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Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - Michel Parisot

De Wicri Lorraine
Les embranchements ferroviaires des camps militaires américains

et des bases aériennes de l'OTAN en Lorraine.


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Auteur : Pierre Labrude et Michel Parisot

La question des embranchements ferroviaires militaires utilisés ou réalisés dans notre pays pour les besoins de l' US Army, de l' US Air Force (USAFE, E signifiant in Europe) ou de l'OTAN, n'a pratiquement pas été abordée jusqu'à présent par les historiens, qui n'y consacrent généralement que quelques mots. A notre connaissance, seules trois assez courtes notes du même auteur et spécialement dévolues à ce sujet ont paru en 2012 et 2014 dans la revue Voie étroite[1]. Ce travail pionnier mérite donc d'être salué et il faut souhaiter que d'autres lui succèdent avant qu'il ne soit trop tard. En effet, les camps et les bases qui ont été créés et utilisés entre 1950 et 1967 par les armées alliées, disparaissent actuellement pour faire place à d'autres infrastructures, cependant que notre armée abandonne peu à peu ceux qu'elle avait conservés, en raison de leur âge et de leur coût d'entretien, de l'inadaptation de certaines emprises à leur usage actuel et aussi bien sûr de la diminution importante du nombre des unités. Beaucoup de ces embranchements sont déjà déferrés et ils disparaissent maintenant dans la végétation ou à la suite d'opérations d'urbanisme. Dans les dépôts utilisés aujourd'hui par des entreprises civiles, le transfert du transport des marchandises de la voie ferrée à la route entraîne aussi la disparition de nombreux embranchements, démontés ou dissimulés sous l'enrobé d'une route.

Il est encore possible cependant de trouver des traces assez nombreuses de ces empreintes. Il est sûr par ailleurs que des archives et des plans, voire des photographies de locomotives et de convois, existent dans des dépôts officiels et dans ceux de certaines entreprises de génie civil ou de travaux ferroviaires, mais la difficulté réside dans leur localisation et dans leur accès. Par ailleurs, certaines entreprises se sont débarrassées de leurs archives… Le sujet reste toutefois encore pratiquement inconnu puisque l' Association pour l'histoire des chemins de fer nous a indiqué ne posséder aucun document[2] et que, dans celui que le Centre des Archives de la SNCF[3] nous a adressé sur ce thème, le mot "américain" n'apparaît qu'une seule fois.

Possédant un certain nombre d'éléments sur cette question en raison de l'intérêt que nous portons depuis plusieurs années à la présence des armées alliées, principalement américaine, dans notre région, et des publications que nous leur avons déjà consacrées, il nous a paru intéressant d'en faire profiter la communauté scientifique et de susciter d'autres recherches sur ce thème.

Nous envisagerons successivement un rappel sur le contexte de la création de ces installations, la question des camps et des dépôts, celle des bases aériennes, et enfin ce que nous savons - qui est assez mince - sur le matériel roulant.

LE CONTEXTE DÈS LA CRÉATION DES INSTALLATIONS.

Il faut différencier les camps et les bases aériennes. Les camps et dépôts sont créés à la suite d'accords successifs (accord Bidault-Caffery de 1948, traité de Washington de 1949, accord de défense mutuelle de 1950, accord Parodi-Bruce de 1950, puis trois autres encore ultérieurement) entre le gouvernement des États-Unis et le gouvernement français en vue de la réalisation dans notre pays d'une ligne de communication militaire (Communication Zone ou ComZ) qui joue ensuite parallèlement la rôle de zone logistique. Cette ligne traverse la France à partir de l'Atlantique en se dirigeant vers l'Allemagne, précisément depuis La Rochelle, Saint-Nazaire et Bordeaux jusqu'à Toul, Verdun, Nancy et Metz. Elle quitte ensuite le territoire français en passant par Sarrebrück ou par Kehl.

Au moment de la signature du premier accord, le 16 février 1948, il n'est pas question de bases aériennes "offensives" dans l'Est ni d'une "communauté militaire" et de ce qui apparaîtra sous l'acronyme OTAN un peu plus tard. Ces bases aériennes, pour leur part, sont d'abord créées dans le cadre de l'Armée de l'Air et dans le contexte du traité de Bruxelles, puis, le traité de Washington ayant été signé le 4 avril 1949, c'est l'OTAN qui reprend le programme initial en l'amplifiant considérablement, programme qui est connu sous le nom de "troisième tranche". La ligne de communication, qui ne comporte pas d'unités offensives (infanterie, artillerie, blindés) constitue une partie de la contribution américaine à l'OTAN.

