Principes de médecine expérimentale (1877) Claude Bernard/Chapitre XIV/Section B4 : Différence entre versions

De Wicri Santé
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(Les trois parties constituantes de la médecine expérimentale reposent sur la même base)
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(Les trois parties constituantes de la médecine expérimentale reposent sur la même base)
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==Les trois parties constituantes de la médecine expérimentale reposent sur la même base==
 
==Les trois parties constituantes de la médecine expérimentale reposent sur la même base==
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===Partie 1===
 
<big>Les trois parties constituantes de la médecine expérimentale reposent sur la même base ; rapports de l'organisation et de l'action</big>
 
<big>Les trois parties constituantes de la médecine expérimentale reposent sur la même base ; rapports de l'organisation et de l'action</big>
 
La première chose à établir à notre point de vue, c'est que la physiologie doit former la base de toute médecine scientifique. La pathologie ne constitue pas du tout un domaine distinct de la physiologie. Nous admettrons que l'état pathologique ne crée rien. Toute maladie n'est qu'un dérangement fonctionnel et elle a par conséquent une fonction qui lui correspond normalement. C'était l'opinion de Broussais que la pathologie n'était que la physiologie, puisqu'il l'appelait la ''médecine physiologique''. Ça a été là tout le progrès de sa manière de voir.
 
La première chose à établir à notre point de vue, c'est que la physiologie doit former la base de toute médecine scientifique. La pathologie ne constitue pas du tout un domaine distinct de la physiologie. Nous admettrons que l'état pathologique ne crée rien. Toute maladie n'est qu'un dérangement fonctionnel et elle a par conséquent une fonction qui lui correspond normalement. C'était l'opinion de Broussais que la pathologie n'était que la physiologie, puisqu'il l'appelait la ''médecine physiologique''. Ça a été là tout le progrès de sa manière de voir.
  
