Le football vu par un sociologue (Infonum2 2015-2016)

De Wicri Incubateur
Ce tableau de Albert Anker illustre une activité à caractère pédagogique sur une page Espace dédié à un travail pédagogique
IUT Charlemagne - Infonum2 2015-2016


Pourquoi le football passionne-t-il autant ?

Christian Bromberger, sociologue et anthropologue du football, s’est posé la question. Pour lui, le sport au ballon rond est un condensé de la vie. Une sorte de miroir qui refléterait notre quotidien : « Il y a dans ce sport quelque chose qui renseigne sur la vie. Pour réussir, il faut du mérite, de la solidarité et un fort esprit d’équipe. Et comme dans la vie de tous les jours, le facteur chance joue un rôle important. Il est difficile à maîtriser, inanticipable. » Réussite, échec, chance. Christian Bromberger va plus loin dans le parallèle qu’il fait entre le football et le quotidien. Pour lui, l’arbitrage serait assimilé à la justice. « Une décision crée un débat. Un verdict est discutable. On peut se sentir injustement sanctionné. En sport, une décision peut permettre de relativiser une défaite ou de fêter une victoire. » L’auteur du livre « Le match de football » (Editions de la Maison des sciences et de l'homme, ndlr) met aussi en avant l’intensité ressentie par les supporters : « Un match de foot, c’est une expérience corporelle. Les fans éprouvent des émotions avant, pendant et après la rencontre. Certains, dorment mal la veille, stressent et s’alimentent différemment à l’approche d’un match de leur équipe. Dans les tribunes, leur agitation nerveuse s’exprime par l’expression de la colère, du bonheur ou de la tristesse. Certains transpirent, d’autres ont les jambes coupées, sur certains visages quelques larmes se dévoilent. »

Christian Bromberger, sociologue, lors d’une conférence donnée à l’INSEP en avril 2014

Des émotions qui, selon l’anthropologue, sont petit à petit vouées à disparaître au dépend d’une volonté de diminuer les facteurs aléatoires dans les rencontres sportives. « Les enjeux financiers sont énormes pour les clubs. Le facteur chance tente donc d’être contrôlé au maximum. » Et plus les clubs sont riches[1], plus ils ont la possibilité de le faire. Les meilleurs joueurs sont ainsi recrutés dans les meilleures équipes. Les équipes qu’elles rencontrent n’ont souvent pas les armes pour lutter contre l’artillerie lourde proposée par les clubs majeurs. Ainsi, les résultats de ces rencontres sont quasiment annoncés avant même d’êtres jouées. Le suspense sportif en est donc réduit aux grands clubs. Heureusement, le sport restant du sport, quelques surprises voient le jour et une fois de temps en temps David envoie Goliath au tapis.

Pour le sociologue, les avancées technologiques seraient aussi un moyen de pallier au caractère aléatoire des rencontres sportives. « L’arbitrage vidéo met fin à tout débat, alors que la discussion, c’est l’essence même de la vie. Quand une équipe perd, la chute est plus difficile. Plus question de relativiser ou de déplacer la faute. Les joueurs et les spectateurs prennent conscience qu’ils sont les seuls responsables de leur échec. » Plus de gris sur les terrains de football. Désormais il faut choisir son camp : noir ou blanc.

« Paye, assieds toi et tais toi »

Les premières victimes de cette chasse à l’aléatoire, ne sont autres que les supporters. Comment vibrer lorsque l’on va voir un match en en connaissant déjà son issue ? Comment s’identifier à une équipe qui change tous les ans voire tous les six mois ?

Au fil des années, le rôle du spectateur dans le stade a changé. Principale source de revenu dans les années 80, la billetterie représente seulement 1% du budget d’un club[2] aujourd’hui. Insignifiant. Et cela se ressent. Alors que les supporters faisaient partie intégrante de la vie du club, ils en sont aujourd’hui exclus : entraînements fermés, rencontres joueurs-supporters inexistantes… « Le spectateur est dépossédé de sa part de supportarisme, explique Bromberger. Dans un stade tout est sous contrôle. On assiste a une nouvelle politique d’encadrement des supporters : ‘le tout assis’. Ainsi, une nouvelle devise des organisateurs et des clubs a vu le jour : ‘paye, assieds toi et tais toi’. »

« Tais toi. »

Il est loin le temps des stades colorés aux sons folkloriques et farfelus. Le temps où l’on entendait des bruits sortis tout droit d’instruments artisanaux, fabriqués avec entrain. Dans les stades, cornemuses[3], assiettes en cartons, vieilles casseroles, tout était prétexte à se faire entendre. Les répertoires vocaux aussi variés qu’originaux étaient repris en chœur. « Nous entrons dans une forme de transition vers un spectacle aseptisé qui prive le public d’une participation active. C’est comme si on lui supprimait son rôle de douzième homme (statistiquement les équipes gagnent plus à domicile qu’à l’extérieur). Le côté coloré des tribunes est aussi en train de disparaître, la réglementation limite le pouvoir des supporters. Ainsi, en Italie, les banderoles sont interdites dans les stades. »

Parmi les autres grandes mutations observées par Christian Bromberger dans les enceintes footballistiques : la masculinisation des gradins. Les filles se font de plus en plus rares, excepté pendant la coupe du monde. L’événement sportif le plus regardé au monde fédère les foules. Avec 700 millions de téléspectateurs à travers le monde l’édition brésilienne 2014 a battu tous les records d’audience. Au fil des évolutions, le football ne cesse cependant de cristalliser les foules et de faire rêver.


Source


Notes

Requête sémantique

  1. Aria (film, 1987) (Est sorti en: 1 987)
  2. Aria - Depuis le jour (film, 1987) (Est sorti en: 1 987)