Biographie universelle des musiciens (1867) Fétis/Okeghem (Jean) : Différence entre versions

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< Roland de Lassus

Biographie de Jean Okeghem par François-Joseph Fétis


 
 

Cette page reproduit la biographie de Johannes Ockeghem à partir de celle contenue dans l'ouvrage « Biographie universelle des musiciens » de François-Joseph Fétis.

Sources

Le texte original


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Okeghem (Jean) (1), un des musiciens beiges les plus illustres du quinzième siècle, est proclamé la lumière de l'art par ses contemporains comme par les écrivains des siècles postérieurs : cependant aucun renseignement n'est fourni par eux sur les circonstances de sa vie, et les éléments de sa biographie étaient complètement inconnus lorsqu'un hasard heureux me mit, en 1832, sur la voie des découvertes de documents authentiques à l'aide desquels il est possible d'en saisir quelques faits principaux. Grâce à l'obligeance et aux recherches persévérantes de M. le chevalier de Burbure, d'autres indications importantes sont venues s'ajouter à celles que j'avais recueillies.

Origine et naissance

Dans la première édition de la Biographie universelle des Musiciens, j'ai conjecturé que Jean Okeghem naquit à Bavay, basant mon hypothèse sur un passage placé à la suite des II- lustratiois de France de Jean Lemaire, poète et historien, surnommé de Belges, parce qu'il était né dans cette viiie de Bavay, en latin Bel- gium. Dans son Épître à Maistre François Le- rouge, datée de Blois 1512, Lemaire s'exprime ainsi :

« En la An de mon troisième livre des « Illustrations de France, j'ai bien voulu , à la requeste et pers'jasion d'aucuns mes bons K amys, adiouster les œuvres dessus escrites, et mesmement les communiquer à la chose pu-

« blique de France et de Bretagne , afin de leur « monstrer par espéciaulte comment ia langue « gallicane s'est enrichie et exaltée par les œu- o vres de monsieur le trésorier du boys de Vin- « cennes, maistre Guillaume Crétin, tout ainsi « comme la musique fut ennoblie par mon- « sieur le trésorier de Sainct-Martin de « Tours, Okeghem mon voisin et de nostre « mestne nation. »

Or, Bavay, aujourd'hui ville de France ( Nord ), faisait au quinzième siècle partie des Pays-Bas et des posses.^ions des ducs de Bourgogne; sa population était wallonne, et j'en concluais qu'Okeghem était Wallon comme Jean Lemaire, et, par une induction peut-être forcée, je supposais qu'il était né à Bavay.

Sur des renseignements fournis par les comp- tes de la ville de Termonde (Flandre orientale), M. de Burbure, après avoir constaté l'existence dans cette ville d'un certain Guillaume Van Okeghem, ea 1381, de Charles Van Okeghem, en 1398, de Catherine Van Okeghem, fille de Jean, depuis 1395 jusqu'en 1430 {loy. note 2), ajoute : « La famille Van Okeghem était donc « fixée à Termonde à l'époque probable de la « naissance du célèbre compositeur. On peut

  • présumer que celui-ci est 5e petit-fils ou le

« petit-neveu de Jean : la similitude des prénoms « donne même beaucoup de force à cette con- « jecture. » J'avoue qu'il me reste des doutes sur la parenté du grand musicien qui est l'objet de cette notice avec la famille Van Okeghem : ces doutes naissent de ce qu'il n'est appelé Van Okeghem par aucun de ses contemporains, mais simplement Okeghem; il en est ainsi de tous les manuscrits de son époque où se trouvent ses ouvrages, de toutes les collections des premières années du seizième siècle qui contiennent quelqu'une de ses pièces, et même des documents authentiques des archives de l'église oii il parait avoir reçu son éducation et où il fut chantre du chœur, ainsi qu'on le verra tout a l'heure.


(1) Le nom de ce musicien est écrit Ockenheim par Glaréan [Dodecach., p. W4), cette ortUographe est adoptée par Hawkins, Burney, ForVel, Kiesewetter et beaucoup d'autres, Hermann Fink écrit Okekem dans sa Practica musica, mais tous les documents authentiques portent Okeghem, et c'est ainsi que Tinctoris, WilphliDgseder, Faber, Heyden et Zarllnu écriTent son nom. Parmi les altérations tiu'a subies le nom d'OWeghem, la plus ridicule est celle (ju'on trouve dans le Mémoire de Laserua sur l'ancienne bibliotbèque de Bourgogne, car il y est appelé Ockergan.
Dans la première édition de cette Biographie universelle des Musiciens, je disais que je ne savais où il a pris ce nom ; M. Farrenc is'a appris que c'est dans les poésies de Crétia, ou plutôt Creslin , comme on le verra tout â l'heure. Lascrna a été copié par le baron de Reiffenberg, ^ans sa Lettre à M. t'étis, directeur du Conservatoire, sur quelques particularités de Chistoire musicale de la Belgique ,V. Recueil encgclopédique belge, p. 61.)
(1) En 1381, Guillaume Van Okeghem reçoit un payement de- 14 escalins de gros, pour avoir livre mille pains à l'année de Philippe le Hardi.campée sous les mursdeTermonde. — Charles Van Okeghem est, en 1398, au nombre des habitaotà de cette ville qui«nt payé des droits d'eufrée pour des tonneaux de bière venus de Hollande. — Depuis 1Î95 jusqu'en 1130, Catherine Van Okeghem. fille de Jean, reçoit chaque année, pour intérêts d'une rente viagère . la somme de 12 escalins t deniers. Cette rente est éteinte en liJO par le décès de Catherine.


