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Empreinte militaire en Lorraine (11-2013) Laurent Jalabert

De Wicri Lorraine
L'empreinte de l'armée à Saint-Mihiel : marques spatiales du passé militaire d'une ville de la frontière (XVIIIe-XXe siècles).


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Auteur : Laurent Jalabert


Le propos qui suit s'insère dans le cadre d'une réflexion d'ensemble, d'un projet de recherche qui vise à montrer la multiplicité des traces de la présence militaire dans le paysage lorrain, traces qui ont évolué au gré de l'avancée de la frontière politique et des aléas guerriers. À ce titre, la ville de Saint-Mihiel est assez exemplaire et mérite une attention toute particulière, comme a pu le laisser entrevoir un article de Gérard Canini[1] de 1973.

En effet, capitale du Barrois non-mouvant, cité qui accueillait les Grands Jours, dont la prospérité passée se lit encore dans une partie de l'habitat du vieux bourg, Saint-Mihiel est devenue progressivement une ville de garnison mais seulement pour un temps relativement court au regard d'une ville comme Verdun. Pour brosser en quelques mots le tableau, la ville voit l'implantation d'une petite garnison avec le développement de la présence française au XVIIIe siècle, présence militaire modeste qui se maintient au cours d'une grande partie du XIXe siècle, avant le choc de 1870. À compter de cette date, le destin urbain bascule : la ville devient une très grosse ville de garnison, au prorata de la population civile, mais seulement jusqu'en 1914 : la guerre brise le destin militaire de Saint-Mihiel.

Évoquer l'idée de l'empreinte militaire, c'est ouvrir le champ sur les traces de la guerre, encore ponctuellement lisibles dans l'espace urbain mais surtout dans la forêt environnante. Ce n'est pas l'objet du propos qui est davantage centré sur les traces du passé militaire et non guerrier. Il s'agit donc de balayer les traces d'une mémoire en grande partie disparue, d'un héritage oublié en grande partie, ce qui devient l'actualité pour des villes actuelles qui ont perdu leurs dernières garnisons.

UNE PETITE GARNISON SUR LA MEUSE.

Comme tant d'autres villes sous l'Ancien régime, Saint-Mihiel était fortifiée. Longtemps, l'enceinte urbaine traditionnelle enserre le bourg[2], avec son château devenu inutile et en ruines[3], éléments dont la toponymie garde la mémoire (rue Porte à Metz, à Nancy) ou dont des lieux conservent encore la trace (comme au 5, rue du Faubourg Saint-Christophe ou une tour au 1 rue Notre-Dame). Comme dans nombre de villes de la région, le passage et le logement de troupes étaient courants; avec l'absorption des duchés lorrains par la France, au XVIIIe siècle, Saint-Mihiel prend modestement l'allure d'une petite ville de garnison[4] , à l'exemple de ce qui se déroulait à Verdun – à une échelle différente – depuis les années 1730. Le logement chez l'habitant suppose l'éparpillement de la présence militaire avec pourtant un point de fixation dans le quartier de la Halle pour les écuries.

En effet, l'occupation militaire des duchés occasionnait la présence de troupes, ce qui obligea le Ville à trouver de nouvelles écuries : c'est alors la Halle, située sur un terrain de l'abbaye bénédictine, qui en remplit l'office, d'où des plaintes des religieux en 1730 et encore en mars 1749. Tout cela en vain car, en 1809, les écuries de la Halle sont encore bien présentes[5]. Cette partie de la construction fut cédée au Ministère de la Guerre en 1816, à l'origine pour y dresser à nouveau des écuries, mais l'armée y installa une manutention pour ses besoins. C'est également derrière cette Halle que s'établit un manège. Quelques années plus tard, en 1757, la Ville acquière une écurie, rue des Tanneurs, pour les chevaux de la maréchaussée[6]. En 1774, il lui faut acheter la maison du Sieur Marin Urbin pour y loger les cavaliers[7] de la maréchaussée, dans une logique de casernement qui prévaut dorénavant. Pour les officiers de cavalerie, il y avait un « mess » dans une maison achetée en 1749 par Nicolas Digouin, dans l'ancienne rue du palais[8]. Les officiers y tenaient pension et ont fait à leurs frais « au fond du jardin l'élégante galerie que l'on y remarque[9] ».