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Ce n'est pas l'opinion de la plupart des médecins qui reconnaissent des entités morbides, des créations morbides. Tout cela, ce ne sont que des mots. Les maladies ne sont, en réalité, que des sortes d'empoisonnements évolutifs rapides ou lents. Les empoisonnements artificiels par agents toxiques sont dans le même cas. Chaque empoisonnement est caractérisé par un ensemble de dérangements, chaque empoisonnement a ses caractères, ses symptômes, son évolution, ses lésions anatomiques, son entité en un mot. Or, le poison n'a pas créé d'organes nouveaux, de fonctions pathologiques nouvelles ; il n'a fait que déranger les fonctions. Il est évident, par exemple, que la fièvre inter¬mittente simple n'est qu'un trouble des phénomènes circulatoires ; les convulsions, le tétanos ne sont qu'un trouble des phénomènes nerveux. Aucun des symptômes n'est caractérisé par des organes ou des produits nouveaux qu'on pourrait rapporter à l'effet de la maladie. Mais il arrive quelquefois que des produits nouveaux se manifestent. Comme on ne les voyait pas à l'état normal et qu'on les voit disparaître avec la maladie, on est porté à les considé¬rer comme créés de toutes pièces par l'état pathologique. Cela tient simple¬ment à ce que nous ne connaissons pas toutes les fonctions physiologiques, nous les prenons pour des phénomènes pathologiques nouveaux créés par la maladie. Je citerai à ce sujet un exemple qui me semble frappant.
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Le diabète est une maladie très anciennement comme et qui consiste dans la manifestation d'un certain nombre de troubles du côté de la nutrition avec apparition de quantités plus ou moins grandes de sucre dans les urines. Les médecins ont tout naturellement attribué cette formation du sucre à la maladie, c'est-à-dire à une force nouvelle morbifique qui se serait introduite dans l'état normal et qui aurait fabriqué un produit anormal, le sucre. On sait aujourd'hui qu'il n'en est rien. J'ai établi que le sucre est un élément normal de l'économie ; seulement la production du sucre qui est assez modérée dans l'état normal pour que le sucre n'apparaisse pas dans les urines, ou du moins en très faible quantité, devient, dans certains cas du trouble, très abondant. C'est alors le diabète. On voit donc cependant que les produits du diabète n'ont pas été créés par une force morbide quelconque. Le diabète correspond à une fonction nor-male, la glycogénie, qui est troublée. Nous en dirons autant des produits hétérologues ; il y a physiologique ment une régénération cellulaire constante qui est très manifeste dans les épithéliums.
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Les formations de tissus hétérologues ne sont que des troubles ou des déviations de cette régénération normale. Mais certainement beaucoup de médecins diront que la maladie produit des choses nouvelles, et ils demande¬ront à quoi de normal correspond la variole, la rougeole, la scarlatine, etc. Je répondrai que ces maladies répondent évidemment à des fonctions de la peau qui nous sont encore inconnues. Sans doute nous ne pouvons pas le démontrer aujourd'hui, mais ce n'est pas une raison parce qu'il y a des points encore obscurs dans la médecine, où la physiologie ne peut pas pénétrer, pour crier que ces sciences n'ont pas de rapport et que la physiologie n'est pas la base de la pathologie.
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L'état physiologique et l'état pathologique ne sauraient être considérés comme deux états distincts qui se remplacent. L'état pathologique ne chasse jamais l'état physiologique. L'état physiologique est toujours présent ; sans cela la santé ne pourrait jamais réapparaître. C'est la nature médicatrice d'Hippocrate.
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On peut donc admettre que l'organisation dérangée par la maladie, c'est-à-dire par une condition anormale, a de la tendance à revenir à son état normal, comme une race revient par atavisme.
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La thérapeutique ne peut donc être autre chose que la production de condi-tions artificielles propres à favoriser la tendance de l'organisation à revenir à son état normal. On peut réussir soit en agissant par des substances introduites dans le sang, soit en agissant sur le système nerveux périphérique, soit en plaçant l'être tout entier dans un milieu convenable.
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La thérapeutique, c'est-à-dire le traitement repose donc également sur la connaissance des lois des phénomènes, sur la connaissance de leurs conditions d'existence, afin de provoquer les conditions favorables à la guérison naturelle des maladies. Ce qui veut dire, en d'autres termes, que la thérapeutique est inséparable de la pathologie. La méthode expérimentale prouvera sans doute que toute la polypharmacie ne signifie rien. Il faut, avant tout, laisser guérir les maladies quand on ne sait pas les guérir. La thérapeutique doit donc laisser guérir les malades et, si des remèdes guérissent, ils ne doivent pas déterminer la guérison autrement que par le procédé naturel.
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Mais, tout en admettant que la pathologie n'est qu'un dérangement de la physiologie dans certains cas, et que l'état physiologique tend toujours à reparaître preuve qu'il n'est pas détruit, on pourra faire des objections et dire : comment peut-on admettre que les virus soient des produits qui correspondent à quelque chose de physiologique ? Cela est parfaitement admissible et vrai. Le virils morveux se forme sous nos yeux par excès de travail ; l'abstinence rend la morve aiguë, qui devient contagieuse, tandis que la chronique (farcin) ne l'est pas. C'est, l'affaiblissement du système nerveux. La section du sympathique ou de la 5e paire produirait-elle un virus morveux ? Dans le rein, la section des nerfs produit un véritable virus transmissible. C'est do-ne par altération nerveuse. Ces altérations nerveuses amènent une décomposition putride qui se verse dans le sang et l'infecte d'une manière continuelle ; ces venins ou virus deviennent alors transmissibles. Le virus syphilitique a dû se produire ainsi. Le virus rabique se produit aussi sous l'influence nerveuse ; vient-il des glandes salivaires ou de la muqueuse buccale ? Toutes ces questions sont de la pathologie expérimentale ; il faut savoir comment ces virus se forment. Ce sont des altérations de liquides sous des influences nerveuses. Il y en a sans doute beaucoup qui sont produits par les nerfs. Ce sont des altérations de liquide ou tissus physiologiques ; exemple : rein ; le sang de rate, le sang d'animaux morts de faim sont aussi des virus. -Voir si par la dialyse on ne pourrait pas séparer un corps toxique cristallin dans tous ces venins, virus ou liquides septiques. C'est probable, car Renault dit que le chlore ne détruit pas le virus morveux. Voir le vaccin ; étudier avec ces idées les maladies virulentes, qui résultent des altérations spéciales des liquides normaux sous l'influence du système nerveux ou autrement ; d'où l'on voit que des influences morales peuvent produire des maladies septiques. La substance septique peut donc naître dans l'individu, se former dans le milieu intérieur (sang).
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C'est donc dans les éléments histologiques normaux, sains ou altérés, dans les liquides normaux, sains ou altérés, qu'il faut chercher les causes de tous les phénomènes physiologiques et pathologiques, mais sans croire qu'il y a un état pathologique idéal, une entité.
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La maladie a une forme évolutive par la nature même de l'organisme ; une cause agit, augmentation de la maladie ; elle n'agit plus, décroissance de la maladie. Nous avons dans la section du nerf de la glande sous-maxillaire l'image d'une maladie évolutive. Nous coupons le nerf : statu quo pendant quelques jours. C'est l'incubation, puis, quand le nerf est détruit, la glande fonctionne toujours, et la glande s'altère, diminue de volume : maladie ; puis le nerf se rétablit, la glande sécrète de moins en moins, et l'état normal revient. C'est le déclin de la maladie. Supposez qu'un virus agisse sur un nerf pour se reproduire, vous aurez la même image.
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En résumé, d'après tout ce qui précède, nous avons vu qu'aujourd'hui, par l'analyse successive que la science a introduite, nous sommes conduits à admettre que la médecine expérimentale repose uniquement comme base essentielle sur l'étude des éléments organiques considérés soit à l'état phy-siologique, soit à l'état pathologique. C'est sur cette base unique que reposent les trois branches de la médecine expérimentale, savoir : la physiologie, la pathologie et la thérapeutique expérimentales.
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Actuellement nous avons vu que tout élément organique peut être con¬sidéré comme se réduisant à une cellule. De sorte que, en fin de compte, toute la physiologie et la pathologie animales et végétales ne seraient qu'une cellule. C'est là un idéal que Virchow a voulu réaliser dans la pathologie cellulaire, un idéal auquel la science arriverait. Mais toutes les choses se perdent par leur excès et si la généralité est bonne, quand elle est poussée trop loin, elle est absurde ; il faut conserver le sentiment du spécial dans cette généralisation, car, autrement, ce serait de l'uniformisation, au lieu d'être de la généralisation.
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Sans doute la science consiste à ramener le particulier au général et à comprendre toutes les variétés dans une unité typique. En biologie comme ailleurs, cela paraît devoir être la règle et la tendance des hommes philoso-phiques. Cependant par cette recherche on arrive à une conception idéale typique qui n'est rien moins que pratique. En effet, que l'on finisse, avec Darwin, par arriver à une espèce unique et qu'après, dans cette espèce unique, on finisse par arriver à un individu unique, et qu'enfin dans cet individu unique, on finisse par arriver à un tissu unique, on aura une cellule qui sera le commencement, l'origine de tout ce qui existe d'animé. Mais à quoi cela se rapporte-t-il en réalité ? A rien. Est-ce que nous ne sommes pas obligés de compter avec tout ce qui existe et est-ce qu'il y a autre chose que des indi¬vidus ? Que, de même, dans la théorie de Gœthe, on arrive à prouver qu'une feuille, une fleur, etc. sont la même chose originellement, ne sommes-nous pas obligés de les considérer en réalité comme des choses distinctes ? Et si l'on peut dire que la vérité est dans le type, la réalité est toujours en dehors de ce type et elle en diffère constamment. Or, pour le médecin, c'est là une chose très importante. C'est à l'individu qu'il a toujours affaire, Il n'est point le médecin du type humain, de l'espèce humaine ; il est le médecin d'un individu et d'un individu même qui est placé dans des conditions particulières.
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L'observation que je fais ici n'est pas neuve. Elle paraît être la même qui divisa autrefois les universaux et les nominalistes, ou, autrement dit, les idéalistes et les réalistes ou sensualistes. Elle se retrouve dans cette philo¬sophie de la nature où tout est dans tout, où l'on veut tout ramener à quelque chose d'uniforme. C'est toujours la cause des discussions que j'ai eues dans mes travaux. Ainsi, quand j'ai dit que le sue pancréatique émulsionne la graisse, j'ai dit que c'était une propriété spéciale ; on a objecté de suite que d'autres liquides possédaient cette propriété à des degrés divers. Quand j'ai dit que le foie fait du sucre, on a de suite objecté que d'autres organes en faisaient. Encore la même chose pour le grand sympathique ; on a voulu, pour généraliser, ramener le grand sympathique au type il système cérébro-spinal ; j'ai lutté contre cela parce qu'il y a des particularités appartenant aux nerfs du grand sympathique, bien que ce ne soit cependant toujours que des nerfs de sensibilité et de mouvement.
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Conséquemment j'avais la tendance à spécialiser et les autres la tendance à réunir. C'est pour cela qu'on m'a fait le reproche de ne pas être généralisateur, tandis qu'on considère ceux qui tendent à effacer toutes ces spécialités comme des généralisateurs.
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Je pense que les vrais esprits philosophiques sont ceux qui recherchent la vérité et qui la trouvent. Or, je soutiens ici que la vérité consiste non seulement dans la connaissance du type, mais surtout dans la connaissance des rapports de l'individu avec le type. Admettant même le type morbide, le type physiologique, il faut connaître les rapports qui existent entre le cas particulier et le type.
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Dans l'évolution organique, la nature procède par différenciation en partant d'un type originel ; sans doute on peut considérer que l'être organisé dérive d'une cellule originelle, l’œuf, mais ce qu'il importe de savoir, c'est qu'il sort de cette cellule, de ce moule organique, par une succession de diffé¬renciations, des individualités qui vont en se multipliant et en se différenciant de plus en plus à mesure qu'elles s'éloignent de leur origine. De même, dans un arbre, à mesure que les branches s'éloignent du tronc, elles présentent des différences anatomiques et physiologiques d'autant plus grandes, et alors on peut dire que ces différenciations sont plus grandes relativement à l'éloigne¬ment, C'est comme seraient les degrés de la machine de Dubois ; à mesure qu'on s'éloigne du zéro, les degrés, pour la même grandeur, présentent une intensité croissante très rapidement. Les individus qui proviennent de race et de souche communes, à mesure qu'ils s'éloignent de la souche, se différencient de plus en plus et au point de perdre la propriété d'être greffés les uns sur les autres et de pouvoir se reproduire entre eux. Ils diffèrent au point de perdre en quelque sorte leur communauté de sève et de tendre à former des espèces différentes. (Greffer des extrémités d'arbres vieux avec des branches jeunes sorties du tronc; étudier les greffes sous ce rapport.) Cependant toutes ces différenciations sont les seules réalités.
