A l'école de l'intelligence artificielle (VSOC 1 2020-2021)

De Wicri Incubateur
Ce tableau de Albert Anker illustre une activité à caractère pédagogique sur une page Espace dédié à un travail pédagogique
Master 1 VSOC 2020-2021

Biais algorithmiques, transparence des algorithmes publics, codage d’intelligences artificielles plus représentatives... Les enjeux de l’inclusion dans le numérique sont nombreux. Une nouvelle génération de développeurs s’en empare, militant pour changer le monde de l’entreprise et, plus largement, la société.

L’inclusion est-elle l’avenir de l'intelligence artificielle (IA) ? À l’école IA Microsoft, on y croit dur comme fer. Inaugurée il y a un an, en partenariat avec Simplon[1], l’entreprise sociale et solidaire de formation au numérique fait déjà office de fleuron dans le domaine.

« Les bootcamps[2] pour développeurs américains, c’était l’idée un peu révolutionnaire qu’on pouvait apprendre tous ensemble avec juste son ordinateur, un thermos de café et une connexion Internet. Ça a ouvert le champ des possibles en termes de formation », raconte Louise Joly, directrice de l’école. C’est cette philosophie qui sous-tend le projet. « La formation est orientée vers des publics éloignés de l’emploi mais qui ont des rudiments en code et une appétence pour les maths. Il n’y a pas de prérequis de diplôme : des personnes n’ont pas le baccalauréat, une élève a un bac +5 en Droit... »


Mettre le code entre toutes les mains

Résultat selon Louise Joly : « On a une grande diversité d’élèves, avec des backgrounds[3] très riches. C’est intéressant, car on retrouve l’IA dans des secteurs très variés. Les vingt-quatre personnes de la promotion, qui ont entre dix-neuf et trente-neuf ans, peuvent se nourrir mutuellement de leurs expériences passées. » La formation intensive de sept mois est suivie d'un an en contrat de professionnalisation et a un objectif : mettre le code entre toutes les mains.

Même Mounir Mahjoubi, ex-Secrétaire d’État chargé du Numérique, a reconnu l’utilité majeure de cette initiative conjuguant transition numérique française et égalité des chances : « L’école IA Microsoft montre que le numérique est un outil incroyable pour l’inclusion et la croissance. » Louise Joly reprend : « Nos étudiants sont des ovnis dans le monde de la tech. Les écoles de Data Science[4] brassent les mêmes publics, qui habitent des grandes villes et peuvent payer plusieurs milliers d’euros la formation. Nous, on veut faire en sorte que les métiers de l’IA se diversifient. Nous formons donc des profils complémentaires. »

D’autant qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire en matière d’inclusion. « Dans les métiers de l’IA, les femmes représentent 12 % des chercheurs. En termes d’inclusion, c’est dramatique quand on sait que ces technologies sont paramétrées selon nos biais. » Une étude menée l’an dernier par le MIT[5] mettait en lumière le problème de la reconnaissance faciale, qui atteint un taux d’erreur de 35 % pour les femmes noires contre 1 % pour les hommes blancs. La revue Science expliquait quant à elle en 2017 que les outils de traitement du langage associent souvent prénoms féminins et activités familiales. « C’est d’autant plus intéressant d’avoir une diversité sociologique et de genre ! », explique Louise Joly.

La prochaine promotion, qui intégrera en mars le campus de Microsoft à Issy-les-Moulineaux, est « composée à 80 % de femmes ». Un défi lancé par l’entreprise et relevé haut la main par l’équipe pédagogique. Louise Joly en est fière : « Cette année, les femmes ont candidaté en masse car nous leur avons tendu la main. » Bouche-à-oreille, partenariat avec Pôle Emploi, séances d’information menées par Simplon... En tout, deux cents candidats ont souhaité intégrer la formation 2019.


Mener des projets innovants

De leur côté, les étudiants de la première promotion commencent progressivement à s’insérer sur le marché du travail avec des projets plein la tête. Nisha, ancienne professeure des écoles âgée de vingt-cinq ans, a ainsi changé de cap. Son idée : un chatbot[6] qui permettrait de discuter avec les enfants pour détecter leurs problèmes. « J’ai eu le déclic en voyant que beaucoup d’élèves avaient des difficultés et qu’on n’avait ni temps, ni moyens pour les aider. Je me suis dit : pourquoi ne pas appliquer l’IA dans l’éducation, pour offrir une pédagogie adaptée aux besoins de chacun ? Ça pourrait par exemple donner un chatbot qui permettrait de discuter avec les enfants pour détecter leurs problèmes... ».

