Ne pas négliger l'impact social de la transition énergétique (InfoNum2 2019-2020)

De Wicri Incubateur
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IUT Charlemagne - InfoNum2 2019-2020

La France compte 215 signataires, dont plus de 190 sociétés de gestion, des Principes pour l'investissement responsable (PRI). Depuis leur création en 2006, les parties prenantes progressent.

Débat organisé le 10 juillet 2019.

Marie LUCHET, responsable des relations investisseurs pour l'Europe continentale des PRI. Olivier HÉREIL, DGA, responsable des gestions d'actifs de BNP Paribas Cardif.

Sociétés de gestions et institutionnels

Au sujet du climat, le président Macron[1] a rencontré en Juillet les représentants de huit sociétés de gestion. Après le One Planet Summit[2]

texte descriptif

et les engagements de six fonds souverains pesant 3.000 milliards de dollars un an plus tôt, est-ce une étape importante ?

Olivier HÉREIL : Cet événement s'inscrit dans la continuité de la COP 21[3], en 2015, et de l'Accord de Paris[4]. Depuis, il y a eu une suite de réunions, de discussions et de nombreux engagements des investisseurs. A chaque fois, on progresse vers une meilleure intégration des problématiques ESG (environnemental, social et de gouvernance) dans la gestion des fonds et vers une meilleure prise en compte du risque climat. L'idée est de voir comment ces huit grands asset managers[5], par leur engagement actionnarial, peuvent faire progresser les entreprises sur la voie de la transition énergétique[6]. Si on cumule l'ensemble des capitaux qu'ils gèrent, cela représente 18.000 milliards de dollars de capitaux.

Marie LUCHET : Il y a un alignement des planètes, parmi les sociétés de gestion et les institutionnels, y compris les fonds souverains, qui ont commencé à prendre conscience de leur responsabilité en tant que propriétaires d'actifs pour influencer les pratiques de marché, grâce à l'article 173 de la loi sur la Transition écologique et énergétique et suite à l'Accord de Paris. Nous sommes convaincus du rôle de la réglementation dans le développement de la finance durable : la France est en avance avec la loi NRE (Nouvelles régulations économiques de 2001, NDLR), les lois Grenelle (engagements nationaux pour l'environnement de 2009 et 2011, NDLR), la loi Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises de 2019, NDLR), etc.

Olivier HÉREIL : L'article 173 est une réglementation qui permet aux investisseurs institutionnels de continuer à expliquer leurs efforts en matière de transition écologique et énergétique. Au-delà de l'incitation des pouvoirs publics, il y a de plus en plus l'idée que tout ce qui tourne autour de la finance durable peut constituer un avantage compétitif, notamment pour la Place de Paris. En France, cette sensibilité est forte et développée. Europlaces[7] est associé avec Finance for Tomorrow[8] en prenant position sur un certain nombre de sujets, avec un appel aux différents acteurs pour qu'ils définissent des stratégies carbone. En ce qui concerne la mesure de l'impact carbone et la trajectoire « 2 degrés », les méthodologies ne sont pas encore abouties : plusieurs coexistent sur la Place.

Marie LUCHET : Il est important que la finance durable reste crédible et ne cède pas aux effets de manche. Même le gouverneur de la Banque de France a dit que le changement climatique est irrémédiable et qu'il est urgent qu'on se penche sur le problème.

Olivier HÉREIL : Ce sujet nécessite un certain temps pour se déployer par rapport à ce qu'est notre mission de gestion de l'épargne à long terme. Nous devons investir avec un double objectif: obtenir une performance pour nos assurés, qui attendent un rendement de leur épargne, et en même temps avoir un impact positif sur la société et sur l'environnement. Notre préoccupation est bien de combiner les deux. Cela nous amène, dans notre approche best in class, à sélectionner certaines valeurs dans un univers très large auquel sont appliqués des filtres ESG, mais aussi à introduire des exclusions. Nous avons décidé de ne plus financer les producteurs d'électricité dont plus de 30% des capacités sont alimentées par le charbon. De même, nous ne finançons plus d'entreprises minières qui auraient plus de 10 % de charbon dans leur chiffre d'affaires. L'an dernier, nous avons fait une sorte de revue de portefeuille en prenant ces critères en compte. Nous avons vendu pour 200 millions d'euros de titres investis dans des entreprises liées au secteur de la production d'électricité à partir du charbon.