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Par une interprétation trop absolue du passage de Jean Lemaire rapporté plus haut, j'avais cru pouvoir placer la date de la naissance d'Okeghem vers 1440, dans mon Mémoire sur les musiciens néerlandais (Amsterdam, J. Mul- 1er, 1829, in-4°, p. 15), en sorte que ce maître aurait été âgé d'environ soixante-douze ans en 1512, quand ce passage fut écrit ; mais une dé- couverte que je fis trois ans plus tard, dans un manuscrit de la Bibliothèque impériale de Paris (F, 540 du supplément), me démontra que cette date devait être reculée d'au moins dix ans. J'ai consigné le fait dont il s'agit dans mes Recher- ches sur la musique des rois de France et de quelques princes, depuis Philippe le Bel jusqu'à la fin du règne de Louis XIV {Revue musicale, tome XII, p. 234). Ce renseignement est fourni par un Compte des officiers de la maison de Charles VU qui ont eu des robes et des chaperons faitz de drap noir pour les obsèques et funérailles du corps du feu roij l'an 1461. On y trouve ce qui suit : « Chapelle, n Les XVI chapelains de la chapelle dudit sei- " gneur qui ont eu dix-huit robes longues et au- « tant de chaperons, les quatre premiers à 3 « escus l'aulne, et les autres à 2 escus l'aulne : « Johannes Okeghem, premier, etc. « On voit, disais-je, dans le travail qui vient d'être cité, ainsi que dans la première édition de cette Bio- graphie, on voit qu'Okeghem était déjà premier chantre ou chapelain de Charles VU en 1461; or, il n'est pas vraisemblable qu'il soit parvenu à ce poste distingué avant l'âge de trente ans, d'où il suit qu'il serait né vers 1430. D'autre part, le passage de Jean Lemaire, par lequel on voit qu'Okeghem était trésorier de Saint- Martin de Tours, me paraissait indiquer d'une manière certaine qu'il vivait encore en 1512, et qu'il était alors âgé de quatre-vingt-un ou qua- tre-vingt-deux ans. La date de 1430, qui me pa- raissait la plus vraisemblable, a été depuis lors adoptée dans la plupart des dictionnaires bio- graphiques. M. de Burbure s'y rallie aussi; tou- tefois, un renseignement important pour la bio- graphie du célèbre musicien, lequel a été dé- couvert dans les archives de la collégiale d'An- vers par mon honorable ami, me paraît renverser ma conjecture et faire remonter plus haut l'é- poque de sa naissance. En effet, dans les comp- tes des chapelains de cette église, qui commen- cent à Noël 1443 et sont clos à la même épo- que, en 1444, on voit figurer cet artiste parmi les chanteurs du côté gauche du chœur (1), et son nom s'y présente sous les formes suivantes :

(1) M, de Burbure a constaté qu'il y avait en 1S43-1S44 vlDgt-six chanteurs ù la droite du chœur de l'église d'Anvers et vingt-sept à la gauclie, non compris les clia- noines et les enfants de cliœur.


Okeghevi, Oqeghem, Oqcgh am, De Okeghem, et Qcheghem , Les chantres étaient alors rangés dans le chœur des églises par ordre d'ancienneté, en sorte que le plus ancien était le plus rapproché de l'autel : Okeghem est l'avant -dernier dans la liste des chantres du côté gauche. Après la Noël (le l'année 1444, il disparaît des comptes et conséqiiemment de l'église.

Enfance et formation

Admettant la date de 1430 pour celle de la naissance d'Okeghem , M. de Burbure pense qu'il a été admis comme enfant de chœur à l'église d'Anvers vers l'âge de huit ans, et, comme tel, a été instruit et entretenu à la maîtrise; que l'époque de la mue de sa voix étant arrivée à l'âge de treize ans, il a dû en sortir, et que le chapitre, par intérêt pour sa position, l'a au- torisé à figurer parmi les chanteurs et à participer à la distribution des deniers pour les offices. Il n'y a pas de motifs sérieux pour ne pas admet- tre les conjectures de M. de Burbure, car elles ont pour base les documents authentiques des archives de l'église d'Anvers ; mais il est hor."» de doute que l'éducation musicale du grand musicien qui est le sujet de cette notice n'a pu être complète à l'âge de quatorze ans, car cinq ou six années n'étaient pas suffisantes, à l'épo- que oii il vécut, pour former un chanteur excel- lent et un contrepoinliste habile. La solution d'une multitude de cas embarrassants et diffi- ciles, dans le système monstrueux de la nota- tion des quatorzième et quinzième siècles, ne pouvait se faire qu'à l'aide d'une longue pratique et d'une expérience consommée ; caries maîtres les plus savants s'y trompaient encore, ainsi qu'on le voit avec évidence dans les écrits de Tinctoris, de Gafori, d'Aaron et de plusieurs au- tres théoriciens anciens. Quand les longues études sur ces difficultés étaient terminées, les maîtres faisaient aborder celles du contrepoint à leurs élèves; et loi-sque ceux-ci étaient parvenus à écrire avec correction à trois, quatre ou cinq parties par une sorte de tablature qui servait à faire la partition, on les exerçait à traduire cha- que partie , écrite originairement par cette no- tation simple , en notation proportionnelle en une infinité de combinaisons ardues. Celui qui imaginait, dans sa traduction, les énigmes les plus difficiles était considéré comme le musi- cien le plus habile. Nul doute qu'à sa sortie de la collégiale d'Anvers, Okeghem n'ait eu pour but de chercher le maître qui pouvait complé- ter son instruction. Il l'aurait trouvé dans cette même église si Barbireau (voyez ce nom) eût occupé alors la place de maître des enfants de chœur ; mais ce savant musicien ne le devint qu'en 1448.