Contrairement à ce que l'on pense généralement, dans un premier temps et comme le précise le préambule de l'accord Parodi-Bruce du 6 novembre 1950 qui est le texte qui établit avec précision l'existence de la ligne de communication[4] entre les ports français de l'Atlantique et l'Allemagne en passant par Kehl[5], [6], l'armée américaine utilise largement la voie ferroviaire pour approvisionner ses camps et dépôts pendant la période d'intégration à l'OTAN qui s'étend de 1950 à 1967, tout comme elle l'a fait en 1944-1945 en dépit des destructions massives que les installations ont subies[7]. La publication de MM. Laparra montre bien l'importance des voies ferrées et de Verdun dans la logistique américaine en 1944-1945[8]. Il est beaucoup plus facile en effet de déplacer un ensemble de chars ou de véhicules, voire des matériels quelconques encombrants ou lourds, au moyen d'un ou de plusieurs trains, qu'avec des dizaines de camions. Aussi toutes les installations importantes sont-elles reliées au réseau SNCF par un embranchement particulier et certaines disposent d'un faisceau de voies plus ou moins important, sans oublier les locomotives et les draisines indispensables. Les archives du Secrétariat général de la défense nationale pour la période de la Communication Zone évoquent les aménagements de voies ferrées réalisés au profit de l'Armée américaine, ses transports, ainsi que l'utilisation des voies SNCF et des hôpitaux français par les Américains en temps de guerre[9].

L' US Army dispose d'une structure responsable de l'organisation de ses transports par voie ferrée, tant de passagers et de blessés que de marchandises, comme on peut s'en rendre compte en consultant le document US Army Railway Maintenance Activity, Rheinau présent sur le site Internet US Army in Germany[10].

Dans notre région, le 97th Engineer Battalion (Construction), qui est présent depuis 1951 et dont les compagnies sont réparties entre Dommartin-les-Toul (à l'intérieur du site où est construit l'hôpital militaire Jeanne d'Arc et qui comporte aussi d'autres installations militaires), Étain, Vassincourt et Verdun, installe à Dommartin un centre d'entraînement où les GI's s'exercent, entre autres activités, à monter et démonter des ponts ferroviaires[11], [12].

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - construction pont.jpg
Figure 1 : construction d'un pont ferroviaire dans l'enceinte de l'hôpital Jeanne d'Arc à Dommartin-les-Toul vers 1960 (photographie due à la courtoisie de M. Donald M. Ricks).

LES CAMPS ET LES DÉPÔTS.

Les grands camps américains de la ligne de communication disposent d'un embranchement ferroviaire et d'un ensemble de voies de manoeuvre, de déchargement et de garage, avec des quais et des rampes d'accès. Les articles précités se sont limités à la région de Nancy (Nancy Ordnance Depot en Forêt de Haye)[13] et de Toul (Toul Engineer Depot sur l'ancien terrain d'aviation de la Croix-de-Metz), mais d'importants dépôts dotés de voies ferrées existent aussi à Woippy au nord de l'agglomération messine et à Verdun dans la zone appelée Chicago - là où est installé aujourd'hui Maxi Mo - où se trouvent des installations de stockage et la blanchisserie[14] ainsi que dans l'ancienne usine La Viscose - encore appelée Verdun Textile, actuellement l'Espace Doumenc - qui abrite alors le dépôt des transmissions (Verdun Signal Depot)[15]. Ces deux localisations dévolues à l' US Army ont l'avantage de se trouver à proximité de la gare SNCF de Verdun. On sait que Chicago reçoit de quinze à vingt wagons par jour à l'époque où la garnison américaine est à son maximum.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - Les installations ferroviaires.jpg
Figure 2 : les installations ferroviaires (la gare de marchandises) du dépôt de la Forêt-de-Haye. Extrait d'une carte du General Depot Complex Nancy, datant de 1966, offerte à P. Labrude par M. Steinbach, de l'ONF).
Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - plan du dépôt.jpg
Figure 3 : plan du dépôt appelé Chicago montrant ses voies ferrées (collection particulière).

