XVIIe siecle (1999) Müller

De Wicri Musique

«Je vous voyrai dimanche» La vie quotidienne des enfants de chœur de Notre-Dame de Paris à la fin du XVIIe siècle

["See you on Sunday": the daily life of the choirboys of Notre Dame de Paris at the end of the 17th century].


 
 

Auteurs
Anne Friederike Müller
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In
XVIIe siecle, (1999)
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Cet article a été repéré dans un travail sur la santé et la chant choral.

Résumé

Cet article décrit les conditions de vie des enfants de chœur à Notre-Dame de Paris.

L'article original


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A juste titre, Notre-Dame de Paris pouvait se vanter, aux XVIIe et XVIIIe siècles, d'être :

d'être l'église du Roy, [...] le temple essentiellement destiné aux cérémonies d'état, [...] le temple dans lequel l'on adresse à Dieu au nom de toute la nation des prières et des actions solennelles de graçes et de remerçimens.[1]

Dès la conversion d'Henri IV au catholicisme en 1594, les Te Deum marquant les événements importants au sein de la famille royale ou célébrant les succès militaires des armées françaises se multipliaient dans la cathédrale. Les chanoines qui la desservaient s'empressaient de rendre ces services extraordinairement splendides et fastueux. Ils s'attachaient en particulier à préserver et à développer la qualité de la musique dans Notre-Dame, louée par des commentateurs de l'époque comme étant l'« une des plus excellentes qu'il y ait », voire « la plus complette du monde »[2]. Le chant des douze enfants de chœur occupait alors une place de première importance dans l'activité musicale de Notre-Dame.

Les enfants de chœur et l'institution qui les accueillait, la maîtrise, ont fait l'objet de plusieurs études qui s'appuient presque exclusivement sur des


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textes normatifs[3]

Si ces documents décrivent bien comment aurait dû être la conduite des enfants de chœur du point de vue des autorités, il existe des actes judiciaires qui apportent une lumière autre sur le comportement réel des choristes, et permettent par conséquent de dresser un tableau beaucoup plus vivant de leur vie quotidienne.

Entre 1685 et 1693, la Barre du chapitre de Notre-Dame, c'est-à-dire la juridiction temporelle, dont relevait une partie de l'île de la Cité autour de la cathédrale, instruisit trois procès au cours desquels trois enfants de chœur et vingt-trois personnes de leur entourage furent interrogés ou convoqués comme témoins. Leurs dépositions permettent une reconstruction nuancée, allant au-delà d'une description idéalisée, du cadre de vie des enfants.

Un monde clos et surveillé

L'enfant de chœur idéal devait se montrer obéissant, docile, respectueux, religieux, modeste, honnête et doux. En 1706, le chapitre se met d'accord sur l'ordonnance suivante :

Messieurs ordonnent aux enfans de s'appliquer soigneusement à l'étude de la musique et du latin, de travailler toujours en commun et sous l'œil de leurs maîtres, de s'entretenir dans l'esprit de piété, d'avoir beaucoup de soumission pour eux, de douceur pour les domestiques, d'honnesteté et de civilité pour tout le monde et les uns envers les autres, leur déffendant sous peine de punition de se servir en se parlant de termes durs et offençans, soit dans les recréations ou autrement.[4]

Les chanoines se servaient de trois moyens d'éducation : un emploi du temps chargé et réglé de façon stricte qu'ils imposaient au chœur, son isolement presque complet de l'entourage laïque, voire ecclésiastique, ainsi qu'une surveillance permanente.

Emploi du temps

Dès 1455 et jusqu'à la Révolution, puis de nouveau à partir de 1813, la maîtrise occupe une maison située au cloître Notre-Dame, très proche de la


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cathédrale, à l'actuel numéro 8 de la rue Massillon. Cet édifice de quatre étages contient au rez-de-chaussée une cuisine, un réfectoire et le « revestiaire », où les enfants changent de vêtements avant de se rendre à l'église. Aux trois autres étages, se trouvent une infirmerie, une lingerie, un dortoir pour les enfants, les appartements des maîtres de musique et de grammaire, une garde-robe et une salle de classe[5].

La vie des douze enfants de chœur se déroule entre les deux pôles que constituent la cathédrale et la maîtrise. Leur emploi du temps s'articule presque exclusivement autour de l'enseignement et du chant. Plusieurs règlements prescrivent le déroulement de leur journée. Celui de 1738 stipule que les enfants se lèvent à six heures et demie. Un quart d'heure plus tard, lavés et habillés, les jeunes garçons font leur prière dans un oratoire qui se trouve également dans la maîtrise. A partir de sept heures, ils étudient le latin, puis ils prennent leur déjeuner et se préparent pour leur premier office du jour : tierce à neuf heures. De retour dans la maîtrise, ils sont instruits en musique jusqu'à midi, heure du repas, précédé par le chant du benedicite. D'une heure à deux heures a lieu un autre cours de musique. Ensuite, ceux qui ont des versets à chanter aux vêpres les apprennent par cœur. Après les vêpres, les enfants retournent à la maîtrise afin de prendre leur goûter ; de quatre heures à six heures et demie, ils apprennent une nouvelle leçon de latin. S'ensuit le souper à sept heures, puis un temps de récréation jusqu'à huit heures et demie. La journée se termine par une dernière prière et un examen de conscience mené par le maître de musique. S'il y a matines, les enfants sont réveillés vers onze heures et demie et ne rentrent que vers deux heures du matin.