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On ne saurait rien concernant l'é- cole où Okeghem a puisé son savoir en musique, si un passage du Traité de contrepoint de Tincteris ne nous fournissait une indication à ce sujet. J'ai rapporté ce passage dans mon Mémoire sur les musiciens néerlandais, mais la rareté de ce livre m'engage à le répéter ici :

« Ce que je ne puis assez admirer, c'est qu'en remontant à une date de quarante ans, on ne trouve aucune composition que les savants jugent digne d'être entendue (l).Mais depuis ce

« temps, sans parler d'une multitude de chanteurs « qui exécutent avec toutes sortes d'agréments, « je ne sais si c'est l'effet d'nne inQuence céleste •i ou celui d'une application infatigable, on a « vu tout à coup fleurir une infînilé de compo- « siteurs, tels que Jean Okeghem, J. Régis, Ant. « Busnois, Firmin Caron, Guillaume Faugues, «' qui tous se glorifient d'avoir eu pour maîtres « en cet art divin J. Dunstaple, Gilles Binchois « et Guillaume Dufay, lesquels sont morts de- ■>< puis peu (2). « Okeghem a donc eu pour maî- tre ou Dunstaple, ou Dufay, ou enfin Binchois : il ne s'agit que de découvrir celui de ces trois maîtres qui a dirigé ses études, ce qui ne sera pas difficile si nous remarquons : l*' qu'Oke- ghem n'a pu naître avant 1425, et que Dufay, étant mort en 1435, il n'a pu en faire son élève.— 2° Que Dunstaple, Anglais de naissance, paraît avoir vécu dans son pays, qu'il y est mort et a été inhumé dans l'église de Saint-Étienne, à Walbroock. On peut donc affirmer qu'Okeghem, pauvre chantre sorti depuis peu d'années de la maîtrise do la collégiale d'Anvers, n'a pas été chercher l'instruction musicale en Angleterre dans un temps où les relations d'outre-mer étaient difficiles. — 3" Qu'en 1444 Philippe le Bon tenait sa cour à Bruges, qu'il y resta plu- sieurs années, et que Binchois, chantre de la cha- pelle de ce prince, y faisait sa résidence. Tout porte donc à croire que c'est de ce maître qu'Okeghem reçut l'instruction supérieure dans toutes les parties de la musique, et en particulier dans la science du contrepoint.

{1)11 y a ici une erreur de Tinctoris, car ilécrlTall on Jt"6, et D'ifay [voyez ce nom) brillait déjà dans la chapelle pontificale près de cent ans auparavant.

(î) Keque, quod sats admirari nequeo, quippiam com- posilum, nisi citràannos quadraginta extat, quod auditu dignum ab cruditis existimetur. Hàc vero tenipestate, nt praeteream innnmeros concentores venustissiniè pronun- ciantes , nescio an virtute cujusdam cœlestis InQuxiis an ïehementis assiduse exercitationis, infîniti florent com- positorcs. ut Joannes Okeghem, Joannes Régis, Antho- nins Busnois, Firminn? Caron , Guillermus Faugues, qui Dovlssimis temporibus vitâ functos, Joannem Dunstaple, Egidium Binchois, GuiUermum Dufay, se prarceptores habuisse in hàc avle diTinâ glariantur.

A la cour des rois de France

Après que les études d'Okeghem eurent été terminées sons la direction de Binchois, c'est-a- dire vers 144S ou 1449, nous voyons un espace de douze ou treize ans jusqu'en 1461, où Okeghem était premier chapelain du roi de France Charles VII. Il est à remarquer que rien n'in- dique, dans le manuscrit de la Bihiiotiièque impériale de Paris, auquel nous sommes redeva- bles de la connaissance de ce fait, eu quelle- année le célèbre artiste l^elge entra au service de ce prince; car depuis le Rdle des povres officiers- et serviteurs du feu roy Charles VI faict le 21 octobre 1422, jusqu'à la mort de Charles VII, en 1461, ce manuscrit ne conlient aucun compte de l'état de la maison royale : ce qui ne doit pas étonner, si l'on se rappelle la triste situation delà France sous un règne rempli d'agitations et de vicissitudes si déplorables, qu'après la ba- taille de Verneuil (1424), les Anglais, maîtres de la plus grande partie du royaune, appelaient par dérision Charles Vineroj de Bourges, parce qu'il ne lui restait guère que cette ville et son territoire. Ce ne fut qu'après la trêve de 1 444, et surtout après la conquête de la >'ormandie sur les Anglais, achevée seulement en 1450, que la France respira, que la royauté reprit par degrés sa splendeur, et que l'ordre se rétablit dans les finances. Il est donc vraisemblable que ce fut dans l'intervalle de 1450 à 1460 qu'Okeghem entra dans la chapelle du roi de France et que ce fut d'abord comme simple cltantre; car à cette époque l'ancienneté des services était comptée pour quelque chose, et quelle que lût l'habileté d'un musicien, il n'arrivait pas tout d'abord au poste le plus élevé.

D'assez grandes difficultés se présentent en ce qui concerne la position d'Okeghem après l'an- née 1461. On sait que Louis XI succéda à son père Charles VII le 23 juillet de cette année : or, deux comptes de l'état de la chapelle royale semblent démontrer que l'illustre musicien ne fut pas au service de ce prince. Le premier compte des gages des officiers de la maison du roy Loys XI'^>^, dressé par Jacques le Camus, commis au payement de ces gages, depuis le mois de janvier 1461 jusqu'au mois de septembre 1464, prouve que toute la chapelle avait été changée et réduite depuis l'avcnement au trône du nouveau roi ; qu'il n'y restait plus un seul des chantres à déchant de la chapelle de Charles VII, et que le premier chapelain se nommait Gallois Gourdin{i). IJnsecond compte, dressé en 1466 par Pierre Jobert, receveur gé- néral des finances , n'indique pas davantage


i) MSS.F, UO du supplément de la BU>lioUiéqae impé-

riaie de Paris.


