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Ce tableau de Albert Anker illustre une activité à caractère pédagogique sur une page Espace dédié à un travail pédagogique
Master 1 VSOC 2022-2023


INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE : QUAND L'INFORMATION DEVIENT STRATÉGIQUE

L’observation de l’activité ordinaire de l’entreprise contemporaine nous laisse apercevoir aujourd’hui "cinq tendances" de fond qui modifient les modalités productives et les dynamiques marketing et commerciale : premièrement, le développement d’une économie de la connaissance, où le savoir (la valeur ajoutée intellectuelle) prend une importance croissante dans la conception, la fabrication, la distribution, la vente et la publicité des biens et services – ce qui accroît sensiblement le rôle de l’innovation dans les succès commerciaux d’une firme ; deuxièmement, l’accroissement des tensions concurrentielles provoqué par la saturation de certains marchés, l’augmentation du nombre de compétiteurs (explicable par l’irruption des pays émergents) et l’internationalisation croissante des échanges ; troisièmement, l’épuisement de la logique politico idéologique des blocs (et de la « solidarité » conséquente) au profit d’une dynamique de rivalité économique coexistant avec des alliances politiques plus ou moins solides et durables ; quatrièmement, l’émergence et la mutation des formes de guerre : le cadre des échanges commerciaux est marqué par des logiques de « guerre économique », et des formes de contrainte non physiques mais coercitives ; cinquièmement enfin, l’usage « offensif » de l’information et de la connaissance dans l’activité économique (la manipulation de l’information, voire la désinformation, en constituent des exemples emblématiques).

Pour répondre à ces différentes mutations, à côté des indispensables initiatives notamment réglementaires que doit prendre l’État, l’entreprise ne peut rester "inactive". Elle doit adopter une série de "réflexes" communément regroupés sous le terme "d’intelligence économique" : mettre en œuvre de solides opérations de veille, sécuriser son patrimoine informationnel, et enfin, exercer une influence.

                                L’essor de la veille

L’intelligence économique commence avec la "veille", qui, aujourd’hui, se passe sur "Internet". Les premiers outils sont les annuaires (Yahoo !) et les moteurs de recherche (apparus dès 1993 : Altavista, Excite, Lycos, Ask Jeeves, Northern Light ; aujourd’hui, Google, créé en 1998, occupe une position hégémonique). La veille se poursuit par l’utilisation intelligente des ressources: abonnement à certaines newsletters (gratuites ou non), veille sur les dépêches d’actualité et les newsgroups (via Google), surveillance de pages Internet (grâce à des outils gratuits comme Vigilus Smart), création d’un espace d’échange (blog, Mayetic Village ou encore Yahoo ! Groupes). Ainsi le site de la Food and Drug Administration [1] tient-il informé des demandes d’accréditation déposées, et permet donc de réaliser une veille concurrentielle et technologique sur les entreprises nord-américaines. De la même façon, un portefeuille d’action (même vide) sur Yahoo! Finances [2] peut permettre à une société de surveiller l’actualité d’un concurrent coté en Bourse, par exemple le changement de directeur d’un département, le retrait d’un produit du marché, etc. Un portail sectoriel comme Batitel [3] permet d’être alerté régulièrement de la mise en ligne d’appel d’offres ciblées, venant notamment des marchés publics. Les possibilités sont nombreuses; de nombreux outils permettent la recherche, la collecte, le traitement, l’analyse ou encore le stockage de ces informations. Le cycle de l’information (expression du besoin, collecte, analyse, diffusion) est ainsi entièrement couvert par des solutions techniques qui réussissent à repousser régulièrement les limites de la veille sur Internet. La veille se heurte aussi au nombre d’informations collectées, soudain trop nombreuses. Des outils d’analyse sémantique ou de bibliométrie tentent d’y faire le tri. Prenons par exemple WordMapper (Grimmersoft) ; donnons-lui 1 000 résultats d’une recherche Internet et ce logiciel crée une « carte de navigation », mettant en évidence les thématiques majeures et des accès rapides vers le document original. Ces outils modifient les manières de travailler ; il y a quelques années, on renâclait devant la collecte de 500 documents venant de 500 sources différentes, dont la synthèse s’annonçait longue ; aujourd’hui le traitement de l’information est automatisé, et l’on n’hésite pas à demander des pré�synthèses qui arrivent en quelques minutes. Seule la traduction automatique des documents semble poser encore problème. En sus des moteurs de recherches, des solutions de veille (exemple, KB Crawl de BEA Conseil), et des outils spécifiques de recherche et d’analyse de brevets (exemple, Mathéo Patent d’IMCS), la place du spécialiste de l’information n’en est que plus importante : il est un atout majeur pour l’entreprise soucieuse de veiller sur son environnement et de s’y développer. Les techniques de veille nécessitent un apprentissage, qui ne prend pas toujours la forme de formation classiquement dispensée par des prestataires spécialisés dans les produits logiciels. Il est aussi et surtout le résultat d’une familiarisation progressive avec l’outil, d’un test quotidiennement renouvelé de ses possibilités, et de l’assimilation totalement personnelle de ses fonctionnalités. La veille est également un ensemble de réflexes à acquérir, une certaine logique de travail, une manière de raisonner, quelques méthodes, bref, une culture…