La décarbonation

La décarbonation[9] est-elle à sa juste place parmi les sujets ESG ?

Marie LUCHET : C'est l'urgence numéro un, et l'une de nos neuf actions prioritaires. Nous pensons que, compte tenu du retard pris sur la trajectoire de degrés, nous ferons face, d'ici 2025-2030, à une réponse politique drastique fortement perturbatrice pour les marchés. C'est ce que nous avons appelé « the inevitable policy response ». On encourage donc les investisseurs à anticiper en réorientant leurs investissements vers une économie bas carbone. Les PRI représentent 2.500 investisseurs de 52 pays. Notre objectif est de les rallier à la finance durable pour les accompagner. Les PRI et l'Unep-FI (l'initiative financière du Programme des Nations Unies pour l'environnement, NDLR) ont publié en novembre 2018 une feuille de route de la finance durable pour la France. Nous y alertons la Place de Paris. Pour garder son leadership, il est nécessaire de continuer à innover et coopérer. On a la chance d'avoir en France des régulateurs qui sont à la pointe sur les questions de finance durable. Le rôle de l'ACPR[10] et de l'AMF[11] dans la mise en place d'un dispositif de suivi et d'évaluation des engagements pris par les acteurs financiers est particulièrement intéressant. Mais, sur l'article 173, on souhaiterait qu'ils aillent plus loin en termes de coopération. Nous avons le bel exemple du capital investissement (la France est le deuxième pays en nombre de signataires du private equity) qui constitue un écosystème extrêmement dynamique, avec des acteurs qui mettent de côté la compétition pour travailler ensemble, par exemple en partageant des bonnes pratiques de reporting sur le climat.

Olivier HÉREIL : À cette position de Place, très intéressante, il faut aussi associer les entreprises qui doivent jouer le jeu et publier des indicateurs pertinents qui nous permettent, à nous investisseurs, de faire notre travail. Sur la neutralité 2050, selon que vous preniez une méthode ou une autre, vous n'arrivez pas au même résultat - avec parfois des écarts sensibles. Par ailleurs, être « neutre carbone » signifie compenser les émissions de CO2 par des absorptions. Les premières doivent être les plus faibles possibles en 2050, mais les éliminer n'est pas très réaliste. C'est pour cela que nous comptons aussi sur des capacités d'absorption naturelles (les océans, les forêts, les terres…) et d'autres plus artificielles, comme toutes les techniques de piégeage de carbone, les fameux « puits de carbone ». L'idée est de trouver des équilibres. Pour l'instant, on travaille beaucoup sur la partie réduction des émissions de carbone car il n'y a pas encore complètement matière à investir sur la partie capacités d'absorption. Si on veut y investir, on peut par exemple replanter des forêts, mais ce n'est pas quelque chose que nous faisons naturellement dans le cadre de nos ALM (gestion actif-passif, NDLR). Donc, il y a un gros travail à faire aussi de ce côté-là.

Accompagnement des signataires

Comment peut-on accompagner plus de 2.000 signataires dans le monde ?

Marie LUCHET : Nous agissons à tous les niveaux de la chaîne d'investissement. Nous encourageons les institutionnels à intégrer les enjeux de climat, mais aussi les enjeux sociaux et de gouvernance dans la sélection des sociétés de gestion. Nous incitons les investisseurs à dialoguer avec les entreprises via notre plate-forme de collaboration, qui leur permet d'influencer les pratiques ESG des entreprises en formant des coalitions sur des thématiques telles que la responsabilité fiscale, l'approvisionnement en huile de palme, les droits humains dans l'industrie minière ou la stratégie climat. Certaines coalitions regroupent un grand nombre d'investisseurs, qui pèsent plusieurs centaines de milliards d'euros. La méga-coalition Climate Action 100+ regroupe plusieurs centaines d'investisseurs pour dialoguer avec les 100 plus gros émetteurs de gaz à effet de serre du monde. Elle a été lancée lors du One Planet Summit. Durant environ deux ans, un lead investor va représenter la coalition auprès de chaque entreprise. C'est un dialogue à huis clos pour qu'il soit le plus efficace et le plus productif possible. Les lead investors rendent compte à la commission et, à l'issue de ce dialogue, un rapport est publié pour guider les investisseurs. La recherche académique a pu démontrer l'amélioration des performances des entreprises après l'action collaborative. Une autre recherche que nous avons publiée récemment sur la valeur ajoutée de l'engagement actionnarial montre que les entreprises sont friandes de ces échanges avec les investisseurs : ils favorisent une meilleure connaissance de leurs attentes et de meilleures pratiques ESG.

