • Pour intervenir sur l'image, on peut utiliser divers outils d'interaction (modifier une variable, activer ou désactiver un objet, etc.). Cette intervention sur l'image correspond à l'exploration d'un modèle. Explorer un modèle, c'est décliner les images et les enchaînements d'images qui expriment un répertoire d'idéogrammes.
  • Pour intervenir sur le modèle (ajouter, supprimer un objet, ou modifier ses paramètres fondamentaux), on utilise le générateur d'idéogrammes.

Le modèle correspond donc à un niveau plus fondamental, plus structurel, que celui de l'image. Dès qu'on dépasse un certain niveau de complexité, un modèle s'exprime par plusieurs images ou plusieurs séquences d'images. On retrouve dans l'idéographie dynamique cette hiérarchie entre modèles et images. Les outils pour passer d'une image à l'autre du même modèle ne sont pas les mêmes que ceux qui servent à passer d'un modèle à l'autre. On aura bien compris que les images fournies par l'ID sont des images de modèles et non pas des images réalistes d'objets physiques.

Différences entre les images et les modèles, d'une part, et les propositions, d'autre part

Analogique/numérique

L'idéographie dynamique ayant résolument opté pour les modèles et les images, il importe de bien repérer ce qui distingue les représentations analogiques des représentations propositionnelles. Les images et les modèles sont en effet des représentations analogiques tandis que les langages naturels phonétiques, et plus encore les diverses écritures logiques qui sont censées constituer le langage de la pensée, sont numériques ou discontinues.

Les représentations propositionnelles résultent de la combinaison d'unités discrètes, sans relation d'isomorphie avec ce qu'elles désignent. Par exemple, l'expression «UN POMMIER EN FLEURS». Les images mentales, en revanche, présentent un isomorphisme structurel (correspondance point à point) avec les images directement suscitées par la perception (imaginez un pommier en fleur!). Et les représentations perceptives présentent à leur tour un isomorphisme structurel avec les objets eux-mêmes (Regardez un pommier en fleurs!). Notons qu'une représentation analogique peut avoir une composante conventionnelle très importante, car il y a une infinité de transformations du dessin d'un pommier en fleurs qui conserveraient une correspondance point à point avec la photo d'un pommier en fleurs. En ce qui concerne la représentation par images, l’analogie de structure se double d'une analogie de processus cognitif. Par exemple, une évaluation opérée sur des images mentales (par exemple comparer la taille de deux objets) ferait appel à des processus fonctionnelle-ment semblables à ceux qu'implique une évaluation sur des objets réellement perçus (voir les fameuses expériences de Shepard et Metzler sur la rotation de structures tridimensionnelles).

Spécifique/général

Contrairement aux représentations propositionnelles qui peuvent très facilement désigna- un concept ou une classe générale, les images et les modèles sont hautement spécifiques. Par ordre de spécificité croissante on classera les propositions, puis les modèles et enfin les images. On ne peut pas se former une image d'un triangle en général, mais seulement celui d'un triangle particulier. Donc, si on raisonne sur la base d'un modèle ou d'une image, on doit bien vérifier que la conclusion s'applique encore lorsque l'on considère d'autres instances du concept que celui qui a été considéré.

Un même mot peut évoquer une infinité d'images de la réalité désignée. Par exemple, au cours de la description d'un itinéraire dans une ville inconnue: «Vous arrivez sur une place... » Chaque personne se fait d'une place une représentation schématique ou imagée différente. Si les "modèles de place" de l'informateur et du voyageur égaré diffèrent trop, il est possible que le voyageur ne reconnaisse pas la place. En permettant la communication directement au niveau des modèles, l'ID limite les risques de malentendus.

Mais l'inconvénient des représentations analogiques est leur difficulté à représenter le général. Pour tourner cette difficulté il est possible d'utiliser des modèles ou des images spécifiques comme représentants d'une classe.

Images, modèles et mémoire

Dans la perspective d'une utilisation de l'idéographie dynamique comme médium de formation, il est intéressant de noter que le rappel mnémonique d'un modèle ou d'une image est en général plus aisé que celui d'une proposition.

On retient mieux les modèles parce qu'ils sont plus structurés, plus élaborés que les représentations linguistiques. Ils demandent également une activité cognitive plus intense pour être construits. Ce dernier trait se maintient-il si l'on transmet les modèles déjà tous faits par l'intermédiaire de l'ID? Oui, car celui qui construit ou modifie explicitement un modèle au moyen de l'ID a fait preuve d'une activité cognitive non négligeable, d'autre part celui qui explore le modèle reçu est également dans une position active.

De nombreux travaux de psychologie expérimentale (en particulier ceux de Païvio) ont mis en évidence le rapport entre les performances mnémoniques et l'image. Dans le domaine de la mémoire verbale, il est apparu que la valeur d'imagerie des mots (leur capacité à susciter l'évocation d'images mentales) a de puissants effets mnémotechniques. Par ailleurs, la mise en oeuvre d’une activité d'imagerie mentale est un facteur très efficace du codage mnémonique. En associant des images à des concepts, l'ID fonctionnera comme mnémotechnique, retrouvant ainsi la très ancienne tradition des "arts de la mémoire" des cultures orales.

Une carte n'est pas une image réaliste mais un modèle analogique d'un territoire. Elle en rassemble certains traits pertinents pour des fins particulières, de l'établissement d'un trajet en voiture pour les cartes routières à l'étude du sous-sol pour les cartes géologiques. La carte devient une véritable technologie intellectuelle dès le moment où, indépendamment de sa présence concrète, son image mentale est utilisée par un individu pour évaluer la distance entre deux points d'un territoire ou pour établir une stratégie quelconque. Même quand elle n'est physiquement plus là, la carte est devenue un élément essentiel de l'outillage mental d'un sujet cognitif. Notre ambition est de faire de l'idéographie dynamique une technologie intellectuelle du même type que la carte. L'ID doit pouvoir servir de base à une représentation mentale figurative et dynamique d'un domaine de connaissance donné.

LE RAISONNEMENT ASSISTÉ PAR ORDINATEUR

Raisonnement spontané et modèles mentaux

Plusieurs travaux de psychologie cognitive, en particulier ceux de Philip Johnson Laird, ont montré que le raisonnement spontané des êtres humains avait peu de choses à voir avec la mise en oeuvre des règles d'inférence de la logique formelle. La plupart des psychologues cognitifs croient aujourd'hui que les principes formels généraux, comme la logique déductive, qui sont indépendants de contextes particuliers ont beaucoup moins d'importance pour la pensée intelligente que les structures de connaissance spécifiques, c'est à dire la représentation, sous forme de modèle mental, que telle personne se fait de telle situation ou de tel objet en fonction de son expérience passée.

Selon la théorie proposée par Johnson Laird, voici comment l'activation de modèles mentaux nous permet de raisonner.

  • a) A partir de prémisses (formulées sur un mode linguistique phonétique), et de nos connaissances du domaine en question, nous construisons un modèle mental, à savoir une interprétation des prémisses.
  • b) L'exploration de ce modèle mental nous permet d'arriver à une conclusion provisoire.
  • c) Nous cherchons ensuite systématiquement les interprétations des prémisses (c'est-à-dire les modèles mentaux alternatifs) qui seraient des contre-exemples à cette conclusion. Si la recherche est exhaustive, bien menée et que l'on a pas trouvé de contre-exemples, la conclusion est valide.
  • d) Si l'on a trouvé un exemple qui invalide la première conclusion, le cycle recommence avec une autre conclusion provisoire jusqu'à ce que l'on en trouve une qui ne soit démentie par aucune interprétation des prémisses, c'est à dire qui soit compatible avec les simulations de tous les modèles mentaux inférables des prémisses et de nos connaissances.