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En résumé, la vérité ne se trouve ni dans le type idéal (universaux), ni dans l'individu (nominaux). Ceux qui soutiennent qu'il n'y a que des individus suppriment J'espèce, le type qui a cependant une existence en nous, c'est-à-dire dans notre esprit. Ceux qui soutiennent qu'il n'y a de vrai que le type idéal qui est en nous suppriment les individus qui ont aussi une existence très réelle en dehors de nous, c'est-à-dire dans le monde extérieur. La vérité réelle ou la vérité vraie doit réunir ces deux éléments et les comprendre dans une même unité. Or, c'est ce qu'on appelle le rapport. La vérité est donc dans le rapport qui existe entre le type idéal et l'individu. La nature a un type idéal en toute chose, c'est positif ; mais jamais ce type n'est réalisé. S'il était réalisé, il n'y aurait pas d'individus ; tout le monde se ressemblerait.
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Cependant on peut dire que tous les individus pris en masse et fondus donneraient une résultante qui serait le type, mais, dans l'état des choses, il n'en est point ainsi et l'individu est en réalité le rapport qui existe entre ce type total et la fraction de ce type qu'il représente ou, en d'autres termes, la diffé¬rence qui le sépare de ce type.
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Dans le règne minéral, la différenciation des individus n'existe pas ; il n'y a pas de cristaux individuels. L'individualité qui D'est qu'un écart en degré, une fraction du type, n'existe que dans les êtres vivants et, à mesure que l'être s'élève, l'individualité se multiplie et s'accentue davantage. Chez les animaux et végétaux sauvages les individus se ressemblent davantage, l'individualité est plus faible que chez les animaux ou végétaux domestiques. C'est dans l'homme où l'individualité acquiert son minimum de développement. Toute¬fois, on peut dire que l'individu a son type original, c'est-à-dire une qualité qui n'appartient qu'à lui et qui, en réalité, constitue pour l'artiste l'essence qu'il faut saisir. Un individu peut avoir un côté du caractère du type exagéré ; ainsi les passions, les sentiments sont exprimés plus fortement par un individu que par le type. Pourrait-on dire qu'il y a une compensation et que chaque individu représente les défauts et les qualités du type exagéré d'une manière compensante ; je ne le crois pas.
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Mais, laissant de côté le point de vue purement philosophique et restrei¬gnant ces idées à ce qui concerne exclusivement la médecine expérimentale, je dirai que cette idée du rapport entre le type et l'individu constitue toute la particularité de chaque être, de chaque état physiologique ou pathologique. C'est en un mot la clef de l'idiosyncrasie, sur laquelle repose toute la médecine. C'est elle, en effet, qui doit nous donner l'explication du passage de la santé à la maladie. Elle est la mesure, elle est une question de degrés qui cependant joue un rôle aussi important que s'il s'agissait d'une question de nature. Il est nécessaire de nous arrêter sur ce sujet important et de bien expliquer ce que nous entendons par l'idiosyncrasie, qui est la variété organi¬que et physiologique la plus élevée et comment elle est contenue cependant dans un type ou une identité de nature qu'on peut concevoir.
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J'ai dit qu'un des obstacles les plus considérables de la biologie en général et de la médecine expérimentale en particulier résidait dans l'individualité. L'expérimentation dans les êtres bruts ne rencontre pas ces difficultés.
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En effet, quand on a trouvé la loi d'un phénomène, il faut nécessairement pour s'en rendre maître, pouvoir placer toujours l'être, qui est le siège du phénomène qu'on veut produire, dans des conditions identiques. Or, cela est très facile dans la nature inorganique. Il suffit de réaliser les conditions exté¬rieures à l'être ; le baromètre, le thermomètre peuvent réaliser ces desiderata.
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L'être brut n'a aucune spontanéité par lui-même, aucune différence indivi-duelle ; dès lors on peut être sûr du résultat obtenu. Mais, quand il s'agit d'un être vivant, l'individualité vient apporter un élément de complexité effroya¬ble ; outre les conditions extérieures à l'individu, vous avez encore à considérer et à régler les conditions organiques intrinsèques, celles de ce que j'appelle le milieu intérieur.
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Mais ce n'est point encore tout ; outre l'individualité organique qui fait que l'être vivant est séparé du milieu extérieur comme un tout à part (microcos¬me), vous avez encore une individualité spécifique, c'est-à-dire un être qui réagit comme être vivant particulier. Ce n'est point encore tout ; dans cette individualité spécifique, vous avez encore une individualité idio-syncrasique, c'est-à-dire une individualité personnelle, car il est clair que tous les individus de la même espèce ne se ressemblent pas. Vous pouvez encore avoir des indi¬vidualités de variétés héréditaires et transmises par une série de générations. Mais faut-il ajouter pour rendre ce tableau déjà si complexe encore plus effrayant pour J'expérimentateur, faut-il ajouter que ce n'est point encore tout ? En effet, outre ces individualités organiques, spécifiques, personnelles, idiosyncrasiques qui sont fixes, nous avons encore des individualités idio¬syncrasiques qui ne sont point fixes et qui varient suivant l'état dans lequel se trouve l'individu. De telle sorte que non seulement l'individu ne ressemble pas à un autre, mais l'individu ne ressemble pas à lui-même dans les divers moments de son existence. Il y a l'âge, le sexe qui amènent des différences. Mais enfin encore, outre l'âge, il y a encore d'autres causes de variétés qui se rencontrent dans l'état d'abstinence, de digestion, d'influence morale, etc. ou dans certaines conditions qui nous sont inconnues et que nous ne pouvons supprimer.
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On voit donc au milieu de quelle complexité inouïe on est obligé d'agir. Mais le but que doit se proposer la médecine expérimentale, c'est précisément de réduire toutes ces variétés idiosyncrasiques à une loi dont chaque cas particulier ne soit qu'un rapport. C'est là la véritable philosophie scientifique. La philosophie des sciences ne consiste pas à réduire tout à un type, à deux ou plusieurs types. Ce qu'il importe de savoir, c'est comment ce type, sous des influences variées, peut arriver à des modifications, à un épanouissement par différenciation, qui constitue toutes les diversités que nous avons sous les yeux.
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Mais toutes ces variétés individuelles idiosyncrasiques, fixes ou mobiles, doivent être liées à des conditions organiques qu'il s'agit de déterminer. Ces conditions ne sont que des conditions anatomiques, chimiques, qu'il s'agit de pouvoir caractériser. Autrefois j’avais cru remarquer que des variations anatomiques (anomalies) sont très nombreuses chez les animaux domestiques et chez l'homme tandis qu'il y a beaucoup moins de variétés chez les animaux sauvages  . Mais, dans tous les cas, indépendamment de ces conditions anatomiques, il y a aussi des qualités de tissus ou d'éléments histologiques différentes qui correspondent à ces variétés idiosyncrasiques. Mais ce que je désire établir ici, c'est que toutes ces variétés idiosyncrasiques, acquises ou non, ne sont que des différences de degrés dans les propriétés, mais jamais une différence de nature de ces propriétés ; ce qui permet de prévoir qu'il y a une loi dont chacun de ces degrés représente un échelon. C'est toujours dans les organes, dans les tissus, ou dans les éléments de tissu que ces différences se rencontrent. Il est probable qu'elles peuvent se rencontrer dans tous les éléments histologiques, globules du sang, muscles, nerfs, glandes, etc. C'est dans l'élément histologique que se trouve la propriété irritable ou excitable ; c'est dans le sang que se rencontre la cause irritante ou excitante. L'idiosyn¬crasie est donc donnée par le degré d'irritabilité de tel ou tel élément histolo¬gique ou par la résultante de toutes ces irritabilités, ce qui donne l'individualité physiologique.
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L'organisme ou les parties organiques vivantes sont susceptibles de réagir contre les agents qui leur sont extérieurs. C'est ce degré de réaction qui carac-térise l'individualité ou l'idiosyncrasie. Ce degré de réaction caractérise la santé ou la maladie. Quand c'est un degré d'irritabilité accidentel ou acquis, il constitue la prédisposition individuelle.
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En résumé, on voit que la médecine doit avoir pour objet de pénétrer dans toutes ces variétés d'organisation et de propriétés que peut éprouver l'orga¬nisme. C'est là le vrai but philosophique du médecin. L'expérimentation seule, à l'état normal et à l'état pathologique, peut arriver à cette analyse. Toutes les inventions anatomiques, normales ou pathologiques, sont insuffisantes et ne peuvent conduire qu'à des systèmes. Les modifications ou les altérations anatomiques ne nous traduisent pas nécessairement les modifications ou les altérations physiologiques. Tantôt ce sont de simples modifications de pro¬priétés physiques ou chimiques, comme je le montrerai. L'anatomie patholo¬gique est donc loin d'avoir l'importance qu'on voudrait lui donner. En un mot, la médecine expérimentale doit avoir pour objet :
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l˚ de faire sur l'individu vivant, sain, des expériences de vivisection et physico-chimiques qui lui dévoilent la propriété de tous les organes, de tous les éléments histologiques à l'état normal ;
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2˚ de faire sur l'individu vivant et malade de différentes manières des expériences parallèles de vivisection et physico-chimiques qui lui apprennent les modifications des propriétés qu'ont subies les organes ou les éléments histologiques, à l'état pathologique ;
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3˚ de déduire, d'après ces études expérimentales, les conditions qui peuvent modifier l'organisme ou les éléments à l'état normal et les faire passer de l'état sain à l'état pathologique et, par contre, d'examiner comment l'orga¬nisme ou les éléments repassent de l'état morbide à l'état sain, soit spontané¬ment, soit à l'aide d'agents susceptibles d'aider la marche de la nature.
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Mais tout cela, je le répète, ne peut être atteint que par une expérimenta¬tion soutenue et non par des systématisations anatomico-pathologiques. Je vais essayer dans ce qui suivra d'indiquer comment la médecine expérimentale doit, suivant moi, procéder pour atteindre son but. Mais il est indispensable que je donne un coup d'œil général sur la manière dont nous pouvons dans l'état actuel de nos connaissances comprendre l'organisme et la vie d'une manière générale, soit à l'état normal, soit à l'état pathologique.
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La vie est un contact entre l'organisme et le monde extérieur que l'on sup-prime l'une ou l'autre de ces deux conditions, la vie cesse.
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Cependant la vie est dans l'organisme, car, dans la vie latente, on fait cesser les manifestations de la vie ou, du moins, elles sont devenues si lentes qu'elles peuvent être considérées comme nulles.
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Mais, pour la médecine, on ne saurait considérer les conditions de la vie d'une manière aussi générale. Il faut voir chez l'homme ainsi que chez les animaux élevés, outre le milieu cosmique général, un milieu propre qui est le sang ou les liquides animaux dans lesquels sont plongés les organes ou tissus, soumis à des conditions particulières, à des excitations propres qui sont celles du système nerveux. De sorte qu'il y a le milieu sanguin et le milieu moral ou nerveux à considérer.
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Enfin, si le milieu extérieur est indispensable à la vie, le milieu intérieur ne lui est pas moins indispensable. Si l'on enlève le sang, aussitôt la vie cesse, comme quand on enlève le milieu extérieur. Quand on modifie le sang, les phénomènes de la vie sont modifiés, comme quand on modifie les conditions du milieu extérieur. Le sang, - milieu intérieur - peut être modifié par des choses ou conditions apportées du dehors, mais il peut aussi être modifié par des conditions et des choses créées au dedans de l'organisme. Le système nerveux devient un puissant modificateur des humeurs ; il peut créer des substances virulentes septiques (exemple : rein, la rage et la morve).
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Le sang remplit donc les fonctions d'un milieu qui peut être normal, altéré ou vicié; mais il remplit encore les conditions d'un liquide nutritif et ce liquide est constitué par une véritable sécrétion organique, par une formation organi¬que analogue à celle qui a lieu à la surface du blastoderme lors du développe¬ment initial. Dans le blastoderme tout est confondu, intestin, foie. C'est l'organe digestif qui fait le sang les éléments n'en sont pas du tout absorbés à l'extérieur, exemple l'albumine qui ne reste pas dans le sang ; il est probable qu'il n'y a pas de colloïdes absorbés par l'intestin, il n'y a que des cristalloïdes.