Pour pallier l'éparpillement des soldats dans la ville, sur l'injonction de l'intendant de Lorraine (décret du 22 février 1760)[10], Saint-Mihiel devait se doter d'une caserne pour le logement de soldats, plus précisément deux escadrons de cavaliers. Nous sommes ici dans une logique d'État lancée depuis le dernier quart du XVIIe siècle mais dont la mise en œuvre prit du temps, pour n'être souvent qu'une réalité dans les places fortes, puis seulement au cours du XVIIIe dans les villes. Les discussions et les atermoiements débutent alors, les bénédictins de la ville étant propriétaires de l'emplacement convoité au sud-ouest de la cité : c'est en 1769 seulement que l'abbé de Saint-Mihiel, le frère de l'intendant de La Galaizière[11] , cède à la ville le terrain dit « la Corvée l'Abbé ». Les adjudications ont lieu en mai 1777 en faveur de l'entrepreneur Christophe Arnould, de Commercy. C'est l'ingénieur Montluisant[12] qui supervise les travaux, avant de disparaitre et d'être remplacé en 1780 par M. Lecreulx, ingénieur en chef des Ponts et chaussées la construction[13]. Les fondations sont établies au début des années 1780 et l'élévation se poursuit suivant un nouveau projet ; des malfaçons existent et, en 1778, une tempête emporte une grande partie des toitures, la construction étant de mauvaise qualité. La sculpture du fronton du bâtiment principal est confiée à Claude-François Mangeot, de Saint-Mihiel, et réalisée en 1788[14] ; la caserne est enfin meublée en 1789[15].

La caserne comprend alors un grand corps de bâtiment (A) de 49 toises sur 9 pour 34 logements dont 2 pour officiers et les autres pour 280 hommes et 9 écuries (en rez-de-chaussée) pour 230 chevaux, un grand corps à droite en entrant (B) de 24 toises 5 pieds de longueur sur 10 de largeur pour 16 logements (138 hommes), 4 écuries pour 128 chevaux, un pavillon à gauche (détruit en 1933) pour les officiers (27 logements), un magasin et des lits pour 30 domestiques, 2 écuries pour 60 chevaux[16]. Un manège est par ailleurs installé dans l'ancienne grange aux Dîmes.

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Annexe 1. La première caserne - cavalerie - de Saint-Mihiel, datant du dernier quart du XVIIIe siècle[17].

Le casernement mis en place reste insuffisant pour plusieurs escadrons de cavalerie, comme le prouve à nouveau un épisode du début du XIXe siècle. Depuis la fin du Ier Empire, un régiment de cavalerie et une compagnie d'artillerie prussiennes sont en garnison à Saint-Mihiel, soit bien plus que ne peuvent contenir les écuries de la Halle. La première mesure, en novembre 1816, fut d'acheter la partie de la Halle détruite en 1809, pour une somme estimée à 12303 francs[18] ; la seconde mesure fut, en 1817, la location par la Ville de la maison de baron de Manonville, rue du Four, pour en faire un supplément de caserne pour des Prussiens[19]. D'ailleurs, ceux-ci sont également logés dans le collège de la ville, alors situé dans les bâtiments de l'abbaye bénédictine. Passé l'épisode de l'occupation russo-prussienne, le pôle militaire se situe toujours au sud-ouest de la ville, autour du quartier Colson-Blaise. C'est la cavalerie, comme à Commercy, qui est toujours implantée à Saint-Mihiel. La présence de militaire nécessite un service de santé, qui est alors aux mains de l'hôpital civil, dont l'existence date du Moyen Âge. Une partie des nouveaux bâtiments date du premier quart du XVIIIe siècle et des travaux d'agrandissement afin d'accueillir des militaires sont effectués de 1805 à 1807 sur des plans de l'employé des P. et C. Augustin Simon Viller. La présence militaire, entre autres, nécessite de 1828 à 1830, la construction d'un nouveau bâtiment (à gauche de la chapelle actuelle)[20] à l'emplacement d'un ancien, et grâce à l'abandon par l'État de la Grange aux dîmes en 1817[21].