PNB Paribas et le PRI

Chez BNP Paribas[12], plusieurs entités sont signataires de PRI. Ont-elles toutes la même démarche ?

Olivier HÉREIL : BNP Paribas Cardif est signataire depuis 2016. BNP Paribas Asset Management, BNP Paribas Securities Services et BNP Real Estate Investment Management (REIM) : chacune des entités signataires a des activités différentes et s'engage en son nom propre. Elle se responsabilise et déploie les pratiques ESG au sein de son activité : l'assureur, l'asset manager et le gérant immobilier. Pour BNP Paribas Cardif, c'est un engagement très fort que d'être signataire en direct des PRI car cela formalise nos efforts en matière de prise en compte des critères ESG et nous permet d'échanger des bonnes pratiques avec l'écosystème de l'ISR en France et à l'international.

Les grandes entités en France

En France, y a-t-il parmi les « grands » des entités qui devraient être signataires et ne le sont pas ?

Marie LUCHET : Oui, bien sûr. Un des plus importants investisseurs institutionnels français vient d'annoncer sa volonté de le devenir, l'Agirc-Arrco[13], avec lequel nous organisons un événement pour les signataires francophones autour de PRI in person, notre conférence annuelle qui se tient cette année à Paris du 10 au 12 Septembre. En termes de pénétration, les institutionnels signataires des PRI représentent 60 % à 70 % des encours des institutionnels français. Je pense qu'une présence locale des PRI a beaucoup aidé. Lorsque nous avons ouvert le bureau français en 2016, il n'y avait que 10 institutionnels parmi les 170 signataires. Aujourd'hui, il y en a 22 pour 215 signataires, ce qui reste inférieur à la part que représente les institutionnels parmi nos signataires au niveau mondial (autour de 23 %). Nous cherchons à encourager les institutionnels à jouer un rôle, en tant que propriétaires des actifs, pour développer la finance durable et influencer les pratiques de marché, dans la continuité de ce qu'on appelle la « responsabilité fiduciaire » dans le monde anglo-saxon.

Olivier HÉREIL : Le fait que les asset owners soient de plus en plus nombreux parmi les signataires des PRI est vraiment un point clé. Les asset managers ont été précurseurs mais ne sont pas, par définition, propriétaires des actifs. Il est important que les investisseurs soutiennent la démarche, notamment parce que cela enrichit leur dialogue avec les asset managers en leur permettant d'utiliser un langage commun.

Les questionnaires au sujet du PRI

Chaque année, les signataires des PRI répondent à des questionnaires. Est-ce un travail conséquent ?

Marie LUCHET : Cela dépend de la taille, de la diversité des classes d'actifs gérées et si la gestion est déléguée ou internalisée. C'est un très gros travail pour les sociétés de gestion comme Amundi qui sont présentes sur toutes les classes d'actifs car il y a un module par classe (des actions aux hedge funds[14] en passant par les fonds immobiliers, le private equity ou les infrastructures).

Olivier HÉREIL : Il faut plusieurs jours pour y répondre. Il y a quand même un challenge puisqu'il y a une appréciation portée par les PRI sur notre démarche d'investissement responsable. On essaie chaque année d'améliorer la qualité de nos réponses ainsi que les méthodologies utilisées.

Marie LUCHET : Les signataires font ce reporting de Janvier à Mars et reçoivent un rapport d'évaluation en Juillet qui compare leur performance par rapport à l'année passée et par rapport à leurs pairs sur les modules auxquels ils ont répondu. Signer les PRI n'est pas juste recevoir un tampon : il faut s'engager à rendre compte une fois par an. Les réponses au questionnaire sont disponibles sur notre site Internet, ce qui permet un partage des bonnes pratiques d'intégration ESG. Les institutionnels peuvent également comparer les réponses des sociétés de gestion, via un portail privé.

Le défaut de conformité avec les PRI

Dans votre revue de mai 2018, 185 signataires n'étaient pas en conformité avec les PRI. Que s'est-il passé depuis ?