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En résumé, la première chose à considérer est donc le sang, qui est le milieu organique immédiat. Mais il y a aussi des liquides qui ne sont pas en circulation, qui imbibent les tissus, les sucs propres qui se versent dans le sang par endosmose dans certains cas.
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Avec le sang autour duquel se groupent les appareils digestifs, respiratoire et sécrétoire il faut considérer ce qu'on appelle les épithéliums, les muqueuses, le tissu conjonctif dans lesquels se passent tous les phénomènes de chimie animale et d'évolution organique. C'est dans un stroma de ce genre que se développe l'œuf, l'ovaire. Les glandes, les sécrétions ne sont elles-mêmes que des phénomènes d'évolution chimique.
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Après le sang et les phénomènes d'évolution chimique qui s'y rattachent viennent à considérer les muscles et les nerfs.
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Enfin, si l'on veut faire une classe particulière des phénomènes évolutifs de l'embryon, on le peut, mais ces phénomènes ne diffèrent pas quant à leur nature des phénomènes nutritifs proprement dits.
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Maintenant nous avons l'organisme total qui est composé par un ensemble d'éléments et qui agit et réagit dans le milieu extérieur sous l'influence des excitations cosmiques. Mais nous avons aussi chacun des organes ou des tissus ou des éléments de tissu qui réagissent dans le milieu intérieur (sang), sous l'influence des excitations organiques (globules du sang, système nerveux, sensibilité).
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En vertu de quelle cause l'organisme ou ses éléments réagissent-ils ? L'organisme réagit en vertu de sa sensibilité ; il agit en vertu de la volonté qui n'est qu'une modification de la sensibilité. Certains animaux, certains organes peuvent aussi réagir en vertu d'actions sensibles inconscientes, actions réflexes, enfin les tissus, les éléments organiques, en vertu d'une propriété qui est la seule qui caractérise la vie, en vertu de l'irritabilité ; cette irritabilité peut être mise en jeu par le sang, par des agents extérieurs, mais dans les animaux élevés, elle est mise en jeu par le système nerveux, la sensibilité qui est l'excitant organique spécial, c'est-à-dire qui est créé par l'organisme.
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Chaque partie de l'organisme est harmonisée dans le tout, mais chaque partie a cependant son indépendance, son autonomie, comme l'on dit : déjà van Helmont avait compris cette indépendance par ses archées. Aujourd'hui on a porté cette autonomie jusque dans les éléments histologiques, jusque dans la cellule. Toutes ces propriétés se groupent et s'enchaînent pour produire les phénomènes, mais de ce que toutes ces propriétés constituent un anneau il n'en est pas moins vrai que chaque anneau de cette chaîne est indépendant par ses propriétés de celui qui le suit ou le précède. C'est là une cause qui fait si souvent tromper relativement aux relations de cause à effet. Nous voyons une succession de phénomènes, mais nous ne pouvons pas supposer que le phénomène qui précède est la cause de celui qui le suit.
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Il y a dans l'organisme des propriétés physiques et chimiques. Les phénomènes physico-chimiques sont inséparables des phénomènes vitaux et même psychiques, mais il n'y a pas engendrement des phénomènes vitaux par les chimiques ; il n'y a que parallélisme et cela est vrai pour tous les phéno-mènes vitaux depuis les plus infimes jusqu'aux plus élevés, jusqu'aux phénomènes intellectuels.
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Mais, au fond de tout cela, le principe d'action de tout être vivant, c'est l'irritabilité.
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L'irritabilité est la propriété fondamentale. Sans elle l'organe ne sent pas les excitants et reste en repos.
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Tout ce qui est vivant est irritable ; tout ce qui n'est pas vivant n'est pas irritable.
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Pourrait-on dire d'après cela . la vie, c'est l'irritabilité, c'est-à-dire la propriété de réagir? Non. La vie, c'est la création; la mort, c'est la destruction.
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On a admis dans les éléments histologiques plusieurs irritabilités ; l'irrita-bilité fonctionnelle, l'irritabilité nutritive, etc.
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C'est donc l'irritabilité qui est la cause intime du fonctionnement des orga-nes ; c'est l'excitant qui en est la cause occasionnelle. La matière organique est inerte, comme la matière brute. La matière vivante, l'élément histologique est créé par la force vitale, mais il n'a pas la propriété de se donner le mouvement par lui-même ; la matière vivante est inerte comme la matière brute. Tout excitant doit être extérieur à l'organe ou à l'organule.
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L'excitant, pour les éléments histologiques, est dans le sang et dans les nerfs ; il n'y a que ces deux excitants ; en général, dans les nerfs, se trouve l'excitant fonctionnel ; dans le sang, l'excitant nutritif. Dans le nerf, l'excitant destructif (mort) ; dans le sang, l'excitant créateur (vie).
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L'irritabilité et l'excitation, telles sont les deux conditions de la vie, soit à l'état normal, soit à l'état pathologique. Les anciens considéraient l'irritabilité et l'action des agents extérieurs (W. Edwards) sur tout le corps. Brown et Broussais plaçaient l'irritabilité et l'action des agents extérieurs dans les organes. Virchow a placé l'irritabilité et l'action des agents dans les éléments histologiques.
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La pathologie ne doit donc invoquer que les mêmes propriétés fondamen-tales de la physiologie. Brown et Broussais  semblent avoir été les premiers à comprendre cela. Les déviations de l'irritabilité fonctionnelle donnent la clef d'une foule de maladies. Les déviations de l'irritabilité nutritive ou évolutive donnent la clef d'une foule d'affections morbides (tissus hétérologues). Lorsque l'irritabilité est morbide, on lui donne le nom d'irritation, mais l'une ne paraît être qu'un degré de l'autre. La cellule, excitée normalement, se nourrit et conserve ses propriétés ; la cellule irritée prolifère et s'altère, donne un tissu hétérologue. Virchow ne veut pas que les nerfs soient des causes d'irritation. Je pense le contraire et je crois que le système nerveux qui est un excitant normal peut devenir un excitant pathologique.
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Les propriétés de la matière vivante sont le résultat de la force vitale. Mais leur destruction est le résultat des excitants par des causes extérieures, agents physiques et, sous ce rapport, les vitalistes avaient raison de dire que les agents extérieurs détruisent l'organisme et que la force vitale les conserve. Mais, d'un autre côté, la force vitale ne peut que créer, elle ne manifeste pas les phénomènes de la vie. Ce sont les agents ou excitants qui le font, mais en détruisant l'organe. Mais la manifestation des organes nerveux qui n'est que la mort détermine la manifestation des muscles et ceux-ci d'autres éléments.
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L'irritabilité elle-même n'est qu'une résultante des agents extérieurs. La force vitale crée l'élément et il vit avant d'avoir une fonction déterminée, une irritabilité déterminée. Mais, quand il a une fonction, l'irritabilité détruit l'or¬gane sans qu'il fonctionne ; exemple: un muscle au chaud perd ses propriétés sans fonctionner ; donc l'irritabilité est elle-même une destruction  .
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L'irritabilité est donc elle-même une fonction  . Elle use la matière vivante et même on peut dire que la matière vivante s'use en raison directe de l'intensité de son irritabilité. L'irritabilité est en raison directe de l'intensité des phénomènes physico-chimiques de la chaleur. Mais l'irritabilité n'est pas créée par les phénomènes physico-chimiques ; elle n'est que développée et elle est une manifestation vitale qui met l'organe ou l'élément dans une disposition à fonctionner sous l'influence des excitants.
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Quand on éteint les phénomènes physico-chimiques, on éteint l'irritabilité et cependant l'élément vit ; on ne peut donc pas dire que l'irritabilité caracté¬rise la vie.
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On a longtemps cherché la caractéristique entre les êtres vivants et les êtres bruts. Tiedemann, qui a écrit deux volumes sur ce sujet, finit par dire que les êtres bruts sont des corps qui ne peuvent être modifiés que par des causes extérieures et que ces modifications amènent les corps à tomber en indiffé¬rence chimique avec le milieu ambiant, tandis que les corps vivants ne tombent jamais en indifférence chimique et possèdent en eux une cause d'action spontanée et qu'ils ne sont par conséquent pas liés aux conditions extérieures. C'est là une vérité pour les animaux supérieurs qui ont un milieu intérieur constant et qui est maintenu constant par le système nerveux, mais pour les animaux à sang froid, pour les végétaux, il y a une liaison avec les conditions extérieures et les conditions détruisent l'organisme. Si l'organisme vivant ne tombe pas en indifférence chimique avec le milieu ambiant, c'est parce que la force vitale crée incessamment de nouveaux organes et de nouveaux aliments à ce minotaure qu'on appelle la vie et qu'on devrait appeler la mort. Quand la force vitale ne crée plus d'organes ou d'éléments, l'organis¬me meurt et tombe en indifférence chimique avec le monde extérieur.
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En résumé, c'est sur les propriétés élémentaires que se placent, comme nous l'avons déjà dit, la physiologie, la pathologie et la thérapeutique.
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La physiologie n'est que l'expression normale des phénomènes de la vie.
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La pathologie est l'expression anormale des phénomènes de la vie. Toute¬fois il serait très important de pouvoir se faire une idée exacte de ce que c'est qu'une maladie, une maladie locale, une maladie générale localisée, etc.
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Lorsqu'une lésion locale traumatique survient, elle amène la fièvre par certains produits de décomposition absorbés ou par continuité nerveuse irritative ; la question est indécise. Mais une maladie générale se localise dans les poumons, dans le foie, dans la peau. Coze et d'autres prétendent que c'est l'organe d'élimination de la substance morbigène qui détermine l'action locale. Expériences sur injections de substances s'éliminant par divers organes qui devenaient malades.
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Mais ici cette expression anormale    est toujours relative ; ainsi ce qui est normal pour un organisme peut être une maladie pour un autre ; il y a une maladie de Bright normale chez le chat, un foie gras chez les jeunes chats et chiens ; on ne peut pourtant pas dire que ces animaux soient malades.
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La thérapeutique est une expression des phénomènes de la vie sous l'influence d'agents qui créent des conditions particulières dans lesquelles vivent et réagissent les éléments histologiques.
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Les substances toxiques et médicamenteuses employées en thérapeutique paraissent agir sur les divers éléments histologiques. Je me suis appliqué à démontrer dans les Leçons sur les substances toxiques et médicamenteuses que les poisons et les médicaments analysent les tissus élémentaires et agis¬sent toujours d'une manière générale sur un élément histologique (muscles, nerfs moteurs ou sensitifs ; peut-être cellules, globules du sang).
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Mais est-ce bien sur l'élément histologique que la substance agit ou sur une condition propre à tel ou tel élément histologique ? C'est une des questions les plus intéressantes à bien fixer, afin de savoir au juste ce que c'est qu'un médicament, un poison, un contrepoison, un aliment.
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J'ai dit que chaque substance toxique ou médicamenteuse agit sur des éléments histologiques distincts. Cependant il n'est pas possible de com¬prendre qu'une substance puisse agir sans l'intermédiaire du sang (poulets qui ne se développent plus quand les vaisseaux arrivent, exemple : tétards, asticos qui ont des muscles et qui vivent dans l'upas et dans le curare, etc. ) De sorte qu'on pourrait toujours dire que c'est primitivement sur le sang que la substance a agi.
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Le curare et l'upas agissent en effet, je crois, sur le sang ou ses produits ou le plasma. Mais il faut admettre alors que la substance produit une altération du sang qui arrête la nutrition d'un élément histologique et pas d'un autre. Par exemple, le curare arrêterait la nutrition du nerf par les extrémités, comme quand on suspend le cours du sang ; l'upas arrêterait la nutrition de la fibre musculaire en déterminant une réaction acide, et ainsi de suite pour la digita¬line et autres substances. (Reprendre l'étude des substances toxiques et médicamenteuses particulières.) L'action médicamenteuse toxique est du reste extrêmement variable suivant les doses de la substance qu'on administre. C'est là un des points les plus intéressants à étudier.
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Version du 9 septembre 2020 à 17:12

