WICRI, construire des réseaux de la recherche et de l’innovation dans l’UPM

De Artist

Cette page est une copie d'une communication présentée à la conférence inaugurale de l’Espace Numérique Ouvert Pour la Méditerranée.

Jacques Ducloy,i
Jacques.Ducloy@recherche.gouv.fr
Alice Hermann,ii
Alice.Herman@loria.fr
Patrick Mussot,i
Patrick.Mussot@recherche.gouv.fr
Valérie Warth,iii
Jean-Pierre Thomesse.i & ii


Résumé 
Un démonstrateur de réseau de wikis, nommé WICRI, et dédié au monde de la recherche et l’innovation a été réalisé dans le cadre de la mission TICRI (Technologies de l’Information et de la Communication pour la Recherche et de l’Innovation) de la DRRT Lorraine. Il a pour but de sensibiliser les acteurs de la recherche et de l’innovation de l’intérêt des réseaux de wikis sémantiques. Les résultats de cette expérience peuvent s’appliquer à l’Espace Numérique Ouvert Pour la Méditerranée.

Introduction

La conférence inaugurale « Espace Numérique Ouvert Pour la Méditerranée » est le témoignage d’une volonté politique forte pour amener les universités à mutualiser leurs actions dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée (UPM). Les infrastructures numériques constituent naturellement un élément de fondation d’un tel espace.

Lors de cette conférence, d’autres interventions présenteront un état des lieux des initiatives qui, au travers de campus numériques, convergent vers un meilleur partage des connaissances. Sur un plan technique, les solutions basées sur les protocoles OAI du libre accès, telles que ORI-OAI[1], favorisent la constitution de gigantesques collections virtuelles qui donnent à l’utilisateur un « accès unifié » à l’information scientifique et technique ou aux ressources pédagogiques.

En amont du processus de publication, la recherche a pour mission de construire la connaissance scientifique. En aval, elle est un acteur clé dans le transfert de technologie et l’innovation. Pour répondre aux besoins induits par ces activités, les infrastructures numériques de la recherche doivent aller au delà des aspects « dépôt et accès » pour passer de l’information aux connaissances [2]. Or, la montée en puissance et en performance des services collaboratifs sur le web ouvre de nouveaux horizons.

Nous présentons ici les premières réflexions acquises avec le démonstrateur WICRI, un réseau de wikis sémantiques pour les communautés de la recherche et de l’innovation[2]. Il a été réalisé dans le cadre d’une mission nommée TICRI (Technologies de l’Information Communication pour la Recherche et l’Innovation).

Le contexte : la mission TICRI

La mission TICRI[3] a été initialisée par la DRRT Lorraine avec le soutien du CNRS. Son sigle a été construit par analogie avec l’acronyme TICE bien connu dans les universités, pour exprimer la complémentarité des réflexions.

Cette mission a été motivée par le constat d’une situation jugée difficile de la recherche française par rapport à l’information scientifique et technique (voir par exemple le rapport Salençon [4]). Elle est inspirée par l’évolution des pratiques scientifiques confrontées aux cyberinfrastructures. Tony Hey, ancien directeur du programme e-Science au Royaume Uni, place les enjeux au niveau de la pratique scientifique proprement dite [3]. Avec les simplifications propres à cet exercice épistémologique, il s’interroge sur l’évolution de la science autour de quatre paradigmes.

A l’origine, il y a quelques millénaires, la science apparaît comme un exercice expérimental, où l’on commence à raisonner en observant les phénomènes naturels. Puis, il y a quelques siècles avec, par exemple Newton, elle devient théorique et s’appuie sur des équations (Maxwell…). Une étape a été franchie il y a déjà quelques années avec l’arrivée des ordinateurs avec une science « computationnelle » fondée sur des simulations. Nous assisterions maintenant à l’irruption d’une science centrée sur les données.

Pour accompagner cette mutation les initiatives sont nombreuses. Aux Etats-Unis, en écho avec le programme NSDL qui a créé le réseau « National Science Digital Library », la NSF[4] a produit des rapports stratégiques d’abord sur les sciences de l’ingénieur en 2003 (rapport Atkins[1]) puis en Sciences Humaines (rapport Welshons[6]) en 2006. Dans cette dynamique, au Royaume Uni, le JISC[5] a accompagné la création d’un réseau d’expertise, le DCC (Digital Curation Center) qui s’appuie sur des unités de transfert de technologies telles que UKOLN (United Kingdom Office for Library and Information Networking). En Europe, la feuille de route ESFRI « European Strategy Forum on Research Infrastructures »[6] manifeste une prise de position claire sur le volet « information numérique » des infrastructures. On trouvera notamment un chapitre conséquent sur les sciences humaines et sociales et de nombreux projets d’infrastructure sont confrontés à la gestion de gigantesques flots de données expérimentales. Le programme Capacités du 7ème Programme Cadre pour la Recherche et la Technologie[7] pour 2007-2011 est en pleine résonance avec les recommandations d’ESFRI.