Peu à peu, la présence militaire s'étoffe à Saint-Mihiel, sous le Second Empire. En moyenne, ce sont 550 à 600 hommes qui étoffent la garnison « dans les bâtiments appartenant à l'État », pour un peu plus de 400 chevaux. Des écuries sont alors construites au sud du quartier pour accueillir ces chevaux. La présence de ces nombreux chevaux nécessite également d'importants stocks de fourrage, dont témoigne la présence d'un magasin à fourrage le long du chemin menant à Varvinay (cadastre 1826, section E, feuille 2). De la seconde moitié du XVIIIe siècle à la fin du Second Empire, la ville a connu un développement modéré de la présence militaire, à ce moment encore largement incluse dans le tissu urbain. La seule véritable marque de l'armée se résume à la caserne Colson. De plus, la population militaire ne représente alors qu'environ 10% de la population globale, mais tout change avec la guerre de 1870.

UNE VILLE MILITAIRE.

Gérard Canini, en 1973, avait déjà mis l'accent sur le rôle joué par les militaires, au travers de la société policée des officiers et des fêtes militaires et un mémoire de maîtrise[22] avait par la suite labouré en partie le sillon de l'empreinte de l'armée en cette fin du XIXe siècle. Cette empreinte est fortement liée au développement de l'occupation de la présence militaire après le milieu des années 1880, au moment où est décidé par le Général Boulanger le renforcement de la frontière de l'Est, en particulier dans le complexe Séré de Rivières, avec, dans le secteur de Saint-Mihiel, les forts des Paroches et du Camp des Romains. Jusqu'à l'arrivée du 12e Chasseurs, la ville ne change pas de profil de garnison par rapport à ce qui a été présenté. En peu d'années, on passe d'une population civile d'environ 5200 habitants en 1876 à 9604 en 1914, ce qui place la ville au troisième rang meusien, alors que dans le même temps la population militaire a cru d'environ 600 hommes à 959 soldats en 1886, puis 3734 en 1896 et enfin plus de 7000 en 1913.

Cela signifie une proportion de militaire qui passe de 10% à 42% de la population totale ; en fait, il faut tout de même préciser qu'une bonne part de ces militaires – 4000 - est encasernée à Chauvoncourt, bordant immédiatement Saint-Mihiel à l'ouest, qui ne compte à la veille de la guerre que 300 habitants[23]. Les unités présentes sont d'abord le 5e Cuirassier et le 6e Chasseurs à cheval à compter de 1873, puis un bataillon du 54e de Ligne (1878), les 25e et 26e Bataillons de Chasseurs à pieds (1887) ; en 1896 arrive le 161e RI à Chauvoncourt[24], l'année suivante le 150e RI. Par la suite, en 1901, le 19e Bataillon de Chasseurs à pied remplace le 26e. L'artillerie est aussi présente, avec la 13e Batterie du 25e RAC puis six Batteries du 40e RAC en 1890. L'arrivée du train et de la gare en 1874 favorise le développement militaire de Saint-Mihiel qui est devenue une vraie ville de garnison, en peu de temps, avec ses multiples réalités.

Bien entendu, le logement de cette troupe nombreuse nécessite de nouvelles casernes. Le quartier Sernamont, destiné à accueillir l'artillerie du 40e RAC, est bâtie de 1889 à 1893, avec de nouveaux travaux en 1900 – pour accueillir deux Batteries supplémentaires - et 1911. De 1893 à 1896, construction des deux casernes Canrobert (160e RI) et Mac-Mahon (151e RI) ; dans cette dernière caserne sont aussi élevés un stand de tir (1904) et une infirmerie-hôpital, le « Pentagone » (1913). Le système de casernement, dans lequel est bien entendu intégré le quartier Colson-Blaise situé en ville, est complété en 1913 avec la construction des casernes Négrier[25] et Audéoud[26]. Ces casernes ont des incidences spatiales et financières. Spatiales car elles « mangent » beaucoup d'espace[27]

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Annexe 2. Vue sur les casernes de Saint-Mihiel/Chauvoncourt. L'ensemble de ces bâtiments disparaîtront avec la Première guerre mondiale[28].
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Annexe 3. Carte de l'implantation des casernes à Saint-Mihiel avant la Grande Guerre[29].