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Les trois parties constituantes de la médecine expérimentale reposent sur la même base

Partie 1

Les trois parties constituantes de la médecine expérimentale reposent sur la même base ; rapports de l'organisation et de l'action La première chose à établir à notre point de vue, c'est que la physiologie doit former la base de toute médecine scientifique. La pathologie ne constitue pas du tout un domaine distinct de la physiologie. Nous admettrons que l'état pathologique ne crée rien. Toute maladie n'est qu'un dérangement fonctionnel et elle a par conséquent une fonction qui lui correspond normalement. C'était l'opinion de Broussais que la pathologie n'était que la physiologie, puisqu'il l'appelait la médecine physiologique. Ça a été là tout le progrès de sa manière de voir.

Ce n'est pas l'opinion de la plupart des médecins qui reconnaissent des entités morbides, des créations morbides. Tout cela, ce ne sont que des mots. Les maladies ne sont, en réalité, que des sortes d'empoisonnements évolutifs rapides ou lents. Les empoisonnements artificiels par agents toxiques sont dans le même cas. Chaque empoisonnement est caractérisé par un ensemble de dérangements, chaque empoisonnement a ses caractères, ses symptômes, son évolution, ses lésions anatomiques, son entité en un mot. Or, le poison n'a pas créé d'organes nouveaux, de fonctions pathologiques nouvelles ; il n'a fait que déranger les fonctions. Il est évident, par exemple, que la fièvre inter¬mittente simple n'est qu'un trouble des phénomènes circulatoires ; les convulsions, le tétanos ne sont qu'un trouble des phénomènes nerveux. Aucun des symptômes n'est caractérisé par des organes ou des produits nouveaux qu'on pourrait rapporter à l'effet de la maladie. Mais il arrive quelquefois que des produits nouveaux se manifestent. Comme on ne les voyait pas à l'état normal et qu'on les voit disparaître avec la maladie, on est porté à les considé¬rer comme créés de toutes pièces par l'état pathologique. Cela tient simple¬ment à ce que nous ne connaissons pas toutes les fonctions physiologiques, nous les prenons pour des phénomènes pathologiques nouveaux créés par la maladie. Je citerai à ce sujet un exemple qui me semble frappant.

Le diabète est une maladie très anciennement comme et qui consiste dans la manifestation d'un certain nombre de troubles du côté de la nutrition avec apparition de quantités plus ou moins grandes de sucre dans les urines. Les médecins ont tout naturellement attribué cette formation du sucre à la maladie, c'est-à-dire à une force nouvelle morbifique qui se serait introduite dans l'état normal et qui aurait fabriqué un produit anormal, le sucre. On sait aujourd'hui qu'il n'en est rien. J'ai établi que le sucre est un élément normal de l'économie ; seulement la production du sucre qui est assez modérée dans l'état normal pour que le sucre n'apparaisse pas dans les urines, ou du moins en très faible quantité, devient, dans certains cas du trouble, très abondant. C'est alors le diabète. On voit donc cependant que les produits du diabète n'ont pas été créés par une force morbide quelconque. Le diabète correspond à une fonction nor-male, la glycogénie, qui est troublée. Nous en dirons autant des produits hétérologues ; il y a physiologique ment une régénération cellulaire constante qui est très manifeste dans les épithéliums.

Les formations de tissus hétérologues ne sont que des troubles ou des déviations de cette régénération normale. Mais certainement beaucoup de médecins diront que la maladie produit des choses nouvelles, et ils demande¬ront à quoi de normal correspond la variole, la rougeole, la scarlatine, etc. Je répondrai que ces maladies répondent évidemment à des fonctions de la peau qui nous sont encore inconnues. Sans doute nous ne pouvons pas le démontrer aujourd'hui, mais ce n'est pas une raison parce qu'il y a des points encore obscurs dans la médecine, où la physiologie ne peut pas pénétrer, pour crier que ces sciences n'ont pas de rapport et que la physiologie n'est pas la base de la pathologie.

L'état physiologique et l'état pathologique ne sauraient être considérés comme deux états distincts qui se remplacent. L'état pathologique ne chasse jamais l'état physiologique. L'état physiologique est toujours présent ; sans cela la santé ne pourrait jamais réapparaître. C'est la nature médicatrice d'Hippocrate.

On peut donc admettre que l'organisation dérangée par la maladie, c'est-à-dire par une condition anormale, a de la tendance à revenir à son état normal, comme une race revient par atavisme.

La thérapeutique ne peut donc être autre chose que la production de condi-tions artificielles propres à favoriser la tendance de l'organisation à revenir à son état normal. On peut réussir soit en agissant par des substances introduites dans le sang, soit en agissant sur le système nerveux périphérique, soit en plaçant l'être tout entier dans un milieu convenable.

La thérapeutique, c'est-à-dire le traitement repose donc également sur la connaissance des lois des phénomènes, sur la connaissance de leurs conditions d'existence, afin de provoquer les conditions favorables à la guérison naturelle des maladies. Ce qui veut dire, en d'autres termes, que la thérapeutique est inséparable de la pathologie. La méthode expérimentale prouvera sans doute que toute la polypharmacie ne signifie rien. Il faut, avant tout, laisser guérir les maladies quand on ne sait pas les guérir. La thérapeutique doit donc laisser guérir les malades et, si des remèdes guérissent, ils ne doivent pas déterminer la guérison autrement que par le procédé naturel.

Mais, tout en admettant que la pathologie n'est qu'un dérangement de la physiologie dans certains cas, et que l'état physiologique tend toujours à reparaître preuve qu'il n'est pas détruit, on pourra faire des objections et dire : comment peut-on admettre que les virus soient des produits qui correspondent à quelque chose de physiologique ? Cela est parfaitement admissible et vrai. Le virils morveux se forme sous nos yeux par excès de travail ; l'abstinence rend la morve aiguë, qui devient contagieuse, tandis que la chronique (farcin) ne l'est pas. C'est, l'affaiblissement du système nerveux. La section du sympathique ou de la 5e paire produirait-elle un virus morveux ? Dans le rein, la section des nerfs produit un véritable virus transmissible. C'est do-ne par altération nerveuse. Ces altérations nerveuses amènent une décomposition putride qui se verse dans le sang et l'infecte d'une manière continuelle ; ces venins ou virus deviennent alors transmissibles. Le virus syphilitique a dû se produire ainsi. Le virus rabique se produit aussi sous l'influence nerveuse ; vient-il des glandes salivaires ou de la muqueuse buccale ? Toutes ces questions sont de la pathologie expérimentale ; il faut savoir comment ces virus se forment. Ce sont des altérations de liquides sous des influences nerveuses. Il y en a sans doute beaucoup qui sont produits par les nerfs. Ce sont des altérations de liquide ou tissus physiologiques ; exemple : rein ; le sang de rate, le sang d'animaux morts de faim sont aussi des virus. -Voir si par la dialyse on ne pourrait pas séparer un corps toxique cristallin dans tous ces venins, virus ou liquides septiques. C'est probable, car Renault dit que le chlore ne détruit pas le virus morveux. Voir le vaccin ; étudier avec ces idées les maladies virulentes, qui résultent des altérations spéciales des liquides normaux sous l'influence du système nerveux ou autrement ; d'où l'on voit que des influences morales peuvent produire des maladies septiques. La substance septique peut donc naître dans l'individu, se former dans le milieu intérieur (sang).

C'est donc dans les éléments histologiques normaux, sains ou altérés, dans les liquides normaux, sains ou altérés, qu'il faut chercher les causes de tous les phénomènes physiologiques et pathologiques, mais sans croire qu'il y a un état pathologique idéal, une entité.

La maladie a une forme évolutive par la nature même de l'organisme ; une cause agit, augmentation de la maladie ; elle n'agit plus, décroissance de la maladie. Nous avons dans la section du nerf de la glande sous-maxillaire l'image d'une maladie évolutive. Nous coupons le nerf : statu quo pendant quelques jours. C'est l'incubation, puis, quand le nerf est détruit, la glande fonctionne toujours, et la glande s'altère, diminue de volume : maladie ; puis le nerf se rétablit, la glande sécrète de moins en moins, et l'état normal revient. C'est le déclin de la maladie. Supposez qu'un virus agisse sur un nerf pour se reproduire, vous aurez la même image.

En résumé, d'après tout ce qui précède, nous avons vu qu'aujourd'hui, par l'analyse successive que la science a introduite, nous sommes conduits à admettre que la médecine expérimentale repose uniquement comme base essentielle sur l'étude des éléments organiques considérés soit à l'état phy-siologique, soit à l'état pathologique. C'est sur cette base unique que reposent les trois branches de la médecine expérimentale, savoir : la physiologie, la pathologie et la thérapeutique expérimentales.