En France, la « feuille de route des très grandes infrastructures de recherche »[8] présentée en fin 2008 fait clairement écho aux initiatives européennes. Dans le contexte du plan Campus la Lorraine s’est clairement engagée dans la construction d’une université de Lorraine. La mission TICRI s’inscrit dans cette convergence de dynamiques. Son objectif est d’étudier la création d’infrastructure permettant de mutualiser les efforts, les moyens et l’expertise des chercheurs autour des informations numériques. Nous ne traiterons que d’un volet de cette initiative : le démonstrateur WICRI.

Le démonstrateur WICRI

Démarrée en juillet 2008, les premiers contacts pris dans le cadre de la mission TICRI ont mis en évidence un besoin de sensibilisation au nouveau contexte de l’information numérique scientifique. Pour y répondre, nous avons mis en œuvre un démonstrateur qui s’appuie sur une analyse du phénomène Wikipédia, maintenant bien connu dans le grand public comme un moyen privilégié pour accéder à la connaissance. L’expérience vécue tous les jours par les « wikipédiens » démontre la performance de la solution technique et surtout la viabilité d’un espace coopératif de connaissance construit avec des mécanismes de modération a posteriori. Elle met aussi en évidence les limites d’une validation basée sur des contributions relativement anonymes.

Ces réflexions nous ont conduit vers une solution de type « réseau de wikis » autour d’une famille commune[9]. En effet, chaque institution peut conserver son identité et œuvrer pour sa visibilité, ce qui nous a semblé un préalable nécessaire. Une première série d’essais, complétée par les recommandations élaborées dans un atelier à l’occasion du colloque CIDE [10] nous ont convaincu de la nécessité de faire cohabiter des communautés scientifiques avec des structures institutionnelles. Ce réseau a été appelé WICRI (Wikis des communautés de la recherche et de l’innovation). Il utilise le moteur de wiki MediaWiki[11] et il est composé des composantes suivantes :

DCPR (Laboratoire du Département de chimie physique des réactions) - wiki public en françaisDCPR (Laboratoire du Département de chimie physique des réactions) - wiki public en anglaisDCPR (Laboratoire du Département de chimie physique des réactions) - Wiki privéWiki public MEPP (Matériaux, énergies, procédés, produits)Wiki privé MEPP (Matériaux, énergies, procédés, produits)wiki public DRRT Lorrainewiki privé DRRT LorraineWicri - français (Wikis des communautés de la recherche et de l'innovationWicri - anglais (Wikis des communautés de la recherche et de l'innovation)Wicri - privé (Wikis des communautés de la recherche et de l'innovation)WicriMédia (ressources multimédia)Ticri francophone (Tech de l'Information communication pour la recherche et l'innovationTicri version anglaise (Tech de l'Information communication pour la recherche et l'innovationTicri partie privée (Tech de l'Information communication pour la recherche et l'innovationTicri LorraineTicri Lorraine - wiki privéIncubateur Wicri : version françaiseIncubateur Wicri : version anglaiseIncubateur Wicri : version privéeWicri réseau 2 2009.png
À propos de cette image
  • Un cœur multidisciplinaire à visibilité internationale. C’est une famille de wikis nommée Wicri. Elle est complétée par un réservoir commun de ressources multimédia nommé WicriMedia. Les contributeurs de cet ensemble sont issus des communautés matérialisées par les autres wikis.
  • Des unités institutionnelles, au départ, la DRRT Lorraine et un laboratoire de chimie (le Département de Chimie Physique des Réactions ou DCPR).
  • Une fédération à caractère institutionnel : le Pôle de Recherche Scientifique et Technologique MEPP[12] (Matériaux, Energie, Procédés, Produits).
  • Deux familles de wikis pilotés par des comités à caractère scientifique autour de la recherche et des projets innovants dans les TICRI. L’une est à dimension nationale et se structure par mutualisation de comités de programme. L’autre est à dimensions régionale (la Lorraine).
  • Enfin un incubateur permet de créer de nouveaux wikis.

Sur cette plateforme nous avons pu mener un premier ensemble d’expérimentations dans deux directions : services opérationnels et aspects expérimentaux.

Dans le premier axe, nous sommes partis d’articles ou de documents de référence que nous avons « wikifiés ». Ce terme désigne à la fois des opérations de mise en forme et surtout d’insertion dans un réseau de connaissance formé par de multiples liens internes. Par exemple, la « wikication » du contrat de projets Etat Région nous a donné des priorités dans les secteurs à traiter et mis en lumière coopérations structurantes au niveau régional[13] . Nous avons également traité quelques articles scientifiques « de synthèse ». Les revues qui reposent sur des formats structurés (TEI) ou qui intègrent des métadonnées riches seront très fortement avantagées dans ce type de mise en avant.

Nous avons pu étudier des problèmes liés à la mise en œuvre comme la mutualisation des administrations. Par exemple, dans une situation réelle, il faut envisager de gérer, pour une personne, des inscriptions sur des dizaines de wikis. Plus généralement il faut transposer au niveau du réseau des services qui fonctionnent bien au niveau d’un wiki. Nous pensons que ces aspects peuvent être assez facilement automatisés dès lors qu’il est possible de faire gérer des informations « formelles » par les wikis (pour un couplage avec un annuaire avec un protocole LDAP par exemple).