                  La nécessaire sécurisation de son patrimoine informationnel

Dans un deuxième temps, les "missions" de l’intelligence économique s’étendent également en la protection de l’information stratégique de l’entreprise, celle-là même qui lui permet de garantir son avantage concurrentiel. Les menaces qui pèsent sur le patrimoine des entreprises sont multiples ; elles peuvent concerner les systèmes d’information (victimes de piratage), l’image et la réputation de la structure ou de ses dirigeants, la sécurité du personnel (expatrié, le cas échéant), la protection de la propriété intellectuelle, la stabilité financière, etc. Là comme dans toutes les autres fonctions de l’entreprise, il s’agit d’anticiper et de prévenir les crises. Les difficultés de protection du personnel expatrié dans certains pays d’Amérique du Sud ou du Moyen-Orient montrent suffisamment à quel point la fonction « sécurité » n’est plus accessoire. De la même manière, les phénomènes d’atteinte à l’image ont des effets ravageurs, ainsi que l’a montré, il y a quelques années, l’affaire du benzène dans les bouteilles de Perrier. Plus récemment, la polémique relative aux risques sanitaires inhérents au saumon d’élevage ont mis en lumière les dangers de la manipulation de l’information1 .

                      Ne pas seulement scruter, mais modeler un environnement en mutation

Dans un troisième et dernier temps, l’intelligence économique consiste également à élaborer et mettre en œuvre de véritables "stratégies d’influence". On assiste en effet à l’éclatement des sources de normes. Les Parlements nationaux co-produisent désormais le cadre normatif avec les différentes instances internationales (Organisation mondiale du commerce, Fonds monétaire international, Banque mondiale, etc.) et européennes (Commission de Bruxelles, Parlement européen, Cour de justice européenne, etc.), ainsi qu’avec des acteurs de la société civile (ONG, associations, syndicats…) en matière de ce que l’on nomme désormais le « droit mou » (ou soft law). L’entreprise doit donc chercher à faire valoir ses nécessités et contraintes auprès de ceux qui élaborent ces normes. La démarche dépasse le cadre du simple lobbying et exige une véritable stratégie et capacité d’influence des acteurs économiques sur l’évolution de l’environnement juridique, ce qui n’est pas choquant si l’on ne confond pas [lobbying] avec corruption ou trafic d’influence. Dans les deux domaines, normes juridiquement contraignantes ou [soft law], il s’agit en fait de mettre en œuvre des stratégies d’influence adossées en amont à une production conceptuelle à vocation pratique. Les acteurs désireux d’influencer des partenaires doivent être en mesure de générer ou de repérer des « concepts opérationnels » répondant aux évolutions des échanges internationaux, et favoriser les initiateurs de l’opération d’influence. Les institutions et entreprises américaines maîtrisent cet art à la perfection. Comme le signale utilement Claude Revel, le « terme de concept opérationnel n’a rien à voir avec des théories abstraites. Il s’agit d’idées, certes, mais accompagnées d’éléments pratiques permettant de déboucher naturellement sur un corpus réglementaire. Ce sont des piliers sur lesquels va s’articuler l’élaboration du droit mondial qui peu à peu régule tous les échanges internationaux. Ces concepts sont toujours d’ordre éthique et citoyen, ils ne peuvent qu’être approuvés car ils relèvent de la morale élémentaire incontestable : lutte anticorruption, bonne conduite pour les entreprises ou bonne gouvernance pour les États, loyauté de la concurrence internationale, protection de l’environnement au sens le plus large du terme. L’on observe ainsi un cycle récurrent : promotion d’un grand concept/nécessité d’une réglementation/apport de solutions américaines. Des thèmes sont lancés par les Think Tanks et repris par les organismes internationaux, où ils sont déclinés en réglementations concrètes, par le biais de groupes de travail et de forums »2.