En effet, il faut y ajouter terrains de manœuvre[30], champs de tir et les nuisances sonores que cela peut occasionner, par les tirs, les va-et-vient incessants des chariots, chevaux et hommes, les bandes de soldats parfois alcoolisés jusque tard en soirée (minuit). Les officiers, dont le nombre a augmenté avec le siège du quartier général de la 40e division d'infanterie situé dans l'actuelle mairie à compter de 1890[31], doivent faire face pour loger leur famille à des coûts croissants (hausse de 40% des loyers en 1896 et 1906)[32] ; leur présence favorise le développent d'un Cercle (1885) et d'un mess (1893)[33], en face de la Place du Souvenir français. Les conséquences financières ne sont pas des moindres car la Ville elle-même doit contribuer de diverses manières à l'entretien de cette garnison dont elle retire, par ailleurs, les bénéfices.

Parmi les contributions, autres que le paiement de logement militaire que doivent toutes les villes de garnison, la Ville finance en partie les casernes, la mise en place de trottoirs sur le chemin des casernes de Chauvoncourt vers la ville (50 000 francs), les travaux du pont (80 000 francs), de réfection d'une partie des bâtiments de l'ancienne abbaye pour y accueillir l'état-major de la 40e division. Afin de faciliter les transports et la circulation, la municipalité a bien tenter de mettre en place une navette régulière hippomobile entre Chauvoncourt et Sernamont, en 1900, mais cela a été un échec, faute de clients. Cette présence militaire accrue entraine des unions, officialisées ou non, mais, quoi qu'il en soit, un accroissement du taux de reconnaissance de paternité par des militaires (de 3% à 15% entre 1881 et 1900)[34]. L'arrivée de militaires mais aussi de familles favorise la croissance démographique de la ville (hausse de 30% entre 1881 et 1911)[35]. Ces militaires connaissent une mortalité non négligeable pour le temps de paix.. Cet accroissement de population s'accompagne de nombreux changements dans le paysage urbain, physique et sonore. Des commerces profitent de cette population qui consomme, boissons, aliments et…femmes. Les débits de boisson se multiplient : en 1914, on compte 66 cabarets débitants de boisson, dix cafetiers-limonadiers, deux cafés brasserie, 2 cafés-concerts, auxquels il faut ajouter un Foyer du soldat à Chauvoncourt (1909). L'hôtellerie bénéficie aussi de cette présence militaire. L'Hôtel du Cygne est le lieu de logement des officiers supérieurs de passage et le lieu de réunion des militaires retraités de la ville[36]. Pour ce qui est de la prostitution, deux maisons de tolérance sont établies mais une prostitution plus diffuse se pratique sans doute dans les débits de boisson, comme le laisse entendre par exemple un arrêté municipal du 8 août 1904[37].

On l'a compris, l'armée occupe l'espace mais aussi le temps dans la ville. Celle-ci est animée par les 14 juillets, des cérémonies militaires diverses comme les fêtes régimentaires, des commémorations avec défilés et musique[38], les obsèques du général Audéoud le 23 mai 1909. Nombre de ces manifestations s'accompagnent de bals, kermesses ouverts aux civils. Ces derniers partagent aussi les jeux d'eau dans le « bain des soldats », situé sur la Meuse, et en hiver les patinoires formées par les étangs gelés près des casernes. Inversement, l'armée participe aux fêtes civiles, en particulier par la musique, comme lors de la fête patronale de Saint-Michel[39].Par ailleurs, comme dans d'autres villes, le tissu associatif est pénétré par l'armée. Il y a treize sociétés de tir dont une mixte (1893), le Souvenir français, l'Association fraternelle des militaires retraités, la 1218e section des anciens combattants de 1870 et autres associations sportives militarisées (exemple, la Légion Saint-Michel) comme ailleurs en France.

LES EMPREINTES MÉMORIELLES.