De telles installations se retrouvent bien sûr en dehors de notre région, par exemple dans le camp de Saint-Ustre à Ingrandes près de Chatellerault ou dans celui de Saint-Benoît-la-Forêt près de Chinon. Tous les dépôts américains n'en disposent cependant pas, même si une voie ferrée longe l'emprise. C'est le cas pour le dépôt d'armes chimiques installé dans l'ancien quartier de cavalerie Harville à Sampigny dans la Meuse, bien qu'il soit bordé par la voie ferrée Lerouville-Verdun. Son importance ne le justifie sans doute pas.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - plan 2.jpg
Figure 4 : plan de Verdun Signal Depot montrant son embranchement ferroviaire (collection particulière).
Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - les bâtiments.jpg
Figure 5 : les bâtiments entre lesquels se trouvait l'embranchement de Verdun Signal Depot, dans leur état actuel (photographie M. Parisot).

Les mouvements des munitions de l' US Army et sans doute aussi de l' USAFE utilisent beaucoup la voie ferrée qui permet d'acheminer une grande masse de produits pondéreux dans chaque convoi. Les dépôts de l' US Army sont au nombre de deux en Lorraine : le dépôt majeur de Trois-Fontaines dont les emprises recouvrent des forêts situées dans les départements de la Meuse, de la Marne et de la Haute-Marne, et son annexe du Rozelier à Verdun, sur le site du fort du même nom, encore utilisé actuellement par l'Armée française. La base-vie du dépôt de Trois-Fontaines (Command Support Center) est située au bord de la voie ferrée Saint-Dizier/Revigny. Celle-ci est reconstruite et ré-ouverte entre Revigny-sur-Ornain et Mognéville au moment de la création du dépôt et à son usage exclusif selon Schontz et alii[16] cependant qu'un embranchement est établi en face de cette base de l'autre côté e la route Baudonvilliers/Robert-Espagne[17]. La plate-forme de la voie ferrée est encore visible actuellement et il reste des traces des installations dans la forêt où se trouvait le dépôt de munitions.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - extrait d'un plan du dépôt de Trois-Fontaines.jpg
Figure 6 : extrait d'un plan du dépôt de Trois-Fontaines (Trois Fontaines Ammunition Depot) montrant son embranchement et ses voies de garage (collection particulière).

Des habitants des localités environnantes nous ont indiqué qu'un train desservait chaque jour Trois-Fontaines, arrivant de Revigny en fin de matinée et repartant en début d'après-midi. Mais il faudrait en savoir plus : qu'est-ce qui caractérise un train de munitions, combien comporte-t-il habituellement de wagons, de quelle capacité et comment sont-ils chargés, par quel type de locomotive est-il tracté sur la voie SNCF hors du dépôt puis dans son enceinte ?

Au Rozelier, la voie ferrée, aujourd'hui déferrée depuis 2009, s'embranchait sur la ligne SNCF entre Etain et Verdun au niveau de la gare d'Eix-Abaucourt[18]. Cette ligne était alors à double voie depuis 1935[19], ce qui ne pouvait que faciliter la manœuvre des rames. La voie militaire est créée spécialement pour desservir le dépôt de munitions américain et elle serpente pour gravir la rampe jusqu'à l'atteindre. Sa trace reste encore bien visible par les ouvrages d'art et l'ancienne plate-forme en remblai ou en tranchée qui a été réalisée à cette occasion et qui a demandé beaucoup de moyens et d'efforts. La figure 8 en montre le tracé, dessiné par l'officier français du Génie chargé de la liaison avec l' US Army.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - la gare d'Eix-Abaucourt.jpg
Figure 7 : la gare d'Eix-Abaucourt à l'époque du dépôt américain avec, au premier plan, la voie ferrée militaire (collection particulière).
Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - plan de l'embranchement.jpg
Figure 8 : plan de l'embranchement spécial de desserte du dépôt du Rozelier (collection particulière).

Le ravitaillement en carburants utilise aussi largement la voie ferrée, en particulier pour les bases aériennes lorsque les oléoducs ne sont pas terminés ou lorsqu'il n'en est pas prévu, et les articles précités1 le font bien ressortir. Le dépôt de Saint-Baussant, élément de l'oléoduc Donges-Metz, dispose d'un embranchement relié à la voie ferrée Lérouville-Onville qui passe tout à côté.

Certains établissements sanitaires sont concernés par les embranchements ferroviaires car il y existe, à côté d'un hôpital, un dépôt sanitaire, et leur importance est comparable à celle des grands dépôts du Génie (Toul par exemple) ou du Matériel au sens large (Ordnance) comme celui de la Forêt-de-Haye. Ces dépôts sanitaires sont au nombre de trois dans notre pays : Marolles (Vitry-le-François), Chanteau-La Foulonnerie (près d'Orléans) et Croix-Chapeau (Aigrefeuille d'Aunis, près de La Rochelle). Toutefois, il n'a pas été établi d'embranchement pour le dépôt qui a précédé Marolles, situé à Vassincourt dans la Meuse et pourtant proche de la voie ferrée Revigny-Bar-le-Duc. Il n'était sans doute pas assez important et il aurait nécessité une forte rampe et un large détour. Cependant, un plan, malheureusement de mauvaise qualité, mis à notre disposition par le propriétaire du site, montre un dessin qui peut faire penser à un projet de voie ferrée, dans une partie du camp qui a finalement été aménagée autrement[20].

