CIDE (2015) Adjiman

De CIDE

Qualifier et catégoriser les sons d’ambiance pour les indexer dans une sonothèque : axes de réflexion


 
 

 
Titre
Qualifier et catégoriser les sons d’ambiance pour les indexer dans une sonothèque : axes de réflexion
Titre (anglais) 
Qualify and categorize the sounds of atmosphere to index them in a sound library : lines of thought
Auteurs
Rémi Adjiman
Affiliation
Département SATIS, Université d’Aix-Marseille, Laboratoire ASTRAM, Université d’Aix-Marseille
In
CIDE'18 (Montpellier 2015)
En ligne
https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-01626388/document
Résumé
Depuis une trentaine d’années, les films cinématographiques ont vu leur bande sonore s’étoffer, se complexifier, se densifier. Au cours de cette évolution, les ambiances sonores sont devenues un élément central au même titre que l’étaient déjà les voix, les bruits et les musiques. L’objectif de cet article consiste à formaliser les réflexions et les résultats en cours au sujet de la démarche qui vise à qualifier et indexer ces sons d’ambiance dans une base de données consultable en ligne. Les réflexions menées ici s’intéressent principalement à mettre en évidence la complexité de cette démarche et la nécessaire prise en compte des professionnels intéressés par cette sonothèque, des pratiques professionnelles et des contextes dans lesquels ces sons sont ensuite recherchés.
Mots clés
Sound atmosphere, film cinématographique, qualification, indexation, base de données, méthodologie.

L’émergence des ambiances au cinéma

Cet article propose un premier niveau de réflexion sur une question peu abordée et innovante : comment indexer des sons d’ambiance dans une base de données ? Cette recherche trouve son cadre d’application dans le contexte bien particulier de la production de médias audiovisuels et plus spécifiquement celui de la post-production sonore et de la fabrication-création de la bande sonore dans une fiction cinématographique.

L’ambiance sonore pourrait être décrite comme l’ensemble des sons qui constituent un arrière-plan sonore, presque un second plan, et construisent un environnement sur lequel peuvent s’appuyer les autres sons, ceux, plus saillants comme les voix, les bruits et les musiques, destinés plus principalement à la progression du récit. Les principales ambiances sont celles des sons de la nature (le vent, la mer, la forêt, la pluie…) et celles des activités humaines (foule, circulation, transports, sons industriels, parc, école, plage, gare…).

L’évolution technologique des moyens de production et de post-production cinématographiques a permis de repousser les limites du possible. En quelques années, la chaine de fabrication du son au cinéma s’est profondément modifiée et la qualité de diffusion dans les salles s’est à la fois améliorée et généralisée.

A compter des années 70, puis continuellement au cours des décennies qui suivent, avec une accélération à partir de 1990, les caractéristiques techniques globales de la bande sonore au cinéma vont évoluer, de sa fabrication jusqu’à sa diffusion.

La dynamique sonore (c’est-à-dire la différence entre les niveaux sonores faibles et les niveaux sonores forts) actuelle et la clarté des mixages et des systèmes de diffusion autorisent de travailler sur un grand nombre de niveaux et différentes couches de son qui viennent qualifier les plans sonores et les différents cercles autour de l’écran, et ce avec beaucoup de subtilité. Chaque couche peut être écrite et décrite avec précision. Toutes les nuances deviennent maintenant possibles. Avec l’émergence des systèmes multicanal (qui concourent à réduire le masquage inter fréquentiel) et l’arrivée du son 3D[1], la course à l’immersion du spectateur rend sans cesse plus nécessaire encore l’utilisation des ambiances.

Toutes ces évolutions ont apporté des potentialités nouvelles qui sont souvent investies par un cinéma qui peut se voir comme un spectacle (Odin, 2000) et qui bombarde le spectateur d’images et de sons (Jullier, 1997 et 2011).

Au sein des différents « stems[2] » de la bande sonore, les ambiances ont pleinement profité de ce potentiel. Quasi inexistantes à l’origine du cinéma, elles exploitent maintenant toutes les possibilités que leur offre ces nouvelles conditions techniques et contribuent grandement à l’expression du film. Une grande partie du travail du monteur son consiste en la recréation d’ambiances, à partir de différentes couches de son « élémentaires ». Par association, ces strates sonores vont se combiner et permettre de constituer une nouvelle entité homogène et cohérente. Au moment du mixage, chacune des différentes couches comme – du plus lointain au plus proche – une rumeur urbaine lointaine, le bruissement du vent dans les feuilles, le chant d’un oiseau et les craquements de branches … pourra être, en présence du réalisateur, ajustée avec précision dans le mixage pour constituer un paysage sonore adapté au cadre et à la valeur de plan, mais surtout adapté à la situation narrative.


