Médici Grenoble Guédon

De Médici
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Intervention de Jean-Claude Guédon
Professeur de littérature comparée à l'Université de Montréal, membre de l'Open Society Institute, prix d'excellence de la Society for Digital Humanities

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L'intervention de Jean-Claude Guédon a porté sur trois points principaux, éléments du titre de sa communication: éditer, diffuser et valoriser.

La question a été strictement limitée au champ de la recherche, des lettres aux sciences de la nature, de l'ingénieur et à la médecine. En effet, l'économie de la publication de romans et autres documents se distingue nettement de celle des produits de la recherche.

La question de l'édition a aussi été soigneusement séparée de celle de la publication: éditer revient à travailler un contenu. Publier consiste à mettre à disposition publique. De plus, l'édition elle-même se sépare en deux phases, l'une (E-1) portant sur le sujet traité, les arguments afférents, etc., l'autre (E-2) portant sur les aspects linguistiques et stylistiques du contenu. Enfin, publier prendra aussi en charge divers aspects de la présentation (p. ex. mise en page dans le contexte de l'imprimé).

Les tâches d'édition E-1 relèvent exclusivement des communautés de chercheurs. Les évaluateurs pairs (arbitres) et les membres des comités éditoriaux sont des chercheurs. Historiquement, rédaction des résultats de recherche et E-1 constituaient l'essentiel du travail de communication entre scientifiques. Les maisons d'édition ("publishers" en anglais) s'inscrivaient en position ancillaire dans ce processus de communication savante.

Depuis la 2e Guerre mondiale, de grandes maisons d'édition internationales ont réussi à retourner cet ordre établi à leur avantage en prenant le contrôle d'un grand nombre de revues savantes et en influençant de plus en plus les processus d'évaluation des revues et des chercheurs. Grâce en particulier au "Science Citation Index", ces grandes maisons d'édition ont réussi à créer un système internationalisé (mais pas encore complètement mondialisé) de concurrence scientifique intense d'où a émergé une obsession pour la compétition qui se traduit elle-même en "quête d'excellence". L'utilisation de l'impact (nombre de citations reçues) et du facteur d'impact (nombre moyen de citations par article d'une revue reçues sur deux ans) sont les métriques généralement utilisées, souvent sans aucune considération pour les précautions à prendre avec de telles mesures. Ces mesures tendent à intervenir de plus en plus fortement dans l'évaluation non seulement de revues savantes, mais aussi d'individus et d'institutions. Ces mesures sont toutes entre les mains de compagnies privées (Thomson Reuters pour le Web of Science, Reed-Elsevier pour Scopus et Google pour Google Scholars). Elles tendent à engendrer un climat malsain de compétition dont l'intensité conduit régulièrement à divers effets pervers qui minent la qualité de l'ensemble. Tricher en science, par exemple, est devenu un problème significatif en recherche.

Ces remarques conduisent à une première question : comment reconstituer une "République des sciences" saine ? Et une réponse devra incorporer la question de l'évaluation en recherche. Pour recouvrer sa maîtrise entière de la phase d'édition E-1, et rétablir la supériorité des impératifs de la communication savante par rapport aux moyens de communication, les communautés de recherche doivent établir le primat de la quête de qualité sur celle de l'excellence, sans pour autant abandonner cette dernière, mais en l'articulant correctement aux questions de qualité. Les communautés de recherche doivent également revoir de près les questions de mesures de la qualité et surtout ne plus se satisfaire de mesures comme le facteur d'impact.

La communication s'est ensuite portée sur les questions de diffusion et de valorisation et c'est dans ce contexte que la question du libre accès a été abordé. Il offre des avantages fondamentaux pour le bon fonctionnement de la "Grande Conversation" des chercheurs.

Reste évidemment le problème du soutien financier du libre accès. Dans ce contexte, le modèle SCOPE actuellement étudié et négocié entre sociétés savantes de physique et bibliothèques permet d'imaginer une circuit économique raccourci et rationalisé entre les "publishers" et les bibliothèques, mais souffre du problème des 'free riders" : pourquoi certaines bibliothques devraient-elles payer pour toutes ? Ce problème, délicat, est beaucoup plus simple lorsqu'il s'allie à des questions de valorisation, si elles sont bien choisies : si une région, un pays, etc. cherche à promouvoir un certain type de contenu de recherche (p. ex. la production historique d'un pays donné, d'une région donnée, etc.), la question de l'effort à fournir, financier ou autre, se justifie dès lors beaucoup plus facilement : il s'agit d'un effort de promotion, de visibilité, de prestige local, national ou régional. Un travail important demeure donc à faire entre bibliothèques et revues savantes pour assurer ce type de soutien financier. Entre temps, pour lancer ce processus, un système temporaire de subvention gouvernementale peut-être envisagé, allant du niveau régional au niveau international. Développer ces structures en Europe constituerait un pas important dans l'élaboration de l'Aire de Recherche Européenne (European Research Area, ou ERA).

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Intervention de Jean-Claude Guédon - Professeur de littérature comparée à l'Université de Montréal, membre de l'Open Society Institute, prix d'excellence de la Society for Digital Humanities.