Aborder la question des traces mémorielles oblige à balayer un champ assez large, allant d'empreintes matérielles visibles, dont le lien avec le fait militaire est évident (monument par exemple), mais aussi disparue ; de même, il faut tenir compte de l'empreinte immatérielle, soit la mémoire livresque – peu présente- et cérébrale : que reste-t-il de tout cela pour les Sammiellois actuellement ? Suivons deux axes de réflexion, celui de l'empreinte de la présence militaire et celui de l'empreinte de la guerre, axes rhétoriques qui bien entendu se croisent dans la réalité. Avant tout, rappelons que l'entretien du souvenir n'est pas chose neuve à Saint-Mihiel. Le Souvenir français œuvre à compter de 1887 et il est relayé en 1901 par la 1218e section des vétérans de 1870 qui comptait plus d'une centaine de membres[40].

La mémoire militaire se lit au détour des rues et des lieux. Pour ne prendre que la toponymie, on relève des choses assez intéressantes, notamment pour les noms de rues, tout en prenant en compte les permanences et changements. À titre indicatif, on notera que sur l'état urbain début XIXe, si l'on passe les changements de toponymes temporaires de la période révolutionnaire, 25% des noms initiaux de rues (et places) existent encore pour les mêmes rues. À ce moment, bien évidemment, pas de toponymie militaire, hormis celle liée au Moyen Âge et la Place du Manège, alors qu'au début du XIXe siècle, les noms de toponymie religieuse comptent pour 25% des rues, 12% pour la topographie castrale, etc. En revanche, dans l'état actuel de la toponymie urbaine, 19% sont liés au couple armée/guerre, 22,5% si l'on prend les aspects castraux, alors que 11% concernent la religion (mais plus une rue de l'Abbaye…). Ce basculement témoigne certes de l'extension urbaine et d'une société moins religieuse mais aussi de la prégnance du fait militaire dans une cité comme Saint-Mihiel.

Ainsi, un quart des rues et places porte cette mémoire. Celle des fortifications (des Fosses, Porte à Metz, du Château) avec des disparitions mais il n'y a là rien de particulier ni de spécifique, au regard de bien des villes. En revanche, on est frappé par la densité des noms liés au passé récent et aux strates mémorielles de trois guerres. Il y a certes les militaires sammiellois de renom, comme Nicolas Lebel (1838-1891), « l'inventeur » du fusil à répétition de l'armée française qui remplaça le fusil Gras – en fait surtout de la balle chemisée en maillechort – qui a droit à une toute petite rue, perpendiculaire à la 40e division ; le Général Blaise, qui trouva la mort au cours du siège de Paris (20 décembre 1870), qui a droit lui aussi à une rue depuis longtemps (et à Paris, dans le 11e arrondissement) et un monument érigé en 1873 dans le cimetière. Les rues portent la mémoire de personnalités du premier conflit mondial (Poincaré, Pershing), du second conflit mondial (Patton, qui a une avenue et un pont), d'événements importants (avenue du Bois d'Ailly, Libération, place des Alliés, rue des Otages), de la reconstruction (rue de Nantes, marraine de la ville), de la mémoire des combattants (Place du Souvenir français, du Sahara ?), d'activités liées à la présence de l'armée (rue du Manège, avenue de la 40e DI, rue du 29e BCP, rue du 12e Chasseurs, Promenade des Dragons, Place du Quartier, rue de la Caserne, rue du Fort ). Bien des noms attribués le sont en lien avec une accroche locale forte même si la résonnance est parfois plus large (Sébastopol, Alain Fournier, Charles Péguy) mais on notera que ces noms se situe dans la partie plus récente de la ville, dans l'extension rive gauche.

Au-delà de la toponymie, le souvenir et la mémoire du passé militaire sont omniprésents par la présence de sept plaques et monuments en ville même, de deux cimetières militaires aussi. Deux monuments rappellent la guerre de 1870, celui du Général Blaise, mais marginalisé dans un cimetière, et surtout celui de la Place du Souvenir français, inauguré le 22 mai 1910. D'ailleurs ici, autre trace de la guerre, au-delà des impacts encore lisibles, la disparition de la statue fait écho par son absence au conflit.

