Les éoliennes en mer sont-elles vraiment écologiques ? (VSOC 1 2022-2023)

De Wicri Incubateur
Ce tableau de Albert Anker illustre une activité à caractère pédagogique sur une page Espace dédié à un travail pédagogique
Master 1 VSOC 2022-2023


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LA VÉRIFICATION - Au moment où Emmanuel Macron inaugure le premier parc au large de Saint-Nazaire, l'impact de ces structures fait toujours débat.


« C'est le début du chemin, une première étape vers le développement massif des énergies renouvelables[1] ». Fin septembre, le président de la République a inauguré le premier champ éolien en mer de France au large de Saint-Nazaire. Une étape symbolique dans le développement de cette source d'électricité, présentée par ses soutiens comme une solution pour mener à bien la transition énergétique[2]. Ces derniers justifient leur enthousiasme par l'immensité du foncier disponible, au contraire des éoliennes terrestres soumises à de multiples contraintes, et leur productivité. EDF estime que « les vents plus forts et plus réguliers (en mer) permettent de produire 60% d'énergie en plus » que sur terre.

Alors que le pays pourrait connaître cet hiver des coupures de gaz voire des black-out tournants à cause d'une production insuffisante, l'éolien offshore pourrait être un filon supplémentaire capable de mettre progressivement la France à l'abri du besoin d'énergie. Emmanuel Macron a ainsi dit espérer « une cinquantaine » de parcs éoliens en mer d'ici à 2050. Les énergies renouvelables, et notamment l'éolien offshore, seront avec le nucléaire les deux piliers de la relance énergétique du pays.

Cette perspective ne fait pas l'unanimité. L'impact écologique réel des éoliennes marines est sujet à débat. Elles sont accusées pêle-mêle d'abîmer les fonds marins aux alentours et donc la faune et la flore locale, d'être de vrais pièges à oiseaux, de défigurer les paysages et de nécessiter d'importantes ressources pour une efficacité contestable. « Ces décisions sont prises par des terriens qui ne connaissent pas la mer », peste ainsi José Jouneau[3], président du comité régional des pêches maritimes et des élevages marins des Pays de la Loire.


Construction énergivore

Les éoliennes en mer sont des géantes. La taille visible dépasse souvent les 100 mètres. Patrice Cahart, auteur de La Peste éolienne[4], estime qu'un kilowattheure (kWh) éolien requiert « huit fois plus de béton, 20 fois plus d'aluminium et de cuivre, 26 fois plus d'acier qu'un kWh nucléaire ». Un fossé notamment dû à la différence de productivité entre ces deux sources d'énergie. Fabien Bouglé, expert en politique énergétique rappelle que « la centrale éolienne en mer au large de Saint-Nazaire, de 78 km², produira 8% de ce que produit la centrale nucléaire de Bugey, près de Lyon, installée sur seulement 1 km² ».

Ces éoliennes ont certes une production plus « stable » que leurs cousines terrestres. « Un parc éolien en mer fonctionne 95% du temps », estime Sean Vasseur, directeur de la prospective au sein du syndicat des énergies renouvelables. Tourner ne signifie cependant pas avoir une production optimale. « Sur l'ensemble de l'année, un parc fonctionne en moyenne à 40% ou 50% de sa puissance maximale, ajoute-t-il, lorsque l'éolienne est au ralenti, la production manquante est compensée par l'hydraulique et le nucléaire ».

Une fois en route, l'usure des palmes devient aussi une source de préoccupation. « En Norvège, il a été démontré que les pales des éoliennes libèrent du bisphénol A et environ 60 kg de résines époxydes durcies par an en raison d'un effet de cisaillement et de frottements à grande vitesse », expliquait au Figaro, Olivier Becquet, gérant de la coopérative des artisans pêcheurs associés au Tréport. L'ONG Sea Shepherd, qui soutient les pêcheurs dans la défense de l'environnement a qualifié les usines d'éoliennes offshore de « bombes à retardement écologique ».


Un impact mal connu sur la biodiversité

« Il ne faut pas que l'argument de l'urgence climatique justifie de faire passer la sauvegarde de la diversité au second plan », grince Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP). « C'est indigent, à quel point on ne dispose pas d'études environnementales sur les projets éoliens en mer ». Selon elle, les projets se multiplient alors que les conséquences à long terme sont largement inconnues. Pour Françoise Gaill, présidente du conseil scientifique éolien en mer et directrice de recherche émérite au CNRS, « nos connaissances actuelles sur les conséquences de ces parcs sur la biodiversité sont assez parcellaires ».

La dangerosité pour la faune volante est régulièrement pointée du doigt. Les parcs marins se situent souvent en plein milieu des couloirs migratoires. Dans une étude, l'Office français de la biodiversité évaluait la mortalité réelle de 0,3 à 18,3 oiseaux tués par éolienne et par an, la médiane s'établissant à 4,5 et la moyenne à 7,0. Des chiffres proches des études réalisées aux États-Unis où un rapport de l'American Bird Conservancy estime qu'au moins 1,17 million d'oiseaux (la plupart de petite taille) sont tués par des éoliennes chaque année aux États-Unis.

