Analyse de débat Capteurs/Smart Cities
Sommaire
- 1 Mise en perspective d’une veille sur les « Villes Intelligentes »
- 2 Une présentation générale des points de désaccord et des éléments non controversés
- 3 Méthodologie de la constitution du corpus pour le Textmining
- 4 Présentation des lieux de débats et liste des acteurs
- 5 Une mise en évidence des actants du débat
- 6 Conclusion
- 7 Notes et références
Mise en perspective d’une veille sur les « Villes Intelligentes »
Rappel du contexte pédagogique du projet de veille
Ce travail s’inscrit dans un cadre pédagogique qui vise à appliquer des méthodes et à acquérir des connaissances pour développer des compétences informationnelles tout en expérimentant les différents modes de travail en équipe : travail coopératif et collaboratif.
La découverte du sujet des « Villes Intelligentes » par la mise en place d’une veille s’inspire des huit étapes préconisées par la norme XP X 50 053 parue en 1998 sur les « Prestations de veille et prestations de mise en place d'un système de veille ». Les cinq premières étapes ont été relatées dans le livrable 1, qui compile également les trois principaux produits de cette veille :
• une analyse sectorielle sur les fabricants de capteurs, les capteurs étant une des technologies majeures dans le développement des « Smart Cities » ;
• le lien vers une page-portail publique hébergée sur la plateforme Netvibes qui a servi à l’agrégation de flux RSS, pour la surveillance des médias sociaux principalement ;
• une présentation des grandes tendances du sujet des « Villes Intelligentes » et des technologies qui leurs sont liées.
Ce livrable 2 est l’occasion de revenir sur la sixième étape de la veille : la synthèse et l’analyse du sujet. A cette occasion, il s’agit d’expérimenter une des méthodes de fouille de données textuelles (Textmining) et de s’essayer à l’analyse des controverses.
Les « Villes Intelligentes » : présentation et introduction à l’analyse d’un débat
Alors que nos sociétés s’acheminent vers une urbanisation croissante, complexifiant ainsi l’écosystème des villes, les technologies numériques sembleraient être la promesse d’une vie harmonieuse dans les villes du futur. Elles répondraient par ailleurs à l’injonction croissante de protection de l’environnement, tout en comblant les besoins en énergie par une production et une consommation plus efficiente de celle-ci. Pour désigner ces villes, fleurissent de nouvelles notions et expressions comme « Villes Intelligentes », « Villes Numériques », « Smart Cities », dont la presse et le Web en général se font l’écho. Les documents, issus de sources diverses repérées au cours de la veille, désignent, dans leur majorité, un nouvel équipement technologique s’additionnant aux réseaux électriques à l’origine de la 1ère révolution technologique des villes : les compteurs intelligents.
C’est aux fabricants de ces compteurs de nouvelle génération, capables non seulement de compter mais aussi d’interagir entre eux, qu’a été consacrée une analyse sectorielle. Cet état des lieux révèle un secteur particulièrement bien portant au sein d’une Industrie manufacturière française plutôt en difficulté. En se limitant au périmètre français, il est possible d’affirmer que les fabricants de capteurs et les opérateurs économiques de la filière semblent être en capacité de suivre et aussi d’impulser de nouveaux développements de technologies pour transformer les villes et par conséquent la vie de leurs habitants. Mais ces technologies qui nourrissent l’appétit des acteurs économiques et sont encouragées par les institutions [1] sont-elles à l’origine d’une controverse, à l’instar d’autres sujets de recherche scientifique et techniques comme les nanotechnologies par exemple ?
Au niveau éthique par ailleurs, dans la mesure où les capteurs relèvent et transmettent des données, devenant alors information puis connaissance sur les faits et actions de chacun, la potentialité de ces nouveaux équipements à devenir des outils de surveillance est-elle mise en exergue sur le Web ? Telles ont-été les premières hypothèses pour repérer des discours contradictoires et leurs porte-paroles.
