Dictionnaire de musique (Jean-Jacques Rousseau)/Préface : Différence entre versions

De Wicri Musique
(La préface du Dictionnaire)
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d'en faire à loisir un ouvrage à part traité
 
d'en faire à loisir un ouvrage à part traité
 
avec plus de soin. J'étais, en recommençant ce travail, à portée de tous les se-
 
avec plus de soin. J'étais, en recommençant ce travail, à portée de tous les se-
cours nécessaires. Vivant au milieu des artistes et des gens-de-lettres , je pouvais consulter les uns & les autres. M.
+
cours nécessaires. Vivant au milieu des artistes et des gens-de-lettres , je pouvais consulter les uns et les autres. M.
 
l'[[A pour personnalité citée::Claude Sallier|abbé Sallier]] me fournissait, de la bibliothèque du Roi, les livres et manuscrits
 
l'[[A pour personnalité citée::Claude Sallier|abbé Sallier]] me fournissait, de la bibliothèque du Roi, les livres et manuscrits
 
dont j'avais besoin, et souvent je tirais ,
 
dont j'avais besoin, et souvent je tirais ,
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{{Gallica page|fonction=saut}}
 
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ici le lieu d'expliquer les raison
+
ici le lieu d'expliquer les raisons de cette
s de cette
 
 
retraite : on conçoit, que , dans ma façon
 
retraite : on conçoit, que , dans ma façon
 
de penser, l'espoir de faire un bon livre
 
de penser, l'espoir de faire un bon livre
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qui pouvaient m'éclairer sur mon ancien
 
qui pouvaient m'éclairer sur mon ancien
 
objet, j'en perdis aussi toutes les vues;
 
objet, j'en perdis aussi toutes les vues;
& soit que depuis ce temps l'art ou sa
+
et soit que depuis ce temps l'art ou sa
 
théorie aient fait des progrès, n'étant pas
 
théorie aient fait des progrès, n'étant pas
 
même à portée d'en rien savoir, je ne fus
 
même à portée d'en rien savoir, je ne fus
 
plus en état de les suivre. Convaincu,
 
plus en état de les suivre. Convaincu,
 
cependant, de l'utilité du travail que j'avais entrepris, je m'y remettais de temps
 
cependant, de l'utilité du travail que j'avais entrepris, je m'y remettais de temps
à autre , mais toujours avec moins de'
+
à autre , mais toujours avec moins de
succès , & toujours éprouvant que les
+
succès , et toujours éprouvant que les
 
difficultés d'un livre de cette espece de-
 
difficultés d'un livre de cette espece de-
 
mandent , pour les vaincre, des lumieres
 
mandent , pour les vaincre, des lumieres
que je n'étois plus en état d'acquérir,
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que je n'étais plus en état d'acquérir,
6c une chaleur d'intérêt que j'avois cessé
+
et une chaleur d'intérêt que j'avais cessé
d'y mettre. Enfin, désespérant d'être jamais à portée de mieux faire, & voulant
+
d'y mettre. Enfin, désespérant d'être jamais à portée de mieux faire, et voulant
 
quitter pour toujours des idées dont mon
 
quitter pour toujours des idées dont mon
 
esprit s'éloigne de plus en plus, je me
 
esprit s'éloigne de plus en plus, je me
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{{Gallica page|fonction=saut}}
 
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ce que j'avois fait à Paris & à
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ce que j'avois fait à Paris et à
Montmorenci ; &, de cet amas indigeste ,
+
Montmorenci ; et, de cet amas indigeste ,
 
est sorti l'espece de dictionnaire qu'on
 
est sorti l'espece de dictionnaire qu'on
 
voit ici.
 
voit ici.
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Cet historique m'a paru nécessaire pour
 
Cet historique m'a paru nécessaire pour
 
expliquer comment les circonstances m'ont
 
expliquer comment les circonstances m'ont
sorcé de donner en si mauvais état un li-
+
forcé de donner en si mauvais état un li-
vre que j'aurois pu mieux faire, avec les
+
vre que j'aurais pu mieux faire, avec les
 
secours dont je suis privé. Car j'ai tou-
 
secours dont je suis privé. Car j'ai tou-
jours cru que le respeft qu'on doit au.
+
jours cru que le respect qu'on doit au
Public n'est pas de lui dire des fadeurs,
+
Public n'est pas de lui dire des faveurs,
mais de ne lui rien dire que de vrai &
+
mais de ne lui rien dire que de vrai et
 
d'utile , ou du moins qu'on ne juge tel ;
 
d'utile , ou du moins qu'on ne juge tel ;
 
de ne lui rien présenter sans y avoir donné
 
de ne lui rien présenter sans y avoir donné
tous les soins dont on est capable, &
+
tous les soins dont on est capable, et
 
de croire qu'en faisant de son mieux ,
 
de croire qu'en faisant de son mieux ,
on ne fait jamais aÍfez bien pour lui.
+
on ne fait jamais assez bien pour lui.
  