Les pêcheurs sont eux aussi inquiets des effets sur leurs activités : « on ne parle pas de lieu propice mais de zone de moindre impact », souligne José Jouneau. S'il estime que les demandes de la profession ont été entendues pour le projet de Saint-Nazaire (possibilité de continuer à pêcher dans le parc), il n'est pas sûr que le scénario se reproduise partout. À l’heure actuelle, les pêcheurs ne constatent pas de baisse notoire de la vie au pied des mâts, mais tout le monde se garde de faire un constat définitif alors que le premier parc vient à peine d'ouvrir.


Pollution visuelle

Reste la pollution visuelle. C'est pour une raison esthétique que les Français s'étaient déjà en majorité (53%) prononcés contre une éolienne terrestre à côté de chez eux, selon un sondage Odoxa-Backbone Consulting, réalisé pour Le Figaro en septembre 2021. Le rejet est tout aussi fort vis-à-vis des éoliennes en mer. « Les éoliennes que l'on nous avait présentées il y a quelques années comme de minuscules têtes d'épingle, presque invisibles très loin au large, sont en fait très/trop visibles de la côte (…). Nous sommes confrontés à un choix politique ancien qui n'offre pas de retour en arrière. Nous sommes tristes de voir l'horizon dénaturé », s'émeut Marie-Catherine Lehuédé, maire (sans étiquette) de Batz-sur-Mer, dont la commune fait face à des dizaines de mâts de 185 mètres de haut.

Cette pollution visuelle risque d'aller croissant. Les projets d'implantations se sont multipliés ces dernières années. Après les 80 éoliennes de Saint-Nazaire, 71 machines devraient être installées face à Fécamp, 62 dans la baie de Saint-Brieuc, 62 encore du côté du Tréport, 64 à Courseulles-sur-Mer et 62 au large des îles d'Yeu et de Noirmoutier. Une liste déjà fournie et qui continue de s'allonger.


L'alternative des éoliennes flottantes

Pour tenter d'atténuer ces effets indésirables, le secteur mise sur les éoliennes flottantes. À l’inverse des éoliennes plantées dans le sol, comme à Saint-Nazaire, elles ont l'avantage de ne pas avoir de profondeurs limites et donc de pouvoir se placer plus loin en mer. La France possède plusieurs acteurs bien installés sur ce segment. Engie a récemment remporté un appel d’offres géant au Royaume-Uni. En partenariat avec le portugais EDPR, l'énergéticien détient désormais un total d'un peu plus de 6,1 gigawatts de parcs et projets en Écosse et de 14,5 gigawatts dans le monde.

Toutefois, l'éolien flottant est encore balbutiant. Les défis techniques sont nombreux. Les coûts de production d'un mégawattheure restent très onéreux, 100 euros environ à l'horizon 2025 (deux fois plus cher que les éoliennes dites « posées » fonctionnant actuellement). Les pêcheurs, eux, voient d'un mauvais œil cette solution : « à Saint-Nazaire on a affaire à des structures plantées, mais dans le cas d'éoliennes flottantes on craint l'interdiction totale », s'émeut José Jouneau. Il est en effet impossible de pêcher aux abords d'une ferme flottante à cause des câbles et des ancres qui empêchent les éoliennes de dériver.


L'importance de la concertation

Pour tenter d'atténuer les différents, la concertation est essentielle : « Le temps long permet de créer la confiance », rappelle le président du comité régional des pêches des Pays de la Loire. Essentielle, mais pas toujours respectée : « Pour le parc de Saint-Nazaire (lancé il y a 10 ans), on nous sollicitait trop tard quand le lieu était déjà arrêté », souffle Chantal Jouanno. Cette étape peut permettre de limiter certains effets indésirables de ces grands champs.

C'est ce qu'a démontré la gestion du parc au large d'Oléron. À l'origine, les structures devaient se trouver en pleine zone protégée et classée Natura 2000, non loin des côtes. « Il n'est pas interdit de faire des éoliennes dans des parcs naturels marins », précise-t-on au ministère de la Transition écologique. Grâce à la détermination des riverains et d'associations, l'emplacement a été déplacé plus au large. Ce changement a permis de sortir de la zone protégée, de limiter la pollution visuelle mais d'autres effets, comme l'impact sur les oiseaux, restent entiers.

En résumé, malgré un éventail d'effets indésirables, le gouvernement a décidé de miser massivement sur les éoliennes offshore. Les conséquences sur la faune et la flore devront être particulièrement étudiées pour permettre à terme d'en limiter les effets. De même, au regard des ambitions françaises, il serait profitable de développer une industrie française pour éviter de devoir importer ces engins parfois de l'autre bout du monde.


Notes et références

  1. Sources d'énergie dont le renouvellement naturel est assez rapide pour qu'elles puissent être considérées comme inépuisables à l'échelle du temps humain.
  2. Changement important dans le volume d'énergie utilisée et dans le type d'énergie pour aller le plus rapidement possible vers une économie décarbonée.
  3. Election de José Jouneau : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/saint-gilles-croix-de-vie-85800/pays-de-la-loire-jose-jouneau-reelu-president-du-comite-regional-des-peches-6f44634e-ee5e-11ec-a52e-44edc7039e9e
  4. Livre de la collection ouverte aux lanceurs d'alerte désireux de poser les bonnes questions à travers un véritable travail de journaliste ou de chercheur.


Source

Thomas Engrand, " Les éoliennes en mer sont-elles vraiment écologiques ? ", Le Figaro, 11 octobre 2022.

Article choisi par Corentin Sibille.