Une présentation générale des points de désaccord et des éléments non controversés
Les éléments non controversés
Les éléments du débat qui semblent ne pas être controversés :
• La nécessité de maîtriser les dépenses énergétiques
• L’impérativité de fluidifier les déplacements dans les villes par l’amélioration de la mobilité
• Mesurer des données physiques par les capteurs dans l’optique d’une diminution de la pollution
• Relancer l’économie et l’emploi par le numérique
• Stimuler les innovations technologiques
• Améliorer l’accès aux services administratifs
Les points de désaccord
Voici l’inventaire exhaustif de points de désaccord auxquels les capteurs intelligents et la notion de « Villes Intelligentes » sont à l’origine, ou qui pourraient, à terme, se révéler en être :
Les interrogations
Les interrogations sur la propriété des données
• A qui appartiennent les données qui transitent par les capteurs, les réseaux et autres dispositifs ?
o Aux producteurs ?
o Aux propriétaires des capteurs ?
o Aux réutilisateurs et enrichisseurs de données ?
• Quels droits d’exploitation s’exercent ?
Méthodologie de la constitution du corpus pour le Textmining
Mise à part la veille pour constituer l’analyse sectorielle, essentiellement basée sur la recherche et la manipulation de données chiffrées, la veille a généré la collecte d’un important volume de textes. En rendant les données textuelles « calculables », la fouille de données textuelles, autrement nommée « Textmining », via différentes méthodes et outils, permet de faire des recoupements pour vérifier les hypothèses qui ont décidé de l’opportunité de mettre en place une veille. Dans le cas présent, il s’agit de détecter et d’analyser de possibles controverses. Le « Textmining » permet éventuellement de répondre à l’un des objectifs de la veille en général : détecter des thèmes émergeants ou des signaux faibles en vue de réorienter la veille elle-même.
Constitution du corpus
Les sources
Parce que le concept de Smart City est émergent en France, l’équipe a choisi des textes issus majoritairement de la presse généraliste (35% du corpus), mais aussi émanant des différents acteurs en présence, à savoir les acteurs publics (gouvernement, collectivités), les acteurs privés (startups, groupes industriels) mais aussi les citoyens par l’intermédiaire des blogs.
Afin d’avoir une vision plus globale du phénomène et de pouvoir approfondir le discours des citoyens, l’équipe a constitué en parallèle un corpus en langue anglaise. En effet, si les initiatives en France se multiplient, elles n’en restent pas moins en grande partie à l’état de projet ou de "quartier-test". Le corpus se constitue donc de cent textes en anglais et cent textes en français.
Pour composer un corpus diversifié et représentatif des différents points de vue des acteurs impliqués, le choix s’est porté sur les textes issus des sources suivantes :
• La presse présente généralement le concept de Smart City de manière neutre, introduisant les bénéfices liés à l’implantation du numérique au cœur des villes, tout en nuançant les avantages par l’énonciation des limites d’un tel système (exclusion, coût, protection des données personnelles).
• Les textes issus des acteurs publics, quant à eux, insistent sur l’importance de la participation du citoyen dans la construction de la Ville Intelligente mais aussi sur le partenariat primordial entre les collectivités et les acteurs privés, fournisseurs de solutions logicielles. Ils introduisent ici la problématique de la gouvernance des données récoltées par les capteurs.
• Les textes issus des acteurs privés traitent essentiellement des applications créées suite à la récolte des données et de l’amélioration du quotidien des citoyens qui en découle.
• S’il reste encore peu présent, le discours des usagers, qui s’exprime par l’intermédiaire des blogs ou des réseaux sociaux, met en avant la naissance de plusieurs controverses liées à l’implantation des capteurs dans la ville.
Les outils
La constitution du corpus s’est faite principalement par l’alimentation de textes issus non pas de la veille par la collecte automatisée mais par des textes collectés au cours de la recherche exploratoire puis par l’interrogation experte de différents moteurs de recherche et sources identifiées dans le tableau de sources.