Pour les autres hôpitaux dont dispose l' US Army, comme ceux de Dommartin-les-Toul et de Verdun dans notre région, et qui ne sont pas reliés au réseau SNCF, les blessés auraient été transportés dans des gares par des norias de véhicules sanitaires. Il était en effet prévu qu'en cas de conflit, les Américains utiliseraient des voies ferrées dans notre pays[21]. Ceci revient à dire qu'il auraient fait stationner des trains et des autorails sanitaires dans des gares préalablement définies en accord avec les autorités de notre pays, et certainement choisies en raison de la qualité et de la richesse de leurs infrastructures (voies et quais militaires, raccordements, présence d'un dépôt, etc.) et aussi sans doute de leur relative tranquillité et de leur proximité avec les hôpitaux.

L'Armée américaine utilise également des embranchements pré-existants. En effet, la France lui concède des infrastructures militaires qui avaient auparavant nécessité de telles installations. Dans notre région, c'est le cas dans la ligne Maginot où des dépôts de munitions sont reliés au réseau SNCF. C'est ainsi que l' US Army emploie l'ancien dépôt avancé du Bois de Saint-Hubert à Richemont/Uckange, où des rames de wagons de munitions stationnent[22], [23], [24]; la photographie aérienne montre très bien les passages dans la forêt. Il en est de même à Ebersviller/Aboncourt, sur la ligne SNCF entre Hombourg-Budange et Anzeling, près des gros ouvrages Maginot de Michelsberg et d'Anzeling, où les Américains stockent du matériel et des munitions et emploient des bâtiments de l'ancien camp de sûreté d'Ising, et où les voies des dépôts sont certainement dissimulées dans la forêt comme usuellement. Un dépôt se trouve aussi à Piblange, dans le voisinage, en relation avec une autre voie ferrée[25].

Il en est de même pour les installations de Woippy à quelques kilomètres au nord de Metz, où l'ancien dépôt du Génie de la région fortifiée de Metz dispose d'un réseau de plusieurs voies embranché sur la ligne Metz-Thionville. L' US Army reprend cet embranchement et l'utilise abondamment ainsi qu'en attestent les documents et les photographies aériennes[26]. L'un des ouvrages du général Denis[27] montre bien cet embranchement qui existe encore dans l'actuel quartier Colonel Clerc de l'arme du Matériel, mais dont le développement a été réduit.

Les gares à fort trafic militaire américain accueillent un bureau spécialisé dit RTO (Rail Transport Office). Il est vraisemblable aussi que certaines gares proches d'installations non reliées au réseau SNCF bénéficient de modifications du plan de leurs voies en vue du transbordement de marchandises entre les wagons et les camions semi-remorques dont l' US Army fait un très large usage et dont le trafic incessant aux alentours de leurs installations est encore dans la mémoire des plus âgés d'entre nous. Il semble que de telles installations sont réalisées en gare de Bouconville, sur la ligne Lérouville-Arnaville, peut-être pour desservir le dépôt de Sampigny de l' US Army et le dépôt de munitions conventionnelles situé dans la Forêt de Gobessart, dont la base-vie se trouve à Saint-Mihiel et qui dépend de l' USAFE pendant presque toute la durée de son existence. Cette gare située en pleine campagne ne semble en effet pas justifier les infrastructures qui existent toujours et celles que l'on peut encore deviner. Une recherche sur ce point est nécessaire.


LES BASES AÉRIENNES.

Les bases aériennes sont construites ou transformées selon les normes de l'OTAN et dans son contexte, même si c'est la France qui décide de leur création, de leur emplacement et de leur affectation, et qui organise leur réalisation sous l'égide des Ponts et Chaussées. Ces infrastructures importantes se subdivisent en trois catégories selon leur emploi et leur équipement : les bases opérationnelles qui accueillent en permanence des unités aériennes, les bases de dispersion qui disposent d'équipements comparables aux précédentes mais qui ne reçoivent pas d'unités aériennes en permanence, et les bases de secours qui ne sont équipées que d'infrastructures aéronautiques et de dépôts de carburants et de munitions, et qui ne possèdent pas de bâtiments pour les opérations, l'entretien des avions et le logement des personnels.

