Pouvoirs publics

De TP INTD

L’Institut de veille sanitaire a mis en place depuis 2001 un important programme de surveillance épidémiologique du diabète, épidémie silencieuse du 21e siècle. Il lui consacre un important dossier thématique. La dimension de « produits », d’équipements de télémédecine en est absente puisque l’INVS est dévolu à la surveillance et à l’observation sanitaires et que, en vertu de son cadre déontologique, il se garde de toute approche qui contredirait le strict exercice de cette mission.

De son côté, le Comité de prospective de la CNIL propose son analyse du quantified self dans sa « lettre innovation et prospective » de juillet 2013 en le plaçant « au cœur des nouvelles pratiques numériques de santé ». Il insiste, comme c’est son rôle, sur la dimension problématique de la confidentialité des données personnelles, dans la perspective probable de la généralisation de clouds dédiés. La CNIL annonce qu’elle a réalisé une série d’enquêtes auprès de professionnels de santé notamment et qu’elle a programmé la réalisation de tests de capteurs et d’applications mobiles ; les résultats de ces études seront communiqués prochainement.

Pour elle, la « relation numérique » patient-médecin exige transparence d’utilisation et garantie de pérennité des données de la vie privée. Il nous semble qu’en tant qu’organisme officiel, la CNIL, qui, quoique d’ordinaire plus prudente, parle un peu vite de la « quantification de soi » comme d’un « mouvement citoyen de fond », sera amenée, avec d’autres instances, à prononcer une recommandation terminologique qui distinguera le quantified self en général de la mesure de soi en contexte médical – automesure est un choix possible. Cette clarification devra intervenir quand la télémédecine sera plus répandue et instituée ; elle permettra de mieux distinguer les territoires publics et privés, les sphères de la solidarité et du simple commerce. Comme nous l’avons déjà signalé, la confusion entre les dénominations de pratiques voisines est symptomatique de domaines en devenir.

L’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP) donne sur son site quelques aperçus des évolutions numériques qui interviennent dans la formation des professionnels de santé et devraient modifier la relation patient-médecin en instituant et en organisant peu à peu la pratique systématique de la télémédecine - point de trace ici, c’est clair, du quantified self :

  • plateforme de e-learning pour la formation des médecins au Dossier médical personnel (DMP)
  • espaces de collaboration sécurisés à destination des médecins, à mi-chemin entre la téléexpertise, un des aspects de la télémédecine, et la formation continue
  • l’objectif de l’intégration rapide de l’e-santé dans les formations assurées par l’École des Hautes Études en santé publique (EHESP), avec une « dimension éthique et déontologique importante ».

Dans le même ordre d’idées, l’Université de Picardie Jules-Verne à Amiens ouvre en 2014 son unité d’enseignement de télémédecine créée en 2012 dans le cadre d’un master en physiopathologie humaine aux étudiants de médecine et aux élèves d’un master informatique et instrumentation pour la biologie et la santé .

Sur un ton très différent, le ministère délégué chargé des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique offre son haut patronage à une opération nommée « My Santé mobile » , menée par deux sociétés privées : IDS Santé, cabinet de communication en santé, et Fitbit, concepteur et vendeur de produits et services de quantified self. Sur le site dédié à l’opération, la communication est de type publicitaire (de nombreux objets connectés sont promus, les logos de sociétés marchandes fleurissent), et le discours sur la santé est quelque peu directif. Le site publie les données récoltées par l’étude qui appuie l’opération elle-même, soit des chiffres concernant près de 1000 volontaires sélectionnés dans 4 villes (Bordeaux, Lille, Lyon et Montpellier) qui porte durant 6 mois un « coach électronique connecté » (Fitbit Zip) mesurant quotidiennement leur activité physique (nombre de pas, distance parcourue et calories brûlées). Pourtant, pas un mot sur le site de la question de la protection des données, ni de réflexion sur ce que peut engendrer la publication de données.

Les pouvoirs publics nous semblent constituer l’acteur le plus prudent, le plus en retrait sur la question décisive de l’évolution des rapports patient-médecin et de sa nouvelle coloration technologique. Au gré des majorités parlementaires, le débat se stabilise cependant et gagne en prégnance et en intensité. À mesure que les expérimentations en cours donneront leurs résultats et corroboreront ou non les études plus anciennes, l’autorité publique devra se lancer dans un vaste processus de consultation afin de pouvoir légiférer efficacement. Ainsi, la protection des données de santé apparaît comme la préoccupation première de la CNIL. En ce sens, telle se fait dans une certaine mesure l’écho des professionnels de la santé en voulant éviter que le stockage, l’accès, et le partage de données se fasse en dehors du cadre médical. C’est notamment l’enjeu du cloud au sein duquel sont stockées les grandes majorités des données issues des outils QS. En effet, c’est la sécurisation, la protection juridique, et la réutilisation de ses données qui est en jeu pour la CNIL. Pour l’ASIP, le besoin d’encadrer la formation des professionnels de la santé en vue d’une pratique de télémédecine participe de cette volonté de maintenir la gestion numérique des données de santé dans le cadre strict du secret médical.