 
Je n'ai pas cru, toutefois , que l'état
 
Je n'ai pas cru, toutefois , que l'état
d'imperfection où j'étois forcé de laisser
+
d'imperfection où j'étais forcé de laisser
 
cet ouvrage , dût m'empêcher de le publier ; parce qu'un livre de cette espece
 
cet ouvrage , dût m'empêcher de le publier ; parce qu'un livre de cette espece
 
étant utile à l'art, il est infiniment plus
 
étant utile à l'art, il est infiniment plus
 
aisé d'en faire un bon sur celui que
 
aisé d'en faire un bon sur celui que
 
je donne, que de commencer par tout
 
je donne, que de commencer par tout
créer. Les connoissances nécessaires pour
+
créer. Les connaissances nécessaires pour
 
cela ne sont peut-être pas fort grandes,  
 
cela ne sont peut-être pas fort grandes,  
  
 
{{Gallica page|fonction=saut}}
 
{{Gallica page|fonction=saut}}
  
mais elles font fort variées, & se trou-
+
mais elles font fort variées, et se trou-
 
vent rarement réunies dans la même tête.
 
vent rarement réunies dans la même tête.
  
Ainii, mes compilations peuvent épargner
+
Ainsi, mes compilations peuvent épargner
 
beaucoup de travail à ceux qui sont en
 
beaucoup de travail à ceux qui sont en
état d'y mettre l'ordre nécessaire ; & tel,
+
état d'y mettre l'ordre nécessaire ; et tel,
 
marquant mes erreurs, peut faire un ex-
 
marquant mes erreurs, peut faire un ex-
 
cellent livre, qui n'eût jamais rien fait de
 
cellent livre, qui n'eût jamais rien fait de
 
bon sans le mien.
 
bon sans le mien.
  
J'avertis donc ceux qui ne veulent souk
+
J'avertis donc ceux qui ne veulent souffrir
frir que des livres bien faits, de ne pas
+
que des livres bien faits, de ne pas
entreprendre la le dure de celui-ci; bien-
+
entreprendre la lecture de celui-ci; bien-
tôt ils en seroient rebutés : mais pour
+
tôt ils en seront rebutés : mais pour
ceux que le mal ne détoùrne pas du bien ;
+
ceux que le mal ne détourne pas du bien ;
 
ceux qui ne sont pas tellement occupés
 
ceux qui ne sont pas tellement occupés
 
des fautes, qu'ils comptent pour rien ce
 
des fautes, qu'ils comptent pour rien ce
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dront bien chercher ici de quoi com-
 
dront bien chercher ici de quoi com-
 
penser les miennes, y trouveront peut-être assez de bons articles pour tolérer
 
penser les miennes, y trouveront peut-être assez de bons articles pour tolérer
les mauvais, &, dans les mauvais même,
+
les mauvais, et, dans les mauvais même,
assez d'observations neuves & vraies,
+
assez d'observations neuves et vraies,
 
pour valoir la peine d'être triées & choi-
 
pour valoir la peine d'être triées & choi-
fies parmi le reste. Les Musiciens lisent
+
sies parmi le reste. Les Musiciens lisent
peu, & cependant je connois peu d'Arts
+
peu, et cependant je connais peu d'Arts
où la lecture & la réflexion soient plus
+
où la lecture et la réflexion soient plus
 
nécessaires. J'ai pensé qu'un Ouvrage de
 
nécessaires. J'ai pensé qu'un Ouvrage de
  
 
{{Gallica page|fonction=saut}}
 
{{Gallica page|fonction=saut}}
  
la sorme de celui-ci seroit précisément
+
la forme de celui-ci serait précisément
celui qui leur convenoit, & que pour
+
celui qui leur convient, et que pour
le leur rendre aussi profitable qu'il étoit
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le leur rendre aussi profitable qu'il soit
possible, il falloit moins y dire ce qu'ils
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possible, il fallait moins y dire ce qu'ils
savent, que ce qu'ils auroient besoin
+
savent, que ce qu'ils auraient besoin
 
d'apprendre.
 
d'apprendre.
  
Si les Manœuvres & les Croque-Notes
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Si les Manœuvres et les Croque-Notes
 
relèvent souvent ici des erreurs, j'espere
 
relèvent souvent ici des erreurs, j'espere
que les vrais Artistes & les hommes de
+
que les vrais Artistes et les hommes de
 
génie y trouveront des vues utiles dont
 
génie y trouveront des vues utiles dont
 
ils sauront bien tirer parti. Les meilleurs
 
ils sauront bien tirer parti. Les meilleurs
 
livres sont ceux que le vulgaire décrie,
 
livres sont ceux que le vulgaire décrie,
& dont les gens à talent profitent sans en
+
et dont les gens à talent profitent sans en
 
parler.
 
parler.
  