Les loisirs des enfants de chœur se limitent aux jeudis après-midi ; si le temps le permet, ils font alors des promenades en groupe sur le « terrain », c'est-à-dire, le parc semi-public qui se trouve à l'est de la cathédrale, à la pointe de l'île de la Cité. En outre, de temps à autre, le chapitre accorde des promenades particulières. Celles-ci présentent l'avantage de sortir les enfants hors des murs du cloître Notre-Dame, mais les chanoines prévoient une surveillance renforcée lors de ces occasions. Deux d'entre eux

s'y trouveront avec les deux maîtres, ils ne permettront aux enfans de trop s'écarter, ils veilleront continuellement sur leur conduite, tant à table, pour les contenir dans la sobriété, et les empêcher de mettre aucuns fruits dans leurs poches, que dans le lieu de promenade où ils les entretiendront de choses utiles et de discours édifians.[6]

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Les dimanches après vêpres jusqu'à cinq ou six heures du soir, les enfants peuvent recevoir la visite de leur plus proches parents. Septembre est considéré comme un mois férié ; les vacances consistent seulement en ce qu'il n'y a pas de cours de latin ni de musique[7].

Isolement

Excepté leurs parents, frères, sœurs et les musiciens qui leur apprennent à jouer d'un instrument, les enfants ne doivent recevoir personne. Leurs maîtres se chargent de les isoler du monde qui les entoure. Pendant les brefs moments de loisirs et de promenade, ils sont tenus à veiller non seulement à ce que les enfants restent dociles, mais aussi à ce que le contact avec d'autres enfants, à l'extérieur, soit restreint au minimum. Un traité stipule en 1738 que

l'un des maîtres se trouvera à la promenade, il prendra un soin particulier des enfants, il ne les laissera ni trop courir ni se pencher par les parapets sur la rivière, il empêchera de plus avec soin, qu'aucun jeune homme ou enfant étranger s'entretienne avec ceux de l'église ; pour l'empêcher plus sévèrement, il fera avertir le concierge [du « terrain » ] du jour de la promenade, afin que selon l'intention du chapitre il ne laisse entrer dans le jardin que des personnes raisonnables, extrêmement connues, et même en plus petite quantité que faire se pourra.[8]

Dans l'église, il est strictement interdit aux jeunes choristes de parler avec qui que ce soit ; le maître de musique veille alors particulièrement à ce « que les personnes mal famées ne les aborde [nt pas] »[9]. Même dans l'univers restreint de la maîtrise, certains endroits comme la cuisine, les offices et les greniers, leur sont interdits ; ils ont « encore moins [le droit] d'exposer la teste à la porte ny aux fenestres qui regardent sur la rue »[10].

Le chapitre va même jusqu'à déterminer que le contact avec des ecclésiastiques en dessous du rang de chanoine serait nocif à la pureté morale des enfants. En 1632, une décision capitulaire stipule que

Messieurs du chapitre ne veulent en aucune façon que les chantres, bénéficiers, ny autres étrangers aillent boire et manger dans ladite maison sans leur permission,

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sauf au maistre à traiter ses amis à ses dépens en sa chambre et hors de la présence desdits enfans, pour éviter toute occasion de désordre, et de trop grande liberté aux enfants.[11]

Le règlement de 1706 renforce encore l'interdit :

Messieurs [...] deffendent à tous les bénéficiers, chantres et autres officiers de l'église sans distinction, et sous quelque prétexte que ce soit, même des cérémonies de l'église, de la musique, ou du chant, de parler aux enfants de chœur grands et petits, et de causer avec eux dans l'église, ou dans le revestiaire, à peine d'estre privé pour la première fois de leur pain du chapitre, et d'une part de leurs distributions, ou gages en cas de récidive.[12]

Contrôle

Tandis que le chapitre lance les ordonnances censées déterminer le mode de vie dans la maîtrise, ce sont les maîtres de musique et de grammaire qui sont principalement chargés d'encadrer et de surveiller les enfants. La chambre du maître de musique avoisine leur dortoir ; le mur mitoyen est percé d'une fenêtre grillagée ; « On y entretient une lampe qui brule durant la nuit »[13]. De plus, les deux maîtres assurent des rondes de nuit dans la maison. Afin de cacher son absence durant une nuit en 1693, le choriste Pierre Hiacinthe de Poincinnet aura donc soin de placer une sorte de sosie dans son lit. Le maître de grammaire témoigne qu'il

se releva sur les trois heures et demie du matin et fut dans le lieu où couchent tous les enfans de cœur où il trouva ceux qu'il cherchait excepté Poincinnet, dans le lict duquel il trouva entre les draps une robbe d'estoffe rouge qui luy fit juger d'abord que ledit Poincinnet estoit dans son lict, mais pour s'assurer davantage si tous les enfants estoient couchés séparement il leva les couvertures de quelque lict et restant à celuy dudit Poincinnet, il trouva qu'il n'y avoit que ladite robbe.[14]

On notera le constant souci de prévenir une conduite jugée immorale qui pourrait naître du contact quotidien, étroit et presque exclusif entre les


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enfants de chœur. Le chapitre prescrit aux maîtres un rôle caractérisé à la fois par la vigilance et l'attention paternelle pour leurs protégés :

Le maître de musique aura un soin paternel pour les enfants, les traitera avec douceur, corrigera leurs fautes sans aigreur ni emportement, sera attentif aux petites infir- mitez qui pourront leur survenir et en donnera avis sur le champ à Mrs les intendants. [...] Il proportionnera la correction à la faute, celles commises dans l'église, principalement contre le respect, la modestie et le recueillement, seront moins excusables et moins pardonnables, que celles commises dans la maison. [...] Le maistre de grammaire est spécialement chargé du dépôt des mœurs des enfans, c'est luy qui doit principalement les former à la piété, les instruire de ce qui regarde la religion, étudier leurs inclinations et leur vocation, déraciner les mauvaises habitudes et faire fructifier les bonnes.[15]

A l'intérieur du groupe de garçons, l'aîné, surnommé le « spé », est censé assurer la discipline, à tel point qu'en l'absence des maîtres il peut être tenu de les remplacer. Lui, ainsi que le « deuxième » et le « troisième grand », servent de médiateurs entre les supérieurs et les enfants plus jeunes. Chacun d'entre eux a respectivement la charge de quatre, trois ou deux de ses camarades, auxquels il fait répéter les leçons et les chants.