Nous avons donc démarré des expérimentations sur les aspects formels[14]. Nous avons surtout testé l’usage extrêmement prometteur des wikis sémantiques. Nous avons installé l’extension Semantic Mediawiki[15] qui a été testée avec deux types d’application. Nous nous sommes inspirés du wiki des groupes de travail associés au Semantic Web[16] du W3C. Ceci nous a permis de « modéliser » des comités de programme pour détecter des compétences. De même nous avons défini un modèle pour décrire des organisations. Par exemple, une relation « partenaire de » qui lie un laboratoire à un projet, complété par des relations de dépendance avec son établissement permet de générer automatiquement des listes impliquant laboratoires, projets et établissements.

Nous n’avons pas traité toutes les propriétés des wikis dans cet article. Deux autres aspects méritent d’être relevés. Dans un contexte ou les aspects politiques sont importants, la distribution d’un réseau de wikis sur des sites physiques géographiquement distincts est facile à mettre en œuvre. Les technologies de type « wiki en pair à pair » devraient permettre d’aller encore plus loin en distribuant les « clones » d’un même wiki, avec propagation en temps réel des transactions [4]. Ainsi chaque pays peut jouer exactement le même rôle dans un réseau. La cohabitation avec les applications existantes est également une préoccupation constante des opérateurs. Les mécanismes formels évoqués plus haut permettent des interactions avec toutes les applications qui respectent les recommandations sur l’interopérabilité.

Conclusion

Les wikis sémantiques sont des gestionnaires de contenus dotés de fonctionnalités qui permettent d’expliciter les relations entre les articles et de manipuler des contenus factuels ou structurés. Ce sont des outils puissants qui permettent de répondre simultanément à des besoins de communication scientifiques (et de visibilité), de travail en commun (élaboration de connaissance ou réponse à des appels d’offres) ou de pilotage (indicateurs). Les techniques collaboratives permettent une gestion effective des contributeurs et un partage de l’administration et contribuent à la fiabilité des informations mises en ligne. Ils sont relativement « faciles à mettre en œuvre » dans la mesure où il existe un réseau d’expertise. Enfin, ils savent cohabiter avec l’existant tout en intégrant les contraintes politiques. Cette approche nous semble donc généralisable dans un contexte tel que l’Espace Numérique Ouvert Pour la Méditerranée.

Bibliographie

  • [6] M. Welshons. "Our Cultural Commonwealth" The Report of the American Council of Learned Societies Commission on Cyberinfrastructure for the Humanities and Social Sciences. Connexions. 15 Dec. 2006
    <http://cnx.org/content/col10391/1.2/>.

Notes et références

  1. Outil de référencement et d’indexation en réseau, voir : http://www.ori-oai.org/
  2. Url du démonstrateur : http://maquettewicri.loria.fr/
  3. Délégation Régionale à la Recherche et à la Technologie
  4. National Science Foundation, agence de financement de la recherche aux Etats-Unis
  5. Joint Information Systems Committee, agence de financement au Royaume-Uni
  6. http://www.roadmaptgi.fr/Documents/esfri-roadmap-report-26092006_en.pdf
  7. http://cordis.europa.eu/fp7/capacities/home_en.html
  8. http://www.roadmaptgi.fr/
  9. Une famille de wikis est un ensemble de wikis traitant d’un même sujet, avec la même structure et fortement interconnectés, par exemple un ensemble de versions rédigées dans différentes langues (fr, en…), ou un wiki public couplé avec un autre privé (pr).
  10. Conférence Internationale sur le Document Electronique qui a eu lieu à Rouen en 2008. Nous y avons présenté notre projet dans le cadre d’un atelier sur l’écriture numérique.
  11. MediaWiki a été développé pour répondre aux besoins de l'ensemble des projets de la Wikimedia Foundation et utilisé notamment par Wikipédia.
  12. Un tel pôle baptisé PRST est, en région Lorraine, un axe de structuration du contrat de projets Etat Région.
  13. Un point intéressant : ce document est sensible aux évolutions des institutions dans le temps, la wikification permet une mise à jour tout en respectant le caractère contractuel.
  14. Pour les spécialistes : il est possible d’encapsuler une description XML dans une zone non visible (ou dans un wiki interne avec des mécanismes de liens). Ceci permet d’envisager de multiples possibilités de structuration pour automatiser des traitements interwikis.
  15. http://semantic-mediawiki.org/wiki/Semantic_MediaWiki
  16. http://semanticweb.org/wiki/Main_Page
  17. [Note Ticri] voir référence plus récente en français


Compléments

Cette partie introduit des informations complémentaires postérieures à la parution de l'article

Bibliographie

  • [4] Charbel Rahhal, Hala Skaf-Molli et Pascal Molli. SWooki: Un Wiki Sémantique sur réseau Pair-à-Pair. Ingénierie des Systèmes d'Information, 14(1), 2009
    site de la revue : http://isi.revuesonline.com/