Plusieurs raisons expliquent cette alimentation du corpus par cette voie plutôt que par les documents détectés par flux RSS. Tout d’abord, le temps nécessaire à la familiarisation avec les différents outils aux fonctionnalités partielles et non intégrées, tels que les agrégateurs de flux RSS et les outils complémentaires pour générer et filtrer des flux RSS, n’a pas permis à la collecte de se révéler immédiatement opérationnelle. Ensuite, certaines sources ne se prêtent pas à la collecte automatisée : inscription et authentification, accès payant dans certains cas et abonnement à des contenus recevables via courriel uniquement dans d’autres cas (Le Monde Informatique par exemple). Par ailleurs, l’optique de surveiller à priori les discours des citoyens sur le Web a incité à surveiller de façon automatique le Web social grâce aux Widgets de Netvibes. Or le Web social est difficile à surveiller de façon pertinente. Il nécessite du temps en aval de la collecte pour sélectionner les billets de blogs, mais aussi les commentaires de billets de blog comme le permet l’outil Mention ainsi que les Tweets et autres messages des plateformes de Microblogging et des réseaux sociaux numériques. Enfin, ce type de textes issus de ces plateformes est peu ou pas exploitable par l’outil de « Textmining » utilisé dans le cadre de ce projet de veille.
Parmi les nombreuses références trouvées dans ces sources, deux cent textes ont été sélectionnés pour l’analyse de débat. Plusieurs méthodes ont été utilisées pour les sélectionner :
• recherche experte dans les moteurs
• veille automatisée
L’outil Calliope
Textmining : utilisation de l’approche statistique basée sur la méthode des mots associés avec l’outil Calliope
A l’occasion de ce projet de veille, l’opportunité a été offerte d’utiliser un outil de « Textmining » : Calliope. S’il ne permet pas une approche sémantique comme Temis ou une approche linguistique comme TXM, Calliope, sur le modèle de Leximappe, permet une approche statistique. En effet, celui-ci quantifie les liens entre les termes qui cooccurent dans chaque texte du corpus selon la méthode dite des mots associés.
Préparation du corpus
Afin de traiter le corpus avec l’outil Calliope, une curation du fichier contenant celui-ci s’impose : suppression des marques de paragraphe puis délimitation ou balisage pour transformation au format XML du fichier contenant l’ensemble des textes sélectionnés pour le corpus. La veille sur les « Villes Intelligentes » ne se limitant pas au Web francophone, s’est alors imposé de diviser le corpus en deux corpus distincts, l’un en français, l’autre en anglais.
Extraction terminologique, constitution d’un lexique
Calliope fait une extraction automatique de la terminologie de chacun des corpus afin qu’à partir de celle-ci l’utilisateur créé un lexique dédié à chacun, en fonction de la langue, du sujet à analyser et des hypothèses à vérifier. L’utilisateur peut alors constituer un lexique avec des termes préférentiels, appelés encore métatermes, sous la forme d’unitermes ou de groupes de mots, mais aussi de termes liés pour regrouper des synonymes. Calliope indexe le corpus de texte à partir de ce lexique de termes représentatifs (métatermes). L’algorithme d’analyse du corpus par la méthode des termes associés peut alors être exécuté.
Clusterisation automatique
Calliope calcule le poids des métatermes en fonction de leurs liens avec d’autres termes. Ainsi, pour chacun, il calcule « l’indice d’équivalence». Cet indice représente la probabilité de la cooccurence de ces termes dans un même texte. Le module « Viewer » de Calliope présente le résultat de cette quantification des mots associés sous une forme graphique. Dans un diagramme stratégique, apparaissent alors des « clusters » ou groupes de termes étiquetés par métatermes. La médiane de Densité représente la plus ou moins grande structuration entre les termes des clusters ; la médiane de Centralité rend compte, quant à elle, du poids des liens externes, c’est-à-dire des liens entre ces réseaux lexicaux. Cette visualisation permet l’interprétation des résultats de l’analyse statistique des liens entre termes apparaissant dans les textes du corpus.
Présentation des lieux de débats et liste des acteurs
Les lieux de débat
Les termes du débat se trouvent principalement dans la partie Nord-Est de ces cartographies. Il s’agit donc de thèmes fédérateurs (médiane de centralité) et structurés (médiane de densité).