Objectif et premières approches

L’objectif final de ce travail – au terme de notre programme de recherche – consiste à formaliser une logique d’indexation des sons dans une sonothèque qui permette une classification de ces sons, dans la perspective d’une recherche efficace de ceux-ci par les monteurs son. Cette recherche pour être optimale doit dépasser le cadrage d’une description purement causale du son, c’est-à-dire une description qui s’en tienne exclusivement à l’origine acoustique de la production du son (tronçonneuse, chants d’oiseaux, rafales de vent…). La proposition doit donc permettre d’ouvrir les champs d’application, vers des propositions d’un usage plus créatif de ces sons, en allant au-delà des approches habituelles rencontrées au sein de la profession.

Des recherches assez analogues ont été réalisées depuis plus d’une vingtaine d’années dans d’autres domaines sonores comme ceux des voix et de la musique, avec en particulier le support de toutes les applications industrielles liées à la reconnaissance vocale et la reconnaissance et l’indexation musicale.

Mais, le travail sur les ambiances et les sons du quotidien, bien qu’il ait été mis en valeur par les travaux de Murray Schafer (Schafer, 2010) et ait promu l’écologie sonore et la pratique du field recording (dont une traduction possible est « enregistrement de terrain ») n’a pas suscité les mêmes motivations pour des travaux de recherche fondamentaux sur l’identification, la discrimination et la qualification des ambiances, ni n’a permis les mêmes débouchés que dans les domaines précédemment cités.

À l’origine de ce travail d’indexation des sons, un tout premier protocole a été élaboré, s’appuyant sur les trois types d’écoute – causale, sémantique et réduite – déterminés par Pierre Schaeffer (Schaeffer, 1977), puis affinés par Michel Chion (Chion, 1983).

Dans ce travail de recherche, la matière de l’expression sonore est disséquée et analysée pour en extraire les signes pertinents. Qu’est-ce qu’une ambiance sonore ? Les spécificités d’une ambiance sonore doivent être identifiées et connues. Comment interagit-elle avec le film ? Peut-on faire un inventaire, mieux même une typologie des fonctions qu’elle peut remplir ? Par ailleurs, en quoi cette typologie intervient dans la construction d’une bande sonore ? Peut-on dresser de grandes catégories d’usage des ambiances dans les films ?

Il est donc question d’identifier les différentes formes d’expressivité du son, sa dimension narrative, son pouvoir rythmique, ses qualités musicales ou sa puissance émotionnelle. Il s’agit donc de pouvoir identifier un son non seulement par ce qu’il représente, c’est-à-dire l’objet ou le lieu qui le produit – comme par exemple une ambiance du stade vélodrome - mais bien aussi par ce que ce son prend une autre dimension, un autre sens dans le film. La rumeur dans l’enceinte sportive devient alors une métaphore et peut être entendue – indépendamment du stade – comme le symbole de la foule et de la multitude, comme l’expression de la ferveur, de la liesse collective ou de la déception.

Mais, pour aller au-delà, et proposer une véritable stratégie d’indexation d’un son dans une base de données, il est absolument nécessaire d’avoir une approche qui dépasse le cadre structuraliste de la sémantique du sonore, des caractéristiques endogènes du son lui-même et de ses relations avec le film. Dans ce travail de mise en correspondance des sons avec des images, pour servir un propos ou une dynamique narrative, un son n’est a priori que rarement choisi pour lui-même, mais pour les liens qu’il entretient avec ce que le film exprime.

Pour bien comprendre comment opérer le travail de l’indexation des sons, il devient alors nécessaire d’élargir le cadre d’analyse pour y faire rentrer d’autres déterminants et de s’intéresser à l’action du monteur son, c’est-à-dire à la démarche cognitive de recherche d’un son dans un contexte où le sens nait de l’action de l’acteur en situation.

C’est le monteur son qui va se forger une représentation de la situation filmique et du son dont il a besoin à ce moment précis. Il va choisir un son parmi d’autres pour l’associer aux images, en analysant les besoins du film, de la séquence, du plan, en intégrant les demandes du réalisateur, en comprenant ses intentions, en faisant appel à sa propre expérience de monteur son et même de spectateur, il s’appuie sur sa représentation des genres filmiques, sur sa culture de l’esthétique sonore et sur des acquis et des savoirs implicites, souvent communément partagés, sur la façon d’exprimer tel ou tel événement au cinéma et de le mettre concrètement et techniquement en application. Quelle est donc sa démarche ? Quel est son système de pertinence lorsqu’il recherche un son ? Que mobilise-t-il ?