Outre la promulgation de règlements, le choix des maîtres et des enfants, le chapitre se réserve un autre moyen pour garantir son autorité sur la maîtrise. Chaque année, au chapitre général de la Saint-Jean, deux chanoines sont nommés intendants de la maîtrise, dont l'un est souvent le sous- chantre. Ces deux intendants exercent en principe une surveillance sur la maison, les domestiques, les élèves et les maîtres ; ils s'occupent en particulier des questions de discipline générale. Ce sont eux qui portent plainte devant la barre du chapitre lorsque des enfants du chœur sont impliqués dans des délits[16]. Tandis que leurs rapports avec les enfants semblent être plutôt épisodiques et formels (ils ne s'aperçoivent par exemple pas de l'éventuelle absence d'un enfant ; des gardes suisses, des prêtres sacristains ou le maître de musique les en avisent), on peut déceler une certaine complicité entre les maîtres et les enfants : face à l'absence prolongée de Poincinnet, Pierre Surville, le maître de grammaire,

ayant remarqué qu'il se repentoit fort de sa faute se contenta de le séparer des autres, de consulter [son] confesseur [...] et ne jugea pas à propos d'en donner advis attendu que c'estoit sa première faute.[17]

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Huit ans plus tôt, en 1685, le même Surville avait fermé les yeux sur une désobéissance de l'enfant de chœur Claude Penin après que ce dernier l'avait prié « de n'en rien dire à Messieurs et de lui pardonner »[18].

Les garçons entrent au chœur souvent dès l'âge de six ou sept ans. Normalement, ils sont présentés par un chanoine et admis par le chapitre dans son ensemble. Le critère décisif en vue de leur acceptation est leur compétence musicale[19]. Quelques enfants sont recrutés dans d'autres maîtrises, tel Claude Penin, ancien enfant de chœur de Saint-Jean-en-Grève[20]. Le compagnon vitrier Jacques-Louis Ménétra, quant à lui, se souvient en rédigeant ses mémoires de ce que, dans son enfance, il était opposé à un passage de la maîtrise de Saint-Germain-d'Auxerrois à celle de Notre-Dame parce que cela l'aurait empêché de voir sa grand-mère, qu'il chérissait, aussi souvent qu'il le souhaitait[21]. Pendant leur séjour à la maîtrise, le chapitre assure aux enfants de chœur une formation musicale extrêmement soignée. Les plus doués apprennent à jouer de l'orgue, du serpent et d'autres instruments ainsi que l'art de composer. Ainsi, à l'extérieur du cloître et de la cathédrale, Pierre Hiacinthe Poincinnet est reconnu en tant qu'enfant de chœur grâce à ses talents musicaux. Un ecclésiastique de Montreuil, qui l'a rencontré dans une auberge, témoigne

que [...] lui ayant chanté, ledit jeune homme le demanda s'il sçavoit la musique, à quoy le déposant dit que non et demanda audit jeune homme s'il ne la sçavoit pas lui-même, lequel répondit qu'il la sçavoit et qu'il composait bien même s'il avait des mots, sur quoy lui déposant le mena en sa chambre, lui donna des mots sur lesquels ledit jeune homme fit quelque composition, ce qui fist soubçonner à luy déposant qu'il avait esté enfant de chœur ainsy qu'il luy dit, ce que ledit jeune homme desnia et dit que l'on luy avait donné un maistre de musique en la maison de son père.[22]

La formation musicale offrait à l'enfant de chœur un avenir en tant que chantre, machicot ou autre musicien d'église dès que sa voix avait mué. Le chapitre proposait une bourse au collège de Fortet à certains anciens enfants de chœur, le plus souvent aux spés. De plus, il leur réservait certains canonicats, à savoir ceux de Saint-Aignan, de Saint-Jean-le-Rond et de


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Saint-Denis-du-Pas[23]. Plusieurs anciens enfants de chœur parisiens devinrent à leur tour maîtres de musique, comme par exemple Jean Mignon, maître de musique à Senlis, puis à partir de 1664, à Paris[24].

Tentatives d'évasion

L'isolement des enfants de chœur servait à préserver leur dévotion et à garantir la qualité du chant à Notre-Dame de Paris. Pourtant, les douze garçons ne pouvaient se désintéresser totalement du monde extérieur. Les minutes des procès criminels instruits à la barre du chapitre montrent trois cas d'indiscipline.