Le débat ne semble pas se porter dans les cercles de spécialistes, puisque peu de clusters sont présents dans la partie Nord-Ouest de nos diagrammes stratégiques, où se trouvent habituellement les thèmes isolés et très structurés.
Le citoyen et la Ville Intelligente sont donc au cœur des articles du corpus et le débat portant sur ces derniers est accessible à un grand public, ce qui s’explique par la pluralité des porte-paroles.
Les acteurs
Approche globale
Les thèmes Ville Intelligente et Smart Sensors sont avant tout associés aux acteurs Citoyen, Publics et Privés. Ce sont en effet les acteurs qui jouent - ou devraient jouer - les rôles les plus importants dans la construction des Villes Intelligentes. Cependant, même s’ils sont cités, ils ne sont pas forcément à l’origine du discours. La lecture approfondie des références permet toutefois d’identifier les porte-paroles et leurs stratégies d’intéressement.
Typologie des acteurs et des porte-paroles
Les acteurs privés
Source : [2]
Les groupes industriels et opérateurs télécoms, les startups, les Think Thanks sont les acteurs en amont de la construction des Smart Cities. Ils élaborent les nouvelles technologies et leurs applications mais gèrent également leur mise en place.
L’enjeu économique que représente le développement des villes pour les acteurs privés s’illustre dans une stratégie d’intéressement visant à présenter un discours positif diffusé par l’intermédiaire des blogs et des médias.
De plus, l’enjeu des Villes nouvelles oblige les acteurs privés à élargir le périmètre de diffusion de leurs discours au travers de nouvelles entités. Ces dernières peuvent être sous forme de partenariats (m2ocity) ou de Think Tank (ex : « Smarter Planet » d’IBM, « la Fabrique de la Cité » de Vinci, « la ville en mouvement » de PSA Peugeot Citroën).
Les acteurs publics
En France, les institutions favorisent la mise en place des nouvelles technologies au sein des villes, en partenariat avec les acteurs privés. Ce sont en effet sur leurs préconisations que sont installés les capteurs élaborés par les acteurs privés.
Le discours des institutions est donc positif, mettant en avant une meilleure qualité du quotidien des citoyens, grâce une gestion plus efficace favorisée par les solutions numériques. Pour exemple, la signature de la convention de partenariat entre la ville de Nice et Cisco pour une « ville numérique et durable » le 7 juin 2013 lors de laquelle le maire M. Christian Estrosi en parle en ces termes « […] De quoi s’agit-il ? De vous ! De la qualité de notre vie quotidienne. De la productivité de nos entreprises. De l’attractivité de notre territoire. De notre positionnement international, de notre rayonnement. »
Les citoyens
Si les discours des acteurs privés et publics mettent en avant les bénéfices que les citoyens pourront retirer des applications élaborées à partir des données récoltées par les capteurs, il est difficile aujourd’hui d’identifier la position du citoyen et leurs porte-paroles car ils sont multiples.
Le citoyen est pourtant l’élément clé de la construction des villes du futur, dans la mesure où le citoyen-usager devient producteur d’informations de par son retour d’expérience (signalement des avaries, des dysfonctionnements) et des données brutes qu’il produit (consommation d’électricité, de gaz, d’eau, de données géographiques via son GPS ou son smartphone…). Un regroupement d’experts qui se fait porte-parole autoproclamé du citoyen [3] parle ici de « Citizensor », contraction de citizen et de sensors (capteurs).
D’autres porte-paroles émergent, par exemple, l’étude Citynext [4], menée par IPSOS pour Microsoft, montre que pour 90% des français, le développement du numérique dans les villes contribue à l’amélioration de la qualité de vie. L’étude montre également que 65% des français ont confiance concernant l’utilisation de leurs données personnelles par les services municipaux.