De la complexité de l’extrême polysémie du son !

Ce travail de recherche a donc été abordé par une approche qui part du terrain et s’intéresse spécifiquement au travail des professionnels du son. Elle conduit à mettre en oeuvre une méthodologie adaptée pour qualifier les sons d’ambiance et permettre ainsi de réduire – de la façon la plus pertinente possible – le nombre de significations possibles pour un son donné et également de limiter le nombre des qualificatifs utilisés. Pour permettre d’avancer pas à pas dans cette perspective, une base de données sonores « Sons du sud » a été développée comme outil d’expérimentation [3].

Pour exprimer la complexité et le caractère polysémique du son, prenons l’exemple donné par Claude Bailblé (Bailblé, 2005) au sujet d’un banal son off – acousmatique – tel qu’un bruit de pas. Banal en apparence ! En réalité, très humain, très inscrit dans l’expérience quotidienne, et dans le récit. Ce bruit de pas déclenche sept images plus ou moins conscientes : - La chaussure (savate, basket, mocassin, talon…) - Le sol (gravier, gadoue, macadam, parquet…) - L’acoustique des lieux (plein air, trottoir, local petit ou grand, réverbérant ou feutré…) - La personne (qui marche ?) - Le jeu (avec détermination, furtivement, en trainant les pieds ou d’un bon pas, en trébuchant…) - La provenance (d’où vient-elle ?) - La destination (où va t-elle ? quelles sont ses intentions ?)

Pour chacune de ces représentations, il est possible d’utiliser un grand nombre de qualificatifs qui vont permettre d’exprimer toutes les caractéristiques du son. Un simple bruit de pas devient difficile à qualifier si on souhaite accéder à l’exhaustivité.

Nos travaux nous ont conduit à confirmer l’hypothèse selon laquelle il n’est pas nécessairement intéressant d’identifier un son par tous les qualificatifs possibles qui lui sont applicables (nous en avons identifié près de 100 pour une ambiance avec des coups de tonnerre), mais qu’il est important de comprendre les principaux usages cinématographiques d’un son et les mots les plus pertinents qui peuvent le qualifier et être finalement retenus dans ce contexte.

C’est cette démarche qui a été adoptée en s’intéressant d’une part à comprendre la sémiotique des ambiances sonores et d’autre part à cerner le plus finement possible les pratiques professionnelles dans la perspective d’une prise en compte d’une cognition située.

Dans notre démarche, l’indexation des sons prend en compte les préoccupations des usagers et ne cherche pas l’exhaustivité. L’objectif est de parvenir à une qualification la plus adaptée dans le cadre du montage son d’une fiction cinématographique.

Ce travail de recherche s’inscrit donc dans un cadre théorique qui ne peut se circonscrire à une analyse purement immanentiste du son. Dans cette approche nous nous intéressons autant au son lui-même, aux relations qu’il peut entretenir avec l’image et le film, qu’aux processus de travail du monteur son et à la compréhension que cet acteur peut avoir de la situation.


Autour des approches théoriques mobilisées

Pour parvenir à avancer dans ce sens nous nous intéressons d’une part en premier lieu au son lui-même et à la sémiotique du sonore. Comme nous venons de le voir, le son peut contenir un nombre élevé de signes et chacun de ces signes comprend lui-même une infinité de qualités (au sens peircien du terme), de potentialités. Cette approche, centrée de prime abord sur le son lui-même, même si elle assume les limites d’un pur structuralisme, ne peut en aucun cas être occultée. Mais, elle doit être abordée avec toute la sensibilité du praticien, et être convoquée avec cette épaisseur empirique qui lui donne sa légitimité. Il est question de valoriser une réelle expertise dans le champ du sonore. Ceci doit aller à l’encontre d’une forme purement théorique rencontrée dans de nombreux travaux sémiotiques, qui au lieu de passer par l’expérience sensible, par des ressentis éminemment phénoménologiques et par une connaissance approfondie du langage sonore, s’empresse plutôt de faire tourner des modèles théoriques peu explicites et totalement décorrélés de l’expérience de l’écoute.