La logique comme technologie intellectuelle

Parmi toutes les raisons qui empêchent les humains de mener des raisonnements valides, il faut relever particulièrement la faible capacité de leur mémoire de travail (ou mémoire à court terme) qui leur interdit d'explorer suffisamment longtemps des modèles mentaux trop complexes et d'envisager plusieurs modèles mentaux simultanément. D'autre part, nous n'avons pas de guides pour la recherche systématique de contre-exemples.

C'est pour remédier à ces limitations du raisonnement naturel que la logique a été inventée. Aristote a établi un ensemble de règles de dérivations qui donne toujours des résultats valides. En utilisant la logique, on n'a plus à chercher les modèles des prémisses qui fourniraient des contre-exemples aux premières conclusions. Si les prémisses sont vraies, toutes les conclusions que l’on peut en déduire suivant les règles de la logique sont vraies. Le raisonneur purement logique n'a plus à interpréter les prémisses. Toute l'activité de construction et d'exploration de modèles mentaux qui a normalement lieu pendant l'activité spontanée de raisonnement est en principe remplacée par l'exécution de règles formelles sur des propositions: on est dispensé de comprendre. C'est le cas bien connu des ordinateurs "bêtes" mais parfaitement logiques. Bien entendu, cette dispense d'intelligence est la plupart du temps une fiction, car la logique est plus souvent utilisée pour présenter une solution trouvée par d'autre moyens que pour résoudre effectivement un problème.

La manipulation de propositions suivant des règles abstraites exerce une très forte pression sur les ressources de la mémoire de travail, et même plus forte que celle des modèles et des images. En effet, l'image est une forme de représentation mentale économique parce que ses éléments sont organisés en structures fortement intégrées. Cette organisation dense de l'information contraste, par exemple, avec les représentations propositionnelles de type "liste" pour énumérer les propriétés d’un objet. En d'autres termes, le modèle mental ou l'image rassemble un très grand nombre de prémisses, qui sont beaucoup plus facilement retenues sous cette forme dans la mémoire de travail que sous une forme propositionnelle explicite. C'est pourquoi il est plus facile de raisonner à partir de représentations figuratives. Mais dans ce cas, pourquoi utiliser la logique formelle? Tout simplement parce que la logique, en tant que technologie intellectuelle, est indissociable de l'écriture, c'est à dire d‘une extension matérielle externe de la mémoire de travail. Tout raisonnement logique formel un peu long ou complexe suppose l'emploi des signes écrits. D'autre part, moyennant la mémoire externe fournie par l'écriture, la logique offre un mode de raisonnement certain, ce que le raisonnement spontané à partir de l'exploration de modèles alternatifs des prémisses ne fournit pas toujours.

L'idéographie dynamique comme technologie intellectuelle alternative à la logique

Comme d'autres techniques de modélisation et de simulation par ordinateur, l'ID propose une alternative à la logique pour l'aide au raisonnement. Le support informatique autorise un stockage externe des modèles mentaux, mais sans leur faire perdre leurs caractéristiques essentielles puisqu'il permet le jeu interactif avec des représentations iconiques et dynamiques. L'ID remédie ainsi aux limitations du raisonnement spontané, en particulier la faible capacité de la mémoire à court terme, mais sans toutefois obliger l'esprit à passer par des règles abstraites dont l'application est souvent contre-intuitive.

Illustrons le caractère artificiel de la logique. Étant donné que A=>B et que 6 est faux, on peut inférer que A est faux. C’est la règle du modus tollens. Nous empruntons l’exemple suivant à Anderson (1985) :

(1) «S'il neige demain, nous irons skier»
(2) «Si nous allons skier nous serons contents»
(3) «Nous ne serons pas contents»

Des propositions (2) et (3) nous déduisons la proposition (4): «Nous n'irons pas skier», par modus tollens. Des propositions (1) et (4), nous déduisons la proposition (5): «D ne neigera pas demain», par modus tollens.

Qu’y a t-il de bizarre dans ce raisonnement? C'est que, bien entendu, il peut y avoir beaucoup d'autres raisons que l'absence de neige pour assombrir notre humeur. Nous envisageons spontanément plusieurs modèles mentaux de la réalité compatible avec la prémisse (3). On voit ici la différence entre un raisonnement formel (dont l'univers se réduit à l'ensemble des prémisses explicites et à ce qui peut en être déduit) et un raisonnement spontané ou naturel qui fait intervenir toutes les connaissances que nous avons de la situation évoquée par les prémisses explicites et porte donc sur un domaine de connaissance beaucoup plus vaste.

L'informatique permet d'envisager des instruments d'aide au raisonnement qui soient plus près du fonctionnement cognitif spontané. Un instrument d'aide à la création, à la modification et à la simulation de modèles tel que l'idéographie dynamique nous semble particulièrement propre à remplir ce rôle. Puisque les inférences explicites du raisonnement spontané reposent sur la recherche de modèles alternatifs qui pourraient infirmer les conclusions en jeu, un instrument d'aide au raisonnement naturel doit permettre de construire facilement différents modèles du même ensemble de prémisses. La pièce essentielle de L'ID qu'est le générateur d'idéogrammes est précisément destiné à cette fin.

L'ID et le retour de l'analogique

Paradoxalement, avec la multiplication des outils de modélisation et simulation visuels, les ordinateurs seraient responsables d'un retour de l'analogique dans les activités de raisonnement et de résolution de problèmes. «Quelles sont parmi les propriétés des images visuelles, celles qui sont les plus directement concernées par la résolution de problèmes? Une propriété assurément capitale est la similitude structurale de l'image à l'égard du percept et le rôle de substitution que, de ce fait, elle assure dans le cas où un percept ne peut pas être élaboré. (...) Le sujet élabore donc un certain contenu mental ayant valeur de modèle et susceptible d'être maintenu dans un état d'actualité cognitive pendant la durée des opérations qu'il doit supporter.»[9] Il est clair que des outils d’aide à la création et à la visualisation de modèles peuvent rendre les plus grands services dans les cas où l'on a besoin de raisonner sur des domaines concrets dont les traits pertinents s'inscrivent dans l'espace. On raisonnerait alors sur des analogues dynamiques des domaines de connaissance en question.

Des expériences de psychologie cognitive ont montré que lorsque les données d'un problème sont présentées sous forme figurative (concrète, graphique ou photographique), les sujets réussissent à résoudre un plus grand nombre de problèmes que lorsqu'ils sont soumis à une présentation verbale[10]. Grâce à leur caractère analogique, en effet, images et modèles mentaux permettent à l'individu d'effectuer des calculs, des simulations, des inférences, des comparaisons, sans devoir recourir à des opérations logiques formelles, et donc plus aisément que sur la base de représentations propositionnelles.