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qu'Okegliem ait été attaché à la chapelle de j Louis XI; enfin, un troisième compte, qui comprend les dépenses depuis le Ic octobre 1480 jusqu'au 30 septembre 1483, ne fait pas mention d'Okeghem (I). Cependant l'ouvrage de Tinctoris qui a pour titre : Liber de natura et proprietate tonorum, et qui est daté du 6 no- vembre 1476, est dédié, dans le prologue, à Jean Okegliem, premier chapelain du roi très-chré- tien des Français Louis XI, et à maître Antoine Busnois , chantre du très-illustre duc de Bour- gogne (2). Un autre document, non moins inté- ressant, nous apprend que le 15 août 1484 un banquet fut donné au seigneur trésorier de Tours M. (maître) Jean Okeghem, premier chapelain du roi de France , musicien excellent, et aux siens, parla chapelle de l'église Saint-Donat de Bruges (3). Il résulte de la mention authen- tique de celte circonstance, tirée des actes du chapitre de Saint-Donat, qu'en 1484 Okeghem réunissait en sa personne les dignités de tré- sorier de Saint-Martin de l'ours et de premier cha- pelain du roi de France. Suivant les comptes du chapitre de Saint-Martin de Tours, que j'ai consultés aux archives de l'empire, à Paris, les fonctions de trésorier étaient remplies par un cha- noine de celte cathédrale. Tout porte donc à croire que le roi disposait à son gré du canoni- cat auquel ce titre était attaché, et que Louis XI le donna à son premier chapelain à litre de prébende ou bénéfice. Mais la position de tréso- rier obligeant le bénéficié à résidence, il se peut que le chantre Gallois Gourdin, mentionné dans les comptes de la chapelle royale comme pre- mier, ait été simplement suppléant d'Okeghem, puisque celui-ci avait couservé son titre de pre- mier chapelain. Le château de Plessis-lez-Tours, réf^idence habituelle de Louis XI, était d'ailleurs si voisin du chef-heu de la Touraine, que le célèbre maître pouvait remplir ses fonctions près du roi dans de certaines solennités. Cette con- jecture paraît d'ailleurs confirmée par le voyage que fit en Flandre, dans l'été de 1484, Okeghem avec ses chantres ( avec les siens, cum suis, dit


|l) Mss F. 5i0 du supplément de la Bibltottièque impé riale de Paris.

(?) PraestanUssimis ac celeberrimls artis muslcae protes- soribus domino Johannl Okeghem Christianissimi I.udo- vici XI régis Krancnrum protho capellano ac magistrn Antonio Uusnois illustrissiini Burgundorum ducis can- tori, ctc

(3) Sex cannx vini pro substdio sociorun de innsici In ccEnafacta domino UiesaurarioTuroncnsi, domino Johanni Okegtiem, primo capellano régis Francise musico ex- cellentissiino cum suis {Jeta capit. S.Don , 15 aug. 1484) Voyez l iHstotre de Flandre, par M. Kervyii de Lct- tenhove, T. V., note, page 46.


le document du chapitre de Sainl-Donat de Bruges). Le désir de revoir sa patrie, que de- vait éprouver ce maître, comme tout homme de bien, put être réahsé alors, parce que les fian- çailles de Marguerite d'Autriche avec le dauphin, qui plus tard régna sous le nom de Char- les Vin, venaient de mettre un terme aux longues guerres des Français et des Flamands , à la suite du traité d'Arras ( 3 décembre li82).

Suivant le passage du livre de Jean Lemaire, cilé précédémenl, Okeghem aurait encore occupé la position de trésorier de Saint-Martin de Tours en 1512 ; mais de nouveaux documents au- thentiques que j'ai trouvés aux Archives de l'Empire, à Paris, m'ont démontré qu'il s'était démis des fonctions de cette place avant 1499, vraisemblablement à cause de son grand âge. La première pièce est un compte de dépenses de la maison de Louis XII (n» K, 318) où l'on voit qu'un chantre et organiste de la chapelle du roi, nommé £'n'a»'s, était, en 1499, trésorier de Saint-Marlin de Tours, et que ses appointements, comme organiste du roi, étaient de 310 livres tournois. Par un autre compte pourl'année 1491 (no K,-306), le même Errars est chantre et joueur d'orgue de la chapelle royale, mais il n'a pas le titre de trésorier de Saint-Martin de Tours. Ce fut donc entre les années 1491 et 1499 qu'Okegliem se démit de ses fonctions. Toutefois, il est possible qu'il ait conservé son titre comme trésorier honoraire. Dans un poëme sur la mort d'Okeghem, dont il sera parlé plus loin, l'auteur, qui fut contemporain de la vieillesse de ce maître, s'exprime ainsi :

ce Par quarante ans et plus il a servy <t Sans quelque ennuy en sa charge et office; « De trois roys a tant l'amour desservy « Qu'aux biens se vit(l! appeler au convy, « Mais assouvy estoit d'ung bénéfice. »

Les trois rois qu'Oke^hem avait servis étaient Ctiarles VII , Louis XI et Charles VIII ; or Louis Xn, ayant succédé à ce dernier monarque le 7 avril 1498, il est évident que c'est alors qu'il a dû cesser d'être le premier chantre el chape- lain de la chapelle royale, car s'il était resté en charge après cette date, ce ne serait pas trois rois qu'il aurait servis, mais quatre. C'est aussi sans aucun doute à cette époque qu'il s'est démis de ses fonctions de trésorier de Saint-Martin de Tours, et que le chantre et organiste Errars est devenu son successeur dans cette dignité. Il con- tinua sans doute à vivre en repos dans la même

(1) Dans le texte imprimé il y a Je vis : cela na aucun sens.