Dans notre démarche, l’intérêt de la sémiotique réside également dans le processus de la semiosis qui, par une approche triadique, intègre à la fois l’idée que la mise en signification est d’une part un mouvement et se décrit comme une trajectoire et d’autre part qu’elle fait appel à un ensemble de déterminants qui entourent les signes considérés et dépassent l’entité sonore elle-même. La triade peircienne devient alors le fondement intégrateur de la pensée pragmatique. Ainsi, le son et les signes sonores ne sont plus isolés, ils sont considérés par un interprétant qui lui-même s’est construit par l’expérience de la situation, par des déjà-là et par une capacité de prise en compte des éléments pertinents de la situation et du contexte.

Un autre outil d’analyse formalise nos réflexions : il s’agit de la sémio-pragmatique de Roger Odin qui identifie et modélise des situations concrètes de communication, qui mettent en oeuvre la médiation des signes et ne peuvent exister que dans le cadre d’une activité cognitive. En identifiant des situations types où le champ des possibles se restreint à des espaces de communication identifiés acceptables et pertinents pour l’activité considérée, l’approche sémio-pragmatique permet d’opérationnaliser des situations concrètes au sein desquelles est en particulier prise en compte une typologie des films et des genres filmiques.

Mais, pour être capable de proposer un modèle concret et formaliser une proposition d’indexation du son il est nécessaire de parvenir à opérationnaliser les processus du travail du monteur son pour comprendre comment, à chaque instant, suivre les « configurations cognitives » qu’il mobilise et comprendre comment il se saisit de la matière visuelle et sonore. Il faut rentrer dans le cours d’action de l’acteur en situation pour saisir ce qui le met en mouvement. Cette démarche est essentielle, car c’est elle qui va permettre de comprendre quelle est l’écoute mobilisée au cours de la recherche des sons et par conséquent comment les sons sont décryptés. Est-ce le rythme du son qui est valorisé ? Est-ce sa texture ? Est-ce sa densité ? Est-ce sa faculté à se superposer sur l’image ou au contraire le fait qu’il s’en détache ? Estce sa capacité à correspondre précisément à l’espace visualisé ou au contraire à élargir le cadre visible ? Est-ce l’ergonomie du logiciel ou le cadre rigide de l’organisation technique du travail qui influence le monteur son ? Est-ce l’expression du son et son sens qui priment ? Toutes ces démarches cognitives vont conditionner l’écoute du son, nous pourrions dire le « regard de l’écoute ». Cela va radicalement changer les signes observés dans le son et va conférer au son un ensemble de potentialités ; cela va donc orienter considérablement la façon de l’identifier et de le décrire.

Comprendre le rôle de l’acteur en situation, dans le cours d’action des événements, c’est s’approcher au plus du mouvement de la genèse du sens (Adjiman, 2015). C’est également considérer que les significations naissent du couplage entre les éléments pertinents de la situation de l’acteur dans son environnement. Le sens est énacté (Varela, 1997).

Avec l’aide de l’ensemble de ces données et de ces analyses, par une réelle connaissance du son, du langage filmique, du métier de monteur son et de ses contraintes, et par la prise en compte de la complexité de la situation, il devient possible de rentrer dans une véritable compréhension du système d’interaction qui guide l’acte de recherche d’un son.

C’est cette démarche qui nous accompagne pour nous permettre de formuler des propositions valides et pour rendre opérationnelle l’indexation des sons d’ambiance dans une sonothèque.


Chez les spécialistes de l’indexation des contenus sonores et audiovisuels.

Par ailleurs, pour rendre opérationnelle cette recherche, il est également important, sur un autre plan, de s’intéresser aux travaux précurseurs de Peter Stockinger sur les archives audiovisuelles (Stockinger, 2011). Sa préoccupation constante est l’optimisation de l’indexation de médias tels que les films et autres documents numériques, pour que ces derniers trouvent toute leur pertinence. Depuis l’origine Il adopte également l’approche sémiotique pour « souligner le fait que le fonds d’une archive doit être considéré comme un ensemble de données textuelles au sens large du terme qui à la fois documentent, conservent et transmettent le discours d’un acteur social sur un domaine, un objet ou encore une époque. »[4]

Nous retrouvons d’ailleurs des logiques d’action communes avec cet auteur qui s’intéresse au contenu sonore (qu’il qualifie de plan acoustique) dans l’analyse de l’expression audiovisuelle. Ainsi, il dénombre trois types d’information : les éléments enregistrés, le type d’objet acoustique et les techniques acoustiques que nous pouvons mettre en perspective avec nos propres démarches.