Néanmoins, par l’intermédiaire des blogs et des réseaux sociaux, il apparaît qu’une certaine méfiance semble s’installer, notamment en ce qui concerne le respect de la vie privée et la protection de leurs données personnelles. Cette tendance est plus marquée à l’étranger qu’en France, où les expérimentations sont mises en place depuis plus longtemps, et les réactions négatives se multiplient. Les citoyens considèrent en effet que l’implantation de capteurs dans les villes n’est pas utilisée à bon escient, comme cet exemple à Londres avec les poubelles captant la présence des smartphones dont le wifi était activé, afin de servir aux passants des publicités ciblées. Le scandale qui en a découlé a provoqué la mise en place d’un décret stipulant que "la récolte de données -même anonymes - devait cesser immédiatement." [5]
Une mise en évidence des actants du débat
Les acteurs et les thèmes du corpus : réseaux socio-sémantiques
Les réseaux mettant en relation les individus et les énoncés
Analyse des réseaux sémantiques
L’approfondissement du sujet « les capteurs dans les Villes Intelligentes » par la lecture d’articles a permis à la fois d’identifier les groupes d’acteurs entrant en jeu dans l’écosystème des Smart Cities et de déterminer quels étaient les différents points de convergence entre les discours mais aussi l’émergence des controverses.
Ensuite, l’utilisation de l’outil Calliope, pour extraire les termes contenus dans le corpus de manière automatique et fondée sur des traitements statistiques et linguistiques, a permis d’illustrer les débats émergeants grâce à l’analyse des mots associés.
En effet, cette technique permet de visualiser, au travers de clusters, quels sont les liens existant entre les termes et ainsi vérifier les hypothèses concernant les différents discours, élaborées lors de la lecture des textes composant le corpus.
Le concept de Ville Intelligente
Les éléments non controversés
Objectifs communs pour tous les acteurs :
• Emergence de La Ville Intelligente en France : expérimentation à l’échelle d’un quartier
En France, les initiatives se font essentiellement par la mise en place d’ilots démonstrateurs, sous la forme de quartiers « test » dans lesquels sont implantées les nouvelles technologies à titre d’expérimentation ou de vitrines pour les opérateurs, les industriels, les entrepreneurs et les collectivités. Par exemple le quartier de la Confluence à Lyon lance la mise en œuvre d’un démonstrateur de réseau d'énergie intelligent (« smart community », pour un budget total du projet estimé à 50 millions d’euros [6]), ou le boulevard Victor Hugo à Nice, désormais surnommé « boulevard connecté » de par la multiplicité des capteurs environnementaux, de contrôle de la circulation et de lampadaires intelligents qui y ont été implantés, ou encore le réseau électrique unique et connecté Issy Grid à Issy les Moulineaux.
En parallèle des quartiers intelligents, on constate également que le nombre d’incubateurs ou pépinières (regroupement de startups dans un même lieu de travail et autour d’un même thème de réflexion, souvent liée à l’innovation) autour du développement numérique dans les villes se multiplie : « Ville de demain » (Paris incubateur suite à la forte demande des industriels), Paris 15e, « Services urbains de proximité, pour la ville connectée de demain », Paris 13e (JCDecaux en partenariat avec Paris Incubateur [7]), la Cellule Grand Lyon Expérimentation etc.
• Optimisation de la gestion des ressources énergétiques
Les éléments controversés
• La problématique des coûts
L’un des débats lié à l’introduction du numérique dans les villes est d’ordre financier. En effet, en amont se pose la question des coûts engendrés par l’installation et le fonctionnement des capteurs et compteurs intelligents. Par exemple pour Linky, l’État et ErDF sont supposés couvrir les dépenses d’installations du compteur dans les foyers français. Mais qu’en est-il des frais engendrés pour l’installation des capteurs dans la chaussée, des lampadaires intelligents, des capteurs dédiés à la collecte des déchets ? L’investissement pour les collectivités est lourd même s’il existe des subventions à l’échelle nationale et même européenne. Par exemple, en France, les fonds consacrés à la Ville Intelligente :
• Economie numérique : 4.25 milliards d’euros. Objectif : développement de réseaux à très haut débit et soutien aux usages, services et contenus numériques
• Urbanisme/logement : 1,5 milliard d’euros. Objectif : créer des démonstrateurs et des vitrines technologiques
• Transports : 2,5 milliards. Objectif : réduction des émissions de gaz à effets de serre
Il apparaît néanmoins qu’une partie du financement est supporté par les collectivités elle-même et donc par les administrés. Les citoyens sont inquiets face à l’incertitude des coûts financiers, seraient-ils consommateurs, clients et utilisateurs avant d’être citoyen ?