 
Après avoir exposé les raisons de la
 
Après avoir exposé les raisons de la
médiocrité de l'ouvrage & celles de l'utilité que j'estime qu'on en peut tirer,
+
médiocrité de l'ouvrage et celles de l'utilité que j'estime qu'on en peut tirer,
j'aurois maintenant à entrer dans le détail
+
j'aurais maintenant à entrer dans le détail
 
de l'ouvrage même, à donner un précis
 
de l'ouvrage même, à donner un précis
du plan que je me suis tracé & de la rna-
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du plan que je me suis tracé et de la ma-
 
niere dont j'ai tâché de le suivre. Mais à
 
niere dont j'ai tâché de le suivre. Mais à
 
mesure que les idées qui s'y rapportent
 
mesure que les idées qui s'y rapportent
 
se sont effacées de mon esprit, le plan sur
 
se sont effacées de mon esprit, le plan sur
lequel je les arrangeois s'est de même effa-
+
lequel je les arrangeais s'est de même effa-
 
cé de ma mémoire. Mon premier projet
 
cé de ma mémoire. Mon premier projet
étoit d'en traiter si relativement les arti-
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était d'en traiter si relativement les arti-
  
  
 
{{Gallica page|fonction=saut}}
 
{{Gallica page|fonction=saut}}
  
des, d'en lier si bien les suites par des
+
cles, d'en lier si bien les suites par des
 
renvois , que le tout, avec la commodité
 
renvois , que le tout, avec la commodité
d'un Dictionnaire , eût l'avantage d'
+
d'un Dictionnaire , eût l'avantage d'un
traité suivi ; mais pour exécuter ce pro"
+
traité suivi ; mais pour exécuter ce pro-
jet, il eût sallu me rendre sans cesse pré-
+
jet, il eût fallu me rendre sans cesse pré-
sentes toutes les parties de l'art, & n'en
+
sentes toutes les parties de l'art, et n'en
 
traiter aucune sans me rappeller les au-
 
traiter aucune sans me rappeller les au-
tres ; ce que le défaut de ressources &
+
tres ; ce que le défaut de ressources et
 
mon goût attiédi m'ont bientôt rendu
 
mon goût attiédi m'ont bientôt rendu
impossible, & que j'eusse eu même bien
+
impossible, et que j'eusse eu même bien
 
de la peine à faire , au milieu de mes
 
de la peine à faire , au milieu de mes
premiers guides, & plein de ma premiere
+
premiers guides, et plein de ma premiere
 
ferveur. Livré à moi seul, n'ayant plus
 
ferveur. Livré à moi seul, n'ayant plus
 
ni savans ni livres à consulter ; forcé,
 
ni savans ni livres à consulter ; forcé,
 
par conséquent, de traiter chaque article
 
par conséquent, de traiter chaque article
 
en lui-même, sans égard à ceux qui
 
en lui-même, sans égard à ceux qui
s'y rapportoient, pour éviter des lacu-
+
s'y rapportent, pour éviter des lacu-
 
nes , j'ai dû faire bien des redites. Mais j'ai
 
nes , j'ai dû faire bien des redites. Mais j'ai
 
cru que dans un livre de l'espece de celui-
 
cru que dans un livre de l'espece de celui-
ci , c'étoit encore un moindre mal de
+
ci , c'était encore un moindre mal de
 
commettre des fautes, que de faire des
 
commettre des fautes, que de faire des
 
omissions.
 
omissions.
  
 
Je me suis donc attaché sur - tout à bien
 
Je me suis donc attaché sur - tout à bien
compléter le vocabulaire , & non-seule-
+
compléter le vocabulaire , et non-seule-
ment à n'omettre aucun terme technique,,
+
ment à n'omettre aucun terme technique,
 
mais à passer plutôt quelquefois les li-  
 
mais à passer plutôt quelquefois les li-  
  
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mites de l'Art, que de n'y pas toujours
 
mites de l'Art, que de n'y pas toujours
atteindre : & cela m'a mis dans la néces-
+
atteindre : et cela m'a mis dans la néces-
 
sité de parsemer souvent ce Dictionnaire
 
sité de parsemer souvent ce Dictionnaire
 
de mots Italiens & de mots Grecs ; les
 
de mots Italiens & de mots Grecs ; les
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faut les entendre même dans la pratique;
 
faut les entendre même dans la pratique;
 
les autres, adoptés de même par les Sa-
 
les autres, adoptés de même par les Sa-
vans, & auxquels, vû la désuétude de
+
vans, et auxquels, vû la désuétude de
 
ce qu'ils expriment, on n'a pas donné de
 
ce qu'ils expriment, on n'a pas donné de
synonymes en François. J'ai tâché, ce-
+
synonymes en Français. J'ai tâché, ce-
 
pendant , de me renfermer dans ma regle ,
 
pendant , de me renfermer dans ma regle ,
 
d'éviter l'excès de BroÍfard, qui, don-
 
d'éviter l'excès de BroÍfard, qui, don-
 
nant un Diétionnaire François, en fait
 
nant un Diétionnaire François, en fait
le Vocabulaire tout Italien, & l'enfle de
+
le Vocabulaire tout Italien, et l'enfle de
 
mots absolument étrangers à l'Art qu'il
 
mots absolument étrangers à l'Art qu'il
 
traite. Car, qui s'imaginera jamais que
 
traite. Car, qui s'imaginera jamais que
 
la Vierge, les Apôtres, la Messe , les Morts ,
 
la Vierge, les Apôtres, la Messe , les Morts ,
 
soient des termes de Musique, parce qu'il
 
soient des termes de Musique, parce qu'il
y a des. Musiques telatives à ce qu'ils
+
y a des Musiques telatives à ce qu'ils
 
expriment; que ces autres mots, Page,
 
expriment; que ces autres mots, Page,
 
Feuillet , Quatre, Cinq , Gosier, Raison 9
 
Feuillet , Quatre, Cinq , Gosier, Raison 9
Déjà., soient aussi des termes techniques,
+
Déjà, soient aussi des termes techniques,
parce qu'on s'en sert quelquefois en parlant de PArt ?
+
parce qu'on s'en sert quelquefois en parlant de l'Art ?
  
