Décryptage : comment le machine learning va révolutionner les prévisions météo (VSOC 1 2022-2023)

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Master 1 VSOC 2022-2023

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Prévoir le temps qu’il fera le lendemain, ce n’est pas une chose aisée. Encore moins lorsque l’on s’attaque au temps qu’il fera dans une semaine ou dans un mois. Mais les météorologistes pourraient bientôt recevoir l’aide d’un nouvel allié : l’intelligence artificielle[1] Florence Rabier[2], la directrice générale du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT)[3], nous explique comment le machine learning[4] pourrait révolutionner les prévisions.


Vous retrouvez sous une averse alors qu'un grand beau temps avait été annoncé. Vous en avez sûrement déjà fait l'amère expérience. Pourtant, la météorologie est bien une science. Celle qui se consacre à l'étude des phénomènes qui se produisent dans notre atmosphère et plus précisément encore, dans sa couche la plus basse, la troposphère. Alors, comment expliquer ces erreurs ?


D'abord par le fait que la science peut se tromper. C'est même de cette manière qu'elle progresse. « Lorsque le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) a été créé, nos prévisions reposaient sur un modèle atmosphérique. Puis, nous nous sommes aperçus que pour faire de bonnes prévisions, nous ne pouvions pas nous contenter de données atmosphériques. Nous devions nous intéresser au système Terre dans sa globalité. Intégrer à notre modèle d'autres composantes comme les océans, les terres émergées ou la cryosphère », nous raconte Florence Rabier, météorologiste et directrice générale du CEPMMT. Ce qui complexifie encore un peu plus le sujet d'étude. D'autant que « même si nos utilisateurs sont essentiellement européens, nous devons nous intéresser au système à l'échelle globale, car en matière de prévisions météo, tout est lié. » Ainsi les modèles qu'utilise le CEPMMT se rapprochent aujourd'hui de plus en plus des modèles climatique. Avec toute la complexité que cela suppose. Et les risques d'erreurs inhérents.



Le saviez-vous ?

Le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) est une organisation intergouvernementale créée en 1975, à une époque où la validité des prévisions météo ne dépassait guère un ou deux jours. Il est aujourd’hui soutenu par 34 États membres et coopérants. Son objectif : rendre les prévisions valables et utiles jusqu’à une dizaine de jours. Et selon les scores de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), le modèle du CEPMMT est aujourd’hui le meilleur modèle au monde.



Se pose donc assez naturellement la question des limites du système de prévision. « Tout est une question d'échelle. Aussi bien dans le temps que dans l'espace », nous explique alors Florence Rabier. « Prévoir qu'une averse tombera sur Paris dans un mois avec une échéance d'une heure, c'est impossible. En revanche, nous sommes capables de le faire pour la journée à venir. Au-delà, nous pouvons prévoir s'il pleuvra plutôt dans la matinée ou dans l'après-midi. Passé deux semaines, nous pouvons prévoir des types de temps. Dire s'il fera plus chaud ou moins pluvieux que la normale. À l'échelle d'une année, nous sommes aujourd'hui seulement en mesure d'annoncer des signaux globaux comme la survenue d'un phénomène El Niño[5] ou d'une sécheresse globalisée. »


Le travail du CEPMMT, c'est de proposer des prévisions de plus en plus précises sur le moyen terme. « Pour les météorologues, cela correspond à une période comprise entre 3 et 10 jours », nous précise Florence Rabier. Depuis les années 1960, les experts estiment avoir amélioré leurs prévisions d'un jour par décennie. « À l'échelle globale, nous en sommes désormais à des prévisions fiables à sept jours. » Et le CEPMMT espère gagner encore un jour dans la décennie à venir. Grâce aux progrès des supercalculateurs et surtout, au machine learning.


La puissance de l’intelligence artificielle au service de la météo

« Nous faisons tourner notre modèle plusieurs fois par jour jusqu'à 15 jours d'échéance, plusieurs fois par semaine jusqu'à un mois et demi d'échéance et même plusieurs fois par mois à l'échéance saisonnière. Pour cela, nous comptons sur les performances d’un supercalculateur, le HPC. À l'avenir, nous allons travailler dur pour adapter nos codes à des architectures hybrides et gagner ainsi encore en efficacité. »


Concernant le machine learning, l'ambition est de l'intégrer sur toute la chaîne de traitement de l'information. En commençant par la phase de prétraitement des observations. « Chaque jour, nous devons traiter des centaines de millions d'observations et sélectionner les plus pertinentes, celles qui viendront nourrir notre modèle, soit environ 60 à 80 millions. Avec le machine learning, nous espérons améliorer le tri et la cohérence de ces observations. » D'autant qu'elles seront bientôt enrichies par des données issues d'une foule d'objets connectés. « Des pluviomètres installés dans les jardins aux essuie-glaces des voitures de demain qui nous diront à quel moment ils se sont mis en marche. Des données non calibrées, issues de sources non conventionnelles que le machine learning devrait pouvoir nous aider à gérer. »


Vient ensuite la phase que les météorologues appellent d'assimilation des données. Une phase au cours de laquelle, comme nous l'évoquions plus haut, la science intègre ses erreurs pour progresser. « Notre modèle donne des prévisions excellentes à quelques heures. En recombinant presque en continu ces prévisions avec les nouvelles observations qui nous arrivent, nous pouvons recadrer la trajectoire du modèle alors qu'il avance dans le temps. Traditionnellement, nous parlons d'approche bayésienne d'estimation. Mais c'est un peu aussi ce que fait le machine learning. Cela nous permet de corriger les erreurs aléatoires du système, mais aussi les biais de notre modèle. »