Actuellement nous avons vu que tout élément organique peut être con¬sidéré comme se réduisant à une cellule. De sorte que, en fin de compte, toute la physiologie et la pathologie animales et végétales ne seraient qu'une cellule. C'est là un idéal que Virchow a voulu réaliser dans la pathologie cellulaire, un idéal auquel la science arriverait. Mais toutes les choses se perdent par leur excès et si la généralité est bonne, quand elle est poussée trop loin, elle est absurde ; il faut conserver le sentiment du spécial dans cette généralisation, car, autrement, ce serait de l'uniformisation, au lieu d'être de la généralisation.

Sans doute la science consiste à ramener le particulier au général et à comprendre toutes les variétés dans une unité typique. En biologie comme ailleurs, cela paraît devoir être la règle et la tendance des hommes philoso-phiques. Cependant par cette recherche on arrive à une conception idéale typique qui n'est rien moins que pratique. En effet, que l'on finisse, avec Darwin, par arriver à une espèce unique et qu'après, dans cette espèce unique, on finisse par arriver à un individu unique, et qu'enfin dans cet individu unique, on finisse par arriver à un tissu unique, on aura une cellule qui sera le commencement, l'origine de tout ce qui existe d'animé. Mais à quoi cela se rapporte-t-il en réalité ? A rien. Est-ce que nous ne sommes pas obligés de compter avec tout ce qui existe et est-ce qu'il y a autre chose que des indi¬vidus ? Que, de même, dans la théorie de Gœthe, on arrive à prouver qu'une feuille, une fleur, etc. sont la même chose originellement, ne sommes-nous pas obligés de les considérer en réalité comme des choses distinctes ? Et si l'on peut dire que la vérité est dans le type, la réalité est toujours en dehors de ce type et elle en diffère constamment. Or, pour le médecin, c'est là une chose très importante. C'est à l'individu qu'il a toujours affaire, Il n'est point le médecin du type humain, de l'espèce humaine ; il est le médecin d'un individu et d'un individu même qui est placé dans des conditions particulières.

L'observation que je fais ici n'est pas neuve. Elle paraît être la même qui divisa autrefois les universaux et les nominalistes, ou, autrement dit, les idéalistes et les réalistes ou sensualistes. Elle se retrouve dans cette philo¬sophie de la nature où tout est dans tout, où l'on veut tout ramener à quelque chose d'uniforme. C'est toujours la cause des discussions que j'ai eues dans mes travaux. Ainsi, quand j'ai dit que le sue pancréatique émulsionne la graisse, j'ai dit que c'était une propriété spéciale ; on a objecté de suite que d'autres liquides possédaient cette propriété à des degrés divers. Quand j'ai dit que le foie fait du sucre, on a de suite objecté que d'autres organes en faisaient. Encore la même chose pour le grand sympathique ; on a voulu, pour généraliser, ramener le grand sympathique au type il système cérébro-spinal ; j'ai lutté contre cela parce qu'il y a des particularités appartenant aux nerfs du grand sympathique, bien que ce ne soit cependant toujours que des nerfs de sensibilité et de mouvement.

Conséquemment j'avais la tendance à spécialiser et les autres la tendance à réunir. C'est pour cela qu'on m'a fait le reproche de ne pas être généralisateur, tandis qu'on considère ceux qui tendent à effacer toutes ces spécialités comme des généralisateurs.

Je pense que les vrais esprits philosophiques sont ceux qui recherchent la vérité et qui la trouvent. Or, je soutiens ici que la vérité consiste non seulement dans la connaissance du type, mais surtout dans la connaissance des rapports de l'individu avec le type. Admettant même le type morbide, le type physiologique, il faut connaître les rapports qui existent entre le cas particulier et le type.

Dans l'évolution organique, la nature procède par différenciation en partant d'un type originel ; sans doute on peut considérer que l'être organisé dérive d'une cellule originelle, l’œuf, mais ce qu'il importe de savoir, c'est qu'il sort de cette cellule, de ce moule organique, par une succession de diffé¬renciations, des individualités qui vont en se multipliant et en se différenciant de plus en plus à mesure qu'elles s'éloignent de leur origine. De même, dans un arbre, à mesure que les branches s'éloignent du tronc, elles présentent des différences anatomiques et physiologiques d'autant plus grandes, et alors on peut dire que ces différenciations sont plus grandes relativement à l'éloigne¬ment, C'est comme seraient les degrés de la machine de Dubois ; à mesure qu'on s'éloigne du zéro, les degrés, pour la même grandeur, présentent une intensité croissante très rapidement. Les individus qui proviennent de race et de souche communes, à mesure qu'ils s'éloignent de la souche, se différencient de plus en plus et au point de perdre la propriété d'être greffés les uns sur les autres et de pouvoir se reproduire entre eux. Ils diffèrent au point de perdre en quelque sorte leur communauté de sève et de tendre à former des espèces différentes. (Greffer des extrémités d'arbres vieux avec des branches jeunes sorties du tronc; étudier les greffes sous ce rapport.) Cependant toutes ces différenciations sont les seules réalités.

En résumé, la vérité ne se trouve ni dans le type idéal (universaux), ni dans l'individu (nominaux). Ceux qui soutiennent qu'il n'y a que des individus suppriment J'espèce, le type qui a cependant une existence en nous, c'est-à-dire dans notre esprit. Ceux qui soutiennent qu'il n'y a de vrai que le type idéal qui est en nous suppriment les individus qui ont aussi une existence très réelle en dehors de nous, c'est-à-dire dans le monde extérieur. La vérité réelle ou la vérité vraie doit réunir ces deux éléments et les comprendre dans une même unité. Or, c'est ce qu'on appelle le rapport. La vérité est donc dans le rapport qui existe entre le type idéal et l'individu. La nature a un type idéal en toute chose, c'est positif ; mais jamais ce type n'est réalisé. S'il était réalisé, il n'y aurait pas d'individus ; tout le monde se ressemblerait.

Cependant on peut dire que tous les individus pris en masse et fondus donneraient une résultante qui serait le type, mais, dans l'état des choses, il n'en est point ainsi et l'individu est en réalité le rapport qui existe entre ce type total et la fraction de ce type qu'il représente ou, en d'autres termes, la diffé¬rence qui le sépare de ce type.

Dans le règne minéral, la différenciation des individus n'existe pas ; il n'y a pas de cristaux individuels. L'individualité qui D'est qu'un écart en degré, une fraction du type, n'existe que dans les êtres vivants et, à mesure que l'être s'élève, l'individualité se multiplie et s'accentue davantage. Chez les animaux et végétaux sauvages les individus se ressemblent davantage, l'individualité est plus faible que chez les animaux ou végétaux domestiques. C'est dans l'homme où l'individualité acquiert son minimum de développement. Toute¬fois, on peut dire que l'individu a son type original, c'est-à-dire une qualité qui n'appartient qu'à lui et qui, en réalité, constitue pour l'artiste l'essence qu'il faut saisir. Un individu peut avoir un côté du caractère du type exagéré ; ainsi les passions, les sentiments sont exprimés plus fortement par un individu que par le type. Pourrait-on dire qu'il y a une compensation et que chaque individu représente les défauts et les qualités du type exagéré d'une manière compensante ; je ne le crois pas.

Mais, laissant de côté le point de vue purement philosophique et restrei¬gnant ces idées à ce qui concerne exclusivement la médecine expérimentale, je dirai que cette idée du rapport entre le type et l'individu constitue toute la particularité de chaque être, de chaque état physiologique ou pathologique. C'est en un mot la clef de l'idiosyncrasie, sur laquelle repose toute la médecine. C'est elle, en effet, qui doit nous donner l'explication du passage de la santé à la maladie. Elle est la mesure, elle est une question de degrés qui cependant joue un rôle aussi important que s'il s'agissait d'une question de nature. Il est nécessaire de nous arrêter sur ce sujet important et de bien expliquer ce que nous entendons par l'idiosyncrasie, qui est la variété organi¬que et physiologique la plus élevée et comment elle est contenue cependant dans un type ou une identité de nature qu'on peut concevoir.

J'ai dit qu'un des obstacles les plus considérables de la biologie en général et de la médecine expérimentale en particulier résidait dans l'individualité. L'expérimentation dans les êtres bruts ne rencontre pas ces difficultés.

En effet, quand on a trouvé la loi d'un phénomène, il faut nécessairement pour s'en rendre maître, pouvoir placer toujours l'être, qui est le siège du phénomène qu'on veut produire, dans des conditions identiques. Or, cela est très facile dans la nature inorganique. Il suffit de réaliser les conditions exté¬rieures à l'être ; le baromètre, le thermomètre peuvent réaliser ces desiderata.

L'être brut n'a aucune spontanéité par lui-même, aucune différence indivi-duelle ; dès lors on peut être sûr du résultat obtenu. Mais, quand il s'agit d'un être vivant, l'individualité vient apporter un élément de complexité effroya¬ble ; outre les conditions extérieures à l'individu, vous avez encore à considérer et à régler les conditions organiques intrinsèques, celles de ce que j'appelle le milieu intérieur.

Mais ce n'est point encore tout ; outre l'individualité organique qui fait que l'être vivant est séparé du milieu extérieur comme un tout à part (microcos¬me), vous avez encore une individualité spécifique, c'est-à-dire un être qui réagit comme être vivant particulier. Ce n'est point encore tout ; dans cette individualité spécifique, vous avez encore une individualité idio-syncrasique, c'est-à-dire une individualité personnelle, car il est clair que tous les individus de la même espèce ne se ressemblent pas. Vous pouvez encore avoir des indi¬vidualités de variétés héréditaires et transmises par une série de générations. Mais faut-il ajouter pour rendre ce tableau déjà si complexe encore plus effrayant pour J'expérimentateur, faut-il ajouter que ce n'est point encore tout ? En effet, outre ces individualités organiques, spécifiques, personnelles, idiosyncrasiques qui sont fixes, nous avons encore des individualités idio¬syncrasiques qui ne sont point fixes et qui varient suivant l'état dans lequel se trouve l'individu. De telle sorte que non seulement l'individu ne ressemble pas à un autre, mais l'individu ne ressemble pas à lui-même dans les divers moments de son existence. Il y a l'âge, le sexe qui amènent des différences. Mais enfin encore, outre l'âge, il y a encore d'autres causes de variétés qui se rencontrent dans l'état d'abstinence, de digestion, d'influence morale, etc. ou dans certaines conditions qui nous sont inconnues et que nous ne pouvons supprimer.