L'imagerie mentale intervient aussi dans la résolution de problèmes à données non spatiales. Elle sert alors à représenter de manière symbolique les données abstraites. Par exemple la durée et toutes grandeurs continues peuvent être représentées par des dimensions verticales ou horizontales, comme dans les graphiques servant à synthétiser les données quantitatives; les intersections entre classes peuvent se représenter par des recouvrements de surfaces, comme dans les diagrammes de Venn, etc. Des points sur une ligne (ou dans certaines aires) peuvent symboliser des individus classés sur une dimension (ou dans un ensemble). L’image est ici une notation, une aide visuelle pour le développement d'un raisonnement. Mais si depuis le développement des cartes et graphiques au 18e siècle[11], on a bien exploré le rôle que pouvait jouer l'image fixe comme aide au raisonnement, il n'existe encore que très peu de réalisations dans le domaine de l’image animée, interactive et symbolique (c'est-à-dire sans rapport avec une simulation visuelle réaliste d'un domaine). C'est ce vide que l'idéographie dynamique vient combler.

Pour un domaine abstrait, les ingénieurs de la connaissance, en étroite collaboration avec les experts du domaine et les utilisateurs des répertoires d’idéogrammes, devront élaborer l'hyper-espace et l'imagerie conventionnelle qui permettront de modéliser de manière figurative le domaine de connaissance. On pourrait nous objecter que selon leurs expériences antérieures et leur style cognitif, certains individus s'appuient plutôt sur des stratégies spatiales de résolution de problèmes, d'autres sur une stratégie linguistique classique. L'idéographie dynamique ne conviendrait donc qu'à un certain type de sujets (les "imageants") et non aux autres. Mais les styles cognitifs ne sont pas des données immuables, ni des impératifs à respecter absolument. Même des sujets d'orientation cognitive "verbale" ont intérêt à consulter des cartes plutôt que des descriptions linguistiques pour se repérer sur un territoire.

Des deux styles de représentation, «(...) celle qui sera effectivement utilisée par le sujet pour fournir sa réponse [à un problème] est celle qui aura été la première accessible.»[12] L'usage répété de l'ID provoquera une plus grande accessibilité de la représentation imagée ou spa-tiale que de la représentation linguistique, même pour les sujets affectés d'un tropisme cognitif "verbal". L'habitude de jouer avec des modèles visuels du domaine permettra de raisonner à son sujet comme si c'était un domaine concret, avec tous les avantages sur le plan de la mémoire, de la résolution de problèmes et du raisonnement que confèrent les représentations analogiques et imagées.

Ce que nous appelons "rationalité", au sens le plus étroit du terme, s'appuie notamment sur l'utilisation d'un certain nombre de technologies intellectuelles, aide-mémoire, systèmes de codage graphique et procédés de calculs faisant appel à des dispositifs extérieurs au système cognitif humain. Il n'existe pas qu'une seule rationalité mais plusieurs nonnes de raisonnement et procédures de décision, fortement reliées à l'usage de technologies intellectuelles particulières. Il est fort possible que se stabilisent de nouvelles technologies intellectuelles à support informatique qui feraient apparaître "irrationnels", ou du moins très grossiers, des raisonnements utilisant pourtant la logique classique et la théorie des probabilités. Avec d'autres techniques d'intelligence artificielle ou de simulation, l'idéographie dynamique permettra en effet de prendre en compte et de visualiser de manière dynamique et interactive un très grand nombre de facteurs impossibles à appréhender de manière efficace par les seules techniques de l'écriture, de la graphie et du calcul sur papier.

UNE COMMUNICATION ASSISTÉE PAR ORDINATEUR Interprétation et modèles mentaux

Il n'y a de communication véritable que si les interlocuteurs comprennent ou interprètent les énoncés qui leur sont destinés. Mais que signifie donner du sens à un énoncé? Comprendre une proposition, c'est savoir à quoi le monde ressemblerait si elle était vraie. En d'autre termes, cela revient à établir une correspondance entre des représentations propositionnelles (l'énoncé à interpréter), et des modèles mentaux, éventuellement construits pour l'occasion (le sens de l'énoncé)[13]. La représentation du sens d'un énoncé linguistique ne s’identifie pas à la représentation de l'énoncé mais à celle de l’état de choses décrit par l'énoncé.

Lorsque nous interprétons un discours descriptif, par exemple, chaque mot, chaque phrase successive réduit le nombre de modèles mentaux alternatifs compatibles avec ce que nous entendons ou lisons.

Des expériences de psychologie cognitive ont montré que les sujets construisent un modèle mental à partir de descriptions cohérentes et déterminées de lieux, par exemple, mais abandonnent les modèles spatiaux en faveur d'une représentation verbale superficielle dès qu'ils rencontrent une indétermination de la description. Quand on ne comprend pas bien, on peut encore retenir des phrases. Mais ne répéter que des mots sans s'être construit un modèle mental de ce qu’ils désignent, c’est ne rien comprendre à ce que l’on entend (ou à ce que l’on dit). La compréhension est donc fondamentalement une affaire de construction et de manipulation interne de modèles mentaux. De la même façon, penser, ce serait essentiellement voir autrement, envisager la réalité sous un autre angle, donc jouer avec des modèles mentaux et éventuellement en changer.

Les modèles mentaux qui servent de support à la compréhension et à la pensée ne sont pas nécessairement imagés, notamment lorsque les notions en jeu sont abstraites. On a mis en évidence que "la compréhension de phrases concrètes était retardée lorsqu'une interférence visuelle était introduite dans le cours de la tâche. En revanche, la compréhension de phrases abstraites est davantage gênée par une interférence de nature auditive[14]. Ce qui signifie que l'activité d'imagerie et la compréhension d’une phrase sont assez étroitement liées lorsque le matériel verbal est concret. Toujours dans le même sens, on a constaté que l’interprétation d’un dessin était plus rapide que celle d'un nom écrit. En revanche, il semble que l’interprétation d'énoncés abstraits ne mette pas en jeu le système d’imagerie mentale des sujets. Tous ces résultats sont variables suivant les styles cognitifs des individus et ne reflètent que des tendances statistiques.

Le langage comme technique de projection d’hyper-films

Une fois admis le rôle clé de l'activation de modèles mentaux dans la compréhension des énoncés linguistiques, on peut définir le langage comme un instrument servant à déclencher la construction ou l’activation de modèles mentaux. Sous le rapport d'une certaine communication fonctionnelle, le langage est un intermédiaire entre les modèles mentaux du locuteur et ceux de l’émetteur. La prise de parole est une tentative pour susciter l'activation ou la modification de modèles mentaux dans l’esprit de l'autre.

Lorsque l'on a affaire à un thème concret, le langage peut être assimilé à une technique pour déclencher la projection de certains films dans la tête des récepteurs. Dans le cas de thèmes moins concrets, le langage est alors un projecteur d'hyper-films se jouant dans des espaces abstraits. L'abstraction renvoie ici à la multitude d'instanciations concrètes possibles. De même qu'un modèle abstrait admet plusieurs versions imagées "réalistes”, un hyper-film n’est pas un film de "représentations abstraites" mais une matrice de films concrets possibles. Nous faisons l'hypothèse que, moyennant certaines conventions, les hyper-films correspondant à l'activation de modèles mentaux peuvent toujours avoir une traduction spatio-temporelle, sinon figurative. Les matrices de films possibles peuvent elles-mêmes se représenter sous forme imagée (diagrammes, schémas, réseaux, interaction d'idéogrammes ou de symboles divers, etc.)

On n'est jamais sûr d'avoir transmis le bon film. Car ce n'est ni le modèle ni l'image que l'on transmet, mais des énoncés linguistiques qui devront faire l’objet d’une activité cognitive complexe pour être compris. Or à la plupart des séquences linguistiques correspondent une infinité de modèles interprétatifs possibles. L’histoire du récepteur, sa situation actuelle, ses préoccupations, la connaissance qu’il a des intérêts et des antécédents de l'émetteur vont jouer un rôle capital dans l'établissement d'un lien entre un énoncé et un modèle mental.