L'échec du cloisonnement

Lors de l'une des rares occasions de contact avec l'extérieur, la visite familiale du dimanche après-midi, le spé Claude Penin fit la connaissance d'une jeune fille, Geneviève Paysé, la sœur d'un autre enfant de chœur, avec laquelle il se lie d'amitié. Interrogé, Claude Penin dit dans sa déposition

qu'il connoist ladite Aimée Geneviesve Pezé depuis trèz longtemps, qu'à la vérité il luy escript quelque lettres de civilitez à quelles [elle] lui a fait réponse quelque fois, n'a jamais été au cabaret avec elle, luy a nonobstant parlé dans l'église lorsqu'il pouvoit, n'a jamais eu de meschante habitude avec elle, se sont promis [en] mariage [...] et ne s'est jamais rien passé que d'honneur.[25]

Fort heureusement, l'une de ces « lettres de civilité » que le jeune couple échangeait a été annexée aux actes de la Barre du chapitre. Il s'agit d'une lettre écrite par Geneviève Paysé, non datée, qui montre comment les deux amants percevaient leur relation :

Je vous remersy, mon très cher cœur, de tout les bonté que vous avez touiours eu, ne croyez pas que je doute encor de vostre amityé depuis tant d'anné que ie le honneur de vous connoistre ; il est bien vray qu ie vous ay voulu esprouver de la

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manière ; ie ne sçavois que douté de vous que vous ne m'avez point fait de réponce sur la lettre que ie vous ay donné [...] ; combien de fois ie dit que ie suis heureuse d'avoir pour espoux la personne la plus hemable et le plus parfait qu'il y ait sur la terre, ne croyé pas que ie dise cela du bout de mes lèvres, mes du plus profond de mon coeur ; il me souviens bien de tout ce que vous m'avez dit le jour que l'on n'a bénit les drapeaux, vous m'avez dit que ie ne me mit en peine de rien, pour toute chose qu'il pouvoit arriver que vous ne m'abandoriez jamais, et que nous n'avions qu'à garder une amour secrette entre nous deux [...], ie vous prie de me faire réponse pour mardy au matin ; adieu, mon très cher cœur, croyez que ie suis et serey tout ma vie vostre fidelle amie Hemé Geneviève Paysé[26] [sic].

L'extrait laisse entrevoir quelles difficultés entravaient la communication des jeunes gens ; obligé de baisser son regard pendant qu'il ne chantait pas et de rentrer à la maîtrise immédiatement après la messe, surveillé par le maître de musique, l'enfant de chœur ne pouvait que très difficilement entrer en contact avec quiconque, d'où nombre d'incertitudes et la contrainte de se donner un rendez-vous précis pour un nouvel échange de lettres. Pour Claude Penin et Geneviève Paysé, la seule façon possible de vivre leur relation est de la considérer comme une « amour secrette », voire un mariage secret (Geneviève Paysé parle de son « espoux »).

D'un âge étonnamment avancé pour un enfant de chœur (22 ans), Claude Penin est sans doute retenu au chœur parce que le chapitre n'arrive pas à trouver un nouveau spé apte à le remplacer (son amie y fait allusion dans sa lettre). Impatient d'échapper aux contraintes que lui impose la vie à la maîtrise, Penin conçoit un plan d'évasion. Le 1er juin 1685, pendant la messe, il feint de souffrir d'une colique pour rentrer au cloître. En réalité, il quitte la cathédrale par la porte qui mène à l'archevéché où Jacques Patrouillard, porteur de blé, de la famille de Penin, l'attend avec un manteau et un chapeau, afin de dissimuler son appartenance au chœur. Patrouillard le mène chez sa sœur, une teinturière habitant près de Saint-Jean-en-Grève. Outre ce réseau familial, une autre personne assiste Claude Penin lors de son évasion. Le cordonnier Jacques Quentin, demeurant « soubs le tour de l'église et restant au service d'icelle »[27] qui avait auparavant plusieurs fois cherché des bouteilles de vin pour les enfants de chœur et reçu des pourboires de Claude Penin, le cherche pour le prévenir « que l'on les cherchait de tous costez et qu'ils eussent à se sauver »[28]. C'est lui aussi qui avait prêté son manteau à Jacques Patrouillard que celui-ci donne au fugitif.


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Le même jour, Claude Penin rencontre Geneviève Paysé, qui le réprimande pour cette évasion. Dans sa lettre, elle s'était déjà montrée réservée à propos du plan de fuite à la campagne :

vous me conseillaste de m'en n'aller plutos à la campagne que de tant souffrir, mais quand ie deverois plutos mourir à vos pieds, ie ne vous quitteray jamais ; il me souviens encor mon très cher cœur, vous me dit que l'on faisoit encor tout ce que l'on pouvoit pour vous retenir, vous le pouvé faire, mon très cher cœur, mais moy ie vous jure ie ne vous abandonneré jamais, ie travailleré jour et nuit pour vous rendre service ou ie n'auré plutos jamais rien que vous n'en ayez la moityé, croyez que ie le dit du profond de mon cœur [sic].

Dans la suite des événements, Geneviève Paysé fera réellement preuve du dévouement dont elle témoigne dans cette lettre. Avec Jacques Patrouillard, elle accompagne Claude Penin jusqu'à Meaux. De plus, ce dernier dira dans son témoignage qu'elle « luy auroit de son manteau de crespon à ùsage de fille fait un justaucorps qu'il a présentement, même lui a presté le poignets à usage de fille qu'il a aussi à son bras »[29].

Finalement, la tentative d'évasion échouera, parce qu'une autre faction de la famille s'y oppose. Le père de Claude Penin fait revenir son fils à Paris et l'envoie auprès du sous-chantre du chapitre qui le fait emprisonner.

L'attrait d'un idéal

Vêtus de leurs robes de drap rouge et d'aubes blanches, se produisant au sein de la cathédrale, les enfants du chœur offraient un spectacle qui attirait l'attention de tous ceux qui assistaient à la messe. Ainsi, un traité datant de 1738 les invite à exécuter leurs gestes « avec d'autant plus de modestie et de bonne grâce qu'ils attirent plus que personne les regards de tout le monde »[30].

En exposant les enfants de chœur aux yeux des fidèles, les chanoines poursuivaient un but précis. Le chœur, en perfectionnant tout autant son attitude intérieure que ses apparences extérieures, était censé offrir aux fidèles un groupe chrétien exemplaire, un modèle auquel il fallait aspirer.