Après s’être davantage centrés sur les questions relatives à l’indexation des voix et des musiques, les récents travaux de Julien Pinquier s’intéressent de très près à la question des ambiances sonores (Guyot et Pinquier, 2015). L’approche méthodologique emprunte cette fois-ci aux sciences fondamentales et déploie les techniques du traitement de signal et de l’informatique. En 2015, il détaille les différents outils qui permettent d’optimiser les représentations des sons d’ambiance dans la perspective de pouvoir les catégoriser et de les indexer.

Cette approche est prometteuse. Elle prolonge la démarche développée par la société Orelia[5] et son logiciel OSSR qui permet déjà depuis 2010 d’identifier des sources de bruits (principalement dans le but de réduire les nuisances sonores) ou de détecter la survenue d’événements sonores (pour piloter un système de surveillance avec une webcam ou identifier une panne sur des équipements industriels) ou encore de prévenir de l’intrusion de drones ou d’hélicoptères dans l’espace aérien.


Différentes écoutes, différents usages, les premiers résultats

Les résultats de nos recherches nous conduisent à prendre en compte le geste du praticien c’est-à-dire à essayer de comprendre son mode de fonctionnement, son système de pertinence, et les écoutes qu’il mobilise. C’est à travers son regard que nous nous intéressons à saisir les usages potentiels des sons au sein de situations filmiques.

Au-delà donc de l’écoute causale, nécessaire pour décrire la source du son et préciser avec des mots son origine acoustique il est intéressant de considérer les ambiances pour les autres potentiels qu’elles peuvent représenter dans un cadre filmique : l’ambiance fonctionnelle, l’ambiance territoire et l’ambiance narrative.

La dimension fonctionnelle de l’ambiance est communément exploitée. Elle permet à l’ambiance de servir non pour ce qu’elle signifie, mais pour sa dimension formelle et sa capacité à façonner une continuité d’espace et de temps. Les ruptures marquées au son pour la discontinuité des plans visuels et sonores et les différents points de montage sont alors comme effacées et lissées par la présence de l’ambiance. Cette fonction, quasiment immanente, intrinsèque à la structure continue de toute ambiance n’est pas discriminante et ne conduit pas à une explicitation et une qualification particulière dans le processus de l’indexation.

Le son-territoire est par définition accessible par l’intermédiaire des mots mobilisés par l’écoute causale. Il s’agit de décrire un univers qui est celui d’un espace géographique dans lequel l’action du film se déroule. On retrouve ici toutes les descriptions relatives à des espaces réels ou imaginaires comme celui de la plage, d’une rame de métro ou d’un appartement parisien.

L’ambiance narrative constitue une ambiance dont l’usage devient plus complexe, apportant par exemple au récit du rythme, de la tension ou une impression de douceur, exactement comme pourrait le faire une musique. C’est ici que la question de la description non causale devient cruciale mais c’est là, aussi que le son interagit le plus avec l’image, rendant plus délicate l’indexation d’un son entendu de manière isolée, sans connaitre par avance les interactions réelles qu’il pourra par la suite avoir avec le récit. C’est ici que toute la palette lexicale des sensations que produisent les sons peut être mobilisée.

En parallèle, d’autres usages et d’autres fonctions essentielles sont introduites par l’ambiance. Ainsi, elle peut être enveloppante et englobante et, sans sembler se manifester, favoriser le caractère immersif du film.

Nous voyons combien il devient important de travailler à la constitution d’un lexique adapté sémiologiquement voire phénoménologiquement à l’usage des sons d’ambiance. Un lexique qui soit adapté aussi aux pratiques professionnelles et au langage couramment utilisé.

C’est ici que ce travail se met d’ailleurs à dépasser ses propres ambitions pour devenir également un moyen de formaliser une proposition qui puisse, en coopération avec la profession, devenir un moyen efficace de constituer un dictionnaire spécialisé et concis qui pourrait être utilisé pour que les différents acteurs de la chaine de fabrication – du réalisateur au mixeur - puissent se comprendre lorsqu’il s’agit de parler du sonore.


Référence bibliographique

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Notes et références

  1. 1 Et en particulier l’arrivée des systèmes Dolby Atmos.
  2. Les stems, terminologie dont l’origine provient de la méthode de travail du mixage en sous ensemble de sons, constitue des regroupements thématiques de sons. Dans le domaine du son à l’image, on identifie les stems suivants : les voix, les bruits, les ambiances et les musiques. Ces quatre stems regroupent ainsi tous les sons constitutifs de la bande sonore.
  3. https://www.sonsdusud.fr
  4. Archives audiovisuelles et valorisation du patrimoine à l’ère numérique, p.11
  5. http://www.orelia.fr/fr/