L'idéographie dynamique comme alternative au langage phonétique pour la transmission et la manipulation d'hyper-films.

Dans la plupart des cas, la communication par le langage phonétique est extraordinairement rapide et efficace. Mais le verbe n'est pas un but en soi, son rôle est d'activer un modèle mental ou une image dans la tête de l'auditeur... Puisque, sous un certain rapport, le langage est une technique servant à déclencher la projection d'hyper-films dans les esprits et puisque, d'autre part, on est jamais sûr d'avoir activé les bons modèles mentaux, pourquoi ne pas transmettre directement le modèle, sans passer par les mots? Chacun sait qu’un bon schéma vaut mieux qu’un long discours. Mais attention, les images fournies par le diagramme, le plan, la photo, le dessin, etc. sont des instrument utiles pour la communication de modèles simples. Dès que le modèle met en jeu plusieurs entités en interaction dynamique ou décrit une réalité en transformation rapide, l'image fixe est inadéquate.

L’image animée séquentielle (le film classique) n'a pas le caractère hypothétique et plastique du modèle mental, elle manque de cette capacité de jeu qui permet au modèle mental de révéler tantôt une de ses faces, tantôt une autre. Après d'autres techniques de modélisation et de simulation par ordinateur, l'idéographie dynamique propose un outil de construction et de consultation d'hyper-films qui permettrait de transmettre et de manipuler directement les modèles, en supprimant l'étape intermédiaire du langage phonétique. Communiquer au moyen de l'idéographie dynamique permettrait de réduire la part d'indétermination qui handicape parfois la communication fonctionnelle. C'est essentiellement le langage phonétique écrit qui nous semble pouvoir être remplacé partiellement, dans certaines circonstances, par un langage à base d'images interactives. L’idéographie dynamique permettra d'exprimer une pensée complexe au plus près d'un schématisme spatio-temporel fondamental, sans passer par la médiation du langage phonétique et notamment lorsque celui-ci risque d'induire en erreur ou de manquer de précision. Nous cherchons ici à dégager la possibilité théorique d'un pur langage d'images, cela ne signifie pas du tout que nous préconisons l'usage séparé de ce langage, sans interaction avec la communication orale et l'écriture alphabétique. Il est bien entendu que, dans la pratique, les deux types de langages (phonétique et imagé) pourront évidemment s'articuler: voix off commentant certaines interactions entre idéogrammes, idéogrammes parlants, mais aussi commentaires et discussions verbales sur des modèles exprimés dans l'idéographie dynamique...

En tant que technologie intellectuelle, l'ID peut être comparée à l'appareil indissolublement conceptuel et sémiotique des mathématiques, qui propose lui aussi une alternative à la communication par le langage naturel et vise à une modélisation plus directe de certains aspects de la réalité.

Éléments de pragmatique de l'idéographie dynamique.

Quels nouveaux codes narratifs (voir la naissance du cinéma), quelles nouvelles rhétoriques pourraient se développer avec l'usage de l'idéographie dynamique? Dans quelques années, nous disposerons d'enquêtes portant sur des milliers d'utilisateurs et sur les traditions narratives qui se sont stabilisées dans différents domaines d'application. En 1990, nous n'en sommes pas tout à fait encore là. Voici cependant une ou deux idées sur la pragmatique de l'ID.

On adopte ici l'hypothèse que l'ID sera utilisée dans un contexte de recherche, de formation, de prise de décision collective, de conduite de projets, de planification et de "gestion de la complexité" en général.

  • a) Énonciation et argumentation

Principe: émettre une (nouvelle) proposition revient à confirmer, préciser ou modifier l'image d'un domaine ou d'une situation pour une communauté restreinte (qui partage approximativement la même image). Élaborer une (nouvelle) proposition au moyen de l'idéographie dynamique, c'est donc essentiellement modifier "l'écologie des objets" modélisant un domaine. Cette élaboration passe par:

  • La suppression d'un ou plusieurs idéogrammes-objets.
  • La création d'un ou plusieurs idéogrammes-objets. Cette création peut se faire ex nihilo ou par aggrégation de plusieurs autres objets, pour permettre de passer à un niveau d'abstraction ou à une échelle supérieure.
  • La désagrégation d'un idéogramme-objet en ses composantes, qui peuvent être affectées à la constitution de nouvelles "boîtes noires" ou rendues à leur liberté.
  • La modification d'un ou plusieurs objets: création ou suppression d'attributs, affectation de nouvelles valeurs à certains attributs, définition de nouveaux messages à envoyer, définition de nouvelles sensibilités aux messages reçus, modification des règles régissant les champs d'action...).

La proposition elle-même peut prendre la forme du film de la modification du modèle. Comme cette modification se fait de manière très visuelle, au moyen d'idéogrammes-outils, on comprend tout de suite de quoi il s'agit.

On peut également illustrer la modification du modèle par la mise côte à côte de l'ancien réseau sémantique (où chaque nœud est un idéogramme) et du nouveau. On verrait tout de suite, par exemple, qu'un prototype a de nouvelles extensions...

L'argumentation de la proposition passe par une démonstration (au sens infographique et non logico-mathématique!) du fonctionnement du nouveau modèle. La démo/simulation met en valeur les effets pertinents de la proposition, c'est-à-dire les améliorations apportées au modèle. Cette démo prend l'allure d’un petit dessin animé ou l'on voit interagir les idéogrammes.

Les contre-arguments passent par la démo/simulation des effets indésirables ou non pertinents de la proposition.

  • b) Les présentations

Dans l'entreprise, en matière de recherche scientifique ou dans un contexte de formation ou d'enseignement, on peut aussi utiliser l'ID comme support de présentation pour des publics qui ne connaissent pas le domaine en question. Le public échapperait ainsi aux sempiternels rectangles reliés par des flèches. Au lieu de représenter une action par un signe statique, on pourrait mettre directement en scène le mouvement, et faire mieux sentir à l'auditoire les enchaînements de causes et d'effets. On imagine le présentateur répondant à la question ou à l'objection d'un spectateur: "Et que se passerait-il si..." Il répondrait en simulant tout de suite l'hypothèse qui vient d'être proposée... ce qui n'est évidemment pas possible s'il ne dispose que d'un petit nombre de transparents ou d'écrans statiques préparés à l'avance. En situation de formation ou d’enseignement, l'étudiant pourrait, après la présentation, explorer lui-même le modèle proposé.

UNE GRAMMAIRE COGNITIVE POUR L'IDÉOGRAPHIE DYNAMIQUE

Il ressort du chapitre précédent que l'idéographie dynamique peut être considérée comme un médium de communication alternatif au langage phonétique. Trois questions se posent immédiatement au sujet d'un langage de modèles figurés par des images, que nous désignerons dorénavant par l'expression abrégée: langage d'images.