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Tille jusqu'à son dernier jour, car on trouve dans

le même poëme ces deux vers :

t M Seigaears de Tours et peuple, regrettei « Celluy qu'on doibt plus plaindre que ne djs. »

Par la manière dont s'exprime Jean Lemaire, Okegliem vivait encore en 1512, et devait être alors âgé d'environ qualre-vingt-sept ou quatre- vingt-huit ans. La date précise de sa mort est in- connue : Kiescwetler la fixe h l'année 1513 (1); mais aucun document ne justifie sa supposition. A l'occasion de la mort d'Okeghem, le pocte Guillaume Crétin a composé une pièce de plus de quatre cents vers intitulée : Déploration de Crélin sur le trépas de feu, Okergan (2), tré- sorier de SainctMartin de Tours. Elle se trouve dans le volume de ses poésies imprimé en 1527, après la mort de l'auteur (3). 11 est hors de doute que c'est dans ce poëme que Laserna a pris le nom d'Okergan, altération singulière du nom d'Okeghem, faite par un homme qui vécut dans le même temps que ce savant musicien (4). Personnifiant la musique, Crétin imagine une fiction par laquelle les plus célèbres chantres et compositeurs du quinzième siècle sont convoqués pour rendre hommage à la mémoire de l'illustre

(1) Ceschichie der europxisch-abendixndischen Oder unser heutigen Musik, p. 50.

(i) Je sais redevable à l'amitié de M.Farrencde la com- munlcationdu poëme de Crétin, dont les œuvres n'étaient pas tombées sou^ ma main. U est bien remarquable que ce morceau, si renjpli d'intérêt pour l'histoire du grand musicien objet de cette notice , n'ait jamais été cité.

(S) Les poésies de Crétin ont été réimprimées à Paris, chez Couslelier, en 1T»3, in-lî. Le poëme sur la mort d'Okeghem remplit les pages 38 à 31 .

(i) I.e poète Crétin, ou plutôt Crestin, dont le nom véritable était Dubois, et qui naquit, selon quelques biographes, à Paris, suiraDt d'autres à Lyon, ou même à Falaise, vécut sons les règnes de C^iarles VIII, de l.ouis XII et de François 1er. H était aussi musicien, car après avoir été trésorier de la Sainte-Chapelle de Vin- rennes, il devint chantre de celle de Paris. U y a même lieu de croire qu'il avait été élève d'Okeghem, d'après les vers qu'il adresse aux pr.ncipaux disciples de ce maî- tre, les invitant à composer un chant funèbre.

« Pour lamenter notre nutUtre et bon père. »

Crétin mourut en I5î5. Ses poésies furent recueillies et publiées, deux ans après son décès, par son ami Fran- çois Charbonnier, secrétaire de François l". Je pense que c'est à cette circonstance qu'i! faut attribuer l'allc.- ration inouïe du nom d'Okeghem en celui d'ÛKergan. Il est impossible qu'un écrivain qui a été contemporain de ce maître, qui connaissait ses ouvrages et en appréciait le mérite, et qui vraisemblablement avait reçu de ses le- çons, il est impossible, dis-je, qu'il ait fait cette altéra- tion monstrueuse. L'imprimeur a sans doute mal la le manuscrit où il devait y avoir Okengam, orthographe que i'al trouvée en plusieurs endroits : l'n aura été prise pour r, et Vm pour n. On peut consulter sur Crétin la notice de Weiss, dans la Biographie universelle des frire«i Michaud, aiioi que celle de M. Victor Fuuriiel dans la liioyraplite générale de MM. Firinin Didot.


maître. Dans l'obligation où je suis de borner l'étendue des citations , je choisis ce passage :

< Là du Faj (Dura;) le bon homme sorvlnt,

• Bunoys aussi et aultres plus de vingt,

^ « Fede, Binchois, Barbingant, et Donstable, '1 Pasquin, Lannoy, Barizon très notable.

« Copin, Begis, GHhsjoye et Constant.

« Maint homme fut auprès deulx escoutant,

« Car bon faisoit ouyr telle armonye,'

< Aussi estoit la bende (bande) bien fournie.

• Lors se chanta la messe de iny my, I .4lu travail suis, et Cujusvis toni

« La messe aussi exquise et très parfaicte

• De Requiem par le dict deffunct faicte;

< Uame en la fin dict avecques son lacz (luth) « Ce motet, i:t heremila solus,

• Que chascun tint une chose excellente. *

Ce passage révèle les noms de quelques mu- siciens du quinzième ou du commencement du seizième siècle qui n'ont pas été connus jusqu'à ce jour et dont il ne reste vraisemblablement au- cune composition ; ces artistes sont Fede, Lan- noy, Copin, Gillesjoye et Constant. A l'égard de Pasquin, c'est, selon toute probabilité, le nom de Josquin altéré par des fautes d'impression. On voit aussi dans ces vers les litres de plusieurs mes- ses d'Okeghem qui n'ont pas été citées ailleurs, à savoir, les messes My my. Au travail suis, et la messe de Requiem. Quant à la messe Cujusvis toni, c'est la même qui se trouve sous le titre ad omnem lonum dans le recueil de Nuremberg pu- blié en 1538. C'est aussi sous ce titre que Gla- réan en donne le premier Kyrie et le Benedictus ^{Dodccach., p. 455). Kiesewetter, ne compre- nant rien au tour de force du compositeur, a mis ce Kyrie en partition, sans voir que le cantus est du troisième ton du plain-chant, le ténor, du second ton, et conséquemment que ■ le bémol du si est sous-entendu, et qu'il en est de même de VAltitonans ou Contrutenor, et de la lasse, qui sont du premier ton (voyez Ge- sch ich te der e u ropaisch-a ben dhrndisch en oder unsrer heutigen Musik, n" 8 des exemples de musique).