              Professionnaliser et « débarbouzer » l’intelligence économique

À l’issue de cette brève revue des actions concrètes que recouvre le terme d’intelligence économique, il faut aussi explorer le fantasme médiatique consistant à réduire cette discipline à une version privée et sulfureuse de l’espionnage. Chargé par le gouvernement de promouvoir l’intelligence économique en France dans ses aspects publics et privés, Alain Juillet, bien qu’ayant lui-même effectué une partie de sa carrière à la DGSE, aime à répéter que son rôle consiste à « dédramatiser et à débarbouzer l’intelligence économique pour bien montrer qu’elle s’appuie sur des méthodes non seulement très professionnelles, mais légales ». À cette fin, deux initiatives majeures ont été prises. La première initiative, menée sous l’impulsion d’Alain Juillet, a été d’élaborer, en liaison avec les enseignants, un « référentiel de formation en intelligence économique »3 à destination des universités et des établissements d’enseignement. L’objectif est de donner naissance à une véritable filière professionnelle, permettant de garantir aux entreprises qui recruteront des étudiants passés par ces formations, non seulement l’acquisition d’un savoir-faire, mais également d’un cadre éthique. Cette institutionnalisation permettra à coup sûr non seulement de professionnaliser l’intelligence économique, mais également de modifier la perception qu’en ont encore trop souvent les dirigeants d’entreprise. Pour simplifier à l’extrême, il apparaîtra alors clairement que l’intelligence économique n’est pas nécessairement, nonobstant leurs qualités et savoir-faire propres, la chasse gardée d’anciens membres des services de renseignement ou des services de police, mais qu’elle peut être confiée à des étudiants ayant effectué à l’issue d’un parcours universitaire classique une formation complémentaire spécialisée, voire à un cadre ayant suivi une formation continue adaptée. La seconde initiative est venue d’un certain nombre de professionnels de l’intelligence économique, qui, en 1994, ont décidé d’œuvrer à la création d’une Fédération des professionnels de l’intelligence économique (Fépie), présidée par l’Amiral Pierre Lacoste. Le site Internet4 de la fédération vante ainsi son action auprès des professionnels, promettant d’« améliorer la transparence des activités de (la) profession afin de sensibiliser l’opinion, les administrations et les entreprises, en leur faisant prendre conscience de la valeur ajoutée apportée par leurs métiers » et d’« adhérer à une charte d’éthique garante de la moralité et de la respectabilité (du) métier ». De l’aveu même des promoteurs de la Fépie, le marché de l’intelligence économique n’est pas encore à la hauteur, ni de la soudaine notoriété médiatique de la profession, ni surtout des enjeux induits par la mondialisation et la révolution des technologies de l’information. NOTES 1. Cf. [4]. 2. Claude REVEL et Éric DENÉCÉ, L’Autre guerre des États-Unis. Économie : les secrets d’une machine de conquête, Robert Laffont, 2005. 3 Le « référentiel IE » a été rendu public le 4 février 2005. Signe de la place centrale de l’information dans la démarche d’intelligence économique, le groupe d’expert réuni par Alain Juillet se consacre, dans une seconde phase de ses travaux, sur la recherche à entreprendre dans le domaine du management de l’information. 4. Cf. [5].

Notes et références


1. Cf. [6]. 2. Claude REVEL et Éric DENÉCÉ, L’Autre guerre des États-Unis. Économie : les secrets d’une machine de conquête, Robert Laffont, 2005. 3 Le « référentiel IE » a été rendu public le 4 février 2005. Signe de la place centrale de l’information dans la démarche d’intelligence économique, le groupe d’expert réuni par Alain Juillet se consacre, dans une seconde phase de ses travaux, sur la recherche à entreprendre dans le domaine du management de l’information. 4. Cf. [7]

Source

Christophe Blanc et al " https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2006-1-page-87.htm ? ", Hermès, La Revue, 01 Janvier 2006.

Article choisi par Love PAULO.