  1. Un langage d'images est-il réellement possible, et en particulier peut-il avoir une grammaire?
  2. Si oui, à quoi la grammaire d'un langage d'images ressemble-t-elle et comment instancier cette grammaire dans un logiciel?
  3. Dans quels cas serait-il plus intéressant d'utiliser un langage d'images (l'idéographie dynamique), plutôt que la combinaison habituelle d'écriture phonétique et d'images fixes? En effet, aucun mode de représentation n'est absolument "bon" mais doit toujours s'évaluer en fonction d'un usage ou d'un projet

A notre avis, il est encore trop tôt en 1990 pour répondre à la troisième question. Il nous semble qu'il faudrait préalablement avoir expérimenté diverses versions de l'ID dans plusieurs domaines de connaissance différents. Autrement dit, la détermination des zones de pertinence de l'ID est un problème empirique, qui ne peut se trancher tant qu'aucun répertoire d'idéogrammes n'a été élaboré et testé par des utilisateurs.

En revanche, les questions concernant la possibilité d'une grammaire pour un langage d'images et l'éventuelle instanciation de cette grammaire dans un logiciel peuvent recevoir un début de réponse sur un plan théorique. Nous n'allons pas livrer ici la grammaire complète de l'ID mais, en nous appuyant essentiellement sur les travaux de Ronald Langacker, nous allons montrer qu'aucun obstacle théorique ne s'oppose à ce qu'on en construise une. Nous suggérerons ensuite certaines de ses caractéristiques.

La grammaire comme répertoire de motifs iconiques

Pour Ronald Langacker, la signification d'un énoncé linguistique ne s'identifie pas à ses conditions de vérité mais au processus cognitif réel nécessaire pour le comprendre ou le formuler. Corrélativement à cette approche psychologique et cognitive de la sémantique (opposée à une approche objectiviste et formaliste), le linguiste californien propose une théorie de la grammaire originale. La syntaxe ne serait pas un aspect algorithmico-formel du langage, coupé de la sémantique, ce serait au contraire un des médiums de symbolisation que le langage met à notre disposition, au même titre par exemple que le lexique. La grammaire serait fondamentalement de nature symbolique, c'est à dire qu'elle traduirait le processus cognitif de l'énonciateur et orienterait celui de l'interprète. Nous adoptons dans la suite de ce texte la théorie cognitive de la grammaire proposée par Langacker.

La grammaire sert à structurer et à symboliser un contenu conceptuel, c'est à dire un modèle mental. Il devrait donc être possible, selon Ronald Langacker, de traduire toute grammaire en un ensemble de procédés de mise en scène visuelle. Utiliser une construction grammaticale donnée, ce serait sélectionner une image particulière pour modéliser une situation.

C'est pourquoi la grammaire peut être considérée comme un répertoire de schémas et de motifs symboliques. Elle fournit à l'énonciateur un certain nombre de formats ou de patterns préétablis qui sont comme autant de "fonctions logicielles" (en fait des routines cognitives) que la langue met à la disposition de ses usagers. La grammaire des langues naturelles nous offre toute une panoplie d'images différentes pour décrire la même scène, et l'on peut passer facilement de l'une à l'autre. "La lampe au dessus de la table"(6) fait ressortir plutôt la lampe. "La table sous la lampe"(7) détache la figure de la table. "La lampe est sous la table"(8) suggère l'extension dans le temps de la relation spatiale entre la lampe et la table. Les expressions (6), (7) et (8) désignent exactement le même état de choses mais elles ne correspondent pas à la même imagerie mentale, au même processus cognitif d'interprétation. Chaque construction grammaticale fait ressortir une figure particulière sur le fond commun de la situation décrite.

Niveau opérationnel et niveau cognitif

Si le rôle de la grammaire est de contribuer à aiguiller les interprètes des énoncés vers certaines images mentales et non d'autres, rien ne s'oppose à ce qu'un langage d'images ait une grammaire. Cette grammaire est un répertoire systématique des différents procédés disponibles pour mettre en scène un même modèle fondamental.

Étant donné un domaine de connaissance, il existe plusieurs modèles fondamentaux de ce domaine, incompatibles entre eux, et dont les simulations donneraient des résultats différents. Les divergences entre modèles fondamentaux se situent à un niveau opérationnel.

Un même modèle fondamental peut être figuré de cent façons différentes, toutes équivalentes sur un plan opérationnel, mais divergentes au niveau cognitif. La grammaire, c'est-à-dire répétons-le l'inventaire des moyens de mise en scène des modèles, aide les énonciateurs à gérer et à exprimer les divergences cognitives au sein d'un même modèle opérationnel. Faudra-t-il représenter tel aspect d'un domaine de connaissance par un idéogramme, par un champ d'action, par l'interaction de plusieurs idéogrammes, etc.? Le choix de la forme grammaticale d'un répertoire d'idéogrammes par une équipe d’ingénierie de la connaissance sera largement une affaire de sensibilité, d'esthétique, et d'écoute fine des processus cognitifs des différents acteurs d'un domaine.

Les catégories grammaticales de l'idéographie dynamique (idéogrammes, champs d'action, mouvements et transformations divers) et les effets de mise en scène cognitivement significatifs correspondront à des fonctions logicielles particulières du générateur d'idéogrammes. La richesse syntaxique de l'idéographie dynamique sera directement proportionnelle au nombre d'outils conviviaux d'aide à la mise en scène et à la quantité de routines d’expression préprogrammées mises à la disposition des utilisateurs.

Le problème de la grammaticalité des expressions

L’image mentale construite par l'interprète d'un énoncé peut se décomposer en sous-structures ou traits figuratifs distincts. Une construction grammaticale décide de la saillance relative et de l'ordre d’apparition des sous-structures de la situation évoquée par l'énoncé. Les jugements sur les phrases bien ou mal formées reposent en fait sur l'interaction plus ou moins harmonieuse et la compatibilité des traits figuratifs et des images. Ils sont également influencés par des changements subtils dans le contexte, le sens visé ou la manière d'interpréter une situation.

Il n'y a donc pas de limites nettes et définitives entre les expressions bien ou mal formées mais au contraire toute une série de degrés, un continuum de correction grammaticale. Tout cela découle naturellement de ce que la syntaxe du langage phonétique naturel se caractérise d'abord par sa fonction sémantique et n'est pas un système formel autonome.

L'ID ne doit pas tourner au système formel à la syntaxe rigide sous prétexte que son support est informatique. Un véritable langage d'images doit être naturel, c'est-à-dire proche du processus cognitif réel. Comme dans le langage phonétique, aucune expression ne sera donc interdite par le générateur d'idéogrammes. Cela ne signifie évidemment pas que n'importe quelle expression puisse avoir un sens, ni que la correction grammaticale ne soit pas requise des énonciateurs qui s'exprimeront dans l'idéographie dynamique. Une expression sera grammaticalement correcte selon que son énonciateur aura fait preuve de plus ou moins de sensibilité, d'à propos et de cohérence.

Les règles grammaticales, indicatives plutôt qu'impératives, pourraient être instanciées par des fonctions de test (paramétrables par l'utilisateur) pour vérifier la cohérence cognitive des modèles.

Domaines cognitifs et hyper-espaces conceptuels.

Il est impossible de séparer un concept quelconque de son contexte ou de son domaine cognitif. Par exemple "hypothénuse" n'a de sens que dans le domaine cognitif "triangle rectangle", "bras" est un domaine cognitif pour "coude". "Bout" présuppose la conception d'un objet allongé. La compréhension du concept "avril" demande qu'on ait une représentation du cycle calendaire annuel. En général, toute prédication est relative à un domaine cognitif. Un domaine est un espace de représentation ou un "champ de potentiel" conceptuel, qui devrait toujours (moyennant codage) pouvoir se représenter sur un écran.