La Grande Guerre occupe une place importante dans ces aspects commémoratifs. Un monument situé Place Jean Berain (sculpté par Emile Peynot[41]), inauguré le 11 novembre 1925 par André Maginot, Ministre de la Guerre (avec une particularité : la présence de soldats allemands au revers), un autre dans le cimetière des Abbasseaux, trois plaques nominatives (dans l'église Saint-Etienne, dans l'église saint-Michel et à la Mairie en 1927), une autre plaque commémorative dans le hall de la mairie pour la libération de la ville de 1918 par les Américains, inaugurée en 1988. On trouve aussi des plaques commémorant des instants et actes du second conflit mondial, comme cette plaque sur l'ancien bureau d'octroi (route de Woiville), en écho au « chemin des otages ». Lorsque l'on s'écarte un peu de la ville même, on trouve d'autres monuments, celui du Fort du camp des Romains (Stèle commémorative 166e R.I. et 35e R.A.P.), le monument du Bois d'Ailly (1923), de la Tranchée de la Soif. À ces éléments mémoriels, on peut ajouter les plaques aux unités, comme celles des 150e et 161e RI à l'entrée de leur caserne (Chauvoncourt). Tout cela, sans parler des monuments allemands situés dans la forêt et regroupés pour partie dans le cimetière allemand de Gobessart. Plus récemment, il faut ajouter à ce rapide inventaire mémoriel le monument de l'AFN (avenue de Procheville), inauguré en 2011.

Il faut ajouter les cimetières et tombes militaires, avec pour Saint-Mihiel, le cimetière français de la Vau-Racine[42], créé en 1919, avec 3 419 corps (3 417 français dont 1 893 en 3 ossuaires tombés en 1914/1918 et 2 français tombés en 1939/1945), un carré dans le cimetière communal, le cimetière allemand de Gobessart[43].

La guerre a mis fin à la réalité de la présence militaire, en raison des destructions et du redéploiement des implantations militaires. Seuls deux pelotons de gardes républicains mobiles (40 accordés en 1931 et en place à compter de mai 1932) viennent s'implanter dans la ville, mais bien peu en comparaison avec les milliers d'hommes de la garnison d'avant guerre. Des travaux sont mis en œuvre dans le quartier Colson-Blaise pour les y accueillir, avec destruction d'un bâtiment (février 1932) pour une reconstruction sur site en 1933 ; en 1983, le reste de la caserne XVIIIe siècle est détruit (hormis le fronton) et seuls subsistent une partie des logements construits en 1932, dont le logement du commandant d'unité. De l'ensemble des vastes bâtiments militaires déjà présentés, il ne reste plus grand-chose. La caserne Audéoud, qui accueillait le bataillon de Chasseurs à pieds, a complètement disparu. La caserne Négrier, également pour les Chasseurs à pieds, ne conserve plus que des ruines (des morceaux des murs de clôture, le réservoir d'eau, l'infirmerie hôpital) et l'espace sert partiellement d'aire d'accueil au gens du voyage. De la caserne des artilleurs (Senarmont), il reste davantage de vestiges et les bâtiments ont été employés pour des activités civiles (Entreprise S.E.R.GE.). Dans l'espace urbain, des casernes Mac-Mahon et Canrobert, il ne reste vraiment plus beaucoup d'éléments. Actuellement, une partie des restes de casernement, dont certains avaient été transformés en partie en bâtiments publics (Centre des Impôts) ou privés (l'entreprise Kotska, par exemple), connaît une nouvelle utilisation sous la forme d'un lieu de culte dédié aux musulmans.

CONCLUSION.

En plus de deux siècles, la ville de Saint-Mihiel a connu un vrai destin militaire qui a été, paradoxe, rompu par la guerre. Dans le tissu urbain et dans les espaces périphériques, les traces de ce passé sont encore visibles, même de manière diffuse. La présence de l'armée a contribué à forger la définition du profil de certains espaces – les terrains militaires – et aussi de l'image de la ville. En effet, Saint-Mihiel, lors des décennies cruciales de la fin du XIXe et du début du XXe siècle pour l'industrialisation, n'a certainement pas participé pleinement à ce mouvement, obérant en partie son avenir économique. Certes, nul ne peut dire quel aurait son destin économique si l'armée n'avait pas été ainsi disparu de son espace, mais force est de constater que d'autres petites villes, comme Commercy par exemple, ont subi à terme les effets négatifs de cette présence militaire qui a limité les investissements pour l'avenir. Ce sont ainsi les marques du passé qui occupent en partie l'espace, pour qui veut bien les lire, et qui permettent d'entretenir la mémoire d'un passé militaire déjà souvent bien oublié par les habitants eux-mêmes.