Dans ce même poëme se trouvent ces vers dont les cinq premiers ont été mis en musique par Guillaume Crespel, sous le titre de Lamen- tation sur la mort de Jean Okeghem :

« Agrirotla. Verbonnet, Prloris.

m Josquin Desprez, Gaspar, Brumel, Compère,

m Ne parlez plusde jojeux chantz ne ris,

■ . Mais composez ung Me reeorderis,

« Pour lamenter nostre maistre et bon père.

« Prévost, (■'er-Just, tant que Piscis Prospère (1),


a^ Musiciens français qui furent, à ceqn'il parait, élèves d'Okeshem, mais dont les noms ne se trouvent que dans ce i<assage, et dont les œuvres sont incocnues.


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« Prenez Fresveau pour vos chantz accorder, « La perle est grande et digne à recordcr. »

De tous les maîtres qui s'illustrèrent dans la seconde moitié du quinzième siècle, Okeghem est celui qui exerça la plus grande influence sur le perfectionnement de l'art par son enseigne- ment. Les plus célèbres musiciens de cetle époque et du commencement du seizième siècle furent ses élèves: leuis noms nous ont été transmis par deux complaintes sur la mort du maîlre, dont la première a été mise en musique à cinq voix par Josquin Deprès, et l'autre par Crespel : celle- ci, comme on vient de le voir, est tirée du poëme de Crélin. Dans celle de Josquin on trouve ces vers :

« Njmplies des bols, déesses des fontaines,

« Chantres experts de toutes nations,

« Cliangcz vos voix fort claires et h&utaines

« En cris tranchants et lamentations;

« Car d'Atropos les niolestations,

« Vostre Okeghem par sa rigueur attrappe,

« Le vrai trésor de musique et chef-d'œuvre,

« Qui de trépas désormais plus n'échappe ;

« Dont grand douma ge est que la terre le cœuvrc.

« Acoustrez vous d'abitz |d'habitsjde deuU.

« Josquin, Brume! , Pierchon, Compère,

•< Et plorez grosses larmes d'œll :

•< Perdu avez vostre bon père (1).

Dans les vers de Crétin, la liste de ces habiles artistes est plus nombreuse, car on y trouve de \)\\i% Agricola, Verbonnet, Prioris et Gaspard. Des huit musiciens nommés dans ces piè- ces, cinq sont Flamands et Wallons, à savoir Alexandre Agricola, Prioris, Gaspard Van Veerbeke, Antoine Brumel et Josquin Des- près ou Des Près (voy. ces noms) ; et deux. Compère et Pierchon , ou Pierre de Lame, sont Picards ; à l'égard de Verbonnet, le moins célèbre de tous, sa patrie est jusqu'à ce moment inconnue. Les sept autres, leurs prédécesseurs, Jacques Obrecht, Dusnois et JeanTinctoris, sont les grandes illustrations musicales de leur époque. Leurs oeuvres remplissent les manuscrils du quinzième siècle, et toutes les collections impri- mées de la première moitié du seizième; enfin.


I (1) Ce morceau de Josquin est à cinq voix ; pendant que le cantus, le contratenor, le qttintus et le bassus chantent les paroles françaises, le ténor dit les paroles et le chant du Requiem. On trouve cette complainte dans Le cinquième livre, contenant xxxii chansons à S et 6 parties. Imprimé en Anvers, par Tylman Susato , 1544, iu-4o.Burney a donné ce morceau en partition dans le deuxième volume de son Histoire générale de la mu- sique Ip. 481) ; Forkel l'a reproduit d'après lui [Àllgem. Ceschichte der Musik, t. Il, p. 54î etsuiv.), etKiesewet- ter en a fait une troisième publication d'après eux, dans les exemples de musique de son Mémoire sur les musi- ciens néerlandais (Die Ferdiensle der Niderlxnder um die Musik. p. 411.


ils fondent des écoles dans toutes les contrées de l'Europe et sont les guides et les modèles de leurs contemporains ainsi que de leurs successeurs im- médiats.

L'art du canon

L'importance des travaux d'Okeghem et les perfectionnements qu'il a introduits dans l'art d'écrire les contrepoints conditionnels, sont constatés par les éloges que lui accordent Glaréan, Hermann Fink , Sébald Heyden , Tintoris, Gafori, Wilphlingseder, Grégoire Faber, ainsi que par ce qui est parvenu de ses œuvres jusqu'à nous.

Si l'on compare ce qui nous reste de ses compositions avec les ouvrages de ses prédécesseurs immédiats, particulièrement avec les productions de Dufay, on voit qu'il possédait bien mieux que ce maitre l'art de placer les parties dans leurs limites naturelles, d'éviter les croisements des voix et de remplir l'harmonie. Glaréan lui accorde d'ailleurs le mérite d'avoir inventé la facture des canons , dont on trouve les premiers rudiments dans les œuvres des musiciens qui écrivirent à la fin du quatorzième siècle, ou du moins d'en avoir perfectionné les formes. « Josquin (dit Glaréan ) aimait à déduire plusieurs parties « d'une seule, en quoi il a eu beaucoup d'imita- « leurs; mais avant lui Okeghem se distingua « dans cet exercice (1). »

Le morceau rapporté ensuite par le même écrivain (in Dodecach., p. 454), et par Sebald Heyden (De arte canendi, p. 39), comme exemple de l'habileté d'Okeghem dans cette partie de l'art, est en effet fort remarquable pour le temps où il a été écrit : c'est un canon à trois voix, où l'harmonie a de la plénitude et de la correction, et dans lequel les parties chantent d'une manière naturelle. Mais on jugerait bien mal de la valeur de ce morceau si l'on ne consultait que les traductions en partition qu'on en trouve dans les Histoires de la musique de Hawkins, de Burney, de Forkel, et à la suite du Mémoire de Kiesewetter sur les musiciens néerlandais, car cette résolution du canon énigmatique d'Okeghem est absolument fausse.