Langacker suppose qu’il existe quelques domaines fondamentaux, cognitivement irréductibles. Ce sont ces domaines fondamentaux qui occupent sans doute le plus bas niveau dans la hiérarchie conceptuelle. Par exemple l'expérience du temps comme succession, l'espace bi et tri-dimensionnel, les espaces des couleurs, des hauteurs sonores, des températures, etc.

Mais la plupart des expressions linguistiques ne se réfèrent pas à des domaines fondamentaux, elles correspondent à des niveaux d'organisation conceptuelle plus élevés. Et surtout, la plupart des prédications font appel à plusieurs domaines cognitifs.

Si nous prenons l'exemple du nom "couteau", il évoque la forme prototypique du couteau dans le domaine des formes, l’objet couteau dans le domaine cognitif du processus de découpage, une région bien particulière du domaine des "couverts", etc. Le nombre de domaines cognitifs suscités par l'interprétation d'un mot est potentiellement infini.

Bien entendu, dans une occurrence particulière d'un mot, seulement un ou quelques domaines sont véritablement centraux pour l'interprétation d'un énoncé. La centralité d'un domaine peut se définir comme la probabilité de son activation à l'occasion de l'interprétation d'une expression.

Ce qui est spécifié dans un domaine peut être utilisé dans d'autres, par exemple la spécification de la forme dans le domaine spatial (la forme manche/lame du couteau) peut être réemployée dans un domaine fonctionnel (le processus de découpage). Les domaines qui entrent en jeu pour l’interprétation d'une expression sont donc reliés les uns aux autres, inter-dépendants. On peut donc parler d'une structure hyper-textuelle ou hyper-spatiale du sens.

En ce qui concerne l’idéographie dynamique, cela signifie qu’un domaine de connaissance au sens large (un répertoire d’idéogrammes) se déploiera nécessairement dans plusieurs domaines cognitifs interreliés. Il faudra donc prévoir des outils de construction de matrices complexes ou d’hyper-espaces. Pour limiter l'explosion hypertextuelle, l'ingénierie de la connaissance s'attachera à déterminer les espaces de représentation centraux d'un domaine de connaissance, en fonction des objectifs et des intérêts des utilisateurs.

Toujours dans la même optique, il faudrait doter le logiciel de consultation de l'idéographie dynamique d'outils de déplacements dans l’hyper-espace conceptuel. Un des axes de déplacement correspondrait à un changement d'échelle ou de niveau de détail au sein du même espace cognitif. Pour emprunter cet axe, on utiliserait des instruments de zoom et de contre-zoom.

Les idéogrammes et leurs champs d'action ne pourraient évidemment interagir que s'ils se trouvent dans le même espace cognitif et à la même échelle.

Les catégries grammaticales dans le langage phonétique et l'équivalent dans l'idéographe dynamique

Le nom:

Un nom désigne une chose. Il provoque l'image mentale d'une région, éventuellement close, dans un domaine. Dans l'idéographie dynamique, le nom correspondrait donc à un idéogramme (à un objet) et à certains aspects de son champ d'action (lorsque l'action consiste précisément à occuper ou annexer une portion de l'écran et de ce qui s'y trouve).

Les expressions relationnelles en général:

Une prédication relationnelle (utilisant des verbes, adverbes, prépositions, etc.) déclenche l'image mentale d'interconnexions entre entitées conçues. Les entités en question sont des choses, des rapports, des frontières, des points sur une échelle, etc... Langacker définit l'interconnexion comme une opération cognitive évaluant la position relative d'entités. L'évaluation porte sur quatre types fondamentaux de relations:

1. L'inclusion [E] 2. La coïncidence [=] 3. La séparation [≠] 4. La proximité [«]

L'inclusion peut se traduire dans l'idéographie dynamique par l'intégration à titre de sous-module dans un objet (cf. dans le ch. 2, la possibilité de construire des macro-objets par assemblage d'objets). Elle peut se traduire aussi par l'appartenance à une zone que délimite un champ d'action.

  • La coïncidence se traduit évidemment par l'occupation de la même portion de l'écran.
  • La séparation se traduira par la décomposition d’un objet ou la sortie d'un champ d'action.
  • La proximité se traduira par l'inclusion dans un champ d'action.

Les évaluations d'inclusion, de coïncidence, de séparation et de proximité peuvent ne pas porter directement sur les idéogrammes et leur champs d'action mais sur des facettes particulières ou des relations entre entités. Par exemple, le jugement de coïncidence peut port«' sur la hauteur à l'écran de deux idéogrammes (dans ce cas ce sont les dimensions verticales définissant la position des idéogrammes qui coïncident et non les idéogrammes eux-mêmes). La proximité peut porter sur des mesures de distance entre idéogrammes et non sur les idéogrammes eux-mêmes, etc.

Relations atemporelles: adjectifs, adverbes, prépositions

Ces catégories grammaticales auraient comme traduction à l'écran l’aspect statique des relations entre idéogrammes et champs d'action, mais aussi leurs couleurs et leurs tailles, ainsi que les relations exprimées par les graphiques, échelles, diagrammes, et autres configurations fixes.

Relations temporelles: les verbes

Un verbe suscite la représentation d’une séquence de configurations relationnelles, c'est-à-dire d'un mouvement Un verbe évoque le passage du temps, il déclenche chez l'interprète d'un énoncé la conception d'un processus.

Comme chacun sait, une phrase complète doit normalement contenir un verbe. La rôle du verbe est d'«animer» la représentation suggérée par la proposition. Une phrase correcte suscite donc toujours chez son interprète la figuration d'un processus, une image dynamique, un "film". S'il ne peut y avoir de phrases sans verbes, peut-être est-ce parce que nous n'avons le sentiment de complétude intellectuelle que lorsque nous nous sommes représenté un mouvement. C'est pourquoi il ne pouvait pas y avoir de langages d'images avant l'existence du support informatique, qui seul permet d’interagir avec une image dynamique. Dans l'idéographie dynamique, l'équivalent de la catégorie grammaticale "verbe" du langage phonétique sera donc l'ensemble des mouvements perceptibles à l'écran.

Les mouvements pourront toujours se ramener à l'apparition, à la disparition et aux passages de l'une à l'autre des quatre relations fondamentales (de la proximité à la séparation, de la séparation à l'inclusion, etc.). Les mouvements se rapporteront soit aux idéogrammes eux-mêmes soit aux paramètres qui les définissent à un moment donné (couleur, coordonnées de position, taille, etc.).

Le rapport sujet-objet

La détermination des idéogrammes et champs d'action qui bougent par opposition à ceux qui restent immobiles correspond au choix du terme sujet et du terme objet dans une phrase.

Selon Langacker, tous les noms se traduisent d'un point de vue cognitif par la délimitation d'une région dans un domaine et toutes les expressions relationnelles par une combinaison des quatre évaluations fondamentales ([E], [=], [≠], [«]) sur des rapports entre entités. On remarquera que les opérations cognitives de base déclenchées par l'occurrence de catégories grammaticales dans le discours sont toutes de nature spatiale et topologique. Les travaux de Ronald Langacker rejoignent ainsi les spéculations de René Thom selon qui tout domaine de connaissance (ou ontologie intelligible) peut se représenter sous la forme de saillances (occupant une région de l'espace) et de prégnances (flux ou messages émis et captés par des saillances). La convergence entre Thom et Langacker (qui semblent s'ignorer et dont les travaux appartiennent à des traditions de recherche très différentes) renforce notre conviction qu'un langage d'image d'orientation topologique, analogique et continuiste peut être construit.