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Annexe 4. Vue d'une caserne en destruction à Saint-Mihiel[44].

NOTES.

  1. Gérard Canini, « Saint-Mihiel, 1871-1914 : la ville et la garnison », Journées d'études meusienne, Annales de l'Est, Numéro spécial 1974, p. 81-94.
  2. La fortification d'agglomération comportait 12 tours dont les noms sont connus et 8 portes : la porte à Wey, au nord-est, sur la route de Woinville, la porte Saint-Thiébaut ou de Nancy au sud-est, sur la route de Nancy, la porte à l'Atre, donnant accès au cimetière, la porte à Grougnot, donnant accès à la Halle, la porte à Metz, au nord, sur la route de Metz, la porte de l'Abbaye, la porte à Meuse, à l'ouest, devant le Grand pont, la porte à Verdun, sur la route de Verdun. L'enceinte a été restaurée en 1578, 1579, suite à l'occupation des Bourguignons et des Espagnols mais elle subit des dommages consécutifs au siège des Français en 1635 : elle fait alors l'objet d'un démantèlement. Si de nouveaux travaux de consolidation ont lieu ponctuellement en 1661, l'enceinte connaît par la suite une disparition progressive : en 1696, démolition de la porte à Grougnot, démolition partielle de la porte à l'Atre en 1749, des portes de Nancy, de Verdun en 1775, de la porte Saint-Thiébaut en 1777, de la porte à l'Atre en 1786, de la porte de l'Abbaye en 1798 et de la porte à Meuse en 1817 (d'après Inventaire général du patrimoine, IA55000104).
  3. Le château ne résista guère aux événements du XVIIe siècle, dont le siège de 1635 auquel participa en personne Louis XIII (Aristide Guilbert (dir.), Histoire des Villes de France, tome IV, Paris, 1845, p.613) ; au début du XVIIIe siècle, le lieu n'est plus guère qu'une carrière de pierre où chacun vînt puiser selon ses besoins (Charles Emmanuel Dumont, Histoire de Saint-Mihiel, tome IV, Paris, 1862, p.161).
  4. On note la présence du régiment d'Enrichemont (1755), de la Reine (1761), du Royal (1768), du régiment d'Orléans (1770), Bercheny (1777), du Royal-Dragon (1784) et des Chasseurs de Lorraine (1788) (d'après Charles Emmanuel Dumont, op. cit., tome II, Paris, 1860, p.184).
  5. Le 1er avril 1809, un incendie ravagea cette partie de la Halle et fit périr 49 chevaux (Ibid., tome IV, p. 193).
  6. A.M. Saint-Mihiel, EE26.
  7. La municipalité est bien entendue mise à contribution pour l'élévation de cette caserne, chose habituelle et constante pour la ville tout le temps que dure l'implantation de troupes au cours du siècle qui s'ouvre. Pour ce quartier de cavalerie, la ville a procédé à une souscription mais aussi à la vente de « 3291 arpents de bois de 50 à 90 ans » (Jean-François Pierson, 2000 de fortifications en Meuse, Dossiers documentaires meusiens n°43, Bar-le-Duc, 1986 p.30 ; A.M. Saint-Mihiel, délibérations).
  8. Cette maison serait au n°4 de l'actuelle rue Poincaré mais c'est à vérifier.
  9. Charles Emmanuel Dumont, op. cit., tome IV, p.178
  10. A.M. Saint-Mihiel, EE26. Charles Emmanuel Dumont, op. cit., tome IV, p.184, parle de 1762.
  11. Barthélémy-Louis-Martin Chaumont(1737-1808). En décembre 1744, il reçoit l'abbaye bénédictine de Saint-Mihiel, les prieurés d'Haréville (88) et d'Insming ; par la suite, il est notamment coadjuteur notamment de la grande prévôté de Saint-Dié (janvier 1765). Devenu vicaire-général sous les auspices de Loménie de Bienne (évêque de Condom), il est choisi par en février 1774 par Louis XV la nouvelle cathèdre de Saint-Dié (sacré en 1777). Il refuse de prêter le serment constitutionnel le 21 janvier 1791 et quitte Saint-Dié pour Bruxelles, puis en Allemagne, Suisse, puis se fixe en Bavière.