 
Quant aux parties qui tiennent à l'Art
 
Quant aux parties qui tiennent à l'Art
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du reste, j'ai évité, autant que j'ai pu,
 
du reste, j'ai évité, autant que j'ai pu,
 
d'y entrer. <span id="instruments"><ref group="A">Ce passage peut être pointé avec l'identifiant « instruments ». Voir un exemple dans [[Violon (Jean-Jacques Rousseau)#Remarque préliminaire|l'article violon]].</ref></span>Telle est celle des Instruments
 
d'y entrer. <span id="instruments"><ref group="A">Ce passage peut être pointé avec l'identifiant « instruments ». Voir un exemple dans [[Violon (Jean-Jacques Rousseau)#Remarque préliminaire|l'article violon]].</ref></span>Telle est celle des Instruments
de Musique, partie vaste & qui remplirait
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de Musique, partie vaste et qui remplirait
 
seule un Dictionnaire, sur-tout par rapport aux Instruments des Anciens. M. Diderot s'était chargé de cette partie dans
 
seule un Dictionnaire, sur-tout par rapport aux Instruments des Anciens. M. Diderot s'était chargé de cette partie dans
 
l'Encyclopédie, & comme elle n'entrait
 
l'Encyclopédie, & comme elle n'entrait
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que ce systême, imparfait & défectueux
 
que ce systême, imparfait & défectueux
 
à tant d'égards, ne soit point, sélon moi,
 
à tant d'égards, ne soit point, sélon moi,
celui de la Nature & de la vérité, &
+
celui de la Nature & de la vérité, et
qu'il en ré suite un remplissage sourd &
+
qu'il en ré suite un remplissage sourd et
 
confus, plutôt qu'une bonne Harmonie.
 
confus, plutôt qu'une bonne Harmonie.
Mais c'est un systême, enfin ; c'est le premier, & c'étoit le seul, jusqu'à celui de
+
Mais c'est un systême, enfin ; c'est le premier, et c'était le seul, jusqu'à celui de
 
[[A pour compositeur cité::Giuseppe Tartini|M. Tartini]], où' l'on ait lié, par des principes , ces multitudes de regles isolées
 
[[A pour compositeur cité::Giuseppe Tartini|M. Tartini]], où' l'on ait lié, par des principes , ces multitudes de regles isolées
qui semblaient toutes arbitraires, & qui
+
qui semblaient toutes arbitraires, et qui
 
faisaient, de l'Art Harmonique, une étude
 
faisaient, de l'Art Harmonique, une étude
 
de mémoire plutôt que de raisonnement.  
 
de mémoire plutôt que de raisonnement.  
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Le systême de M. Tartini, quoique meilleur , à mon avis, n'étant pas encore aussi
 
Le systême de M. Tartini, quoique meilleur , à mon avis, n'étant pas encore aussi
généralement connu, & n'ayant pas, du
+
généralement connu, et n'ayant pas, du
 
moins en France, la même autorité que
 
moins en France, la même autorité que
 
celui de [[A pour compositeur cité::Jean-Philippe Rameau|M. Rameau]], n'a pas dû lui être
 
celui de [[A pour compositeur cité::Jean-Philippe Rameau|M. Rameau]], n'a pas dû lui être
substitué dans un Livre destiné principalement pour la Nation Françoise. Je me
+
substitué dans un Livre destiné principalement pour la Nation Française. Je me
 
suis donc contenté d'exposer de mon
 
suis donc contenté d'exposer de mon
 
mieux les principes de ce systême dans
 
mieux les principes de ce systême dans
un article de mon Dictionnaire ; & du
+
un article de mon Dictionnaire ; et du
 
reste, j'ai cru devoir cette déférence à la
 
reste, j'ai cru devoir cette déférence à la
Nation pour laquelle j'écrivois , de pré-
+
Nation pour laquelle j'écrivais , de pré-
 
férer son sentiment au mien sur le fond
 
férer son sentiment au mien sur le fond
de la doétrine Harmonique. Je n'ai pas
+
de la doctrine Harmonique. Je n'ai pas
dîl cependant m'abstenir, dans l'occasion,
+
cependant m'abstenir, dans l'occasion,
 
des obsessions nécessaires à l'intelligence
 
des obsessions nécessaires à l'intelligence
des articles que j'avois à traiter ; c'eût
+
des articles que j'avais à traiter ; c'eût
 
été sacrifier l'utilité du Livre au préjugé
 
été sacrifier l'utilité du Livre au préjugé
des Loueurs ; c'eîlt été flatter sans inf-
+
des Loueurs ; c'eût été flatter sans ins-
truire , & changer la déférence en lâcheté.
+
truire , et changer la déférence en lâcheté.
  
