Œuvres philosophiques de Sophie Germain (1896)/Correspondances/VII

De Wicri Mathématiques
Sophie Germain Gallica.png
Œuvres philosophiques de Sophie Germain

1896

Suivies de pensées et de lettres inédites.
Et précédées d'une notice sur sa vie et ses œuvres

Préface - Sophie Germain - Œuvres philosophiques - Correspondances

Correspondances
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Cette page reproduit une lettre de Carl Friedrich Gauss à Sophie Germain.

La lettre

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VII

GAUSS À SOPHIE GERMAIN [1]


Brunswick, 16 juin 1806.

Monsieur, il me faut vous demander mille fois pardon d’avoir laissé six mois sans réponse l’obligeante lettre dont vous m’avez honoré. Certainement, je me serais empressé de vous témoigner


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tout de suite combien m’est cher l’intérêt que vous prenez aux recherches auxquelles j’ai dévoué la plus belle partie de ma jeunesse, qui ont été la source de mes jouissances les plus délicieuses et qui me seront toujours plus chères qu’aucune autre science. Mais je me flattais, de temps en temps, de pouvoir gagner assez de loisir pour mettre en ordre et vous communiquer par écrit l’une ou l’autre de mes autres recherches arithmétiques, pour vous rendre en quelque sorte le plaisir que vous m’avez fait par vos communications. Mon espérance a été vaine. Ce sont surtout mes occupations astronomiques qui, à présent, absorbent presque tout mon temps. Je me réserve pourtant de m’entretenir avec vous des mystères de mon arithmétique chérie, aussitôt que je serai assez heureux d’y pouvoir retourner.

J’ai lu avec plaisir les choses que vous m’avez bien voulu communiquer ; je me félicite que l’arithmétique acquiert en vous un ami assez habile. Surtout votre nouvelle démonstration pour les nombres premiers, dont 2 est résidu ou non résidu, m’a extrêmement plu ; elle est très fine, quoiqu’elle semble être isolée et ne pouvoir


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s’appliquer à d’autres nombres. J’ai très souvent considéré avec admiration l’enchaînement singulier des vérités arithmétiques. Par exemple, le théorème que je nomme fondamental (art. 131) et les théorèmes particuliers concernant les résidus 1 ± 2, s’entrelacent à une foule d’autres vérités, où l’on ne les aurait jamais cherchés. Outre les deux démonstrations que j’ai données dans mon ouvrage, je suis en possession de deux ou trois autres, qui du moins ne le cèdent pas à celles-là en question d’élégance.

Je remarque avec beaucoup de regret que les autres occupations où je suis engagé ne me permettent point du tout de me livrer, à présent, à mon amour pour l’arithmétique. Ce ne sera peut-être qu’après plusieurs années que je pourrai penser à la publication de la suite de mes recherches, qui rempliront aisément un ou deux volumes semblables au premier. Mais je croirais n’avoir pas assez vécu, si je mourais sans avoir achevé toutes les recherches intéressantes auxquelles je me suis une fois livré. Au reste, chez nous, en Allemagne, la publication d’un tel ouvrage a ses difficultés quoi qu’on en dise, le goût pour les mathématiques pures, si l’on cherche


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de la profondeur, n’est pas trop général. Nos libraires ne se mêlent guère de ces sortes de livres, et je ne suis pas assez riche pour faire a mes frais l’impression et me soumettre à la malhonnêteté des libraires étrangers, comme il m’est arrivé à l’occasion du premier volume. Un monsieur Duprat, par exemple, qui se nomme libraire pour le bureau des longitudes à Paris, a reçu de moi, il y a presque trois ans, des exemplaires pour la valeur de six cent quatre-vingts francs ; mais jamais je n’ai reçu un sou de lui, et il ne s’est même pas donné la peine de répondre à mes lettres. Peut-être vous pourriez me donner des renseignements par quel moyen on pourrait engager cet homme à faire son devoir.

Agréez, Monsieur, l’expression de ma haute considération.

Ch.-F. (sc)

Notes

Notes de la rédaction
  1. Sophie Germain correspondait avec Gauss sous le pseudonyme de Le Blanc.