• La protection des données personnelles
Les questions de comment et où sont stockées les données récoltées, et surtout de quelle manière elles sont protégées, sont au centre du débat. La mise en lumière des données récoltées sur les citoyens provoque chez ceux-ci la méfiance vis-à-vis de l’utilisation qui est faite de leurs données et des risques concernant le respect de leur vie privée.
En effet, les données collectées par les capteurs intelligents peuvent être exploitées par les gouvernants et surtout par les concepteurs industriels des dispositifs technologiques, qui sont de fait les entités les plus à même de régir les centres de contrôle de la ville. C’est ainsi la question de la sécurité et de la protection des données privées qui est soulevée, puisque le partage, la vente ou revente de ces données à des fins publicitaires et lucratives est déjà une réalité.
Le piratage informatique, quant à lui, suggère la menace de vulnérabilité des villes de demain. En effet, la Ville Intelligente presque entièrement régie par la technologie et les flux de BIG DATA constituerait une cible de choix pour le cyberterrorisme ouvrant la voie au vol et à l’utilisation de ces données à des fins malveillantes mais également à la paralysie partielle voire totale de la ville et de ses citoyens.
• Vidéoprotection vs Vidéosurveillance
Dans certaines villes, les capteurs d’images et de vidéos prolifèrent au point qu’il est aisément possible de suivre les déplacements d’un individu pendant plusieurs heures sans quasiment discontinuer. L’argument principal en faveur de l’instauration de ces caméras est celui de la sécurité, surtout depuis que le terrorisme international constitue une menace latente mais intense. Elles sont également censées prévenir les débordements lors des grandes manifestations et permettent d’avoir une meilleure visibilité du trafic routier. Il s’avère cependant que malgré ces raisons, une part non négligeable des représentants de l’opinion publique accepte difficilement l’intrusion dans la vie privée, constituée par l’installation massive des caméras de vidéosurveillance.
• La place du citoyen dans la Ville Intelligente
⇒ La fracture numérique
Ces forts rapprochements attestent de l’engouement des citoyens pour les dispositifs technologiques [8] mais si aujourd’hui le numérique envahit les villes et si les capteurs sont présentés comme les éléments fondamentaux à l’élaboration d’applications visant à améliorer le quotidien, la question de l’accessibilité à ces technologies semble essentielle. Dans leur discours, les institutions présentent la modernisation des villes par le numérique comme démocratisant l’accès aux nouvelles technologies, répondant ainsi aux attentes des citoyens. Cependant, le risque de fracture numérique est bien réel, menaçant en premier lieu les individus les plus âgés et en situation de précarité.
⇒ L’asymétrie des pouvoirs décisionnels
Cette problématique apparait de façon plus manifeste dans l’analyse des clusters issus du corpus en langue anglaise.
Ces clusters suggèrent qu’il est plus question du citoyen en tant qu’acteur dans le corpus de texte anglais que dans celui en langue française. En effet, nos lectures nous ont permis d’observer que les débats et les contradictions ne portent pas sur les mêmes sujets, la controverse autour de la place du citoyen étant plus présente ailleurs qu’en France.
