Dans le blanc des yeux. Diversité, racisme et médias (VSOC 1 2022-2023)

De Wicri Incubateur

L’ouvrage[1] apporte un éclairage sur la question de la représentation des minorités ethnoraciales sur les écrans qui alimente le débat public depuis le début du XXIe siècle.


Si le propos est critique à l’égard des actions menées en direction de la visibilité de ces minorités, l’ouvrage met l’accent sur la construction de la « blanchité »[2], c’est-à-dire la fabrique de l’hégémonie blanche qui conditionne la réception des contenus médiatiques et ainsi la diffusion du racisme.


Il s’agit de la réédition d’un texte déjà paru en 2013, actualisé par quelques nouvelles références qui émanent bien souvent de l’auteur lui-même. Il s’agit donc d’une approche située dans le temps qui apporte néanmoins un regard innovant, susceptible d’intéresser les chercheurs en « Cultural Studies »[3] sur la problématique de la diversité dans les médias, circonscrite en réalité, au cinéma.


Cette perspective nouvelle s’articule autour d’une préface (« De la complaisance de la diversité à la mélancolie de la majorité ») de dix pages, d’une introduction (« Les yeux ouverts ») de douze pages, de cinq parties équilibrées qui structurent un cheminement de la notion de race pour aboutir à celle de l’écran blanc, et enfin une conclusion (« Blanc n’est pas une couleur ») de six pages qui achève le propos.


Dans la préface (« De la complainte de la diversité à la mélancolie de la majorité »), l’auteur déplore que la prise en compte de la faible présence des minorités sur les écrans s’apparente à une forme de lamentation publique qui réinstaurerait une norme de « visibilité racialisante », au travers de la fabrique de l’hégémonie blanche à destination d’un public blanc, n’ayant pas fait l’expérience du racisme. En convoquant les cultural studies, l’auteur situe son travail dans l’étude de « la conception des publics au cœur de la politique de diversité pour la confronter aux expériences spectatorielles vécues et aux processus de réception ». L’ouvrage appréhende ainsi la réflexion autour de l’analyse des rapports sociaux de race susceptible de peser sur la réception.


Conformément à de nombreuses études, l’introduction trouve son point d’ancrage dans les émeutes urbaines de l’automne 2005 qui ont alimenté débats et controverses dans l’espace public à propos de la question de la diversité. Ces événements ont également initié des politiques volontaristes, fondées sur des manquements, à destination des entreprises, dans la représentation politique nationale et dans l’audiovisuel qui n’échappe pas à la règle. Ainsi pour l’auteur, toutes ces actions se construisent sur la base du concept de « blanchité » qui participe à la persistance du racisme. Ce concept permet de « repenser les débats contemporains relatifs à la diversité, aux discriminations et, plus largement, aux rapports sociaux de race ».


Les trois premiers chapitres contextualisent l’analyse, pour aboutir à une critique de l’identité blanche et mettre en débat les critical white studies et notamment des travaux de Delgado et Stefancic (1997). Le premier chapitre de 25 pages questionne les usages sous tension de la notion de race. Le second chapitre esquisse, tout au long des 30 pages, la généalogie de concept de blanchité, au moyen de ce que l’auteur dénomme par « dynamique épistémologique ». Les 30 pages du troisième chapitre poursuivent l’expertise de ce concept en révélant les controverses des critical white studies[4]. Les deux chapitres suivants en définissent les contours et les enjeux contemporain. Ainsi le quatrième complète l’état de l’art et aborde spécifiquement les secteurs audiovisuels et cinématographiques au prisme de la diversité. Le cinquième propose une sociologie des publics à partir d’une enquête de terrain.


La contribution scientifique de ce dernier chapitre « Écran blanc » s’inscrit dans une démarche sociologique compréhensive et s’appuie sur les résultats d’une enquête conduite auprès de 22 personnes interrogées entre 2009 et 2010 par le biais d’entretiens individuels semi-directif et collectifs. La population étudiée est équitablement composée de onze hommes et onze femmes, tous et toutes français.es, âgé.es de 22 à 45 ans, diplômé.es et vivant en Île-de-France. Le critère d’inclusion est de se reconnaitre comme blanc ou socialement perçu comme tel (Cervulle, 2013). Les participants sont amenés à évoquer leurs propres expériences cinématographiques au travers de films, nationaux ou internationaux. L’auteur dresse ainsi une catégorisation des différents spectateurs au regard de l’activité interprétative qui varie en fonction de la définition du racisme et de la perception qu’en ont les spectateurs. Au moyen de situations particulières, l’auteur illustre ainsi différentes modalités entre défaillance éducative et faute morale. Il apparait qu’il existe une articulation entre le degré de « fictivisation » par les publics et leur perception ordinaire du racisme. L’auteur fait alors un constat qui tendrait à limiter la portée des dispositifs de promotion de la diversité, au regard de la « représentativité » ou du « réalisme » d’une œuvre qui ouvre, du côté des publics, à des conflits d’interprétations et de définition du champ social lui-même.


Ainsi, trois catégories d’expérience spectatorielle peuvent ainsi être dégagées : le spectateur « ignorant », « apprenant » ou « démocrate », permettant ainsi d’élaborer non pas des catégories normatives, mais des descripteurs conceptuels (Schnapper, 2005).