Comme elle, Achille, étudiant du même groupe, est persuadé de pouvoir « agir à son niveau ». À vingt-cinq ans, ce touche-à-tout — taille de pierre, bénévolat pour la Croix-Rouge, Fab Lab[7] dans l’électronique — a pu intégrer la formation sans le moindre diplôme. Maintenant, il travaille dans la robotique. Achille se souvient d’un projet : « Lors d’un hackaton[8], on avait extrait des informations de Pôle Emploi et réutilisé leurs données qui linkaient[9] des compétences-clés à des métiers. À partir de ça, on avait codé un chatbot fait pour les femmes. Il extrayait des mots-clés dans la conversation avec elles et leur proposait une orientation professionnelle adaptée. C’était fait pour sensibiliser aux métiers dans lesquels elles sont peu représentées. »

L’idée du numérique comme vecteur d’inclusion fait son chemin : les entreprises s’ouvrent peu à peu à des publics différents et les initiatives de formation se multiplient. L’association Permis de vivre la ville a ainsi lancé le chantier d’insertion « Tremplin numérique » en 2011. Elle a permis de former des jeunes issus de quartiers populaires à différents domaines du numérique. « Ils sont opérationnels en réalisation d’hologrammes, tournage en VR[10], programmation en Java... », raconte Marcela Perez, coordinatrice de l’association. Trente d’entre eux sont en ce moment salariés dans des agences de communication digitale. « Le numérique offre la possibilité d’apprendre différemment. Avoir loupé l’école ne veut pas dire qu’on ne peut pas s’en sortir : au contraire, sans formatage, il y a une diversité de propositions décoiffante ! »

Selon une étude de l’entreprise DELL, 85 % des emplois qui seront exercés en 2030 restent à inventer. Nul doute que l’avenir est à l’inclusion et aux profils qui, dans le domaine de l’IA, ou plus largement du numérique, ont une voix à faire entendre.


Notes et références

  1. Entreprise créée en 2013 par Frédéric Bardeau, Andrei Vladescu-Olt et Erwan Kezzar ayant pour but de former aux métiers du numérique de façon plus inclusive et gratuite. En 2016, Simplon est devenu le premier réseau de formation labellisé par l'État en France "Grande École du Numérique". Voir la section À propos sur Simplon.co
  2. Les bootcamps sont des formations intensives dont les méthodes s'inspirent de celles des camps d'entraînement de l'armée américaine.
  3. On peut ici traduire backgrounds par des parcours.
  4. Data Science signifie science des données. C’est la discipline qui permet à une entreprise d’explorer et d’analyser les données brutes pour les transformer en informations précieuses permettant de résoudre les problèmes de l’entreprise. Bastien L., « Data Science : Définition, secteurs d'application et compétences requises pour la science des données sur Le Big Data. » sur Le Big Data.
  5. L'Institut de Technologie du Massachusetts (MIT) est un établissement universitaire situé dans l'État américain du même nom, sur la côte est des États-Unis.
  6. Un chatbot, aussi appelé agent conversationnel en français, est un programme informatique capable de simuler une conversation avec un ou plusieurs humains par échange vocal ou textuel. Historiquement, le premier chatbot nommé Eliza fut créé en 1966 par Joseph Weizenbaum, professeur au MIT (Massachusetts Institute of Technology). Futura Tech, « Chatbot : Qu'est-ce que c'est ? » sur Futura Tech.
  7. Un Fab Lab (contraction de l'anglais fabrication laboratory qui signifie laboratoire de fabrication en français) est un lieu ouvert au public où il est mis à disposition toutes sortes d'outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d'objets. Il s'adresse aux entrepreneurs, aux designers, aux artistes, aux bricoleurs, aux étudiants ou aux hackers en tout genre, qui veulent passer plus rapidement de la phase de concept à la phase de prototypage, de la phase de prototypage à la phase de mise au point, de la phase de mise au point à celle de déploiement, etc. Il regroupe différentes populations, tranches d'âge et métiers. Il constitue aussi un espace de rencontre et de création collaborative répondant aux exigences de la charte des Fabs Labs mise en place par le MIT. « Qu'est-ce qu'un Fab Lab ? » sur Carrefour numérique.
  8. Contraction de hack et marathon, un hackathon est un événement lors duquel des équipes (composées de développeurs, mais aussi parfois de designers et de chefs de projet) doivent développer un projet informatique, en général un logiciel ou une application. Elles doivent le faire sur une période limitée, et généralement courte (une journée, une nuit, un week-end). Virgile Juhan, « Hackathon : les clés pour comprendre un phénomène qui prend de l'ampleur » sur Journal du Net.
  9. Du verbe to link en anglais et qui signifie relier, faire le lien.
  10. Le tournage en VR (virtual reality) désigne le tournage vidéo en réalité augmentée.

Source

Regards sur le numérique (Microsoft), « À l'école de l'intelligence artificielle », Usbek & Rica, le 9 mai 2019.