Une constante de cette problématisation de la place du citoyen dans la Ville Intelligente est l’asymétrie des pouvoirs. Le citoyen tendrait vers la culture, la communication, la convivialité, la communauté, le commerce, l’ouverture, c’est-à-dire vers ce qui est vivant et qui établit un lien ; pendant que les pouvoirs publics tenteraient de faire perdurer un contrôle centralisé en se focalisant sur le matériel et l’optimisation de gestion. Ils véhiculeraient une vision technocrate de la Ville : pour eux, cette dernière devrait être comprise dans les détails (récolte et exploitation de la DATA) puis maîtrisée grâce au pouvoir de la science et de l’ingénierie. C’est « la productivité inefficace » (le citoyen) contre « l’efficacité non productive » (les pouvoirs publics) dont parle Dan Hill dans son essai "On the smart city ; Or, a ‘manifesto’ for smart citizens instead". Face à deux visions différentes de l’élaboration de la ville, laquelle prédomine ? Aujourd’hui ce sont les pouvoirs publics associés aux industriels, mais les citoyens utilisent de plus en plus de nouveaux moyens pour se faire entendre.
Ainsi, le Crowdfunding, qui appartient à la même famille que le Crowdsourcing ou les Hackatons, a explosé depuis 2012. En plus de prouver l’absence de possibilité de participation dans l’élaboration de la ville de demain, il est devenu a contrario, pour les citoyens un moyen de communication et de collaboration. En effet, en créant sa propre interface collaborative, le citoyen démontre qu’il est parfaitement à même d’être source d’innovation et d’efficacité.
De plus, au vu de l’appropriation que se font déjà les individus des réseaux sociaux numériques, certains experts et représentants de l’opinion publique établissent que l’activité citoyenne pourrait se muer en activisme citoyen. Le réseau social deviendrait alors la nouvelle interface de la ville, transformant la façon dont le citoyen a d’interagir avec elle et contrebalançant par la même occasion le déséquilibre en matière de prise de décision.
Par ailleurs, une autre question soulevée dans l’ensemble du corpus (mais n’apparaissant pas au sein des clusters en français) serait celle de la crainte du basculement vers une passivité des citoyens et/ou des gouvernants. Cette passivité serait le résultat d’une trop grande propension à s’en remettre aux capteurs intelligents et autres dispositifs technologiques ainsi qu’à leurs algorithmes dans la prise de décision liée à l’élaboration et la gestion de la Ville Intelligente. Afin d’y pallier durablement, certains porte-paroles autoproclamés insistent sur la nécessité du suivi et du feedback dans l’appropriation des nouvelles technologies faisant ainsi de l’éducation le maître mot de la mutation vers le Smart Citizen.
Conclusion
Retour sur la constitution du corpus
• La délimitation spatio-temporelle et linguistique pour la constitution du corpus.
La difficulté réside entre la volonté de réaliser un instantané des contenus récemment publiés sur le Web à ce sujet et la volonté de faire émerger dans un seul et même corpus sa chronologie.
Il est par ailleurs difficile d’éliminer les publications et les sujets anciens, car sur le Web, les contenus aussi volatils qu’ils soient, sont recyclés. Même le Web dit Web Temps Réel, les sites de microblogging, font émerger de nouveau des textes et des contenus plus anciens. Si constituer deux corpus linguistiques a l’avantage de donner à comparer deux analyses et approfondir la perspective, se concentrer sur une langue aurait eu l’avantage de constituer un corpus plus volumineux et donc probablement plus significatif dans le temps imparti.
La tentation existe aussi de vouloir faire apparaître à l’issue de l’analyse automatique, tous les points de vue qui pourraient être contradictoires et qui, disséminés dans un corpus de seulement cent textes, ne seront pas exploitables.
Retour sur le « Textmining »
• La question de l’objectivité.
Les résultats de l’analyse pouvant être biaisés par l’alimentation d’un corpus ou chaque texte est choisi, plutôt que par une collecte automatique, semble être une limite à la représentation proportionnelle des discours qui s’expriment sur la Toile.
Si la méthode est statistique et l’outil initialement prévu pour traiter les champs des bases de données bibliographiques, le fait d’intervenir au niveau sémantique par la constitution d’un lexique spécifique pour élargir les potentialités de l’outil afin d’indexer du texte intégral représente-t-il un risque ? La question de biaiser les résultats se pose-t-elle ? N’y-t-il pas un risque d’interprétation trop soutenue de la terminologie qui oriente les résultats ?