Marie LUCHET : La seule obligation à la signature des PRI est de s'engager à progresser dans l'intégration des enjeux ESG à ses pratiques d'investissement. C'est une obligation de moyens. En revanche, après un an, il faut avoir mis en place les critères minimums que nous avons définis : une politique ESG qui couvre la moitié des encours, une personne au comité exécutif qui soit en charge des asupervision et une personne en charge de sa mise en oeuvre. On a identifié un certain nombre de sociétés de gestion et quelques institutionnels qui ne remplissent pas ces critères : nous les avons mis sous surveillance. Nous les accompagnons pendant deux ans. S'ils ne mettent pas en place ces mesures, ils seront sortis de la liste. C'est extrêmement important que ce soit confidentiel en attendant. Une fois qu'ils sont délistés, leur nom est publié sur notre site Internet.

Les éléments imposés aux investisseurs

Comment un investisseur conjugue-t-il les éléments contraignants, réglementaires, avec des engagements non-obligatoires ?

Olivier HÉREIL : D'abord, on définit une stratégie pour gérer nos capitaux avec un impact positif sur la société et l'environnement. Cette démarche s'inscrit forcément dans le long terme. Concrètement, ces dernières années, nous avons commencé par analyser des actifs qui étaient plus faciles à évaluer en matière d'ESG, telles que les actions, parce que nous avions des données disponibles et des agences de rating[15]. Progressivement,nous avons évalué des actifs moins bien couverts comme les obligations corporate et les émetteurs, ainsi que d'autres zones géographiques. Puis nous avons poursuivi avec le private equity, les infrastructures et les emprunts souverains. Là, nous regardons surtout les prises de position des Etats dans les grands traités internationaux. Nous inscrivons cette stratégie dans la durée. Nous renforçons nos processus d'investissement pour que les gestionnaires, au jour le jour, mettent en oeuvre notre stratégie ISR globale. Dans notre processus d'investissement, nous mettons en place un premier filtrage d'exclusion ESG. Ensuite, nous appliquons un filtre carbone. Enfin, nous évaluons aussi la dynamique des entreprises présentes en matière de prise en compte de la transition énergétique. Nous travaillons depuis deux ans avec l'agence de notation extra-financière Vigeo[16], qui a mis en place une note de transition énergétique permettant, à partir de l'ensemble des informations que produit une entreprise, de donner une tendance aux données statiques et de se projeter dans la stratégie de l'entreprise. Tout cela est complémentaire : c'est un écosystème qui se crée autour de la prise en compte de la transition énergétique et écologique. Il y avait peu d'acteurs positionnés au départ. Progressivement, cet écosystème se nourrit. On trouve finalement tous les spécialistes dont on a besoin : des investisseurs, des sociétés de gestion qui apportent des solutions d'investissement, des associations professionnelles, des organismes comme les PRI qui donnent un peu le « la », des consultants et des agences de rating.

Procédure d'investissement

Il y a tant de variables dans votre processus d'investissement. Comment procédez-vous ?

Olivier HÉREIL : C'est vrai que le sujet de l'ESG devient foisonnant. Il faut se fixer des priorités. Évidemment, l'axe climat est en général celui qui est retenu par à peu près toutes les institutions, mais après, il peut y avoir des axes complémentaires. Chez BNP Paribas Cardif, en dehors du climat, nous avons fait le choix de l'impact social, un choix lié à notre activité d'assureur de personnes. Cette dimension est essentielle, par exemple, dans nos investissements en immobilier : nous finançons l'hébergement d'urgence et maintenant le logement intermédiaire. Grâce à notre collaboration avec la Caisse des Dépôts[17] et quelques autres assureurs, nous avons lancé les premières opérations de construction de logements intermédiaires pour loger des familles à des loyers abordables dans les grandes villes françaises : 8.000 logements pour la première opération. Pour la deuxième, qui démarre, nous allons en faire 11.000. L'impact est extrêmement important pour nos clients. C'est probablement le meilleur vecteur pour les convaincre et les associer à cette démarche ISR. Il se traduit en termes assez concrets dans leur vie quotidienne,alors qu'un chiffre ESG reste un peu conceptuel.

