Harmonie universelle (1636) Mersenne/Livre cinquième de la composition de musique/IX

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Harmonie universelle
Livre cinquième de la composition de musique
Proposition IX


Expliquer les Fugues & Contrefugues, avec leurs Guides, les Conséquences les Imitations, & les Canons.


 
 


Texte original et adaptation

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PROPOSITION IX.

Expliquer les Fugues & Contrefugues, avec leurs Guides, les Conséquences, les Imitations, & les Canons.

Les fugues se peuvent faire en tant de manières, qu'il faudrait un livre entier pour les expliquer toutes, particulièrement si l'on voulait en mettre des exemples : mais parce que je laisse cette longue pratique aux bons compositeurs, il suffit d'expliquer en général ce que c'est que fugue, laquelle consiste en deux parties, dont la première s'appelle guide, parce qu'elle précède et montre à la seconde partie, qu'on nomme conséquence, par quels degrés et intervalles elle doit chanter : & parce qu'elle l'imite, on l'appelle imitation, réplique, redite, écho, etc. Or la conséquence commence pour l'ordinaire à chanter par une note qui fait la quinte, ou la quarte avec la première note de la guide, afin de partir le diapason harmoniquement ou arithmétiquement, quoique la partie qui fait la Conséquence puisse commencer à l'unisson, ou à la tierce, etc. de la guide, ou à tel autre degré que l'on voudra soit consonant, ou dissonant. La contrefugue se fait lorsque l'une des parties monte, & que l'autre descend par mêmes degrés : & lors que la première note de conséquence est à la quarte de la première de la guide, on l'appelle Fuga in Diatessaron, etc. ce que l'on voit clairement dans les trois exemples qui suivent ; dont le premier éloigne la première note de la réplique, d'une quarte ; & le second l'éloigne d'une quinte ; c'est pour ce sujet qu'il est nommé Fuga in ou ad Diapente.

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  \with {midiInstrument = #"violin"} {
  \key c \major
  \time 4/4
  \relative c'' {
  c2 g' e4 f2 e4 d1 c1\fermata 
\bar "|."
}}
 \new Staff 
  \with {midiInstrument = #"violin"} {
  \key c' \major
  \clef bass
  \time 4/4
  \relative c' {
  r2 g2 c2 b4 c4 g1 c,\fermata 
\bar "|."
} }
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Or ces exemples ont la pause d'une minime à la basse ; & la basse du premier commençant en (G)ut, est éloigné d'une quarte du (C)fa du dessus : au lieu que le (C)ut de la basse du deuxième exemple est éloigné d'une quinte du (G)sol du dessus. Quant au troisième exemple il contient la contrefugue ; & chacun de ces exemples contient une syncope. Il y a encore d'autres fugues que l'on appelle doubles, parce que lorsqu'une partie a imité la guide en commençant à la quinte, elle fait après la fugue à la quarte, & la basse avec la haute-contre font mille gentillesses, tandis que la taille & le dessus s'imitent l'une et l'autre ; dont on peut voir les exemples dans le 54 & 55 chapitre du 3 de Zarlin, & dans le quatorzième livre de Cerone. L'on appelle aussi la contrefugue lorsque le conséquent


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commence à chanter par la note par laquelle la guide finit, & qu'il va au contraire, comme lorsqu'il chante la, sol, fa, au lieu que la guide chante fa, sol, la.

Quant aux canons, ils peuvent aussi être appelés fugues ; même quelques praticiens ne veulent pas user du vocable canon, lequel ne signifie autre chose que règle, chez les Grecs. Mais parce que nous ne nous amusons pas aux noms, il suffit de dire que cette diction est usurpée pour signifier la disposition d'un nombre de notes qui servent à 2, 3 ou plusieurs voix, qui chantent tellement les mêmes notes, qu'elles sont une musique à différentes parties, dont les unes commencent plus tôt que les autres, comme il arrive lorsque après que quelqu'un a chanté ut, , mi, mi, , mi, fa, fa, mi, deux autres commencent à chanter les mêmes notes, en telle façon que le premier qui sert de Guide aux deux autres, chantant le premier mi, le second commence en même temps à chanter ut, , mi, etc. comme le premier ; en entonnant néanmoins l'ut plus haut d'une quinte que n'a fait le premier ; lequel étant derechef sur le premier fa, le troisième commence à chanter, ut, , mi, etc. en entonnant une quarte plus haut que le premier ; cette espèce de composition s'appelle canon, ou fugue ; car la première partie guide les autres, comme dans les fugues, & les deux autres sont les conséquences, lesquelles imitent leur guide. Or les notes qui suivent font voir plus clairement ce que je viens de dire, & contiennent une fugue composée par le sieur Coffin, l'un des plus anciens & des meilleurs disciplines de du Caurroy.