Les cérémonies ayant été établies dans l'église pour faire sentir d'une manière plus particulière la grandeur et la majesté de Dieu [...] et pour exciter et imprimer en même tems dans le cœur des fidelles qui y assistent non seulement le respect dû à un culte si

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saint mais plus encore cet amour dont parle l'apôtre qui est si nécessaire que sans lui le reste n'est rien [...] ; il s'ensuit évidemment que tous ceux qui exercent ces cérémonies doivent être persuadés qu'il ne leur suffit pas d'être pleinement pénétrés des plus vifs sentimens de piété et de religion, mais qu'ils sont encore obligés de joindre aux dispositions intérieures un extérieur si recueilli et si modeste que les fidelles qui sont présents à leurs fonctions, puissent, en remarquant sur leurs visages la piété qui les anime, s'exciter eux-mêmes aux mêmes sentimens.[31]

Les chanoines ne se trompaient point dans leurs calculs ; les sources montrent l'effet considérable, à la fois esthétique et psychologique, que produisaient les enfants de chœur. Pour certains des spectateurs, leur pouvoir d'attraction est irrésistible. Les plus puissants d'entre eux essayent de débaucher les enfants qui les intéressent à coup de force, tel Louis XIII qui, en 1638, fit enlever l'un des choristes pour l'employer dans la chapelle royale. Malgré son rang, il fut contraint de renvoyer l'enfant à un chapitre qui cherche à préserver jalousement la qualité extraordinaire de son choeur[32].

Des personnes moins influentes sont obligées d'agir plus discrètement pour s'approcher de l'enfant de chœur qu'ils convoitent. Anne Duplessis, fille d' un maître traiteur, demeurant rue neuve Notre-Dame, assiste régulièrement à la messe dans la cathédrale « soit le matin, soit l'après-midy »[33]. Au début de l'année 1689, l'un des enfants de chœur, Jacques Dessains, âgé de quatorze ans, attire particulièrement son attention à cause de sa « sagesse » (contrairement à certains de ces camarades, lui ne se moque pas de l'infirmité d'Anne Duplessis qui boîte). Dans un premier temps, elle se fait remarquer par lui, en lui demandant souvent de l'eau bénite tout en lui souriant. Puis, à l'occasion de la fête des Rois, elle lui fait remettre un petit reliquaire d'argent « large comme le creux de la main » après quoi elle lui envoie plusieurs billets.

De nouveau, il paraît difficile de tromper les mesures de surveillance qui protègent les enfants. Jacques Dessains reçoit le reliquaire par l'un des huissiers de l'église «à vespres comme il alloit quérir le livre au quatriesme psaume » ( « c'est la boîteuse qui vous envoye cela de sa part » ). La servante d'Anne Duplessis, Marie Dupuis, guette l'enfant de chœur devant la sacristie pour lui remettre les lettres de sa maîtresse. Dès le deuxième rendez-vous, l'un des suisses la surprend et l'arrête.

Les deux femmes ont tout intérêt à camoufler leur entreprise. Marie Dupuis essaie de corrompre le suisse ( « laissé moy aller, je vous donneray quelque chose, j'ay de l'argent sur moy»); Anne Duplessis enjoint au


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choriste dans l'une de ses lettres : « je vous voiray dimanche [...] et ne faites pas semblant de me voir ny de faire connoistre à personne que c'est moy ».

La réponse que lui fait Jacques Dessains laisse supposer qu'il n'est pas indifférent aux avances de son admiratrice, mais contrairement à Claude Penin, lui ne semble pas songer à une évasion :

j'ay encore toutes les peines du monde de me persuader que c'est vous qui me faites l'honneur de m'escrire [...] j'ay un présent considérable que vous m'avez fait la grâce de me donner qui fortifie mes doutes et m'ôte tous les soupçons que je pourois avoir ; tout mon chagrin est de ne vous avoir prévenu moy-même, mais considérant mon peut de méritte auprès tant de charmes et de perfections que vous avez je n'ay iamais iamais osé vous témoigner la passion que j'avois pour vous[34][sic].

L'interrogatoire de la servante fait comprendre au juge que, dans le passé, Anne Duplessis a entretenu des relations avec plusieurs hommes, même mariés[35] ; de plus, le fait qu'elle soit locataire de quatre chambres dans des maisons différentes laisse craindre qu'elle n'ait un « mauvais commerce ». Du coup, son interrogatoire se concentre sur la question qui est de savoir si elle n'avait pas l'intention de « desbaucher » le garçon et de le « faire sortir de la maistrise » [36]. L'affaire paraît si grave aux yeux des membres du chapitre que la servante est gardée à la geôle du chapitre pendant deux mois. Seul l'appel de sa maîtresse au Parlement la libère. L'enquête dans son ensemble dure plus de deux ans et huit mois, ce qui constitue un délai extraordinairement long.