Les bases opérationnelles et de dispersion sont attribuées à telle ou telle nation de l'OTAN - dans notre pays, les États-Unis et le Canada -, à la suite d'un accord avec le pays hôte. Dans notre région, toutes ces bases opérationnelles sont reliées au réseau SNCF. Il s'agit de Chambley-Bussières, Étain-Rouvres[28], Phalsbourg-Bourscheid, Toul-Rosières[29] et, une peu plus loin de nous, en Haute-Marne, Chaumont-Semoutiers[30]. Toutefois cette situation n'est pas générale, même pour les installations attribuées à l'USAFE, comme en témoigne la base de Dreux-Louvilliers, bien que très importante mais trop éloignée d'une voie ferrée. Il en est de même pour les deux bases canadiennes de Grostenquin (Moselle) et de Marville (Meuse), sans doute pour la même raison.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - l'embranchement ferroviaire.jpg
Figure 9 : l'embranchement ferroviaire de la base d'Étain-Rouvres, dans son état actuel (photographie M. Parisot).
Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - plan de la base aérienne de Toul-Rosières.jpg
Figure 10 : plan de la base aérienne de Toul-Rosières (TRAB pour l' USAFE) montrant les différentes installations et la voie ferrée (trait noir) (photographie de l'association TRAB 136, avec l'autorisation de M. Gérard Bize, à qui les auteurs expriment leur gratitude).

Sur la base de Toul-Rosières, l'embranchement, long d'environ quinze kilomètres, est réalisé dès la construction, c'est-à-dire dès 1953. Une photographie publiée dans l'ouvrage Base aérienne de Toul-Rosières Du zénith au Nadir[31], montre une rame de wagons en stationnement le long des premiers magasins, construits dans l'attente des entrepôts "en dur" et desservis par deux voies ferrées[32].

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - les premiers entrepôts.jpg
Figure 11 : les premiers entrepôts de la base de Toul-Rosières et la voie ferrée les desservant (photographie TRAB 136 avec autorisation).

Les magasins définitifs se trouvent le long de Manhattan Avenue, et comportent un quai de déchargement en correspondance avec une voie[33].

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - un entrepôt définitif.jpg
Figure 12 : un entrepôt "définitif" en fin de construction avec la voie ferrée qui le dessert (photographie TRAB 136 avec autorisation).

Le site Internet de l'ancienne base[34] indique que "plusieurs fois par jour, des wagons sont livrés pour réapprovisionner en produits divers les différents entrepôts et les magasins de l' AFEX". Ce sigle désigne l' Air Force Europe Exchange, encore appelé Army and Air Force Exchange Service Europe, c'est-à-dire le magasin de l'organisation où les militaires de la base et leurs familles peuvent acquérir ou commander presque tous les produits d'origine américaine, française ou autre, dont ils ont besoin pour leur vie quotidienne. Appelé couramment Base Exchange ou BX par ses utilisateurs, c'est un supermarché comme nous n'en connaissons encore pas en France, et il est présent sur toutes les structures de l' USAFE suffisamment importantes. La station-service pour le ravitaillement en carburant et l'entretien des voitures particulières en est un autre élément, et ses ingrédients lui sont livrés par le biais de l'embranchement ferroviaire.

Quatre bases opérationnelles de dispersion (Dispersed Operating Base ou DOB) sont dévolues aux Américains par l'accord du 7 novembre 1956, et l'une d'entre elles, Lunéville-Chenevières, se trouve en Lorraine. A notre connaissance, cette dernière et celle de Vouziers-Séchault (dans les Ardennes), ne sont pas reliées à la voie ferrée. Vouziers-Séchault aurait pu l'être aisément. Les deux autres bases de cette classe : Vatry (dite habituellement "Châlons-Vatry", en Champagne) et Brienne-le-Château (dans l'Aube) font l'objet d'une liaison, celle-ci ayant été facile à réaliser puisqu'une voie ferrée passe à proximité. Les plans de ces deux bases font foi de cette réalisation et les traces en sont encore visibles sur les photographies aériennes. Au contraire, bien qu'une voie ferrée soit aussi très proche de la base de Chenevières, une telle liaison n'a pas été construite, bien qu'il nous a été indiqué par un habitant que des travaux étaient envisagés au moment où la France a quitté le commandement intégré de l'OTAN en 1966-1967. L'intérêt de telles liaisons peut s'expliquer par le fait que les accords gouvernementaux permettent à l' USAFE d'employer ces bases chaque année pendant un certain temps, qu'elle y déploie donc des escadrons venus de ses bases opérationnelles voisines, et qu'elle peut aussi y stocker divers matériels.