Image à ajouter !

Où il faut remarquer que ce caractère, ï, signifie le lieu où chaque partie doit commencer l'ut, , mi, plus haut que ledit ut, suivant la supersccription qui sert de clef & d'intelligence, de sorte que si l'on voulait partir, ou mettre à part les trois parties de cette fugue, il faudrait écrire la première comme elle est, & puis il faudrait mettre la pause d'une semibrève devant la seconde, & de trois semibrèves devant la troisième partie : et s'il y avait une quatrième, cinquième ou sixième partie, etc. il faudrait y mettre autant de pauses comme les signes de répétition seraient éloignés de la première note de la première partie.

Je mets ici l'exemple d'une fantaisie composée par Monsieur de la Charloniere, Conseiller du Roy & Juge-Prévôt honoraire d'Angoulême, afin que ceux qui aiment l'aharmonie considèrent l'industrie de sa composition, & qu'ils trouvent trois parties sur la taille qu'il propose, lesquelles chantent en canon ou en fugues, & qui imitent jusques à leur point d'orgue, que les Espagnols appellent Calderon, & les Italiens Corona.


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Fantaisie ou Canon du sieur de la Charloniere.

Ultimi erunt primi, & primi ultimi.

Image à ajouter !

Or je veux donner l'instruction qu'il m'a envoyée pour chanter ce canon. Il faut donc remarquer que la partie où se prend le canon est la taille, que l'on voit toute entière sous une même clef, sans se reposer : sur laquelle il y a trois parties, à savoir deux dessus, & une haute-contre. Le premier dessus à une pause après la taille, qui chante la première. La haute-contre en a deux, et le second dessus en a trois. Le premier & le second dessus en a trois. Le premier & le dessus chantent à l'octave sur la taille, & la haute-contre à l'unisson, mais avec cet artifice que quand la taille vient à faire une cadence de basse-contre, en chantant fa, ut, ""fa, le premier dessus sur le dernier fa, fait aussi la sienne de fa, mi, fa. Et sur la note qui vient après, à savoir (G)resol', on y rencontre un point d'orgue ou d'arrêt, avec deux pauses ; lequel montre que le premier dessus ne peut rentrer qu'in ne soutienne contre les autres parties qui chantent une mesure entière, afin de poser après le temps de deux soupirs ; ce qui donne lieu à la première devise, Ultimi erunt primi, & primi ultimi, d'autant que par cet intervalle de temps le second dessus, qui était le dernier, rentre le premier, & ainsi des autres, suivant le temps figuré en la ligne décrite à côté de leur point d'orgue : & ont (au lieu de ce signe, ï pour rentrer & chanter) la croix marquée après la note finale de la taille, qui donne lieu à la seconde devise, In hoc signo vinces, parce que nulle des parties ne peut rentrer & chanter, si elles n'ont leur recours à la †. De plus, lorsqu'on voit le point d'orgue avec sa ligne à côté de lui, il faut soutenir autant de temps comme il sera marqué, à savoir un soupir, si c'est un soupir, ou un demi-soupir, d'une pause, etc. suivant ce qui sera marqué, & puis il faut rentrer selon la marque, ou s'arrêter du tout, s'il n'y a point de marque, afin de soutenir jusqu'à ce que toutes les parties aient achevé leur chant ; ce qui se fait d'ordinaire à la finale. Or ce canon est sans deux quartes, & sans fausse relation : & pour le bien chanter il faut avoir des voix bien accordantes, qui sachent lui donner la grâce & l'air en avançant un peu la mesure, car si elle était battue grossièrement & tardivement, on gâterait tout.

