CIDE (2019) Le Deuff

De CIDE
Révision datée du 30 juin 2019 à 09:27 par imported>Jacques Ducloy (Introduction)

La fiche entre économie informationnelle et attentionnelle


 
 

 
titre
La fiche entre économie informationnelle et attentionnelle
auteurs
Olivier Le Deuff.
Affiliations
In
CIDE.21 (Djerba), 2019
En ligne (HAL) 
https://hal.archives-ouvertes.fr/sic_02093324
Résumé 
La fiche est ici étudiée sous ses aspects informationnels et de plus en plus attentionnels dans les interfaces numériques. En montrant son évolution historique puis sa transformation actuelle dans les réseaux sociaux notamment, il s'agit de se demander si la fiche peut encore présenter un intérêt en ce qui concerne l'organisation des connaissances au travers d'un projet de recherche en humanités digitales sur Paul Otlet.


Introduction

Outil reconnu en matière d’organisation des connaissances et de l’information, la fiche a connu différentes périodes depuis celles qui consistent à prendre des notes pour compiler les avoirs jusqu’aux formes actuelles en ligne qui en reprennent parfois les codes esthétiques ou pratiques. Reprenant la logique initiale des cartes à jouer, elle correspond à de nouveaux enjeux de manipulation qui concerne bien plus de nouveaux enjeux attentionnels qu’uniquement des questions informationnelles. Instrument précieux dans l’économie de l’information que ce soit dans les pratiques des compilateurs et bibliographes comme Conrad Gesner ou dans les instruments développés par Paul Otlet (Otlet, 1934), la fiche s’est vue peu à peu dépassée par des outils plus pratiques et puissants dans la lignée des bases de données qui ont succédé aux procédés mécanographiques. Il reste cependant des qualités visuelles à la fiche qui en font un outil désormais plus propice à des quêtes attentionnelles.

Nous présentons ici une série d’exemples qui montre la présence de la fiche sur les dispositifs en ligne tels les réseaux sociaux après avoir resitué l’utilisation de la fiche dans l’histoire.

Cet article cherche également à examiner les conditions de cette évolution en interrogeant notamment les enjeux pour les dispositifs qui cherchent à produire des éditions scientifiques augmentées pour parvenir obtenir un intérêt attentionnel pour prendre part au dispositif. Ces réflexions sont menées actuellement dans le cadre d’un projet de recherche en humanités digitales sur Paul Otlet.

Historique de la fiche

Objet pratique, la fiche est devenue un instrument d’études et de recherches qui reflète bien l’ensemble des perspectives proposées par son étymologie. Provenant du latin figere (« ficher, enfoncer, planter, fixer, percer, transpercer, traverser, clouer»), elle renvoie aux possibilités d’afficher et de suspendre. Plus tard, au XVIIe siècle, le verbe prendra une tournure plus vulgaire proche de « foutre », un sens dont les prérogatives actuelles nous montrent qu’il n’a pas totalement disparu. De façon plus amusante, Henri Lafontaine, le fidèle ami et collaborateur de Paul Otlet lui écrira en 1906 après dix années de travail commun autour de projets documentaires et bibliographiques : « Je me fiche des fiches. »1

L’instrument intellectuel

La fiche est un classique des systèmes de gestion d’information avec une évolution dans ses formats tant au niveau de la documentation personnelle qu’en ce qui concerne les organisations. Instrument de l’organisation des connaissances et support de l’activité scientifique, Jean-François Bert montre que la fiche a joué un rôle essentiel pendant des siècles avant l’informatique : « D’une redoutable efficacité, la fiche facilite les renvois, rend possible une lecture
fragmentaire, sert à multiplier les informations ponctuelles, à les compiler, à les commenter, à les
expliciter, à les vérifier et à les corriger, ou encore à les authentifier. Elle engage aussi la question de
la visualisation, et de la remémoration. Dans bien des cas, enfin, elle favorise l’inventivité et
encourage l’imagination, incitant même le savant à entrer dans l’écriture et dans l’envie de
transmettre au plus grand nombre le résultat de ses recherches. » (Bert, 2017) Cette histoire place la fiche comme un outil qui va du feuillet à la possibilité de manipulations accrues au sein de fichiers. La carte à jouer devient alors essentielle, elle est ainsi utilisée dans une forme intellectuelle alors qu’elle était initialement conçue comme une forme ludique. Elle devient ainsi instrument d’un jeu intellectuel qui consiste à pouvoir prendre des notes et à pouvoir reclasser selon les nécessités. Plébiscitées par les compilateurs comme Conrad Gesner (1516-1565) qui n’hésitaient à user des copier-coller au sens propre et qui considéraient que la valeur des fiches était telle qu’il fallait à tout prix songer d’abord à les préserver en cas d’incendie, les fiches vont trouver dans la carte à jouer un format propice. Cette technique connaît un succès viral, utilisé par le physicien et mathématicien Georges-
Louis Lesage (1724-1803) puis chez Rousseau, tandis que l’abbé Rozier (1734-1793) qui impulse un début de normalisation bibliographique avec sa Nouvelle table des