On voit donc au milieu de quelle complexité inouïe on est obligé d'agir. Mais le but que doit se proposer la médecine expérimentale, c'est précisément de réduire toutes ces variétés idiosyncrasiques à une loi dont chaque cas particulier ne soit qu'un rapport. C'est là la véritable philosophie scientifique. La philosophie des sciences ne consiste pas à réduire tout à un type, à deux ou plusieurs types. Ce qu'il importe de savoir, c'est comment ce type, sous des influences variées, peut arriver à des modifications, à un épanouissement par différenciation, qui constitue toutes les diversités que nous avons sous les yeux.

Mais toutes ces variétés individuelles idiosyncrasiques, fixes ou mobiles, doivent être liées à des conditions organiques qu'il s'agit de déterminer. Ces conditions ne sont que des conditions anatomiques, chimiques, qu'il s'agit de pouvoir caractériser. Autrefois j’avais cru remarquer que des variations anatomiques (anomalies) sont très nombreuses chez les animaux domestiques et chez l'homme tandis qu'il y a beaucoup moins de variétés chez les animaux sauvages . Mais, dans tous les cas, indépendamment de ces conditions anatomiques, il y a aussi des qualités de tissus ou d'éléments histologiques différentes qui correspondent à ces variétés idiosyncrasiques. Mais ce que je désire établir ici, c'est que toutes ces variétés idiosyncrasiques, acquises ou non, ne sont que des différences de degrés dans les propriétés, mais jamais une différence de nature de ces propriétés ; ce qui permet de prévoir qu'il y a une loi dont chacun de ces degrés représente un échelon. C'est toujours dans les organes, dans les tissus, ou dans les éléments de tissu que ces différences se rencontrent. Il est probable qu'elles peuvent se rencontrer dans tous les éléments histologiques, globules du sang, muscles, nerfs, glandes, etc. C'est dans l'élément histologique que se trouve la propriété irritable ou excitable ; c'est dans le sang que se rencontre la cause irritante ou excitante. L'idiosyn¬crasie est donc donnée par le degré d'irritabilité de tel ou tel élément histolo¬gique ou par la résultante de toutes ces irritabilités, ce qui donne l'individualité physiologique.

L'organisme ou les parties organiques vivantes sont susceptibles de réagir contre les agents qui leur sont extérieurs. C'est ce degré de réaction qui carac-térise l'individualité ou l'idiosyncrasie. Ce degré de réaction caractérise la santé ou la maladie. Quand c'est un degré d'irritabilité accidentel ou acquis, il constitue la prédisposition individuelle.

En résumé, on voit que la médecine doit avoir pour objet de pénétrer dans toutes ces variétés d'organisation et de propriétés que peut éprouver l'orga¬nisme. C'est là le vrai but philosophique du médecin. L'expérimentation seule, à l'état normal et à l'état pathologique, peut arriver à cette analyse. Toutes les inventions anatomiques, normales ou pathologiques, sont insuffisantes et ne peuvent conduire qu'à des systèmes. Les modifications ou les altérations anatomiques ne nous traduisent pas nécessairement les modifications ou les altérations physiologiques. Tantôt ce sont de simples modifications de pro¬priétés physiques ou chimiques, comme je le montrerai. L'anatomie patholo¬gique est donc loin d'avoir l'importance qu'on voudrait lui donner. En un mot, la médecine expérimentale doit avoir pour objet :

l˚ de faire sur l'individu vivant, sain, des expériences de vivisection et physico-chimiques qui lui dévoilent la propriété de tous les organes, de tous les éléments histologiques à l'état normal ;

2˚ de faire sur l'individu vivant et malade de différentes manières des expériences parallèles de vivisection et physico-chimiques qui lui apprennent les modifications des propriétés qu'ont subies les organes ou les éléments histologiques, à l'état pathologique ;

3˚ de déduire, d'après ces études expérimentales, les conditions qui peuvent modifier l'organisme ou les éléments à l'état normal et les faire passer de l'état sain à l'état pathologique et, par contre, d'examiner comment l'orga¬nisme ou les éléments repassent de l'état morbide à l'état sain, soit spontané¬ment, soit à l'aide d'agents susceptibles d'aider la marche de la nature.

Mais tout cela, je le répète, ne peut être atteint que par une expérimenta¬tion soutenue et non par des systématisations anatomico-pathologiques. Je vais essayer dans ce qui suivra d'indiquer comment la médecine expérimentale doit, suivant moi, procéder pour atteindre son but. Mais il est indispensable que je donne un coup d'œil général sur la manière dont nous pouvons dans l'état actuel de nos connaissances comprendre l'organisme et la vie d'une manière générale, soit à l'état normal, soit à l'état pathologique.

La vie est un contact entre l'organisme et le monde extérieur que l'on sup-prime l'une ou l'autre de ces deux conditions, la vie cesse.

Cependant la vie est dans l'organisme, car, dans la vie latente, on fait cesser les manifestations de la vie ou, du moins, elles sont devenues si lentes qu'elles peuvent être considérées comme nulles.

Mais, pour la médecine, on ne saurait considérer les conditions de la vie d'une manière aussi générale. Il faut voir chez l'homme ainsi que chez les animaux élevés, outre le milieu cosmique général, un milieu propre qui est le sang ou les liquides animaux dans lesquels sont plongés les organes ou tissus, soumis à des conditions particulières, à des excitations propres qui sont celles du système nerveux. De sorte qu'il y a le milieu sanguin et le milieu moral ou nerveux à considérer.

Enfin, si le milieu extérieur est indispensable à la vie, le milieu intérieur ne lui est pas moins indispensable. Si l'on enlève le sang, aussitôt la vie cesse, comme quand on enlève le milieu extérieur. Quand on modifie le sang, les phénomènes de la vie sont modifiés, comme quand on modifie les conditions du milieu extérieur. Le sang, - milieu intérieur - peut être modifié par des choses ou conditions apportées du dehors, mais il peut aussi être modifié par des conditions et des choses créées au dedans de l'organisme. Le système nerveux devient un puissant modificateur des humeurs ; il peut créer des substances virulentes septiques (exemple : rein, la rage et la morve).

Le sang remplit donc les fonctions d'un milieu qui peut être normal, altéré ou vicié; mais il remplit encore les conditions d'un liquide nutritif et ce liquide est constitué par une véritable sécrétion organique, par une formation organi¬que analogue à celle qui a lieu à la surface du blastoderme lors du développe¬ment initial. Dans le blastoderme tout est confondu, intestin, foie. C'est l'organe digestif qui fait le sang les éléments n'en sont pas du tout absorbés à l'extérieur, exemple l'albumine qui ne reste pas dans le sang ; il est probable qu'il n'y a pas de colloïdes absorbés par l'intestin, il n'y a que des cristalloïdes.

En résumé, la première chose à considérer est donc le sang, qui est le milieu organique immédiat. Mais il y a aussi des liquides qui ne sont pas en circulation, qui imbibent les tissus, les sucs propres qui se versent dans le sang par endosmose dans certains cas.

Avec le sang autour duquel se groupent les appareils digestifs, respiratoire et sécrétoire il faut considérer ce qu'on appelle les épithéliums, les muqueuses, le tissu conjonctif dans lesquels se passent tous les phénomènes de chimie animale et d'évolution organique. C'est dans un stroma de ce genre que se développe l'œuf, l'ovaire. Les glandes, les sécrétions ne sont elles-mêmes que des phénomènes d'évolution chimique.

Après le sang et les phénomènes d'évolution chimique qui s'y rattachent viennent à considérer les muscles et les nerfs.

Enfin, si l'on veut faire une classe particulière des phénomènes évolutifs de l'embryon, on le peut, mais ces phénomènes ne diffèrent pas quant à leur nature des phénomènes nutritifs proprement dits.

Maintenant nous avons l'organisme total qui est composé par un ensemble d'éléments et qui agit et réagit dans le milieu extérieur sous l'influence des excitations cosmiques. Mais nous avons aussi chacun des organes ou des tissus ou des éléments de tissu qui réagissent dans le milieu intérieur (sang), sous l'influence des excitations organiques (globules du sang, système nerveux, sensibilité).

En vertu de quelle cause l'organisme ou ses éléments réagissent-ils ? L'organisme réagit en vertu de sa sensibilité ; il agit en vertu de la volonté qui n'est qu'une modification de la sensibilité. Certains animaux, certains organes peuvent aussi réagir en vertu d'actions sensibles inconscientes, actions réflexes, enfin les tissus, les éléments organiques, en vertu d'une propriété qui est la seule qui caractérise la vie, en vertu de l'irritabilité ; cette irritabilité peut être mise en jeu par le sang, par des agents extérieurs, mais dans les animaux élevés, elle est mise en jeu par le système nerveux, la sensibilité qui est l'excitant organique spécial, c'est-à-dire qui est créé par l'organisme.

