Brésil. 10 de chute. Perspectives BNP-Parisbas

De IHEST France Brésil

Par Sylvain Bellefontaine. BNP Parisbas. 19 janvier 2016 email sylvain.bellefontaine@bnpparibas.com

Texte initialement diffusé sur le site de BNP-Paribas le 19 janvier 2016 : http://economic-research.bnpparibas.com/html/fr-FR/10-chute-19/01/2016,27359

résumé

Les années se suivent et pourraient se ressembler. Après une année 2015 cauchemardesque, 2016 ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices. La profonde crise politico-institutionnelle pourrait encore peser sur la confiance des agents économiques, moteur essentiel d’une hypothétique reprise économique, sur fond de contexte international difficile. Le nombre clé (mais pas magique) est 10% : c’est le niveau de la cote de popularité de la présidente, de l’inflation, du déficit public, de l’augmentation de la dette publique en un an, bientôt du taux de chômage, ainsi que du recul de l’industrie depuis 2013. Après l’échec d’une économie rentière et des politiques de relance par la demande, le salut passe par l’ouverture et un choc d’offre.


2015-2016 : copier-coller

Plus d’un an après l’éclatement du méga scandale de corruption Petrolão, les investigations judiciaires et les mises en examen se poursuivent et continuent de faire trembler l’establishment politique et économique brésilien. Suspecté dans cette affaire, le président de la Chambre des députés Eduardo Cunha (du parti centriste PMDB membre de la coalition gouvernementale) a accepté le 2 décembre l'ouverture d’une procédure de destitution à l’encontre de Dilma Rousseff, au motif de falsification des comptes publics visant à amoindrir l’ampleur du déficit budgétaire. En attendant l’ouverture de la nouvelle session parlementaire début février, nul n’est en mesure de dire si la procédure ira à son terme. Et une démission de Dilma Rousseff, malgré une cote de popularité aussi faible que 10%, ne semble pas à l’ordre du jour.

Nous avons de nouveau révisé à la baisse nos prévisions de croissance du PIB pour 2015-2017. Nous tablons désormais sur une chute cumulée du PIB réel de l’ordre de 10% entre mi-2014 et début 2017. Le climat politique, très dégradé et incertain, devrait continuer de peser sur la confiance des investisseurs et des ménages au cours des prochains trimestres. Baisse des salaires réels (-3,5% g.a. sur onze mois en 2015), montée en flèche du taux de chômage (attendu à 10% en 2016 contre 5% en 2014), probable contraction du crédit bancaire dans les prochains mois assortie d’une hausse déjà marquée des taux d’intérêt prêteurs (+700 pb en un an) ne permettent pas d’envisager une reprise à court terme. Par ailleurs, le contexte international (i.e. ralentissement chinois, reprise poussive dans les pays développés, prix des matières premières en berne) ne constitue pas un facteur de soutien pour l’économie brésilienne. Le PIB réel s’est de nouveau contracté de 1,7% (t/t cvs au T3) pour le septième trimestre consécutif (à l’exception du +0,1% au T4 2014). Sur les neuf premiers mois de 2015, le recul du PIB s’établit à 3,2% par rapport à la même période de 2014. L’investissement (19% du PIB réel) a plongé de 12,7% en glissement annuel sur neuf mois et la consommation des ménages (67%du PIB réel) de 3%.

Dans ce contexte récessif et de forte dépréciation du real (-33% face au dollar en 2015), l’ajustement des comptes externes devrait se poursuivre. L’amélioration rapide de la balance commerciale et la bonne tenue des investissements directs étrangers devraient permettre au Brésil de préserver une position de solvabilité et de liquidité extérieure solide en 2016-2017. Le risque de crise de balance des paiements n’est donc pas une source d’inquiétude, tout comme celui d’une déstabilisation du système bancaire, jugé solide, malgré une détérioration attendue de la qualité des actifs, déjà observable en 2015. A contrario, la détérioration vertigineuse des finances publiques est très préoccupante.

1- Synthèse des prévisions
1-Synthèse des prévisions

Les finances publiques à la dérive

Alimentée par la dépréciation du real, l’inflation (10,7% en 2015 contre une cible de 4,5% +/- 2pp) a atteint un niveau record depuis 2002. Mais la volonté de la banque centrale de resserrer de nouveau la politique monétaire se heurte à l’augmentation rapide de la charge d’intérêt sur la dette publique (+3,2 points de PIB de janvier à novembre 2015 par rapport à 2014 à 8,3% du PIB), qui est libellée à 93% en monnaie locale. Depuis début 2015, les taux de rendement obligataire à 4 ans ont grimpé de 350 points de base (pb) à 16,3%, et les spreads de taux à 10 ans sur les obligations souveraines en devises (510pb) ainsi que ceux des CDS à 5 ans (480pb) ont plus que doublé.

Le thème de la fiscal dominance, cher à Olivier Blanchard, ex-chef économiste du FMI (NBER Working Paper 10389, mars 2004), fait de nouveau débat au Brésil : une hausse des taux d’intérêt réels destinée à soutenir le taux de change conduirait in fine à une dépréciation de ce dernier et donc à une hausse de l’inflation. En effet, l’augmentation de la probabilité de défaut sur la dette publique domestique, associée à la hausse des taux d’intérêt génère une aversion au risque croissante des investisseurs. En conclusion, la politique monétaire est contre-productive et seule la politique budgétaire peut être un instrument efficace pour réduire l’inflation.