J'exhorte les Artistes & les Amateurs
+
J'exhorte les Artistes et les Amateurs
de lire ce Livre sans défiance , & de le
+
de lire ce Livre sans défiance , et de le
 
juger avec autant d'impartialité que j'en
 
juger avec autant d'impartialité que j'en
 
ai mis à l'écrire. Je les prie de considérer
 
ai mis à l'écrire. Je les prie de considérer
 
que ne prosessant pas, je n'ai d'autre in-
 
que ne prosessant pas, je n'ai d'autre in-
térêt ici que celui de l'Art, & quand j'en
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térêt ici que celui de l'Art, et quand j'en
  
  
 
{{Gallica page|fonction=saut}}
 
{{Gallica page|fonction=saut}}
  
aurois, je devrois naturellement appuyer
+
aurais, je devrais naturellement appuyer
en saveur de la Musique Françoise, ou je
+
en faveur de la Musique Française, ou je
 
puis tenir une place, contre l'Italienne où
 
puis tenir une place, contre l'Italienne où
 
je ne puis être rien. Mais cherchant sin-
 
je ne puis être rien. Mais cherchant sin-
cerement le progrès d'un Art que j'aimois
+
cerement le progrès d'un Art que j'aimais
 
passionnément, mon plaisir a fait taire
 
passionnément, mon plaisir a fait taire
 
ma vanité. Les premieres habitudes m'ont
 
ma vanité. Les premieres habitudes m'ont
long-tems attaché à la Musique Françoise,
+
long-temps attaché à la Musique Française,
& j'en étois enthousiafle ouvertement.
+
et j'en étais enthousiafle ouvertement.
Des comparaisons attentives & impar-
+
Des comparaisons attentives et impar-
 
tiales m'ont entraîné vers la Musique
 
tiales m'ont entraîné vers la Musique
Italienne, & je m'y suis livré avec la
+
Italienne, et je m'y suis livré avec la
même bonne - foi. Si quelquesois j'ai
+
même bonne - foi. Si quelquefois j'ai
plaisanté, c'étoit pour répondre aux au-
+
plaisanté, c'était pour répondre aux au-
 
tres sur leur propre ton ; mais je n'ai
 
tres sur leur propre ton ; mais je n'ai
 
pas, comme eux, donné des bons mots
 
pas, comme eux, donné des bons mots
pour toute preuve , & je n'ai plaisanté
+
pour toute preuve , et je n'ai plaisanté
 
qu'après avoir raisonné. Maintenant que
 
qu'après avoir raisonné. Maintenant que
les malheurs & les maux m'ont enfin
+
les malheurs et les maux m'ont enfin
détaché d'un goût qui n'avoit pris sur
+
détaché d'un goût qui n'avait pris sur
 
moi que trop d'empire, je persiste, par
 
moi que trop d'empire, je persiste, par
 
le seul amour de la vérité, dans les juge-
 
le seul amour de la vérité, dans les juge-
mens que le seul amour de l'Art m'avoit
+
mens que le seul amour de l'Art m'avait
 
fait porter. Mais dans un Ouvrage comme
 
fait porter. Mais dans un Ouvrage comme
 
celui-ci, consacré à la Musique en géné-
 
celui-ci, consacré à la Musique en géné-
ral , je n'en connois qu'une y qui n'étant
+
ral , je n'en connais qu'une y qui n'étant
 
d'aucun  
 
d'aucun  
  
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d'aucun pays, esi celle de tous ; & je
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d'aucun pays, est celle de tous ; et je
 
n'y suis jamais entré dans la querelle des
 
n'y suis jamais entré dans la querelle des
 
deux Musiques, que quand il s'est agi
 
deux Musiques, que quand il s'est agi
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la partialité ne m'en a pas fait commettre
 
la partialité ne m'en a pas fait commettre
 
une seule. Si elle m'en fait imputer à
 
une seule. Si elle m'en fait imputer à
tort par les Le8:eurs, qu'y puis-je faire ?
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tort par les Lecteurs, qu'y puis-je faire ?
 
Ce sont eux alors qui ne veulent pas que
 
Ce sont eux alors qui ne veulent pas que
 
mon Livre leur soit bon.
 
mon Livre leur soit bon.
  