  12. Celui-ci avait déjà dressé en 1763 premier plan de caserne, suivi d'un autre plan anonyme en 1765.
  13. Inventaire général du patrimoine culturel.
  14. Cf Annexe 1.
  15. 2000 ans de fortifications en Meuse, op. cit., p.30.
  16. Description Inventaire général du patrimoine (IA55000125).
  17. Source : Centre Image Lorraine, FLPH 122-14.
  18. A.D. 55, 2 R 23.
  19. La somme est de 2500 francs pour un mois, payée par 25 bourgeois (Charles Emmanuel Dumont, op. cit., tome IV, p.198).
  20. Sur les plans de l'architecte Théodore Oudet.
  21. Cette grange aux dîmes, en plus de son utilisation comme manège par l'armée, a déjà été amputée d'une partie en 1811 de façon à améliorer la circulation.
  22. S. Trugsnach, Saint-Mihiel, une ville de garnison de la France de l'Est (1880-1914), Mémoire de maîtrise, Nancy II, 1998.
  23. Ibid., p.19.
  24. Seule la portion Principale (soit le régiment actif, avec le colonel et son État-major) était à Saint-Mihiel, à la caserne Canrobert, la portion centrale étant à Reims (le dépôt qui s'occupe de l'administration, de l'intendance).
  25. Le capitaine Negrier appartenait au corps des Chasseurs à Pieds ; c'était un des « héros » de 1870.
  26. Général sammiellois, décédé en 1909.
  27. Cf annexes 2 et 3.
  28. Source : Centre Image Lorraine, FLPH 97-527.
  29. Source : Inventaire Régional de Lorraine.
  30. Sur les dégâts de la troupe, lors de manœuvres et autres, voir A.C. Saint-Mihiel, H 2-8.
  31. A.D.54, 2 R 5.
  32. Gérard Canini, op. cit., p.86.
  33. A.C. Saint-Mihiel, H 2-8.
  34. S. Trunsgbach, op. cit., p.22.
  35. Ibid., p.19.
  36. S. Trusgnach, op. cit., p.33.
  37. Ibid., p.33.
  38. Ibid., p.33.
  39. Ibid., p.78
  40. Ibid., p.53.
  41. Emile Peynot (1850-1932) a sculpté six autres monuments aux morts en France, dont celui de Bar-le-Duc.
  42. La nécropole Vaux-Racine de Saint-Mihiel (1914-1918) rassemble les corps de 3417 soldats français, tous issus des regroupements des cimetières de guerre de Chauvoncourt, Bois d'Ailly, Forêt d'Apremont, Les Paroches, Lamorville, Dompcevrin, Rupt-devant-Saint-Mihiel, Tranchées Varnéville, Maizey, Marbotte n° 5, Bislée, Cimetière des Abeilles, Viéville-sous-les-Côtes, Rouvrois-sur-Meuse, Fresnes-au-Pont, Deuxnouds-aux-Bois, Brasseitte, Lignières-sur-Aire, Koeur-la-Grande, Koeur-la-Petite, Spada et Saint-Agnant-sous-les-Côtes.
  43. Le cimetière militaire allemand de Saint-Mihiel a été créé pendant la guerre de 1914-1918 pour accueillir les corps des 6046 soldats inhumés dans la région d'Apremont. Dans la partie nord, sont regroupés des monuments funéraires ainsi que quelques-uns des monuments bavarois issus des cimetières de la région. Celui qui se trouve au centre, au-dessus de la fosse commune, provient de Woinville. A l'ouest, il s'agit du monument érigé en 1914 par le 3e corps sanitaire bavarois (Inventaire IA55000459).
  44. Source : Centre Image Lorraine, FLPH 118-3522.


  Pour citer cet article :
Laurent Jalabert - L'empreinte de l'armée à Saint-Mihiel : marques spatiales du passé militaire d'une ville de la frontière (XVIIIe-XXe siècles - Projet Empreinte militaire en Lorraine
Consulté en ligne le <date du jour> - Url : http://ticri.inpl-nancy.fr/wicri-lor.fr/index.php?title=Empreinte_militaire_en_Lorraine_(01-2014)_Laurent_Jalabert

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