Marie LUCHET : L'écosystème est de plus en plus riche. Cela encourage l'innovation. Depuis plus de trois ans, nous avons créé le programme ESG Credit Rating. Nous dialoguons avec les agences de rating crédit pour qu'elles intègrent directement les critères ESG dans leurs notations. Nous échangeons également avec les pouvoirs publics, tels que la Commission européenne ou les régulateurs nationaux. Nous collaborons avec les associations de place et les académiques. Par exemple sur la question de la transition juste : il ne faut pas négliger l'impact social positif et négatif de la transition énergétique. Nous avons financé une recherche de la London School of Economics et lancé une initiative en collaboration avec l'Ircantec[18] et l'Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE)[19]. L'écho est très positif de la part des acteurs privés, mais aussi publics, le ministère de l'Ecologie[20] notamment.

Le plan de la Commission Européenne

L'Union européenne a décidé d'un virage vert alors que les Etats-membres ont pris du retard sur les engagements de l'Accord de Paris. Le plan de la Commission, présenté en mars 2018, constitue-t-il une bonne base ?

Marie LUCHET : Nous soutenons le plan d'action européen sur la finance durable. Et nous appelons les investisseurs à le soutenir. La taxonomie est une avancée majeure pour que les marchés des capitaux puissent contribuer à la transition vers une économie bas carbone. Nathan Fabian, membre du groupe d'experts européens(TEG)et directeur de l'investissement responsable des PRI, a été très impliqué. On a salué l'ampleur et la qualité du travail qui a été fourni, qui permet aux investisseurs d'avoir une idée de l'impact environnemental des activités qu'ils financent et de renforcer un dialogue avec les entreprises avec un niveau de technicité important.

Olivier HÉREIL : Ce qui a été publié par le groupe d'experts est une avancée très intéressante et qui vient à point nommé. Deux ans plus tôt, cela aurait été prématuré car l'écosystème n'était pas assez développé et nourri de toutes les sensibilités des acteurs pour arriver à produire ce dictionnaire des activités vertes. Les normes adoptées et les indicateurs concernant les risques de transition sont positionnés à des niveaux très élevés. Ce qui fait qu'aujourd'hui,même les secteurs déjà assez avancés sur la décarbonisation n'atteignent pas forcément les seuils demandés, qui sont très exigeants. Cette initiative présente un certain nombre de caractéristiques. La première d'entre elles, c'est qu'elle est très précise et documentée. Toutefois, cette taxonomie ne porte, pour l'instant, que sur les aspects climat et ne traite pas des autres dimensions de l'ESG. D'autres chapitres restent à aborder.

Marie LUCHET : Elle permet de mieux appréhender les activités positives pour le climat, mais également de vérifier qu'elles n'ont pas de conséquences négatives sur d'autres domaines environnementaux.

Olivier HÉREIL : On progresse effectivement dans cette direction. En tant qu'investisseur institutionnel, j'appelle de mes voeux à ce que les autres volets de la taxonomie soient développés assez vite pour éviter de petits effets de bord. Vous pourriez avoir des fonds thématiques centrés sur l'impact social, par exemple, qui pourraient devoir publier une note de taxonomie climatique qui se révèlerait insuffisante car le volet sur lequel ils investissent n'est pas, en premier lieu, le volet du climat. J'ai été aussi impressionné par la rapidité avec laquelle ce travail de taxonomie a été fait. D'où l'idée qu'ils puissent aussi travailler assez rapidement sur les autres volets de l'ESG.

Marie LUCHET : C'est vrai que l'écosystème était suffisamment mûr pour aboutir à cela, même s'il n'y a pas consensus. Nous, nous encourageons nos investisseurs à soutenir la taxonomie même s'ils ne sont pas d'accord sur certains seuils, ou sur la classification de certaines activités. L'investissement responsable est en train de doucement mais sûrement évoluer vers la question de l'impact. La taxonomie va dans cette direction aussi. On ne peut pas continuer à faire de l'investissement responsable comme on en faisait avant en se préoccupant uniquement de nos propres process sans se demander : Quel est l'impact de ma décision d'investissement ? Quel rôle l'investisseur peut jouer dans la société ?

Loi sur le devoir de vigilance de 2017

La loi sur le devoir de vigilance de 2017 s'articule-t-elle avec les préoccupations RSE ?