Les autres bases aériennes, dites de secours, une dizaine dans l'Est et le nord de notre pays, utilisables par l' US Air Force en vertu de l'arrangement du 8 février 1958, ne sont pas reliées, même quand la voie ferrée est toute proche, comme à Mirecourt[35], dans le département des Vosges, où la création d'un embranchement n'est jamais envisagée comme en témoigne un courrier conservé aux Archives départementales à Épinal. Il en est de même à Damblain, dans le même département, où la base est classiquement considérée comme de secours, alors qu'il semble au vu de certains documents qu'elle est plutôt considérée comme une base de dispersion. Pour celle-ci, il n'y a jamais eu de liaison ferrée en dépit du fait que la voie ferrée Nancy-Dijon passe à quelques centaines de mètres de sa clôture. La situation est restée similaire à Lure-Malbouhans, en Haute-Saône, où la voie ferrée vers Belfort se trouve à l'extrémité de la piste.

LE MATÉRIEL ROULANT.

Jusqu'à la publication récente de photographies dans le numéro précité de la revue Voie étroite en 2014[36], l'iconographie disponible était rare, sauf peut-être dans des structures ou chez des personnes très spécialisées. Nous avons connaissance de deux photographies présentées il y a bien longtemps par la revue Rail Magazine. Il s'agit d'abord de la locomotive diesel américaine MRS1 n° 1818 vue à la gare Paris-Nord en 1949 puis à Anchorage en 1979[37]. La SNCF procède à des essais de cette motrice d'octobre 1953 à janvier 1954 sur son réseau entre Nantes et Bordeaux ainsi qu'en Charente, puis sur la ligne de Haute-Savoie jusqu'à Saint-Gervais ainsi qu'en témoignent trois photographies parues dans la revue Correspondances ferroviaires en 2006[38]. Il faut toutefois préciser que cette motrice ne circule pas en France dans le cadre de l' US Army puisqu'elle est alors affectée en Allemagne.

La seconde photographie parue dans Rail Magazine[39], montre un locotracteur diesel de type BB à cabine centrale, ex-US Army et ex-Chemins de fer de la Gironde dont on trouve nombre de photographies sur Internet. Il y est indiqué que les locotracteurs de ce type sont arrivés dans notre pays en 1944 et qu'il en est qui sont cédés à la SNCF et à différentes sociétés. Toutefois certains d'entre eux restent en usage dans l' US Army ultérieurement et dans notre pays comme le prouvent deux photographies publiées récemment par M. Jean-Pierre Mercier dans son ouvrage Camps américains en Aquitaine et en Poitou-Charentes : un déraillement avec la motrice diesel n° 8582 qui appartient manifestement à cette série. Deux autres photographies montrent des wagons et une grue sur rail[40].

Nous présentons ci-dessous plusieurs photographies prises à Verdun, à des dates non précisées, dans les installations de l' US Army. La première photographie[41] représente un locotracteur diesel de type 4000 à cabine d'extrémité, photographié à l'intérieur du dépôt de munitions du Rozelier. Dans le cadre de leurs déplacements dans de tels dépôts et dans ceux de carburants, les échappements de ces machines doivent être équipés de dispositifs de sécurité.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude -un locotracteur.jpg
Figure 13 : un locotracteur de type 4000 dans l'enceinte du dépôt américain du Rozelier (collection particulière).

Il est arrivé, nous a-t-on raconté, que, faute d'autre moyen de traction, une locomotive à vapeur de type 140 C, comme le dépôt SNCF de Verdun en possède à cette époque, assure la traction de rames jusqu'à l'intérieur de ce dépôt.

La seconde photographie[42] concerne un camion Reo équipé de roues ferroviaires, photographié dans l'enceinte du dépôt appelé Chicago, alors qu'il déplace un wagon.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - un camion Reo.jpg
Figure 14 : un camion Reo à roues ferroviaires dans le dépôt appelé Chicago à Verdun (collection particulière).

L' US Army et l' USAFE emploient des Dodge transformés, comme le camion ci-dessus (figure 14), ainsi que le montre une photographie parue dans la revue Charge Utile[43] où l'on voit un tel véhicule de modèle M37. Auparavant, ces armées ont sans doute employé des Dodge Weapon Carriers comme l'Armée française en possède également[44].