Le désir d'espace

Quatre ans plus tard, une autre affaire impliquant un enfant de chœur occupe le juge de la Barre du chapitre. Le vendredi 9 février 1693, à dix heures du soir, un certain sieur de Rillard, secrétaire du roi, âgé d'une trentaine


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d'années, ouvre la porte de la maîtrise à l'aide d'une fausse clef. Un enfant de chœur, Pierre Hiacinthe de Poincinnet, âgé de quatorze ans, l'attend dans la cour. Le rendez-vous avait été fixé « derrier le grand autel quelque jours auparavant pendant tierce ou quelques autres heures ». Rillard donne au garçon un manteau rouge, une perruque et un chapeau pour qu'il puisse se déguiser. La grande porte du cloître est ouverte pour laisser passer un carosse ; les deux hommes profitent du moment pour quitter le cloître. Rillard amène Poincinnet dans sa maison sur l'île Notre-Dame, où il lui fait servir du vin et des biscuits. A cinq heures du matin, il le raccompagne à la maîtrise. Entre temps, le maître de grammaire s'est aperçu de l'absence du garçon. Il attend son retour dans la cour derrière la porte entrouverte. Voyant que la porte n'est pas fermée comme il l'avait laissée en sortant, Poincinnet craint que son évasion n'ait été découverte. Aussi Rillard s'aventure-t-il le premier dans la maîtrise. D'abord, il tire son épée sur le maître de grammaire, puis il s'excuse et lui remet son arme comme gage pour le laisser sortir. Dans la rue, Rillard se rend compte de la disparition de Poincinnet. Il revient à la fenêtre de la cuisine, d'où il aperçoit le maître de grammaire, lui promet « qu'il feroit ses diligences pour ramener l'enfant » et essaie de récupérer son épée. Les négociations durent jusqu'à six heures un quart du matin. Épuisé, le maître de la grammaire dit à la veuve Claude Charpentier, domestique en service à la maîtrise : « Claude, voilà bien des affaires, Poincinnet est en allé, il ne faut rien dire, ne faites pas du bruit et allé m'allumer du feu parce que j'ay froid et qu'il y a du temps que je suis levé. » Peu après, à six heures et demie, devant la maison, la même servante rencontre le sieur Rillard « fort pasle et deffait ».

Poincinnet ne revient que vers midi à la maison de Rillard. Là, il rédige une lettre destinée à l'abbé Boitet, chanoine et intendant de la maîtrise, «par laquelle il lui mandoit qu'il ne vouloit plus rentrer en la maistrise ». Toujours déguisé, il pénètre au cloître, où il remet la lettre au valet de Boitet, puis il retrouve Rillard derrière l'église de Sainte-Geneviève-des-Ardens. Ils louent une chambre dans une auberge de la rue Saint-Jacques. Rillard persuade Poincinnet de tenter de rentrer à la maîtrise, entreprise d'autant plus délicate que la lettre a déjà été délivrée à Boitet. Un ecclésiastique qui loge dans la même auberge se propose de servir de médiateur auprès des intendants de la maîtrise. Avec le consentement de ces derniers, le 22 février au soir, Rillard loue un carosse qui ramène Poincinnet à la maison canoniale de Nicolas Petitpied, le deuxième intendant. Le 26 février, Petitpied porte plainte « de l'evasion ou plustost de l'enlèvement dudit enfant de cœur ».

Qu'est-ce qui a poussé Pierre Hiacinthe de Poincinnet non seulement à quitter la maîtrise pendant une nuit, mais encore à se désister complètement


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de ses obligations et devoirs d'enfant de choeur ? Son interrogatoire révèle le besoin d'espace, le plaisir de circuler librement dans la ville. Il répète inlassablement le mot « promener ». Ainsi, il dit

que c'est lui répondant qui a excitté ledit Rillard à le venir quérir à ladite heure dans le dessin de sortir pour aller promener [...] que ne pouvant sortir à d'autre heure il avoit choisy celle-là pour s'aller promener.

Le lendemain au petit matin, pendant que Rillard se justifiait devant le maître de grammaire, Poincinnet

s'en alla vers Saint-Victor [e]t au-delà et fut promener au jardin royal après s'estre beaucoup promené à la campagne, et de là il retourna dans l'isle dans la maison où il avoit esté conduit par le sieur Rillard lequel il ne trouva pas d'habord de sorte qu'il s'en alla promener à la pointe de l'isle et entra dans l'église Saint-Louis.

Le même jour au soir, après que Rillard l'avait laissé seul dans l'auberge, Poincinnet en « sortit, fut promener à la foire [probablement celle de Saint- Germain qui se tenait à partir du 3 février jusqu'au dimanche des Rameaux[37]] ».

L'homme et le garçon vivent-ils une relation homosexuelle ? On peut le soupçonner d'après la plainte du 26 février. Rillard, visiblement très inquiet par la découverte de l'escapade, s'acharne à étouffer l'affaire. Il prie le maître de grammaire « de ne point pousser cette affaire qui le perdroit ». Plus tard, il lui écrit une lettre dans l'intention d'échanger l'épée gardée dans la maîtrise, pièce à conviction contre lui, contre une autre, tout en préservant l'anonymat :

Il s'agit, Monsieur, de soustraire un fait avancé par vous seul, sans autre témoin qu'une espée que l'on a bien voulu vous laisser. Toute vostre prudence doit venir à nostre secours car d'entreprendre de perdre deux personnes de familles considérables[38] sans en tirer avantage ny excuse quant à la garde qui vous est confiée, c'est s'attirer la plus grande affaire qui puisse arriver au monde. Le péril est égal pour les uns et pour les autres. Vous estes maître de mettre en repos un nombre infiny de gens qui peuvent s'intéresser en la chose. Supposez donc, s'il vous plaist, vostre homme malade pendant qu'il prendra un moment pour le chercher et vous le remettre. On n'abusera pas de vos parolles d'honneur, soyez en également persuadé ainsi que l'on vous sera éternellement obligé.

Son raisonnement semble d'abord convaincre le maître de grammaire qui avise les autres habitants de la maîtrise de passer l'affaire sous silence ( « il ne faut rien dire, ne faite pas de bruit » ) et qui n'en informe pas les intendants.


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(Plus tard il se justifiera en déposant qu'il « ne jugea pas à propos d'en donner avis attendu que c'estoit sa première faute ».)