Par ailleurs, même si des retours-arrières sont fréquents pour épurer un lexique, la méconnaissance des ressorts d’une telle méthode et de cet outil ainsi que l’unique expérimentation à l’occasion de ce projet de veille, peut expliquer la nécessité de passer à plusieurs reprises sur la terminologie extraite pour constituer un lexique opérationnel.
Les extensions envisagées à ce travail de « Textmining »
• Utiliser d’autres approches de « Textmining » et rendre compte de la dynamique de structuration des discours et des réseaux d’acteurs.
L’analyse des débats pourrait être complétée et enrichie par d’autres méthodes, à savoir des méthodes sémantiques et linguistiques afin, par exemple, de rendre en compte de la tonalité qui se dégage des textes. Dans le cas de l’étude de ce sujet en plusieurs langues, il faudrait lui adjoindre des outils dit « Crosslinguage ».
Enfin, il serait intéressant de renouveler à échéances régulières l’analyse avec la même démarche méthodologique, c’est-à-dire avec un corpus constitué de façon similaire et d’un nombre équivalent de textes. Toujours dans l’idée de comparer l’évolution du positionnement des métatermes, ceci afin de repérer lesquels sont émergents ou stables, voire fluctuants ou encore déclinants pour rendre compte de la dynamique de structuration du sujet des « Villes Intelligentes » dans le temps.
Notes et références
- ↑ Union Européenne. Directive 2009/72/CE du Parlement Européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE. [En ligne]. Vol. JO, n°L 211 publiée le14 août 2009 [consulté le 18 novembre 2013] <http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:211:0055:0093:fr:PDF>
- ↑ Danielou Jean. La ville intelligente : état des lieux et perspective en France. [En ligne]. Délégation au développement durable (DDD) du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD), 2012. (Etudes & documents, 73). [consulté le 13 novembre 2013]. <http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ED73.pdf>
- ↑ Hill Dan. Essay : On the smart city; Or, a « manifesto » for smart citizens instead. City Sound. [En ligne]. 1er février 2013 [consulté le 25 novembre 2013] <http://www.cityofsound.com/blog/2013/02/on-the-smart-city-a-call-for-smart-citizens-instead.html>
- ↑ RSLN Microsoft. Citynext : le numérique pour créer la ville de demain. Regards Sur Numériques [En ligne]. 13 novembre 2013. [consulté le 15 novembre 2013] <http://www.rslnmag.fr/post/2013/11/13/Citynext-le-numerique-pour-creer-la-ville-de-demain.aspx>
- ↑ Turrettini E. À Londres, des poubelles de recyclage traquaient les passants par le biais de leurs téléphones. Huffington Post [En ligne]. 13 août 2013. [consulté le 28 octobre 2013] : <http://www.huffingtonpost.fr/emily-turrettini/londres-poubelles-de-recyclage-traquaient-les-passants_b_3738564.html>
- ↑ Lyon Confluence : signature d’une convention d’engagement entre le Grand Lyon et NEDO pour la mise en œuvre d’un démonstrateur « smart community » d’ici à 2015. Site Économique du Grand Lyon. [En ligne]. 2011. [consulté le 12 novembre 2013] <http://www.economie.grandlyon.com/actualite-economie-actu-lyon.194+M5237e8b4b85.0.html>
- ↑ Paris Incubateurs et JCDecaux lancent officiellement le nouvel incubateur « Services urbains et connectés ». Paris Incubateurs. [En ligne]. 12 novembre 2012. [consulté le 12 novembre 2013] <http://www.parisincubateurs.com/services-urbains-connectes>
- ↑ Bigot Régis., Croutte Patricia., Daudey Emilie. La diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française (2013). [En ligne]. Paris : Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de Vie (Crédoc), 2013. 288 p. (Collection des rapports, 297). [consulté le 10 décembre 2013] <http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R269.pdf>
Retour vers la page de présentation du projet de veille sur Les Villes Intelligentes