 
Si l'on a vu, dans d'autres Ouvrages,1
 
Si l'on a vu, dans d'autres Ouvrages,1
quelques articles peu importans qui sont
+
quelques articles peu importants qui sont
 
aussi dans celui-ci, ceux qui pourront
 
aussi dans celui-ci, ceux qui pourront
 
faire cette remarque, voudront bien se
 
faire cette remarque, voudront bien se
 
rappeller que, dès l'année 1750, le ma-
 
rappeller que, dès l'année 1750, le ma-
nuscrit esi sorti de mes mains sans que je
+
nuscrit est sorti de mes mains sans que je
fache ce qu'il est devenu depuis ce tems-
+
sache ce qu'il est devenu depuis ce temps-
 
là. Je n'accuse personne d'avoir pris mes
 
là. Je n'accuse personne d'avoir pris mes
 
articles ; mais il n'est pas juste que d'au-
 
articles ; mais il n'est pas juste que d'au-

Version du 10 mai 2021 à 13:29

Jean-Jacques Rousseau (painted portrait).jpg Dictionnaire de musique Tome 1 Rousseau Jean-Jacques.jpeg

La préface du Dictionnaire


- V (G) -

La Musique est, de tous les beaux Arts ; celui dont le Vocabulaire est le plus étendu, et pour lequel un Dictionnaire est, par conséquent, le plus utile. Ainsi, l'on ne doit pas mettre celui-ci au nombre de ces compilations ridicules , que la mode ou plutôt la manie des Dictionnaires multiplie de jour en jour. Si ce livre est bien fait, il est utile aux Artistes. S'il est mauvais, ce n'est ni par le choix du sujet, ni par la forme de l'ouvrage. Ainsi l'on aurait tort de le rebuter sur son titre. Il faut le lire pour en juger.

L'utilité du sujet n'établit pas , j'en conviens , celle du Livre ; elle me justifie seulement de l'avoir entrepris , et c'est aussi tout ce que je puis prétendre ; car d'ailleurs je sens bien ce qui manque à l'exécution. C'est ici moins un Dictionnaire en forme, qu'un recueil de matériaux pour un Dictionnaire, qui n'attendent qu'une meilleure main pour être


- VI (G) -

employés. Les fondements de cet Ouvrage furent jetés à la hâte, il y a quinze ans, dans l'Encyclopédie, que, quand j'ai voulu le reprendre sous œuvre, je n'ai pu lui donner la solidité qu'il aurait eue, si j'avais eu plus, de temps pour en digérer le plan et pour l'exécuter.

Je ne formai pas de moi-même cette entreprise, elle me fut proposée ; on ajouta que le manuscrit entier de l'Encyclopédie devait être complet avant qu'il en fût imprimé une seule ligne ; on ne me donna que trois mois. pour remplir ma tâche et trois ans pouvaient me suffire à peine pour lire, extraire, comparer compiler les Auteurs dont j'avais besoin : mais le zèle de l'amitié m'aveugla sur l'impossibilité du succès. Fidèle à ma parole, aux dépens de ma réputation, je fis vite et mal, ne pouvant bien faire en si peu de temps ; au bout de trois mois mon manuscrit entier fut écrit, mis au net et livré, je ne l'ai pas revu depuis. Si j'avais travaillé volume à volume commue les autres, cet essai, mieux digéré eût pu rester dans l'état où je


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l'aurais mis. Je ne me repens pas d'avoir été exact ; mais je me repens d'avoir été téméraire , et d'avoir plus promis que je ne pouvais exécuter.

[A 1]Blessé de l'imperfection de mes articles, à mesure que les volumes de l'Encyclopédie paraissaient, je résolus de refondre le tout sur mon brouillon, et d'en faire à loisir un ouvrage à part traité avec plus de soin. J'étais, en recommençant ce travail, à portée de tous les se- cours nécessaires. Vivant au milieu des artistes et des gens-de-lettres , je pouvais consulter les uns et les autres. M. l'abbé Sallier me fournissait, de la bibliothèque du Roi, les livres et manuscrits dont j'avais besoin, et souvent je tirais , de ses entretiens, des lumières plus sûres que de mes recherches. Je crois devoir à la mémoire de cet honnête et savant homme , un tribut de reconnaissance que tous les gens-de-lettres qu'il a pu servir partageront surement avec moi.

Ma retraite à la campagne m'ôta toutes ces ressources, au moment que je commençais d'en tirer parti. Ce n'est pas



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ici le lieu d'expliquer les raisons de cette retraite : on conçoit, que , dans ma façon de penser, l'espoir de faire un bon livre sur la Musique n'en était pas une pour me retenir. Éloigné des amusements de la ville, je perdis bientôt les goûts qui s'y rapportaient; privé des communications qui pouvaient m'éclairer sur mon ancien objet, j'en perdis aussi toutes les vues; et soit que depuis ce temps l'art ou sa théorie aient fait des progrès, n'étant pas même à portée d'en rien savoir, je ne fus plus en état de les suivre. Convaincu, cependant, de l'utilité du travail que j'avais entrepris, je m'y remettais de temps à autre , mais toujours avec moins de succès , et toujours éprouvant que les difficultés d'un livre de cette espece de- mandent , pour les vaincre, des lumieres que je n'étais plus en état d'acquérir, et une chaleur d'intérêt que j'avais cessé d'y mettre. Enfin, désespérant d'être jamais à portée de mieux faire, et voulant quitter pour toujours des idées dont mon esprit s'éloigne de plus en plus, je me fais occupé, dans ces montagnes, à rassembler


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ce que j'avois fait à Paris et à Montmorenci ; et, de cet amas indigeste , est sorti l'espece de dictionnaire qu'on voit ici.