Notes

  1. Quoiqu'il en soit de la traduction française de l'anglais language, les écritures de programmation ne sont ni des langages, ni des langues.
  2. Bien qu’elle ne se prononce pas sur le problème du sens, la lignée Piaget-Papert-LOGO appartient à cette tradition constructiviste à plus d'un titre.
  3. Quoiqu'à notre avis, les critiques connexionnistes de la notion de schéma soient souvent pertinentes, il n'en reste pas moins que le schéma peut encore être considéré comme une approximation utile (et opératoire dans le cas qui nous occupe) d'une réalité psychique sans doute moins formelle, moins figée et plus complexe. Voir McClelland, J.L Rumelhart, D.E. (sous la direction de) Parallel Distributed Processing. Explorations in the Microstructures of Cognition, (en deux volumes) MIT Press. Cambridge, Mass. & London, England. 1986.
  4. Le développement qui suit est inspiré de: Smolensky, P. Fox, B. King, R. Lewis, C. "Computer Aided Reasonned Discourse or, How to argue with a computer." in Cognitive science and its Aplications For Human-Computer Interaction. (Ed Guindon, R.) Laurence Erlbaum, Hillsdale, NJ, 1988. pp. 125 -127.
  5. Voir Anderson, John R. Cognitive psychology and its implications deuxième édition Freeman, New York, 1985. p. 95.
  6. —Guindon, R. & Kintsch, W. "Priming Macroproposition: Evidence for the primacy of macropropositions in the memory for text". Journal of verbal Learning and verbal behavior. 23(4) 508-518 (1984)
    —van Dijk, T. A. & Kintsh, W. Strategies of discourse compréhension. Academic, New york, 1983.
  7. Thom, René Esquisse d'une sémiophysique. Physique aristotélicienne et théorie des catastrophes. InterEditions Paris 1988.
  8. L'imagerie mentale est un important élément de l'imagination. L’idéographie dynamique étant une aide directe à l’imagerie mentale, c’est une aide indirecte à l’imagination.
  9. Michel Denis, Image et cognition, PUF, Paris, 1989, p. 224
  10. Michel Denis, Image et cognition, PUF, Paris, 1989, p. 233
  11. Voir Tufte, Edward R., The visual Display of Quantitative Information, Graphics Press, Box 430, Cheshire, Connecticut, 06410 USA, 1987
  12. Michel Denis, Image et cognition, PUF, Paris, 1989.
  13. La représentation du sens d'un énoncé ou son interprétation met évidemment en jeu la mémoire sensorielle, kinesthésique et affective du sujet, son corps, son histoire, sa situation et ses projets. Tout cela concourt à la construction d’un modèle mental, sans s'y épuiser ni s'y réduire. Néanmoins, pour la discussion en cours, nous pouvons simplifier le processus de dotation de sens et le réduire, avec Philip Johnson Laird, à l'établissement d'un lien entre un modèle mental et un énoncé à interpréter. Notre objectif n'est pas de traiter le problème du sens dans toute sa complexité mais seulement sa dimension cognitive dans la communication fonctionnelle. On trouvera une autre définition du sens par l'auteur de ces lignes dans Les trois temps de l'esprit, La Découverte, 1990
  14. Michel Denis, Image et cognition, PUF, Paris, 1989

ANNEXE

Quelques exemples de ce qui se fait dans les domaines voisins de l'idéographie dynamique

simulation/modélisation

Ilexiste déjà en chimie un bon nombre de systèmes qui permettent aux chercheurs d'assembler à l'écran sur un mode interactif des atomes ou des molécules-objets pour observer des réactions ou construire des macro-molécules. Une part croissante de la recherche pharmaceutique est faite de cette manière. On peut citer comme exemple le système DARC mis au point par Jacques Emile Dubois, professeur à Paris 7.

Jeu

Le Pinball Construction Set, sur Mac, est un jeu de flipper interactif qui autorise l'utilisateur à construire son propre flipper. L'interaction est entièrement graphique. Le joueur dispose d'une zone de travail représentant l'espace dans lequel évoluera la balle, à laquelle il peut donner la forme et les dimensions voulues (dans la limite de l'écran). Il peut ensuite choisir dans une bibliothèque les divers éléments, flippers, bumpers, et les mettre en place à sa guise. Ces éléments sont tous des images/objets actifs comme dans notre projet. Le jeu est utilisé comme méthode d'apprentissage de la programmation objet.

Pilotage/commande par idéographie dynamique

A la suite de recherches militaires, un pilote d'avion de combat équipé de lunettes spéciales peut déjà déclencher des actions (manœuvres rapides en combat, tir de missiles, ...) en associant des icônes adéquates sur son tableau de bord/écran numérique.

Dans le domaine de la formation ...

Steamer a été conçu par le centre de recherche et développement des personnels de la marine américaine. Ce système enseigne aux jeunes recrues affectées aux machines des bateaux le fonctionnement d'une centrale à vapeur. L'utilisateur peut construire des maquettes à l'aide d'icônes représentant des pompes, des tuyaux, etc. et tester leur fonctionnement, grâce au simulateur. Steamer permet un contrôle total de la machinerie (ou plutôt de son modèle) à divers niveaux hiérarchiques. Il est possible de "personnaliser l'interface", c'est-à-dire de rapprocher la représentation à l’écran du modèle mental que l'apprenant s'est construit. L'aprentissage ressemble à celui du pilote sur son simulateur. Le mécano serait quasi

programmation à base d'images

Rappelons qu'un des principaux avantages de la programmation à base d'images est qu’il permet d'éviter de nombreuses erreurs de syntaxe, puisqu'on n'a plus à apprendre un code ésotérique. On se souvient plus facilement de ce qu’il faut faire pour accomplir une action (détruire un fichier, par exemple) parce que cela ressemble à ce qui se fait dans la réalité. Dans le fïnder du Mac, il suffit de jeter l'icône du fichier dans l'icône de la poubelle. Désigner une action à exécuter en associant des symboles est une fonction typique d'un langage de programmation.

L’association entre représentation icônique et programmation objet conduit à la notion de "boîte à outils logiciels" déjà explorée en génie logiciel. On pourra facilement modifier une application en ajoutant un objet ou en remplaçant un module par un autre. De ce fait, il y aura de moins en moins de différence entre le concepteur et l'utilisateur, ou plutôt il s'instal-lera une sorte de continuum, comme le suggèrent déjà les niveaux d'utilisation possibles d'Hypercard...

On peut diviser les langages de programmation visuels en deux catégories:

  1. ) Les langages de programmation habillés par des images ne sont pas intrinsèquement visuels mais ont des représentations visuelles surimposées. Ce sont en fait des langages traditionnels avec une interface visuelle ou une aide au génie logiciel incorporée.
  2. ) Les langages de programmation intrinsèquement visuels essayent de développer de nouveaux paradigmes de programmation dont les expressions sont naturellement visuelles et pour lesquelles il ne saurait y avoir d'équivalent textuel. La représentation visuelle de l'exécution d'un programme résulte de la définition/construction du programme lui-même.