Ambroise Wilphlingseder , canior de l'école de Saint-Sébald de Nuremberg, vers le milieu du seizième siècle, a reproduit ce môme canon dans un traité élémentaire de musique qu'il a publié sous ce titre : Erolemata musiccs praciicx continent ia prœcipuas ejus artis prxcep- tiones (Nuremberg, 1563, in-S"). La résolution qu'il en donne (p. 58-63) renverse l'ordre des parties établi par le compositeur, et en fait un


(1) Amavit Jodocus ex una voce plures deducere; quod post eum multi semulati sunt , sed ante eum .loannl» Okenlielni ea in exercitatione claruerat \,Glar. Dndecacli. p. 441).


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canon à la quinte inférienre au lieu de le résoudre à la quarte supérieure, suivant l'indication de Glaréan. (Fuga irium vocum in epldiates- saron post perfectum lempus), et d'après l'ex- plication plus explicite encore donnée par Grégoire Fabor, dix ans auparavant, dans ses Ero- iemata musices practicx (p. 152). « Fugue à « trois parties (dit cet écrivain) dont les deux « prenaièrcs sont en chant mol ( mode mineur), « et la dernière en cliant dur (mode majeur). « La seconde partie entre à la quarte supérieure


K après un temps parfait ; la troisième commence '< à la septième mineure supérieure après deux « temps (1). « La mauvaise résolution de Wilplilingseder a été donnée en partition par Haw- kins dans son Histoire générale de la musique (T. n, p. 471), puis copiée parBurney {a Général History of Music , T. II, p. 475), par Forkel (Allgem. Geschichte der Musik, i. II, p. 580), et par Kiesewctter. Elle est remplie de mauvaises successions , et partout où il doit y avoir des quintes, on y trouve des quartes.


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J'ai donné la véritable résolution de cet inté- ressant morceau dans mon Esquisse de l'histoire de l'harmonie considérée comme art et comme science systématique (Paris, 1841,. p. 28, et Gazette musicale de Paris, ann. 1840, p. 159).


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(1) Faga triura partiuro, quarum prtorcs dux in molli canin, ultima in duro iictas voces iL<:urpat. Secunda autem pars in epidiatessarou post uoum tempus perfectum,


tertia in seralditono cum dhpeote superne post duo tempera Incipit.


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11 était d'autant plus nécessaire de faire remar- quer l'erreur de tous ces historiens de la musi- que et de la rectifier, que le morceau dont il s'agit est le plus ancien monument parfaitement régulier de l'art des canons, et que c'est par lui que nous pouvons nous former une opinion fon- dée du mérite d'Okegliem comme harmoniste.

La messe d'Okeghcm ad omnem ionum , à quatre voix, se trouve dans le rarissime recueil in- titulé Liber quindecim Missarum a jjrxstan- tissimis musicis comjwsiiarum {Noribergx, apud Joli. Petreium, 1538, petit in-4 obi). Une autre messe de ce maître, intitulée Gaudeamus , se trouve dans un manuscrit de la Bibliothèque impériale de Vienne : elle est aussi à 4 voix. L'abbé Stadler l'a mise en partition, et Kiesewetter en a publié le Kyrie et le Christe dans les plan- ches de son mémoire sur les musiciens néerlan- dais, avec une multitude de fautes grossiè- res, dont une partie a été corrigée dans l'Jlis- toire de la musique des contrées occidentales, du môme auteur; mais il en reste encore plu- sieurs. Le manuscrit de la Bibliothèque royale de Bruxelles, n° 5.')57, qui provient de la cha- pelle des ducs de Bourgogne, contient la messe d'Okegliem à quatre parties , qui a pour titre : Pour quelque peine, et la messe également à 4 voix Ecce ancilla Domini ; je les ai mises en partition dans mes recueils d'anciens maîtres belges. Une note fournie à M. Léon de Burbure par M. James Weale, de Bruges, indique le titre d'une quatrième messe du même maître ( Village), dont une partie fut transcrite en 1475


dans les livres de l'église collégiale de Saint Do- natien ou Donat, de cette ville, par le ténor et co- piste Martin Colins (1). Plusieurs messes inédi- tes d'Okeghem se trouvent dans les livres de la chapelle pontificale, à Rome, dans le volume n" 14, in-folio : Baini, qui les cite, n'en fait pas connaître les titres.

Sebald Heyden cite aussi {De Art e Canendi, p. 70) 3fissa Prolationuni, d'Okeghem, et l'on en trouve un canon dans les Prœcepta musicx j)racticx de Zanzer d'Inspruck, publiés dans cette ville, en 1544.