Un autre témoin confirme que Rillard se souciait beaucoup des troubles que la nuit qu'il avait passée avec Poincinnet pouvaient engendrer. Le 20 février, à onze heures et demie, à l'heure précise où le garçon le cherchait en vain dans sa maison sur l'île Saint-Louis, Rillard demandait à des personnes au Palais de la Justice, s'ils n'avaient pas vu l'enfant de chœur. A un clerc, il donne des explications supplémentaires. Il dit

que c'estoit que messieurs du chapitre en estoient fort en peinne [...] qu'il en estoit en peinne aussy et que messieurs de Nostre-Dame en vouloient faire une grosse affaire au lieu de l'apaiser[39].

D'autres indices permettent de soupçonner que les rapports de Rillard et de Poincinnet étaient condamnables aux yeux du chapitre. Dans la franchise naïve dont tous les enfants de chœur font preuve lorsqu'ils sont interrogés par le juge du chapitre ou par leurs supérieurs, Poincinnet avait apparemment dans un premier temps avoué à l'intendant Petitpied qu'il avait passé la nuit du 20 au 21 février dans le lit de Rillard. Quand le juge questionne de nouveau Poincinnet, ce dernier donne une réponse confuse et ambiguë :

Interrogé [...] si luy et ledit Rillard ne couchèrent pas ensemble dans un même lict.
A dit qu'ils ne se sont point couchez et depuis a dit qu'il n'avoit rien à nous dire sur ce faict, et qu'il n'avoit rien à nous répondre et a dit que le présent article est mal [illisible] et que son intention n'a point esté de nous dire qu'il n'avoit rien à nous dire, que la vérité est qu'il avait la teste brouillée des interrogatoires que nous lui faisons.[40]

Quant à la nuit suivante, la situation est plus nette puisqu'il y a des témoins. Tandis que la femme de l'aubergiste essaie de protéger sa clientèle ( « estant touiours dans sa cuisine ne voiant pas ceux qui vont et viennent et ayant beaucoup de chambres et logemens dans sa maison»), son mari Dimanche Guyton, maître de la « Tête de loup » rue Saint-Jacques, déclare clairement que le 20 février

sur les dix heures et demie ou onze heures du soir lui déposant allant fermer sa porte demanda à sa femme et domestique si tout le monde étoit rentré et s'il n'y avait personne à sortir à quoy on luy répondit que le particulier [qui accompagnait Poincinnet] estoit avec lui dans sa chambre et que n'estant pas descendu aparement il y couchoit, ensuitte ferma sa porte et emporta la clef dans sa chambre.

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Le lendemain matin, il rencontre Rillard dans l'auberge et l'enregistre. La domestique, Jeanne Legrand, donne des détails encore plus précis. Elle dépose que Rillard et Poincinnet

montèrent ensemble dans la chambre dudit jeune homme où elle déposante fut quelque temps après porter deux pierres, du bois et deux draps qu'elle chauffa et mit à un des lits de ladite chambre, remarqua que ledit particulier tutoia ledit jeune homme et qu'ils estoient fort familiers ensemble, crust que ledit particulier estoit son père, après quoy elle déposante se retira de ladite chambre et laissa tous deux dans ladite chambre, et le lendemain sur les huit heures vist ledit particulier qui descendoit de ladite chambre et s'en alloit.[41]

Interrogé sur ce point, Poincinnet avoue que

sur les huit heures du soir ledit Rillard revint à ladite auberge où il coucha dans la meme chambre où coucha aussy lui répondant [...] qu'il y avait deux licts dans ladite chambre et que ledit Rillard s'est couché sur l'autre licts ne sçait s'il y avait des draps et ne sçait si ledit Rillard s'est deshabillé n'y ayant pas pris garde.

Non content de cette déclaration, le juge veut ensuite savoir si Rillard « ne fut pas trouver lui répondant dans son lit et s'il n'eut point quelque tentative pour lui faire viollence », question à laquelle Poincinnet apporte une réponse négative [42].

La véritable nature de leurs rapports ne peut être déterminée ; le dossier ne fut jamais jugé. Il est permis de penser que Rillard a finalement réussi à faire supprimer l'affaire, ou alors que l'idée de l'inconduite d'un de leurs enfants de chœur embarrassait les chanoines à tel point qu'ils préféraient la passer sous silence.

Afin de présenter un modèle de dévotion exemplaire aux fidèles, les chanoines de Notre-Dame de Paris tâchaient d'imposer un style de vie quasi monastique aux douze enfants et jeunes hommes qui formaient le chœur permanent de la cathédrale. Pourtant, ces choristes, loin d'être isolés dans un lieu écarté, habitaient et officiaient au cœur même de la capitale. Les sources judiciaires révèlent quelques rares cas où des jeunes gens succombaient à la fascination du monde extérieur. Ces sources montrent aussi, par contraste, la force de cette éducation rigide à la recherche d'une perfection musicale.

Anne Friederike MÛLLER,
Université de Cambridge.