Pour le spectateur apprenant, il s’agit de saisir le potentiel pédagogique de l’expérience spectatorielle qui alterne « l’identification présentielle narrative » et « l’identification prospective esthétique ». La relation pédagogique se structure également autour de l’apprentissage de ce que veut dire être blanc au sein d’une société marquée par une racialisation du champ social, une façon de penser également la blanchité dans le registre de la diversité.

Le spectateur ignorant se caractérise par une forme de négativité, une satisfaction face à l’impuissance, une revendication de l’ignorance. Cela génère une double croyance, celle de l’universalisme, le racisme étant appréhendé comme une catégorisation et celle d’une définition du cinéma perçu comme divertissement. L’expérience de ce spectateur conduit à un renforcement des croyances préétablies.


Le spectateur démocrate perçoit le cinéma comme un mode de socialisation. Les salles de cinéma apparaissant ainsi comme le lieu où se jouent les mêmes types de conflictualité que l’on retrouve dans l’espace public, une forme de médiation interculturelle qui révèle ses propres mécanismes, qui tend à reconnaitre l’importance du débat sur la diversité dans les secteurs audiovisuel et cinématographique. L’auteur identifie alors trois caractéristiques du spectateur démocrate : une croyance en la capacité du cinéma à servir de support au débat démocratique, une appréhension relativiste des rapports sociaux de race et une définition du racisme en synchronie avec le modèle universaliste.


L’identité blanche se différencie alors selon ces trois « idéaux-types ». Pour le premier, celle-ci repose sur un sentiment de culpabilité, légitimant paradoxalement l’état des rapports sociaux. Dans le second cas, elle est marquée par une ignorance, la situant comme une position neutre et universelle. Le dernier décrit une identité blanche fondée sur le sentiment d’une supériorité morale et politique, avec pour impératif : l’universalisme[5]. Ainsi, cela empêche la prise en compte de la parole minoritaire concernée par les discriminations.


Enfin, l’auteur expose ce qu’il dénomme la double vision de l’œil blanc. Face à la médiation cinématographique des rapports sociaux, chaque spectateur renvoie à un mélange des « idéaux types ». Le spectateur ignorant investit l’expérience spectatorielle comme un lieu de fuite, la distraction subordonnant une quelconque reconnaissance de soi ou de l’environnement social, provoquant ainsi une déresponsabilisation vis-à-vis du racisme systémique.


Le spectateur apprenant est enclin à l’utopie au regard de sa propre culpabilité, induisant ainsi une forme de « blanchité mélancolique ».


L’identité blanche du spectateur démocrate est fondée sur une croyance en sa capacité d’agir. Le sujet blanc se présente comme garant moral d’un certain ordre universaliste, reproduisant, pour l’auteur, les effets qu’il prétend combattre. Ainsi, le cinéma serait le support de croyances préétablies qu’il viendrait renforcer. Néanmoins, une sociologie des publics peut permettre d’éclairer le rôle que joue le racisme systémique dans l’activité interprétative, ainsi que dans les processus de consolidation de l’hégémonie de la blanchité.


En conclusion, le blanc n’est pas une couleur, nous rappelant que réinterroger les rapports de race à partir d’un questionnement sur la blanchité revient en un sens à mettre en œuvre une sociologie de l’invisible, à se pencher sur ce qui échappe au regard tel qu’il est socialement construit. L’auteur fait ainsi le constat que l’expérience spectatorielle n’échappe pas à l’emprise des rapports sociaux de race qui contraignent l’activité interprétative et configurent la réception. Ainsi il s’agit de dégager quelques enseignements et éléments d’orientation.


Pour l’auteur, il parait primordial de quantifier le taux de représentation des minorités ethnoraciales dans le cinéma français sur la base d’un référent catégoriel commun à des « statistiques de la diversité ». Ces propositions consistent ensuite à évaluer le ressenti des spectateurs au moyen d’une enquête nationale. Il s’agirait alors enfin de coupler cette représentation des publics avec celles véhiculées pour évaluer l’efficacité du dispositif perçu par les publics.


Dans ce contexte face au désengagement des pouvoirs publics en faveur de la diversité, le concept de « blanchité » constitue alors un outil périlleux et précieux pour mettre en évidence la mécanique ordinaire du racisme systémique.

Source

Maxime Cervulle,"Dans le blanc des yeux. Diversité, racisme et médias", Etudes de Communication, 2022[6].

Notes et références

  1. L'ouvrage fait référence ici à Cervulle, M. (2021). Dans le blanc des yeux. Diversité, racisme et médias. Éditions Amsterdam.
  2. La blanchité définit le fait d'appartenir à la classe sociale des Blancs, elle peut être réelle ou supposée.
  3. En français Études Culturelles, représentent des recherches entre les relations de pouvoir et de culture.
  4. Néologisme décrivant un ensemble de concepts des sciences politiques utilisés par les études postcoloniales, les études de genre, les cultural studies, et dans certaines analyses sur la construction socioculturelle.
  5. Qui s'adresse à tous les hommes, au monde tout entier
  6. Dans la recension publiée dans Études de Communication, une faute s'est glissée, avec un s à blanc, dans le titre, que nous avons retiré, conformément à la publication originelle, aux éditions Amsterdam.

Article choisi par Elsa Jacobe.