Sterling, l’arbitre et la VAR (Infonum2 2021-2022)

De Wicri Incubateur
Ce tableau de Albert Anker illustre une activité à caractère pédagogique sur une page espace dédié à un travail pédagogique
IUT Charlemagne - Infonum2 2021-2022


Le penalty généreux accordé à l’Angleterre face au Danemark ne montre pas que la VAR est « un bon outil mal utilisé », mais que ni l’outil, ni l’arbitrage ne sont bien compris.

S’il y a un seul point qui fait consensus autour de l’arbitrage vidéo, c’est probablement celui-ci : moins il y en a, mieux le football se porte. Cet adage a encore été illustré par l’Euro 202(1) qui, réunissant les meilleurs arbitres, a permis de limiter les recours – ce qui a aussi correspondu à une stratégie manifeste de recherche de compromis.

Lors de la Coupe du monde 2018, la VAR avait déchaîné les polémiques à la fin de la phase de groupe avant de disparaître quasiment de la phase à élimination directe… pour faire un retour fracassant en finale. Cette fois, ce retour s’est effectué en demi-finale avec le penalty controversé accordé pour une faute sur Raheem Sterling.

Les écrans de la VAR auxquels ont accès les arbitres dans la cabine vidéo

«Surprenant» ou scandaleux ?

Certains ont assuré que le problème venait précisément, dans ce cas-là, du non-recours à la VAR, l’arbitre néerlandais de cet Angleterre-Danemark, Danny Makkiele, ayant maintenu sa décision sans aller consulter les ralentis sur l’écran de bord de terrain. C’est oublier que les assistants VAR, dans leur central vidéo de Nyon, ont bien examiné les images et ont choisi de ne pas inviter leur collègue à se déjuger.

Le déplacement de l’arbitre central vers l’écran devient de plus en plus rare (et quand il a lieu, c’est très majoritairement pour inverser la décision). Tant mieux, dans la mesure où cette interruption, qui vise à maintenir un semblant d’autorité au central, représente une inutile perte de temps. Autant assumer que les arbitres VAR… arbitrent.

En l’occurrence, ils ont estimé que l’attribution du penalty ne constituait pas une « erreur claire et évidente », selon la définition du protocole officiel. Pour « surprenante » qu’elle soit (comme l’écrit L’Équipe), cette abstention n’est pas scandaleuse : les images ne permettant pas de trancher de manière absolument certaine, force est restée à la décision initiale, à la vision et au ressenti de M. Makkiele.

Reconnaissons ce paradoxe. Le penalty accordé à l’Angleterre l’a apparemment été comme du temps où la VAR n’existait pas (bien que, répétons-le, elle soit bien intervenue, fût-ce en s’abstenant) : dans l’instant, selon le feeling de l’arbitre, sans y revenir ultérieurement… et en suscitant des désaccords[1].

Le match Angleterre-Danemark de l'Euro 2021 relance les débats sur la VAR


Bon outil, mauvais arbitres ?

L’épisode confirme plusieurs évidences longtemps niées au cours du non-débat qui a présidé, des années durant, à la campagne massive et univoque en faveur de l’adoption de la VAR. D’abord, contrairement aux croyances, les images ne livrent que rarement une « vérité » indiscutable, et elles sont peu utiles – voire contre-productive – pour trancher des actions ambivalentes[2].

Ensuite, la vidéo supprime quelques erreurs évidentes, mais pas les polémiques. Elle en exacerbe même certaines, puisque chacun juge avec les mêmes images que les arbitres. Au passage, l’incident tord le cou à une autre promesse souvent entendue : « Les grosses équipes ne pourront plus être [prétendument] favorisées. » En l’occurrence, certains l’ont interprétée comme une faveur accordée à l’Angleterre.

Malgré tout, l’argument du « bon outil mal utilisé » (par de mauvais arbitres) a la peau dure. Prenons ce tweet, non pas parce qu’il résumerait cette position, mais parce qu’il formule plusieurs des dilemmes posés par l’arbitrage vidéo-assisté, et parce qu’il est intéressant à discuter[3]. Au préalable, démentons l’idée qu’on a « donné » aux arbitres un outil qu’ils auraient « demandé ». On les a acculés à céder à la demande générale en les accablant systématiquement pour leurs « erreurs »[4], jugées insupportables. Faut-il leur reprocher d’avoir versé dans les illusions communes et cru naïvement que l’on voulait vraiment les « aider » ?

De la nécessité d'arbitrer

Le propos cité suggère que l’utilisation de l’outil a vocation à être systématique. Cela est exact. La conception panoptique de la VAR, sa mission d’éradiquer les « injustices », l’intolérance qui a été cultivée envers celles-ci : tout la porte vers cet usage extensif, sous peine d’accentuer les frustrations.

La VAR a permis de corriger plus de 70% des erreurs arbitrales

On retombe là dans une des « doubles impasses » de l’arbitrage vidéo : l’utiliser systématiquement nuit au jeu, au spectacle et aux émotions ; l’utiliser a minima revient à laisser filer des « erreurs » et à abandonner son idéal de justice ; l’utiliser dans un entre-deux est à peine plus satisfaisant, tant cela ne fait que panacher les effets indésirables – et multiplier les incompréhensions sur les recours et non-recours.

Adhérons sans réserve à la conclusion de notre confrère : on n’a effectivement toujours pas compris que l’arbitrage en football (ou du moins ce qui posera toujours problème dans celui-ci) est rarement une question de jugement binaire, mais essentiellement d’interprétation.


Avec les images, les arbitres continuent à interpréter, pas mieux qu’avant, voire moins bien[5]. Sur le terrain ou dans la Var-room, ils doivent encore arbitrer. L’intolérance aux « erreurs » est d’abord une intolérance à l’interprétation… et à l’arbitrage lui-même. Croire que les problèmes sont dans l’utilisation, pas dans l’outil, c’est continuer à nourrir les illusions qui ont conduit à son adoption.

Soit dit entre nous, cela implique que les opposants à l’arbitrage vidéo seraient bien mieux placés que ses partisans pour trouver les fameux « réglages » permettant de l’utiliser en limitant ses dégâts. On ne soigne pas un mal sans le diagnostiquer correctement.


Source

  • "Sterling, l’arbitre et la VAR", texte repris de Le Monde.

Ce texte a été choisi par Valentin Dreyer

Notes et références

  1. Cette décision contredit aussi la philosophie du « laisser jouer » qui a prévalu durant cet Euro, et on peut le regretter.
  2. Cela a conduit à la quasi-automaticité de la sanction des mains dans la surface, puis à la réécriture de la règle afin de la conformer à ces usages, avant un retour en arrière cette année.
  3. Précisons qu’il ne s’agit en rien d’un procès fait à son auteur, journaliste intéressant et bienveillant, auteur de plusieurs ouvrages remarquables (dont Enquête sur le racisme dans le football, éd. Marabout, 2018).
  4. Incluant des décisions résultant d’interprétations différentes, pas moins légitimes : c’est pourquoi le terme « erreur » est mis entre guillemets : il inclut les erreurs objectives et les décisions considérées comme des erreurs.
  5. Soit parce que les images sont trompeuses, soit parce qu’on renonce à interpréter, comme pour les mains ou les microcontacts dans la surface : ce qui est visible est sanctionné.
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