Fiscal dominance ou pas, le programme d’assainissement des finances publiques lancé par le ministre des Finances Joaquim Levy, il y a tout juste un an, est un échec. Le déficit primaire du secteur public consolidé s’établit à 0,7% du PIB sur les onze premiers mois de 2015 et le déficit global à 9% du PIB. Avec la réintégration dans les comptes du gouvernement fédéral de BRL 57 mds (2% du PIB) en décembre au titre du remboursement des pedaladas (dépenses affectées aux bilans des banques publiques en contravention de la loi fiscale), le déficit global devrait excéder 10% du PIB en 2015 et 2016. Conséquence directe, la dynamique de dette publique brute est alarmante, avec une hausse de 8 points de PIB en 2015 (hausse du stock de dette et chute du PIB nominal) et de 13 points de PIB supplémentaires attendue en 2016-2017, à 80% dans deux ans.

Du point de vue structurel, la rigidité budgétaire fait que la marge de manœuvre du gouvernement ne porte que sur environ 10% des dépenses dites « discrétionnaires », dont l’investissement public qui a déjà été rogné ces derniers mois. Ensuite, le poids important des prélèvements obligatoires (35% du PIB), comparativement à la moyenne des pays émergents, réduit la « tolérance » à l’impôt supplémentaire. Du point de vue conjoncturel, le marasme économique, accentué par le tour de vis budgétaire, a induit des pertes de recettes importantes. Enfin, Dilma Rousseff a été réélue d’une courte tête en octobre 2014 sur un programme plutôt social.

Et le revirement de politique, dicté par les événements, s’est confronté à l’hostilité du congrès. La difficulté à faire adopter des réformes douloureuses, la détérioration continue des comptes publics et la subséquente dégradation de la note souveraine en catégorie spéculative par Fitch en décembre 2015 (après Standard & Poor’s en septembre) auront eu raison de la ténacité de Joaquim Levy, qui a démissionné. Il a été remplacé par Nelson Barbosa, précédent ministre de la Planification et proche de la présidente. Un desserrement de la bride budgétaire est à craindre, la perte du sacrosaint statut d’investment grade étant perçu par certains comme une forme de libération de la pression des investisseurs internationaux et une aubaine plutôt qu’un signal d’alarme pour mener une politique de relance (subventions, soutien au secteur de la construction, réactivation du crédit via les banques publiques?) et essayer d’infléchir la politique monétaire.

2- Finances publiques
% PIB
2- Finances Publiques, en % du PIB

Sortir d’une économie rentière par un choc d’offre

La politique expansionniste de soutien à la demande (2011-2014) relevait d’une erreur de diagnostic économique et d’un dogmatisme politique. Si le rebond conjoncturel passe indubitablement par la poursuite des efforts budgétaires et une épuration politique à même de générer un regain de confiance des agents économiques, des réformes structurelles, axées sur l’offre, sont impératives pour consolider la croissance économique à moyen terme.

Initié dans les années 1930, l’essor du secteur industriel brésilien s’est pérennisé dans les années 1950 grâce à une stratégie de substitution aux importations. Mais le custo Brasil (en référence au coût opérationnel important associé à l’environnement des affaires) a fini par éreinter la compétitivité du secteur industriel : la production manufacturière a périclité de près de 10% depuis 2013 pour retrouver le niveau de 2005, et ce malgré l’ajustement conséquent du taux de change. Selon l’OCDE (Brazil Economic Survey, novembre 2015), la productivité par tête dans le secteur manufacturier a stagné sur la dernière décennie (en légère hausse, ajusté des heures travaillées). Elle était en 2012 cinq fois moindre que la moyenne des 41 pays émergents et développés considérés. Parallèlement, les coûts salariaux unitaires ont plus que doublé. L’industrie brésilienne génère désormais seulement 26% de la valeur ajoutée (contre 36% en moyenne dans les pays à revenus intermédiaires). Le Brésil a, de fait, une structure économique typique des pays à hauts revenus, les services étant à l’origine de plus de 70% de la valeur ajoutée.

Au final, malgré la manne des matières premières au cours des années 2000, le taux d’ouverture commerciale du Brésil est demeuré faible. Le syndrome hollandais n’est plus d’actualité et l’avenir économique du pays passe par une stratégie industrielle et d’ouverture. Le cadre réglementaire doit être simplifié, voire refondé (code du travail, fiscalité, renforcement du droit des contrats et de la justice), les protections commerciales et les barrières à l’entrée limitant la concurrence assouplies ou supprimées (peu d’accords de libre-échange, taxes à l’importation de produits intermédiaires pénalisant la compétitivité, rentes monopolistiques ou oligopolistiques). Enfin, le serpent de mer que constitue la faiblesse des infrastructures, de la formation et des politiques d’innovation doit être au cœur d’une ambitieuse politique industrielle et de relance de l’investissement.

3- Part de valeur ajoutée de l’industrie
% PIB, prix courants
3- Part de valeur ajoutée de l’industrie % PIB, prix courants



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Bellefontaine, Sylvain, "Brésil. 10 de chute. Perspectives BNP-Parisbas", Wiki France-Brésil de l'IHEST, http://france-bresil.ihest.eu/Brésil. 10 de chute. Perspectives BNP-Parisbas (Page consultée le 27/09/2024)