Il existe certainement aussi des dispositifs très simples, comme des tracteurs agricoles légèrement modifiés, pour les établissements peu importants nécessitant cependant un moyen de déplacement. De toutes petites draisines, sans doute destinées au contrôle des voies, sont connues. La photographie 15 montre un de ces engins, photographié à l'intérieur du dépôt de munitions du Rozelier. Une étude précise et si possible complète de tous ces engins de traction et des rames qu'ils mettaient en mouvement serait d'un grand intérêt.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (12-2014) Pierre Labrude - une draisine.jpg
Figure 15 : une draisine d'inspection des voies dans le dépôt du Rozelier (collection particulière).

CONCLUSION.

Au terme de cette présentation d'un sujet presque inconnu des historiens, il apparaît que les infrastructures ferroviaires de l'Armée des États-Unis dans notre région sont nombreuses et importantes, qu'elles perdurent pendant toute la durée de sa présence, qu'elles conduisent à la remise en état de voies que la SNCF aurait certainement laissées à l'abandon après les destructions qu'elles avaient subies en 1944-1945, et même qu'il est semble-t-il question d'en créer de nouvelles au moment où la France décide que cette armée doit quitter le sol de notre pays… Ces voies servent encore beaucoup à l'occasion de ce départ, en particulier pour faire transiter du matériel vers l'Allemagne, au cours de l'opération dite Freloc[45], [46] - pour Fast Relocalisation (from France) - ainsi qu'en témoigne par exemple la photographie parue dans le quotidien local d'une rame de wagons chargés de caravanes provenant du Trailer Park d'Etain-Rouvres Air Base.

Cette note ne concerne que la présence militaire américaine en France à l'époque de l'intégration à l'OTAN, puisque les bases de l' US Army, constituées dans un contexte particulier, représentent ultérieurement la contribution des États-Unis aux moyens de l'OTAN, et que seules les bases aériennes dévolues à l' USAFE reçoivent des embranchements ferroviaires. Depuis le départ de ces forces il y aura bientôt un demi-siècle, les historiens "professionnels" n'ont consacré presque aucun travail aux infrastructures et aux bâtiments, sauf aux bases aériennes qui sont toujours spectaculaires. Aujourd'hui les différentes traces (voies, rails, traverses, plate-formes, ouvrages d'art, etc.) de cette présence militaire étrangère disparaissent à un rythme de plus en plus rapide et il sera bientôt trop tard pour en relever les empreintes. Ce travail est destiné à favoriser cet objectif.

NOTES.

