Il y aura forcément des défaillances dans le tourisme (InfoNum2 2021-2022)

De Wicri Incubateur
Ce tableau de Albert Anker illustre une activité à caractère pédagogique sur une page Espace dédié à un travail pédagogique
IUT Charlemagne - InfoNum2 2021 - 2022

CHRISTOPHE PALIERSE

Jean-François Rial

PDG de Voyageurs du Monde


Aéroport durant le COVID

L'été devait être déterminant pour la reprise du tourisme. Quel bilan en tirez-vous ?

Je vais vous répondre avec quelques chiffres concernant Groupe Voyageurs du Monde [1] mais, qui reflètent bien la réalité du marché. L'an dernier, nous avions fait, en termes de départs sur juillet et août, 10 % de notre activité de 2019. Cette année, nous devrions être à 40 %. Je rappelle l'absence complète de réservations pendant les quatre premiers mois, suivie d'une très forte reprise entre la mi-mai et la mi-juillet. Et depuis, l'activité commerciale est retombée alors que le variant Delta [2]. La reprise a eu lieu mais de façon extrêmement éphémère,[3] en juin.

Le niveau des réservations tourne actuellement dans le secteur autour de 50 % par rapport à 2019. Il y a toutefois de fortes disparités : selon les opérateurs, selon qu'ils soient des acteurs purement Internet ou plus traditionnels; selon les destinations aussi. Chez les distributeurs, la grande distribution s'en sort mieux parce qu'elle vend beaucoup la France. Les agences de voyages physiques sont en difficulté, la tendance pour elles est plutôt à -80 %. Pour sa part, Groupe Voyageurs du Monde tourne à -50 % par rapport à 2019. Nous avons tous espéré un accroissement du nombre de destinations ouvertes cet été. C'est l'inverse qui s'est produit. Les DOM ont refermé. Les Etats-Unis que l'on espérait voir rouvrir ne l'ont toujours pas fait.


Alors faut-il s'attendre à des défaillances ?

Forcément ! Malgré les aides publiques qui sont très fortes, les entreprises perdent de l'argent. L'activité reste en retrait, les réserves financières - quand il y en a - s'épuisent, les avoirs - sur des voyages non effectués - sont utilisés afin de faire face aux dépenses, alors forcément, les risques de défaillance augmentent. Groupe Voyageurs du Monde, qui a l'avantage d'avoir une situation financière solide, a quand même perdu 13 millions d'euros l'an dernier. Cette année, les pertes seront moindres mais il y en aura. On parle des gagnants et des perdants de la crise. Moi, je crois que la grande différence est entre les riches et les pauvres. Les premiers peuvent faire face à leurs pertes.


Dans quelle mesure la crise sanitaire change ou pourrait changer le monde du voyage ?

L'élément fondamental pour moi, c'est la vraie prise de conscience des enjeux écologiques. Nous ne pouvons plus faire comme si de rien n'était. Nous ne pourrons plus embaucher comme avant des collaborateurs qui sont souvent des jeunes, qui sont souvent des femmes, très sensibles à ces enjeux. On ne pourra pas embaucher si on n'a pas une politique cohérente par rapport à ces enjeux écologiques. Je tiens également à souligner que les actionnaires, les investisseurs demandent de plus en plus aux entreprises de s'engager. La pression est multiple car il faut aussi ajouter celle des réseaux sociaux.

Aujourd'hui, mon groupe absorbe déjà 100 % de ses émissions, clientèle comprise. Nous nous demandons si nous ne devons pas faire plus encore. Cela veut dire nous interroger sur les types de voyage que nous devons proposer : faut-il davantage privilégier le court et moyen-courrier au long-courrier ? Ne doit-on pas faire des voyages plus longs sur le long-courrier ? Recourir davantage au train pour nos voyages en Europe ? Nous avons déjà décidé d'accélérer notre développement autour du vélo. Soyons clairs : le tourisme durable n'est plus une option, c'est une obligation ! Sinon, notre secteur va s'autodétruire.


S'achemine-t-on vers un renchérissement du voyage ?

Le voyage post-Covid sera, je crois, plus cher en effet, à horizon cinq ans, et ce pour une bonne raison : la taxe carbone me paraît inéluctable. C'est le seul outil qui permet vraiment de faire cette indispensable transition écologique. La taxe carbone nous obligera à trouver des solutions. Quand je dis que le voyage coûtera plus cher, c'est une tendance moyenne. Car, il y a des possibilités pour lisser le prix. C'est le cas si on voyage moins loin, mais aussi, plus longtemps si on voyage loin. En outre, le yield management [4] offre moult options d'optimisation. Et quand je plaide pour la taxe carbone, il s'agit d'une taxe pour toutes les activités émettrices de CO2. Il n'est pas question de faire une taxe sur le seul kérosène. Dans l'idéal, il faudrait une taxe mondiale qui alimenterait un fonds international dédié à la seule lutte contre le réchauffement climatique.


Le secteur du voyage, mis à terre par la pandémie, est-il en capacité d'absorber une éventuelle taxe carbone ?

La croissance de demain n'ira pas sans la lutte contre le réchauffement climatique. Et je ne crois pas que la taxe carbone freinera la reprise. Les gens repartent dès lors qu'une destination est ouverte. Cela dit, une mise en oeuvre un peu décalée permettrait de faciliter son acceptation. Faisons-le pour 2024, avec les Etats-Unis et la Chine bien entendu. Par ailleurs, il y a un autre défi : nous devons collectivement passer d'un tourisme de masse à un tourisme populaire, pour ne pas dire revenir à un tourisme populaire pour nous Français. Pionniers du voyage en France, Gilbert Trigano et Jacques Maillot [le premier fut longtemps un dirigeant charismatique de Club Med, le second a créé Nouvelles Frontières, NDLR] faisaient du tourisme populaire.

Christophe Palierse

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Source

Ce texte à été choisi par Zoé Laclayat.


Notes et Références