Notes de l'article

  1. AN LL 497, n° 14, lettre adressée à l'archevêque de Paris, au nom du chapitre [sans date, environ 17671.
  2. Hurtaut / Magny, Dictionnaire historique de la Ville de Paris et de ses environs. Paris, Montard, 1779, t. III, p. 647 ; Henri Sauval, Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris. Six tomes, Paris, 1724, réimpression Westmead, Gregg International, 1969, t. IV, p. 372.
  3. François-Léon Chartier, L Ancien Chapitre de Notre-Dame de Paris et sa Maîtrise d'après les documents capitulaires (1326-1790), Paris, Didier Perrin, 1897 et A.-M. Yvon, « La maîtrise de Notre-Dame aux XVIIe et XVIIIe siècles », Huitième Centenaire de Notre-Dame de Paris (Congrès des 30 Mai - 3 Juin 1964). Recueil de travaux sur l'histoire de la cathédrale et de l'église de Paris, Paris, Vrin, 1967, p. 359-399, se servent des registres capitulaires. Josèphe Meuret, Le Chapitre de Notre-Dame de Paris en 1790, Paris, Picard, 1904, inclut une description extérieure de la maîtrise fondée sur un inventaire dressé le 30 novembre 1790 par des officiers municipaux (BN, mss nouv. acq. fr., 2796).
  4. AN LL 297, fol. 161, v° (règlement de 1706).
  5. Voir Josèphe Meuret, op. cit., p. 48.
  6. AN LL 528, n° 27 (nJglemens faits de l'ordonnance de Messieurs les vénérables doyen, chanoines et chapitre de l'église de Paris pour la direction de la maison des enfants de chœur de ladite église, MDCCXXXVIIl), p. 15.
  7. AN LL 297, fol. 116, vO(règlement de 1617), fol. 123, rO(décision capitulaire du 11 février 1626), fol. 160-161 (Règlement de 1706) ; AN LL 528, n° 27, p. 1-6.
  8. AN LL 528, n° 27, p. 14.
  9. Règlement de 1680, cité d'après A.-M. Yvon, op. cit., p. 389. De même, le règlement de 1738 prévoit que le maître de musique « écartera par sa prudence [...] toutes personnes dont les mœurs et la conduite lui seront suspectes » (AN LL 528. n° 27. P. 8.
  10. AN LL 297, fol. 160, vO(règlement de 1706).
  11. AN LL 297, fol. 127, v° (État et Règlement de la dépense de la maison des Enfants de chœur de l'Eglise de Paris au mois d'octobre 1632).
  12. AN LL 297, fol. 160, v° (Règlement de 1706).
  13. AN L 528, n° 27, p. 8.
  14. AN Z2 3114, information du 23 février 1693.
  15. AN LL 528, n° 27, p. 6-8.
  16. AN Z2 3113, plainte du 14 janvier 1689, et Z2 3114, plainte du 26 février 1693.
  17. AN Z2 3114, information du 23 février 1693.
  18. AN Z2 3113, information du 1er juin 1685.
  19. C'est pourquoi les enfants de chœur étaient d'origines familiales très différentes. Les « bâtards » étaient néanmoins exclus.
  20. AN Z2 3113, interrogatoire du 3 juillet 1685.
  21. Journal de ma vie, Jacques-Louis Ménétra, Compagnon vitrier au XVIIf siècle, présenté par Daniel Roche, Paris, Montalba, 1982, p. 37.
  22. AN Z2 3114, information du 23 février 1693.
  23. Ces canonicats étaient aussi accessibles aux anciens chantres et musiciens de Notre-Dame.
  24. Des maîtres de musique dont les compositions musicales satisfaisaient le chapitre obtenaient un canonicat comme récompense. Jean Mignon est en 1685 chanoine de Saint-Jean-le-Rond, en 1693, de Saint-Aignan.
  25. AN Z2 3113, interrogatoire du 13 juin 1685.
  26. AN Z2 3113, non daté [16851.
  27. AN Z2 3113, interrogatoire du 16 juin 1685.
  28. AN Z2 3113, interrogatoire du 13 juin 1685.
  29. AN Z2 3113, interrogatoire du 13 juin 1685.
  30. AN LL 375, Des cérémonies et du devoir en général de tous les enfans de chœur de l'église de Paris, sans date (XVIir siècle), p. 3.
  31. AN LL 375, p. 1.
  32. AN LL 297, fol. 130, t°.
  33. Témoignage du suisse François Desfontainnes, AN Z2 3113, information du 15 janvier 1689.
  34. A noter que ni l'un ni l'autre n'écrivent eux-mêmes les lettres en question. Anne Duplessis est analphabète ; Jacques Dessains, peut-être à cause de son inexpérience, demande à l' « un de ses amis nommé Gautier demeurant à Paris » de rédiger ses lettres.
  35. AN Z2 3113, interrogatoire du 20 janvier 1689.
  36. AN Z2 3113, interrogatoire du 22 août 1689. Il y a une deuxième raison pour ce soupçon. Un papier, non daté, incorporé aux minutes du procès nous informe qu'Anne Duplessis avait quatre sœurs, dont l'une s'appellait Gertrude « qui a esté longtemps malade à l'Hôtel-Dieu, on ne sçait pas trop ce qu'elle est devenue ». Peut-être était-ce la même personne qu'une certaine Gertrude Duplessis qui en 1680, alors âgé de 16 ans, fut accusée de « s'avoir prostituée devant la cathédrale » (AN Z2 3113, interrogatoire du 22 juillet 1680).
  37. Hurtaut / Magny, op. cit., t. III, p. 44.
  38. Nicolas de Poincinnet, le père de l'enfant de chœur, « a la commission de receveur des admortissemens » en Bretagne.
  39. AN Z2 3114, continuation d'information du 3 mars 1693.
  40. AN Z2 3114, interrogatoire du 16 février 1693.
  41. AN Z2 3114, continuation d'information du 2 mars 1693.
  42. AN Z2 3114, interrogatoire du 16 février 1693.


Voir aussi

Sur les serveurs d'explorations

["See you on Sunday": the daily life of the choirboys of Notre Dame de Paris at the end of the 17th century.]

Dans le réseau Wicri :

La page de référence « XVIIe siecle (1999) Müller » est sur le wiki Wicri/France.

L'article est signalé sur Wicri/Santé.

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