  1. J. Spaite, « Le rail au service de l'OTAN», Voie étroite, 2012, n° 248, p. 32-33 et n° 249, p. 29-31.
  2. Courriel en date du 6 octobre 2014, de M. Christian Fonnet, que les auteurs remercient.
  3. Courriel avec document attaché, en date du 8 octobre 2014, de M. Jean-Paul Berthet, que les auteurs remercient.
  4. O. Pottier, Les bases américaines en France (1950-1967), L'Harmattan, Paris, 2003, 376 p., en particulier ici l'introduction et le chapitre premier.
  5. P. Facon, « Les bases américaines en France (1945-1958). Entre les nécessités de la sécurité et les impératifs de la souveraineté nationale», Matériaux pour l'histoire de notre temps, 1992, n° 29, p. 27-32.
  6. J. Raflik, « Lorsque l'OTAN s'est installée en France…», Relations internationales, 2007, n° 129, p. 37-49.
  7. N. Aubin, Les routes de la liberté La logistique américaine en France et en Allemagne, 1944-1945, Histoire et collections, Paris, 2014, 224 p., passim.
  8. J. Laparra et J.-C. Laparra , « Verdun, poumon logistique de l'armée américaine 1944-1945», Bulletin des sociétés d'histoire et d'archéologie de la Meuse, 2010-2011, n° 42-43, p. 79-123.
  9. M.A. Corvisier de Villèle, T. Sarmant et al, Inventaire de la série Q, Secrétariat général de la Défense nationale 1944-1978, index général, Service historique de la défense, Vincennes, 2000, 159 p., ici p. 52, 57, 66, 82, 148, 154 et 157. Les documents utiles se trouvent dans la sous-série 12 Q.
  10. http://www.usarmygermany.com/Sont.htm, consulté le 10 octobre 2014.
  11. P. Labrude, « La B Company du 97th Engineer Battalion (Construction) à Toul Engineer Depot puis à Jeanne d'Arc Caserne à l'époque de l'intégration à l'OTAN (1951-1967)», Études touloises, Toul, 2012, n° 142, p. 9-17.
  12. Voir figure 1
  13. Voir figure 2.
  14. Voir figure 3.
  15. Voir figures 4 et 5
  16. A. Schontz , A. Felten et M. Gourlot, Le chemin de fer en Lorraine, Metz, Éditions Serpenoise, 1999, p. 142-144 (Vouziers-Revigny-Saint-Dizier).
  17. Voir figure 6
  18. Voir la figure 7
  19. A. Schontz et al., op. cit., p. 74 (Verdun-Étain).
  20. P. Labrude, Une empreinte militaire de la période de la Communication Zone en Meuse : les établissements médico-sociaux de l' ADEIPEM à Vassincourt, un ancien hôpital et un ancien dépôt sanitaire américains (1951-1967), en ligne sur ce site.
  21. M.A. Corvisier de Villèle, T. Sarmant et al, op. cit., p. 157.
  22. P. Truttmann, La Muraille de France ou la ligne Maginot, Thionville, Gérard Klopp, 1985, "Dépôts de munitions et de matériel du Génie", p. 436-437.
  23. P. Labrude, « L'Armée américaine en Moselle dans le cadre de l'OTAN de 1950 à 1967. Pourquoi, où, comment ? Que reste t-il aujourd'hui de cette présence et des installations réalisées pendant cette période ?», Mémoires de l'Académie nationale de Metz, 2009, 7e série, vol. 22, p. 89-115.
  24. Le Dépôt de munitions de Saint-Hubert en forêt de Gandrange Richemont, document anonyme dactylographié de 78 pages, communiqué par un confrère de l'Académie nationale de Metz en 2009, comportant de nombreux plans ainsi qu'un alinéa consacré à la présence du dépôt américain entre 1950 et 1962, avec le plan d'un bâtiment et une photographie, aux pages 63-65.
  25. A. Schontz et al, op. cit., p. 223 (Metz-Bettelainville-Anzeling).
  26. www.raconte-moi-woippy.net/rues/routesrombas/steagate.htm#camp, consulté le 10 octobre 2014.
  27. P. Denis, La Garnison de Metz 1976-2002, Metz, Éditions Serpenoise, 2004, p. 62.
  28. Voir figure 9
  29. Voir figure 10
  30. J. MacAuliffe, U.S. Air Force in France 1950-1967, San Diego (CA 92110), Milspec Press, 2005, p. 167 (Chambley-Bussières), 284 (Etain-Rouvres), 372 (Phalsbourg-Bourscheid) et p. 388 (Toul-Rosières). Pour Chaumont-Semoutiers, l'auteur n'a pas représenté la voie ferrée. Il en est de même pour les bases de dispersion, p. 411-426.
  31. Base aérienne de Toul-Rosières Du Zénith au Nadir, ouvrage commémoratif collectif, base aérienne 136, APRAA 07/510, sans date, appendice 0, p. 62 à 64.
  32. Voir figure 11.
  33. Voir figure 12.
  34. http://136.fr/30.html (TRAB 1952-1954, visite de TRAB), consulté le 10 octobre 2014.
  35. P. Labrude et A. Faliguerho, Une base aérienne de secours de la période d'intégration à l'OTAN : "Mirecourt" souvent appelée "Mirecourt-Juvaincourt" (1952-1967), en ligne sur ce site.
  36. J. Spaite, op. cit., 2014, n° 260, p. 33-35.
  37. Rail Magazine, 1980, n° 38, p. 25.
  38. J.-H. Lavie, « 060 DU 1818 : l'Américaine enquête», Correspondances ferroviaires, 2006, n° 28, p. 2 de couverture. Plusieurs rubriques sont consacrées à cette locomotive sur Internet dans les sites Forum LR Presse.
  39. Rail Magazine, 1979, n° 31, p. 35.
  40. J.-P. Mercier, Camps américains en Aquitaine et en Poitou-Charentes, tome III, Éditions des régionalismes, Cressé, 2013, p. 26 et 27.
  41. Voir figure 13.
  42. Voir figure 14.
  43. J.-M. Boniface, « Le Dodge M 37 », Charge Utile, 2010, n° 208, p. 65.
  44. J.-M. Boniface, « Le Dodge Weapons Carrier », Charge Utile, 2003, n° 132, p. 61 et 62.
  45. O. Potier, op. cit., p. 331-336.
  46. Movement of american forces from France (Operation Freloc, Report of the Congress, US GAO Auditing and financial management. Disponible en ligne. http://www.gao.gov/products/087843, 28 pages au total, consulté le 10 octobre 2014.