Fin des aides aux entreprises : les conseils des juges du commerce de Meaux et de Melun pour limiter la casse. (InfoNum2021-2022)

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Le maître mot est d'inciter à la reprise. Présent à l'université du Medef mercredi 25 août, Bruno Le Maire a actée la fin de la politique du «quoi qu'il en coûte» en vigueur depuis le début de la pandémie.

Pour autant, le ministre de l'Economie [1]admet que certaines entreprises nécessitent un prolongement de l'aide étatique assistance, soutien face à d'importantes difficultés. Cette aide passe notamment par des dispositifs exceptionnels parmi lesquels la nouvelle procédure de « traitement de sortie de crise » instituée par la loi du 31 mai. Cette procédure judiciaire vient plus particulièrement en aide aux entreprises qui étaient dans une situation saine avec un modèle économique viable avant la crise et qui ont été confrontées à un arrêt d'activité en raison de la pandémie.

Concrètement, elle peut permettre à l'entreprise d'étaler le remboursement de ses dettes sur une durée pouvant atteindre dix ans. «Le droit français protège davantage l'emploi et l'entreprise que le créancier, rappelle Philippe Naudin, président du tribunal de commerce de Meaux (Seine-et-Marne). Il est de toute façon préférable pour un créancier de se retrouver avec un plan de remboursement sur 3-4 ans que de perdre sa créance.» Un redressement judiciaire accéléré pour permettre une reprise rapide de l'activité des entreprises concernées, la nouvelle procédure se veut plus courte que la formule traditionnelle. « Elle s'apparente à un redressement judiciaire accéléré, évoque Claude Eulry, juge responsable de la prévention au tribunal de commerce de Melun. La phase d'observation dure trois mois contre six mois, renouvelables une fois d'habitude.»

À l'issue de cette période d'observation, un plan de remboursement des dettes sur plusieurs années est donc établi même si le tribunal de commerce peut à l'inverse constater qu'il est impossible de mettre en oeuvre un plan de continuation. « Le but reste d'empêcher la liquidation judiciaire. Dans le cadre de cette procédure, il ne peut pas y avoir de cession d'entreprise », insiste par ailleurs Philippe Naudin.

En revanche, l'entreprise doit remplir quelques conditions pour échelonner le remboursement des créances et obtenir que celles-ci soient déclarées inexigibles par le tribunal de commerce : elle doit notamment être à jour de ses obligations salariales et présenter une comptabilité bien tenue. À l'initiative des entreprises Autre particularité de cette nouvelle procédure : seules les entreprises peuvent l'ouvrir en saisissant le tribunal de commerce auquel elles déclarent leurs créances. Toute assignation de créanciers est donc exclue.

Cependant, sa durée est limitée à deux ans et au-delà de ce délai, ce sont les procédures collectives classiques, moins avantageuses, qui s'appliqueront en cas de difficultés. Pour les tribunaux de commerce seine et-marnais, l'enjeu est donc de parvenir à inciter les chefs d'entreprise concernés à les solliciter au plus vite. « Ils viennent souvent trop tard. Certaines boîtes liquidées auraient pu être sauvées si leurs dirigeants étaient venus nous voir plus tôt », déplore Philippe Naudin. Pour le président du tribunal de commerce de Meaux, qui craint d'être insuffisamment saisi, l'instance judiciaire souffre d'un déficit d'image lié à certaines affaires médiatisées dans les années 1980 et 1990 mais aussi d'un manque d'explication des décisions de justice rendues.Plusieurs raisons expliquent ces sollicitations trop rares ou tardives d'entreprises qui sont souvent de petite taille.

Les entreprises hésitent à venir se mettre sous la protection du tribunal de commerce car cela renvoie une mauvaise image auprès des banques prêteuses»,indique le procureur adjoint Hervé Tétier, chef du pôle économique et financier au parquet de Meaux. Dans d'autres cas, l'entourage du chef d'entreprise peut également jouer un rôle selon Claude Eulry : « Parfois, c'est dû à un manque de conseil au départ. Il arrive aussi que le chef d'entreprise pense trop longtemps s'en sortir tandis que sa situation devient compromise. Ou alors, il a tout investi et n'a plus envie de rebondir.»

L'importance de la prévention Frédéric, lui, n'a pas attendu pour se rapprocher du tribunal de commerce. Il y a plus de dix ans, ce bijoutier seine-et marnais a été victime de la crise des sub primes. Alors qu'il venait d'emprunter un demi-million d'euros pour financer l'ouverture d'une troisième boutique dans le département, sa banque, sous l'effet de la mauvaise conjoncture économique, lui a donné deux mois pour rembourser ses dettes. « J'ai directement saisi le tribunal de commerce, qui m'a mis en observation pendant plus d'un an. Puis, il a statué que je passe dix ans à rembourser avec les deux autres magasins, raconte le chef d'entreprise. Le tribunal n'est pas là pour casser et enterrer les entrepreneurs vivants mais pour prendre de la hauteur sur la réalité.»

texte descriptif

Au total, le plan de redressement judiciaire[2] portait sur plus de 800 000 euros. Après avoir vendu sa maison, qui était hypothéquée, Frédéric a donc remboursé ses dettes jusqu'en 2020. « J'ai terminé en septembre dernier, en pleine crise du Covid et avec un remboursement anticipé de trois mois. C'était la condition pour bénéficier du PGE car les banques étaient frileuses pour me l'octroyer en raison de ma situation », explique le bijoutier, aujourd'hui fier d'être un des rares à avoir traversé cette épreuve avec succès. Au coeur de l'objectif de rapprochement entre les tribunaux de commerce et les entreprises, se trouve l'essentielle mission de prévention des difficultés assurée par l'instance judiciaire[3].

En 2020, le tribunal de Melun[4] a examiné 382 dossiers dans le cadre de cette mission tandis que celui de Meaux a réalisé 317 entretiens de prévention, un chiffre qui grimpe déjà à 579 pour ce début d'année 2021.

Une adresse mail - prevention@tribunal-de-commerce.fr - a récemment été créée pour permettre aux entreprises de solliciter un entretien avec le président du tribunal ou le responsable de la prévention. « Depuis cette mise en place, les demandes s'intensifient au niveau de la prévention, relève Claude Eulry. C'est une innovation bénéfique.»

Source

  • "Fin des aides aux entreprises : les conseils des juges du commerce de Meaux et de Melun pour limiter la casse", Texte repris du Journal Le Parisien

Ce texte a été choisi par Camille Borowiec.

Notes et références

  1. En cliquant ici tu accèdes au site du Ministère de l'Economie
  2. La procédure de redressement judiciaire permet la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation.
  3. Par opposition à l'action, qui est le droit qui appartient à une personne de faire valoir une prétention en saisissant la juridiction compétente, l' "instance", est l'appellation donnée au développement procédural découlant de la saisine du juge par la personne qui en a pris l'initiative.
  4. En cliquant ici tu accèdes au site du Tribunal de Melun