Olivier HÉREIL : C'est cohérent. Dans les grandes entreprises, vous avez maintenant à peu près partout des directions RSE. Souvent, le devoir de vigilance est embarqué quelque part par la politique RSE de l'entreprise. Cela oblige les entreprises à s'emparer du sujet. C'est une obligation légale, elles doivent mettre en place des dispositifs spécifiques. Ce qui est intéressant, c'est que cette obligation a un périmètre d'application assez large : l'entreprise doit, par exemple, prendre en compte les relations avec ses fournisseurs dans tous les pays où elle est implantée. Ce qui est objectivement un défi parce que quand vous êtes présent dans des pays émergents par exemple, la sensibilité du pays lui-même n'est pas la même que celle que vous pouvez avoir au siège.

Marie LUCHET : Cela répond à l'universalité des investissements, notamment des grands investisseurs institutionnels.

La loi pacte

La loi Pacte est-elle complémentaire ?

Marie LUCHET : Peut-être sur l'effort que doit faire l'industrie vis-à-vis des bénéficiaires, des particuliers, des assurés. Nous devons faire un gros effort de pédagogie pour toucher les particuliers.

Olivier HÉREIL : Je rajouterais un point important. C'est qu'on évoque souvent en premier lieu l'impact climatique de nos investissements mais on ne parle pas assez de l'impact social et de la gouvernance. En fait, on se rend compte que, dans nos initiatives d'investissement, on travaille en général sur plusieurs dimensions de l'impact. Je pense à un financement que nous faisons sur les infrastructures dans les pays émergents. Cet investissement a, à la base, un impact environnemental qui se matérialise par une plus grande protection des terres arables et offre la possibilité aux communautés agricoles locales de cultiver dans le meilleur respect possible de leurs terres. En complément de cet impact environnemental, nous apportons également un impact social puisque nous améliorons le niveau de vie des populations en finançant un produit de qualité, issu de l'agriculture durable. On voit bien qu'intervenir sur un maillon de la chaîne permet de créer de la valeur durable pour l'ensemble des parties prenantes en mettant en place un cercle vertueux.

Source

  • "Ne pas négliger l'impact social de la transition énergétique", texte repris dans Europresse, issu de L'Agefi Hebdo.

Ce texte a été choisi par Corentin Sibille.

Notes et références

  1. Emmanuel Macron est le président de la République française depuis le 14 mai 2017
  2. Le One Planet Summit est une réunion internationale sur les changements climatiques
  3. La Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques a eu lieu du 30 novembre au 12 décembre 2015 au Bourget en France
  4. L'accord de Paris est le premier accord universel sur le climat et le réchauffement climatique
  5. Activité qui consiste à gérer les capitaux dans le respect des contraintes réglementaires et contractuelles
  6. Modification structurelle profonde des modes de production et de consommation de l'énergie
  7. association créée en 1993 pour promouvoir et développer la place financière de Paris
  8. Initiative qui mobilise l’écosystème financier pour réorienter les flux financiers vers une économie durable et inclusive
  9. La décarbonation du bilan énergétique d'un pays consiste à réduire progressivement la part des énergies émettrices de gaz à effet de serre provenant des combustibles fossiles
  10. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution est une institution intégrée à la Banque de France, chargée de la surveillance de l'activité des banques et des assurances en France
  11. L'Autorité des marchés financiers est une institution financière et une autorité administrative indépendante française
  12. BNP Paribas est une banque française
  13. Acteur de référence de la retraite pour 30 millions d'assurés
  14. La gestion alternative est un mode de gestion de portefeuille appliqué par certains fonds d'investissement
  15. Une agence de notation financière est un organisme chargé d'évaluer le risque de non-remboursement de la dette ou d'un emprunt d'un État, d'une entreprise ou d'une collectivité locale
  16. Le groupe Vigeo Eiris est une agence de notation sociale et environnementale internationale fondée en 2002
  17. La Caisse des dépôts et des consignations exerce des activités d'intérêt général pour le compte de l'État et des collectivités territoriales ainsi que des activités concurrentielles
  18. Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques
  19. L'Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises exerce une veille permanente sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, le développement durable et l'investissement socialement responsable (ISR) en France, en Europe et à l'international
  20. Administration chargée de préparer et mettre en œuvre la politique du Gouvernement dans les domaines du développement durable, de l’environnement et des technologies vertes