Cet historique m'a paru nécessaire pour expliquer comment les circonstances m'ont forcé de donner en si mauvais état un li- vre que j'aurais pu mieux faire, avec les secours dont je suis privé. Car j'ai tou- jours cru que le respect qu'on doit au Public n'est pas de lui dire des faveurs, mais de ne lui rien dire que de vrai et d'utile , ou du moins qu'on ne juge tel ; de ne lui rien présenter sans y avoir donné tous les soins dont on est capable, et de croire qu'en faisant de son mieux , on ne fait jamais assez bien pour lui.

Je n'ai pas cru, toutefois , que l'état d'imperfection où j'étais forcé de laisser cet ouvrage , dût m'empêcher de le publier ; parce qu'un livre de cette espece étant utile à l'art, il est infiniment plus aisé d'en faire un bon sur celui que je donne, que de commencer par tout créer. Les connaissances nécessaires pour cela ne sont peut-être pas fort grandes,


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mais elles font fort variées, et se trou- vent rarement réunies dans la même tête.

Ainsi, mes compilations peuvent épargner beaucoup de travail à ceux qui sont en état d'y mettre l'ordre nécessaire ; et tel, marquant mes erreurs, peut faire un ex- cellent livre, qui n'eût jamais rien fait de bon sans le mien.

J'avertis donc ceux qui ne veulent souffrir que des livres bien faits, de ne pas entreprendre la lecture de celui-ci; bien- tôt ils en seront rebutés : mais pour ceux que le mal ne détourne pas du bien ; ceux qui ne sont pas tellement occupés des fautes, qu'ils comptent pour rien ce qui les rachette ; ceux, enfin, qui vou- dront bien chercher ici de quoi com- penser les miennes, y trouveront peut-être assez de bons articles pour tolérer les mauvais, et, dans les mauvais même, assez d'observations neuves et vraies, pour valoir la peine d'être triées & choi- sies parmi le reste. Les Musiciens lisent peu, et cependant je connais peu d'Arts où la lecture et la réflexion soient plus nécessaires. J'ai pensé qu'un Ouvrage de


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la forme de celui-ci serait précisément celui qui leur convient, et que pour le leur rendre aussi profitable qu'il soit possible, il fallait moins y dire ce qu'ils savent, que ce qu'ils auraient besoin d'apprendre.

Si les Manœuvres et les Croque-Notes relèvent souvent ici des erreurs, j'espere que les vrais Artistes et les hommes de génie y trouveront des vues utiles dont ils sauront bien tirer parti. Les meilleurs livres sont ceux que le vulgaire décrie, et dont les gens à talent profitent sans en parler.

Après avoir exposé les raisons de la médiocrité de l'ouvrage et celles de l'utilité que j'estime qu'on en peut tirer, j'aurais maintenant à entrer dans le détail de l'ouvrage même, à donner un précis du plan que je me suis tracé et de la ma- niere dont j'ai tâché de le suivre. Mais à mesure que les idées qui s'y rapportent se sont effacées de mon esprit, le plan sur lequel je les arrangeais s'est de même effa- cé de ma mémoire. Mon premier projet était d'en traiter si relativement les arti-



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cles, d'en lier si bien les suites par des renvois , que le tout, avec la commodité d'un Dictionnaire , eût l'avantage d'un traité suivi ; mais pour exécuter ce pro- jet, il eût fallu me rendre sans cesse pré- sentes toutes les parties de l'art, et n'en traiter aucune sans me rappeller les au- tres ; ce que le défaut de ressources et mon goût attiédi m'ont bientôt rendu impossible, et que j'eusse eu même bien de la peine à faire , au milieu de mes premiers guides, et plein de ma premiere ferveur. Livré à moi seul, n'ayant plus ni savans ni livres à consulter ; forcé, par conséquent, de traiter chaque article en lui-même, sans égard à ceux qui s'y rapportent, pour éviter des lacu- nes , j'ai dû faire bien des redites. Mais j'ai cru que dans un livre de l'espece de celui- ci , c'était encore un moindre mal de commettre des fautes, que de faire des omissions.

Je me suis donc attaché sur - tout à bien compléter le vocabulaire , et non-seule- ment à n'omettre aucun terme technique, mais à passer plutôt quelquefois les li-



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mites de l'Art, que de n'y pas toujours atteindre : et cela m'a mis dans la néces- sité de parsemer souvent ce Dictionnaire de mots Italiens & de mots Grecs ; les uns, tellement consacrés par l'usage, qu'il faut les entendre même dans la pratique; les autres, adoptés de même par les Sa- vans, et auxquels, vû la désuétude de ce qu'ils expriment, on n'a pas donné de synonymes en Français. J'ai tâché, ce- pendant , de me renfermer dans ma regle , d'éviter l'excès de BroÍfard, qui, don- nant un Diétionnaire François, en fait le Vocabulaire tout Italien, et l'enfle de mots absolument étrangers à l'Art qu'il traite. Car, qui s'imaginera jamais que la Vierge, les Apôtres, la Messe , les Morts , soient des termes de Musique, parce qu'il y a des Musiques telatives à ce qu'ils expriment; que ces autres mots, Page, Feuillet , Quatre, Cinq , Gosier, Raison 9 Déjà, soient aussi des termes techniques, parce qu'on s'en sert quelquefois en parlant de l'Art ?