Chaque partie de l'organisme est harmonisée dans le tout, mais chaque partie a cependant son indépendance, son autonomie, comme l'on dit : déjà van Helmont avait compris cette indépendance par ses archées. Aujourd'hui on a porté cette autonomie jusque dans les éléments histologiques, jusque dans la cellule. Toutes ces propriétés se groupent et s'enchaînent pour produire les phénomènes, mais de ce que toutes ces propriétés constituent un anneau il n'en est pas moins vrai que chaque anneau de cette chaîne est indépendant par ses propriétés de celui qui le suit ou le précède. C'est là une cause qui fait si souvent tromper relativement aux relations de cause à effet. Nous voyons une succession de phénomènes, mais nous ne pouvons pas supposer que le phénomène qui précède est la cause de celui qui le suit.

Il y a dans l'organisme des propriétés physiques et chimiques. Les phénomènes physico-chimiques sont inséparables des phénomènes vitaux et même psychiques, mais il n'y a pas engendrement des phénomènes vitaux par les chimiques ; il n'y a que parallélisme et cela est vrai pour tous les phéno-mènes vitaux depuis les plus infimes jusqu'aux plus élevés, jusqu'aux phénomènes intellectuels.

Mais, au fond de tout cela, le principe d'action de tout être vivant, c'est l'irritabilité.

L'irritabilité est la propriété fondamentale. Sans elle l'organe ne sent pas les excitants et reste en repos.

Tout ce qui est vivant est irritable ; tout ce qui n'est pas vivant n'est pas irritable.

Pourrait-on dire d'après cela . la vie, c'est l'irritabilité, c'est-à-dire la propriété de réagir? Non. La vie, c'est la création; la mort, c'est la destruction.

On a admis dans les éléments histologiques plusieurs irritabilités ; l'irrita-bilité fonctionnelle, l'irritabilité nutritive, etc.

C'est donc l'irritabilité qui est la cause intime du fonctionnement des orga-nes ; c'est l'excitant qui en est la cause occasionnelle. La matière organique est inerte, comme la matière brute. La matière vivante, l'élément histologique est créé par la force vitale, mais il n'a pas la propriété de se donner le mouvement par lui-même ; la matière vivante est inerte comme la matière brute. Tout excitant doit être extérieur à l'organe ou à l'organule.

L'excitant, pour les éléments histologiques, est dans le sang et dans les nerfs ; il n'y a que ces deux excitants ; en général, dans les nerfs, se trouve l'excitant fonctionnel ; dans le sang, l'excitant nutritif. Dans le nerf, l'excitant destructif (mort) ; dans le sang, l'excitant créateur (vie).

L'irritabilité et l'excitation, telles sont les deux conditions de la vie, soit à l'état normal, soit à l'état pathologique. Les anciens considéraient l'irritabilité et l'action des agents extérieurs (W. Edwards) sur tout le corps. Brown et Broussais plaçaient l'irritabilité et l'action des agents extérieurs dans les organes. Virchow a placé l'irritabilité et l'action des agents dans les éléments histologiques.

La pathologie ne doit donc invoquer que les mêmes propriétés fondamen-tales de la physiologie. Brown et Broussais semblent avoir été les premiers à comprendre cela. Les déviations de l'irritabilité fonctionnelle donnent la clef d'une foule de maladies. Les déviations de l'irritabilité nutritive ou évolutive donnent la clef d'une foule d'affections morbides (tissus hétérologues). Lorsque l'irritabilité est morbide, on lui donne le nom d'irritation, mais l'une ne paraît être qu'un degré de l'autre. La cellule, excitée normalement, se nourrit et conserve ses propriétés ; la cellule irritée prolifère et s'altère, donne un tissu hétérologue. Virchow ne veut pas que les nerfs soient des causes d'irritation. Je pense le contraire et je crois que le système nerveux qui est un excitant normal peut devenir un excitant pathologique.

Les propriétés de la matière vivante sont le résultat de la force vitale. Mais leur destruction est le résultat des excitants par des causes extérieures, agents physiques et, sous ce rapport, les vitalistes avaient raison de dire que les agents extérieurs détruisent l'organisme et que la force vitale les conserve. Mais, d'un autre côté, la force vitale ne peut que créer, elle ne manifeste pas les phénomènes de la vie. Ce sont les agents ou excitants qui le font, mais en détruisant l'organe. Mais la manifestation des organes nerveux qui n'est que la mort détermine la manifestation des muscles et ceux-ci d'autres éléments.

L'irritabilité elle-même n'est qu'une résultante des agents extérieurs. La force vitale crée l'élément et il vit avant d'avoir une fonction déterminée, une irritabilité déterminée. Mais, quand il a une fonction, l'irritabilité détruit l'or¬gane sans qu'il fonctionne ; exemple: un muscle au chaud perd ses propriétés sans fonctionner ; donc l'irritabilité est elle-même une destruction .

L'irritabilité est donc elle-même une fonction . Elle use la matière vivante et même on peut dire que la matière vivante s'use en raison directe de l'intensité de son irritabilité. L'irritabilité est en raison directe de l'intensité des phénomènes physico-chimiques de la chaleur. Mais l'irritabilité n'est pas créée par les phénomènes physico-chimiques ; elle n'est que développée et elle est une manifestation vitale qui met l'organe ou l'élément dans une disposition à fonctionner sous l'influence des excitants.

Quand on éteint les phénomènes physico-chimiques, on éteint l'irritabilité et cependant l'élément vit ; on ne peut donc pas dire que l'irritabilité caracté¬rise la vie.

On a longtemps cherché la caractéristique entre les êtres vivants et les êtres bruts. Tiedemann, qui a écrit deux volumes sur ce sujet, finit par dire que les êtres bruts sont des corps qui ne peuvent être modifiés que par des causes extérieures et que ces modifications amènent les corps à tomber en indiffé¬rence chimique avec le milieu ambiant, tandis que les corps vivants ne tombent jamais en indifférence chimique et possèdent en eux une cause d'action spontanée et qu'ils ne sont par conséquent pas liés aux conditions extérieures. C'est là une vérité pour les animaux supérieurs qui ont un milieu intérieur constant et qui est maintenu constant par le système nerveux, mais pour les animaux à sang froid, pour les végétaux, il y a une liaison avec les conditions extérieures et les conditions détruisent l'organisme. Si l'organisme vivant ne tombe pas en indifférence chimique avec le milieu ambiant, c'est parce que la force vitale crée incessamment de nouveaux organes et de nouveaux aliments à ce minotaure qu'on appelle la vie et qu'on devrait appeler la mort. Quand la force vitale ne crée plus d'organes ou d'éléments, l'organis¬me meurt et tombe en indifférence chimique avec le monde extérieur.

En résumé, c'est sur les propriétés élémentaires que se placent, comme nous l'avons déjà dit, la physiologie, la pathologie et la thérapeutique.

La physiologie n'est que l'expression normale des phénomènes de la vie.

La pathologie est l'expression anormale des phénomènes de la vie. Toute¬fois il serait très important de pouvoir se faire une idée exacte de ce que c'est qu'une maladie, une maladie locale, une maladie générale localisée, etc.

Lorsqu'une lésion locale traumatique survient, elle amène la fièvre par certains produits de décomposition absorbés ou par continuité nerveuse irritative ; la question est indécise. Mais une maladie générale se localise dans les poumons, dans le foie, dans la peau. Coze et d'autres prétendent que c'est l'organe d'élimination de la substance morbigène qui détermine l'action locale. Expériences sur injections de substances s'éliminant par divers organes qui devenaient malades.

Mais ici cette expression anormale est toujours relative ; ainsi ce qui est normal pour un organisme peut être une maladie pour un autre ; il y a une maladie de Bright normale chez le chat, un foie gras chez les jeunes chats et chiens ; on ne peut pourtant pas dire que ces animaux soient malades.

La thérapeutique est une expression des phénomènes de la vie sous l'influence d'agents qui créent des conditions particulières dans lesquelles vivent et réagissent les éléments histologiques.

Les substances toxiques et médicamenteuses employées en thérapeutique paraissent agir sur les divers éléments histologiques. Je me suis appliqué à démontrer dans les Leçons sur les substances toxiques et médicamenteuses que les poisons et les médicaments analysent les tissus élémentaires et agis¬sent toujours d'une manière générale sur un élément histologique (muscles, nerfs moteurs ou sensitifs ; peut-être cellules, globules du sang).

Mais est-ce bien sur l'élément histologique que la substance agit ou sur une condition propre à tel ou tel élément histologique ? C'est une des questions les plus intéressantes à bien fixer, afin de savoir au juste ce que c'est qu'un médicament, un poison, un contrepoison, un aliment.

J'ai dit que chaque substance toxique ou médicamenteuse agit sur des éléments histologiques distincts. Cependant il n'est pas possible de com¬prendre qu'une substance puisse agir sans l'intermédiaire du sang (poulets qui ne se développent plus quand les vaisseaux arrivent, exemple : tétards, asticos qui ont des muscles et qui vivent dans l'upas et dans le curare, etc. ) De sorte qu'on pourrait toujours dire que c'est primitivement sur le sang que la substance a agi.

Le curare et l'upas agissent en effet, je crois, sur le sang ou ses produits ou le plasma. Mais il faut admettre alors que la substance produit une altération du sang qui arrête la nutrition d'un élément histologique et pas d'un autre. Par exemple, le curare arrêterait la nutrition du nerf par les extrémités, comme quand on suspend le cours du sang ; l'upas arrêterait la nutrition de la fibre musculaire en déterminant une réaction acide, et ainsi de suite pour la digita¬line et autres substances. (Reprendre l'étude des substances toxiques et médicamenteuses particulières.) L'action médicamenteuse toxique est du reste extrêmement variable suivant les doses de la substance qu'on administre. C'est là un des points les plus intéressants à étudier.


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