On trouvera ci-dessous quelques exemples de langages de programmation intrinsèquement visuels (qu'il ne faut pas confondre avec de véritables langages d'images tels que nous les avons décrits plus haut)

Lab View, conçu par National Instrument pour Macintosh, permet de programmer des applications de traitement du signal (sonore) en associant des icônes. On fait des liaisons de sous-programmes avec une icône représentant un rouleau de fil électrique. On peut aussi programmer à un niveau beaucoup plus fin que les sous-programmes, mais toujours à l'aide d'icônes (représentant des fonctions arithmétiques et logiques, des boucles récursives, etc...)

Hook up est un langage de programmation graphique en cours de développement sur Macintosh au MIT, dans l'équipe de David Levitt. Ce langage permet à l'utilisateur de manipuler des données et des procédures élémentaires. L'interface présente une zone de travail occupant la quasi-totalité de l'écran, destinée à reçevoir les icônes choisies dans une bibliothèque visble sur une autre partie de l'écran. Cette dernière comprend des fonctions, des opérateurs arithmétiques et logiques, etc.

ThinkPad permet de faire de la programmation "en montrant", programmation dite ostensive: on manipule sur l'écran une représentation graphique des données, montrant ainsi à l'ordinateur ce que doit faire le programme. Pictorial transformation est aussi un langage de programmation visuel et "ostensif". Le programmeur doit d'abord concevoir une représentation visuelle de ses données, puis il doit les manipuler de manière graphique pour développer des algorithmes. Pictorial transformation utilise la métaphore de la production de film: une "image" est une collection d'objets graphiques, "un film" (équivalent d'une procédure ou d'un programme) est une séquence de manipulations sur une image. Un programmeur sélectionne une "image" de départ puis effectue dessus des "transformations pictographiques". Le processus est enregistré sous la forme d'un ou plusieurs "films".

Rehearsal World utilise la métaphore du théâtre. Les composants de base, appelés des acteurs, interagissent les uns avec les autres sur une scène (l'écran) en s'envoyant des messages. Les acteurs jouent ce que l'utilisateur leur a indiqué pour un spectacle particulier (un programme). Rehearsal World met à la disposition du programmeur un certain nombre d'acteurs et de messages élémentaires, ce qui correspond à l'intégration de segments de code dans l'interface elle-même.

BIBLIOGRAPHIE POUR DES RECHERCHES SUR L'IDÉOGRAPHIE DYNAMIQUE

Sur la cognition et le problème de la modélisation

ANDERSON, John, R., Cognitive Psychology and its Implications (deuxième edition), W.H.

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JOHNSON-LAIRD, P.N., Mental Models, Harvard University Press, Cambridge, Mass., 1983 LANGACKER, Ronald W. "An Introduction to Cognitive Grammar", Cognitive Science, 10,1-40,1986

LANGACKER, Ronald W., Foundations of Cognitive Grammar. Vol 1. Théoretical prerequisites, Stanford, 1987 LÉVY, Pierre La machine Univers. Création, cognition et culture informatique, La Découverte, Paris, 1987 LÉVY, Pierre, Les trois temps de l'esprit. Oralité, écriture et informatique, à paraître à La Découverte, Paris 1990 MINSKY, Marvin, La société de l'esprit, Inter Editions, Paris, 1988 PEUTOT, Jean, Morphogénese du Sens, PUF, Paris, 1985

STILLINGS, N et Al. Cognitive Science, An Introduction, MIT Press, Cambridge, Mass., 1987 THOM, René, Esquisse d'une sémiophysique. Physique Aristotélicienne et Théorie des catastrophe, Inter Editions, Paris, 1988

Sur l'interface homme-machine

BOLT, Richard, A., The human interface, Lifetime Learning Publication, Belmont, 1986 GUINDON, R. (sous la direction de) Cognitive Science And Its Application For Human-Computer Interaction. Laurence Erlbaum, Hillsdale, New Jersey, 1988 SUCHMAN, Lucy A, Plans and Situated actions, The problem of Human/machine Communication, Intelligent Systems Laboratory, Xerox Palo Alto Research Center, Cambridge U. P., 1987

Sur la programmation par objets

BYTE, Mars 1989, Dossier: Object Oriented Programming (contient une bibliographie, en particulier sur la programmation en Smalltalk et en C++)

COX, B. J., Object Oriented Programming, The MIT Press, 1986

SHRIVER, Bruce, and WEGNER, Peter, eds. Research Directions in Object-Oriented Programming, The MIT Press, Cambridge, Mass., 1987 The Object-Oriented Programming, Systems, Langages and Applications (OOPSLA) '88 Conference proceedings, The Association of Computing Machinery (11 West 42nd St., New York NY 10036)

YONEZAWA & TOKORO, Ed. Concurrent Object Oriented Programming, MIT Press, 1986

Sur les langages de programmation visuels

AMBLER, A. et BURNETT, M., "Influence of visual Technology on the Evolution of Language Environments", Computer Octobre 1989, pp. 9-22 HSIA, Y. T. et AMBLER, A., "Programming through Pictorial Transformations", Proc 1988 IEEE Int’l Conf. Computer Languages, Oct 1988, CS Press, Los Alamitos, Californie,(Order No FJ874), pp. 10-16. KIMURA, T. D., CHOI, J. W. et MACK, J. M., "Show and Tell: A visual Programming Language. In Visual Computing Environement, E. P. Glinert, ed., CS Press, Washington D.C., 1989

RUBIN, R. V., GOLIN, E. J. et REISS, S.P., "ThinkPad: A Graphical System for Programming by Demonstration". IEEE Software, Vol 2, No 2, Mars 1985, pp. 73-79 SEYDEN.Eric, "Programmer par l’image", Décision informatique, 28 septembre 1987.

SHU, N. C. Visual Programming, Van Nostrand Reinhold Co., New York, 1988 SMITH, D. N., "Visual Programming in the Interface Construction Set" Proc 1988 IEEE (Workshop on Visual Language), CS Press, Los Alamitos, Californie, Oct 1988, pp. 109-120 (Order No. FX876).

SMITH, R. B., "The Alternate Reality Kit: An Environement for Creating Interactive Simulations" Proc 1988 IEEE Workshop on Visual Language, CS Press, Los Alamitos, Californie, Oct 1988 pp. 99-106 (Order No. FX722).

Sur les signes visuels

DIETHELM, Walter, Form + communication, Editions ABC, Zurich, 1984 FRUTIGER, Adrian Des signes et des hommes Editions Delta & Spes, Lausanne, 1983 GOMBRICH, Emst L'écologie des images Flammarion, Paris, 1982 KLEE, Paul Pedagogical Sketchbook, Faber & Faber, Londres, 1953

Sur les schémas, cartes et diagrammes

BERTIN, Jacques, La graphique et le traitement graphique de l’information, Flammarion, Paris, 1977

TUFTE, EDWARD R., The visual Display of Quantitative Information. Graphics Press, Box 430 Cheshire Connecticut 06410 USA, 1987 CARDMONE, T., Chart and Graph Preparation skills, Van Nostram Rheinhard, New York, 1981

Catalogues de symboles graphiques

DIETHELM, Walter, Emblème signal et symbole, Editions ABC, Zurich, 1970 DREYFUSS, Henry, Symbol Sourcebook, McGraw Hill Book Co., New York, 1972 MODLEY, Rudolph Handbook of pictorial symbols, Dover publications, Inc., New York, 1969

SHEPHERD, Walter, Shepherd’s Glossary of Graphic Signs and Symbols, J.M. & Sons Ltd., Londres, 1971

… davantage au sujet de « H2PTM (1989) Lévy »
Vers une idéographie dynamique : Éléments de théorie +