Quant aux parties qui tiennent à l'Art sans lui être essentielles, et qui ne sont


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pas absolument nécessaires à l'intelligence du reste, j'ai évité, autant que j'ai pu, d'y entrer. [A 2]Telle est celle des Instruments de Musique, partie vaste et qui remplirait seule un Dictionnaire, sur-tout par rapport aux Instruments des Anciens. M. Diderot s'était chargé de cette partie dans l'Encyclopédie, & comme elle n'entrait pas dans mon premier plan , je n'ai eu garde de l'y ajouter dans la suite, après avoir si bien senti la difficulté d'exécuter ce plan tel qu'il était.

J'ai traité la partie Harmonique dans le systême de la Basse - fondamentale, quoi- que ce systême, imparfait & défectueux à tant d'égards, ne soit point, sélon moi, celui de la Nature & de la vérité, et qu'il en ré suite un remplissage sourd et confus, plutôt qu'une bonne Harmonie. Mais c'est un systême, enfin ; c'est le premier, et c'était le seul, jusqu'à celui de M. Tartini, où' l'on ait lié, par des principes , ces multitudes de regles isolées qui semblaient toutes arbitraires, et qui faisaient, de l'Art Harmonique, une étude de mémoire plutôt que de raisonnement.



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Le systême de M. Tartini, quoique meilleur , à mon avis, n'étant pas encore aussi généralement connu, et n'ayant pas, du moins en France, la même autorité que celui de M. Rameau, n'a pas dû lui être substitué dans un Livre destiné principalement pour la Nation Française. Je me suis donc contenté d'exposer de mon mieux les principes de ce systême dans un article de mon Dictionnaire ; et du reste, j'ai cru devoir cette déférence à la Nation pour laquelle j'écrivais , de pré- férer son sentiment au mien sur le fond de la doctrine Harmonique. Je n'ai pas dù cependant m'abstenir, dans l'occasion, des obsessions nécessaires à l'intelligence des articles que j'avais à traiter ; c'eût été sacrifier l'utilité du Livre au préjugé des Loueurs ; c'eût été flatter sans ins- truire , et changer la déférence en lâcheté.

J'exhorte les Artistes et les Amateurs de lire ce Livre sans défiance , et de le juger avec autant d'impartialité que j'en ai mis à l'écrire. Je les prie de considérer que ne prosessant pas, je n'ai d'autre in- térêt ici que celui de l'Art, et quand j'en



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aurais, je devrais naturellement appuyer en faveur de la Musique Française, ou je puis tenir une place, contre l'Italienne où je ne puis être rien. Mais cherchant sin- cerement le progrès d'un Art que j'aimais passionnément, mon plaisir a fait taire ma vanité. Les premieres habitudes m'ont long-temps attaché à la Musique Française, et j'en étais enthousiafle ouvertement. Des comparaisons attentives et impar- tiales m'ont entraîné vers la Musique Italienne, et je m'y suis livré avec la même bonne - foi. Si quelquefois j'ai plaisanté, c'était pour répondre aux au- tres sur leur propre ton ; mais je n'ai pas, comme eux, donné des bons mots pour toute preuve , et je n'ai plaisanté qu'après avoir raisonné. Maintenant que les malheurs et les maux m'ont enfin détaché d'un goût qui n'avait pris sur moi que trop d'empire, je persiste, par le seul amour de la vérité, dans les juge- mens que le seul amour de l'Art m'avait fait porter. Mais dans un Ouvrage comme celui-ci, consacré à la Musique en géné- ral , je n'en connais qu'une y qui n'étant d'aucun


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d'aucun pays, est celle de tous ; et je n'y suis jamais entré dans la querelle des deux Musiques, que quand il s'est agi d'éclaircir quelque point important au progrès commun. J'ai fait bien des fau- tes , sans doute ; mais je suis assuré que la partialité ne m'en a pas fait commettre une seule. Si elle m'en fait imputer à tort par les Lecteurs, qu'y puis-je faire ? Ce sont eux alors qui ne veulent pas que mon Livre leur soit bon.

Si l'on a vu, dans d'autres Ouvrages,1 quelques articles peu importants qui sont aussi dans celui-ci, ceux qui pourront faire cette remarque, voudront bien se rappeller que, dès l'année 1750, le ma- nuscrit est sorti de mes mains sans que je sache ce qu'il est devenu depuis ce temps- là. Je n'accuse personne d'avoir pris mes articles ; mais il n'est pas juste que d'au- tres m'accusent d'avoir pris les leurs.

A Moutiers-Travers le 20 décembre 1764.



Voir aussi

Ancres
  1. Ce passage peut être pointé avec l'identifiant « blessé ». Voir un exemple dans la page Dictionnaire de musique (Jean-Jacques Rousseau).
  2. Ce passage peut être pointé avec l'identifiant « instruments ». Voir un exemple dans l'article violon.