Le plus rare des rarissimes produits des presses d'Octavien Petrucci, inventeur de la typogra- phie musicale, lequel a pour titre Harmonice musices Odhecaton, renferme dans le premier livre, marqué A, et dans le troisième, dont le titre particulier est Canti C numéro cento cin- quanta ( Venise, 1501-1503), ce recueil, dis-je, renferme cinq chants d'Okeghem à trois et à quatre voix. Son nom y est écrit Okenghem. Ces chants sont des motets composés sur des mélodies populaires, dont les premiers mots sont : Ma bouche rit; Malheur me bal ; Je n'ay deul; petite Camusette ; Prennes sur moy (prenez sur moi). Un manuscrit précieux de la fin du XV' siècle, qui provient de la chapelle des ducs de Bourgogne et se trouve aujourd'hui dans la bibliothèque de la ville de Dijon, sous le n° 20."), contient plus de 200 chansons françaises, à

(1) Item Martine CoUins pro scriptura Panem Je FilUige, de Okegtiem et reparatlone librorutn laceratorum cuin novis foliis compositis — Xll se. ( douze escallns ).


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trois et quatre parties, parmi lesquelles il y en a sept qui portent le nona d'Okeglieni, et peut-être un plus grand nombre , sans indication, qui lui appartiennent. M. l'abbé Stephen Morelot , qui a donné une excellente notice de ce manuscrit (1), y a joint le catalogue thématique de toutes ces chansons, et l'on y voit les commencements de celles-ci qui portent en tète le nom d'Okeghera : i 1° Ma bouche rit ( publiée dans le recueil Harmonice musices Odhecaton ) ; 2" Les des- . léaulx (déloyaux) ont la raison : 3° L'autre dantan l'autr'ier; i° Fors seulement l'at- tente que je meure; 5" Quant de vous seul je pers la veue; 6° D'un autre amer (amour) mon cœur ; 1° Presque transi. Je possède aussi trois motets à quatre voix de ce maître.

Je ne dois pas tinir cette notice sans parler d'un passage du Dodecachordon de Glaréan, où il est dit qu'Okeghem a écrit une messe à trente-six voix : OAen/ieJm yui ingenio omneis ercelluisse dicitur, quippe quem constat tri- ginta ser vocibus garritum quemdam {mis- I sam) insdtuisse {Dodecach. lib. 3, p. 454). Dans le poème de Crétin, ce n'est pas une messe, mais un motet à trente-six voix qui aurait été composé par OkegUem ; voici le passage :

< C'est Okergan qaoa doibt plorer et plaindre, « Cest ]d; qui bien sceut chorsir et attaiadre « Tous les secretz de. la subtilité ■ Du nouveau cbsnt par son habileté (3) « Sans un seul poinct de ses reigles eofraiadre, t Trente-six toix noter, escripre et poindre ■< En ting motet ; est-ce pas pour complaindre - Cetluy trouvant telle novalité? « Cest Okergan. •

Tous les auteurs modernes qui ont parlé de ce j maître ont adopté sans discussion le fait d'une ! semblable composition écrite par lui; mais j'a- voue que je ne puis y ajouter foi , et je con- sidère une combinaison de ce genre comme im- possible au quinzième siècle , où les morceaux de musique à six voix étaient même fort rares.


(11 De la musique au XV« siècle. Notice sur un manu- scrit de la Bibliothèque de Dijon, par M. Stephen Morelot dans les Mémoires de la Commisiion archéologique de la CôtC'-d'Or] ; tiré à part, Paris, 1856; gr. ln-*« de Î8 pages avec un appendice de H pages de musique.

(S| II ya dans le té\te imprimé :

Tous les secretz de la subtilité Du nouveau chant par sa subtilité. J'ai cru qu'il y avait là une distraction de l'imprimeur, et j'ai fait la'substitntion qui Tient naturellement à l'es- prit. Cependant il se peut que le passage ait été écrit tel quil est imprimé, car M. Victor Fonrnel dit, dans sa no- tice sur Crétin : <« Il se crée des difficultés aussi biiarres « que puériles et s'évertue toujours à donner à ses vers « non-seulement les rimes les plus riches, ce qui ne se- R rait pas un grand mal, mais à faire rimer ensemble > un oa plusieurs mots tout entiers , etc. a


Un seul musicien de ce temps , Brumel, élève d'Okegliem, nous offre dans ses œuvres deux exceptions à l'usage suivi par ses contemporains à cet égard : la première se trouve dans un fragment à huit voix rapporjé par Grégoire Faber {Musices practicx erotem. lib. I. cap 17) : l'autre est la messe à 12 voix : Et ecce terrx motus , qui est à la Bibliothèque royale de .Munich {Cod. mui. I) * effort de tète sans doute extraordinaire ponr l'époque où vécut l'artiste, mais qui n'est rien en comparaison de ce qu'aurait été une messe entière ou un motet à 36 voix. La pensée d'un pareil ouvrage devait alors d'autant moins se pré- senter à l'esprit des musiciens, que les chapelles des rois les plus puissants n'étaient alors com- posées que d'un petit nombre d'exécutants.

Je le répète, une telle composition était ab- solument impossible au temps d'Okeghera; quelle que fût son habileté, il n'en possédait pas les éléments, ne connaissant ni la division des voix à plusieurs chœurs qui se répondent et entrent tour à tour sur les dernières notes du chœur précédent, ni les broderies par lesquelles on dé- guise la similitude de mouvements des parties. Les messes et motets à quatre, cinq et six chœurs d'Ugolini et de Benevoli (compositeurs du dix-septième siècle) sont des œuvres très-impar- faites, si on les considère au point de vue de la pureté de l'harmonie ; mais on n'a pu les écrire que dans un temps où l'art était infiniment plus avancé qu'à l'époque où vécut Okeghem. L'a- necdote dont il s'agit est de même espèce que mille bruits sans fondement qui se propagent sur les travaux des compositeurs de nos jours.




Origine

Le texte original est accessible sur Gallica :

Voir aussi

Sources