J'en mets encore ici un du même auteur, parce qu'il est plein d'autres artifices, lequel il a mis en proportion de musique observée, sans deux


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Quartes entre les parties, & fans faulse relation. Il a deux Dessus 6c deux basses Tailles ;& toutes les parties conuiennent dans la lettre, en chantant toutes,Mon esprit & messins* Il dit qu'il est en proportion de Musique, parce que la z & la 3 partie font en z mesures, ce que la première fait en vne-, 6c que la 4 partiefait en 4 mesures ce que la première fait en vne > dont les si- gnes sont s S.

Déplusses4r//>,ouleuersdelai& % partie sont semblables, au lieu que les deux autres parties chantent à la renuerse ce que la 1 & la z chantent : par exemple, si la 1 & 1 partie chantent vt,fol; la3 6c 4 chantent fol, vt. Ceux qui ne pourront trouuer la solution, ou la partition de ce Canon, & qui la désireront, peuuentauoir recours à TAuteur, qui ne la leur refusera pas, ou ie la leur donneray telle qu'il me la enuoyée: ie mets cependant icy toutes ses parties en vne,áuec les marques que i'ay expliquées.

Canon à quatre voix.

Ceux qui voudront voir vne grande multitude deFuges & de Canons auec toutes sortes de Clefs, de Secrets, 6c d'Enigmes, trouueront dequoy satisfaire à leur curiosité dans le tz. liure de Ccrone, lequel cn est tout plein. Or il faut remarquer que ces Fugues apportent vn grand ornement à la Musique, car la partie qui precede semble fuir deuant celle qui fuit, 6c qui luy respond en redisent la mesme chose ; ce qui se fait seulement dans quel- que partie, par exemple, dans y ou 6 mesures de la Chanson ; lors que la Fu- gue est libre,ou tout au long,quand elle est liée , comme Ton void aux Canons precedens , esqucls toutes les parties redisent la mesme chose, & chantent par les mefmes degrez & inrcrualles, 6c gardent les mefmes temps, 6c mouuemens: quoy que dans limitation on n'aye nul égard aux mefmes interuales, mais feulement aux mefmes degrez, comme enseigne Zarlin au


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5j. Chapitre, où il met des exemples qu'il est bon de voir pôur entendre tout ce quiappartient au Contrepoint meílé de Fugue 6c d'imitation. Il remar- que aussi dans le 54. chap. que la Fugue est d'autant plus sensible à Toreiíle, qu'elle est plus proche, c'est à dire, qu'il y a moins de pauses, quoy qu'elles foientplus ingénieuses lors qu'elles sont éloignées de 3 ou ; pauses. Ie laisse mille particularitez que chacun peut remarquer en vsent de toutes sortes de Fugues^ qui font si libres, qu'on peut seulement faire imiter vn, deux, trois ou quatre degrez,.mouuemens, ou interualles àl'vne des parties, ou à tou-r tes, car il n'importe, pourueu qu'elles fassent vne bonne harmonie. Maisie conseille à tous les Praticiens dé lire Zarlin, particulièrement depuis le $6* chapitre de se troisiesme partie.iusques au 67. afin de considérer ce qu'il dit du Contrepoint double, & tous les exemples qu'il donne dansie <*j chapitre,

(>our entendte toutes sortes deConscquences, 6c de manières de faire luiure c Conséquent âpres la Guide.

L'on peut encore voir Tcxcellcnt Canon de du Caurroy à six parties dans la èi page dii 7 liure des Instrumens, où il faut hausser d'vne ligne la clef de la;partie,commeieremarqucrayàlasindel'Errata du 6. liure de la Com- position. Et parce que Claudin lc ieune en a fait vn autre excellent, ie le veux aussi mettre icy, afin que Ton considère lc génie &Tindustric de ces 2. grands hommes. Ceux qui désireront la resolutionde cette Fugue ,iela leur monstreray.

Fugue double à quatre de Claudin le Jeune,


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