Autre secteur dans lequel les météorologues espèrent profiter de la puissance du machine learning : la paramétrisation des équations, l'ajout de paramètres, au-delà des seuls réglages. « Notre modèle repose sur de nombreuses équations qui disent comment le vent se propage, comment le rayonnement solaire pénètre l'atmosphère, comment les particules s'élèvent dans les airs. Derrière se cachent des lois de la physique complexes. Tout cela coûte très cher en temps de calcul, car cela demande de manipuler beaucoup d'informations physiques. Paramétriser nos équations à l'aide d'un module de machine learning pourrait accélérer le processus jusqu'à dix fois. » Une manière d'augmenter la résolution du modèle et donc sa qualité. « Car nous pourrions alors, sans prendre plus de temps qu'aujourd'hui, prendre en compte plus de processus, plus d'observations et viser une résolution plus fine », nous explique Florence Rabier.


Interpréter les prévisions des modèles

Et la directrice générale du CEPMMT termine en nous présentant les apports attendus du machine learning en matière de post-traitement. « Pour tenir compte de l'effet papillon, du caractère chaotique de l'atmosphère, nous fournissons à nos utilisateurs des données qui correspondent en réalité à cinquante versions différentes de notre modèle avec de légères variations dans les conditions, une sorte de faisceau de prévisions qui donne une information sur les différents scénarios susceptibles de se produire. Cette source inépuisable d'informations est difficile à intégrer pour un utilisateur humain. Certes, cette information peut être condensée en regroupant les types de temps pour établir qu'il y a 50 % de chance pour que se forme un anticyclone, 20 % de chance pour qu'apparaisse une dépression et 30 % pour que l'on s'oriente vers un blocage. Mais chaque utilisateur est intéressé par un paramètre ou une région en particulier. » Le machine learning peut aussi aider à faire des corrélations qui ne reposent plus sur le modèle. Elles pourraient apporter un complément précieux, permettant de savoir, par exemple, quand traiter des champs pour un maximum d'efficacité.


Dans le même ordre d'idée, l'une des idées clés de l'initiative européenne Destination Earth est de fournir aux utilisateurs, grâce au cloud, une plateforme qui permet d'accéder à toutes les données d'observation et de prévision. Et même de faire tourner toutes sortes de scénarios spécifiques, « en fonction du reboisement d'une parcelle par exemple ».


C'est donc un nouveau monde de possibilité qui semble s'ouvrir à la météorologie. Il faudra toutefois rester prudent. Car le réchauffement climatique en cours pourrait venir rebattre les cartes. « Il a changé le monde et les dynamiques météo que nous avons observées par le passé pourraient ne plus être valables à l'avenir », prévient Florence Rabier. De quoi lancer un nouveau défi à cette science ingrate que l'on appelle la météorologie.

Notes et références

  1. L'intelligence artificielle (IA) est un « ensemble de théories et de techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence humaine ». Elle englobe donc un ensemble de concepts et de technologies, plus qu'une discipline autonome constituée.
  2. Le Dr Rabier est directrice général de l'ECMWF depuis janvier 2016, après deux ans à la tête du département des prévisions du Centre. Jusqu'à présent, sa carrière l'a amenée à faire des allers-retours entre Météo-France et l'ECMWF. Le Dr Rabier est une experte internationalement reconnue en prévision numérique du temps, dont le leadership a grandement contribué à apporter des changements opérationnels majeurs à la fois à l'ECMWF et à Météo-France. Elle est particulièrement connue au sein de la communauté météorologique pour son rôle clé dans la mise en œuvre d'une méthode innovante d'assimilation de données (4D-Var) en 1997, qui était une première mondiale et a contribué à une utilisation optimale des observations satellitaires dans les prévisions météorologiques. Elle a également mené une expérience internationale impliquant une grande campagne de terrain au-dessus de l'Antarctique, dans le cadre de l'Année Polaire Internationale et du programme THORPEX de l'OMM.
  3. Le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT ; en anglais European Centre for Medium-Range Weather Forecasts) est une organisation intergouvernementale soutenue par 22 pays européens et 12 autres pays associés ou en voie de devenir membres. Le Centre fut créé à la suite d'une convention signée en 1975.
  4. Le machine learning (en français: l'apprentissage automatique) est un champ d'étude de l'intelligence artificielle qui se fonde sur des approches mathématiques et statistiques pour donner aux ordinateurs la capacité d'« apprendre » à partir de données, c'est-à-dire d'améliorer leurs performances à résoudre des tâches sans être explicitement programmés pour chacune.
  5. El Niño désigne le phénomène climatique particulier, différent du climat usuel, qui se caractérise par des températures anormalement élevées de l'eau dans la partie Est de l'océan Pacifique sud, représentant une extension vers le sud du courant chaud péruvien. Il a été relié à un cycle de variation de la pression atmosphérique globale entre les zones Est et Ouest du Pacifique, nommé l'oscillation australe, et les deux phénomènes sont réunis sous le titre de ENSO (El Niño-Southern Oscillation).

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Source

Nathalie Mayer, «Décryptage : comment le machine learning va révolutionner les prévisions météo », Futura, 26 février 2021.

Article choisi par Marie Bertrand.