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Empreinte militaire en Lorraine (10-2010) Pascal Raggi

De Wicri Lorraine
L'occupation allemande des mines et des usines de Longwy et des alentours pendant la Première Guerre mondiale.


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Auteur : Pascal Raggi

À la fin du mois de juillet 1914, avant même la mobilisation générale décrétée en France le 1er août, des incidents militaires se multiplient dans la zone frontalière du nord de la Lorraine. Le 29 juillet des fantassins allemands pénètrent dans les villes d'Homécourt et de Joeuf. La bataille des frontières commence, quant à elle, début août. À partir du 20 août 1914, la forteresse de Longwy, dont le système de fortification n'est pas adapté à la guerre moderne, est soumise à des bombardements d'artillerie. Elle capitule le 26 août. À la fin septembre, après des combats très durs[1] accompagnés d'atrocités[2], l'armée allemande occupe la moitié septentrionale de la Meurthe-et-Moselle, le tiers de la Meuse et le sixième des Vosges[3]. Dans le nord de la Lorraine, dès la déclaration de guerre, les mines de fer et les usines sidérurgiques avaient été arrêtées. Des combats ont lieu dans l'arrondissement de Briey. En 1913, 33 exploitations minières[4] y extrayaient plus de 19 millions de tonnes de minerai de fer[5], et une grande partie des 72 hauts-fourneaux de Meurthe-et-Moselle y produisaient 3,4 millions de tonnes de fonte et 2,4 millions de tonnes d'acier[6]. En octobre 1914, au moment de la stabilisation du front, à l'exception de 3 mines noyées[7], les sites miniers et sidérurgiques sont en parfait état de fonctionnement[8]. Les Allemands créent alors une administration spéciale pour les usines et l'exploitation minière du bassin ferrifère et qu'ils occupent[9].

Quelles sont les caractéristiques de cette administration allemande des entreprises minières et sidérurgiques de Longwy ? La mise en place de services destinés à gérer l'économie de la France occupée, et singulièrement la sidérurgie de la région de Longwy, participe-t-elle à un projet préparé depuis longtemps par l'État-major et les industriels allemands ? Dans quelle mesure, l'occupant s'est-il adapté à l'évolution du conflit, et surtout à une guerre qui dure, pour exploiter un gisement de minerai de fer et utiliser et/ou détruire les usines ?

Les ouvrages historiques concernant l'occupation allemande des mines et des usines dans le bassin de Longwy sont peu nombreux. Le livre de Gérard Canini, La Lorraine dans la guerre de 14-18 brosse un panorama complet, mais à l'échelle régionale, des opérations militaires[10]. François Roth a consacré un article[11] et une partie de l'Encyclopédie illustrée de la Lorraine à la Grande guerre[12]. Dans ces deux publications, il évoque le sort de l'industrie du fer, les mines et les usines sidérurgiques, en replaçant l'histoire économique et sociale des bassins de Briey et de Longwy dans la chronologie générale du conflit. Pour le fonctionnement des mines de fer meurthe-et-mosellanes pendant le conflit, il utilise, notamment, le rapport de l'ingénieur des mines Leprince-Ringuet[13]. Cette source administrative de premier ordre sert de base documentaire au présent article. Les écrits d'Auguste Pawlowski sur la situation des usines longoviciennes à la fin du conflit[14], rédigés également en 1919 dans le cadre de l'estimation des réparations réclamées par la France à l'Allemagne, la complètent. L'ouvrage réalisé à l'occasion de la commémoration du cinquantenaire de la Société des Aciéries de Longwy, apporte aussi des informations intéressantes sur les destructions des installations sidérurgiques[15]. Les aspects les plus polémiques de l'histoire économique du nord de la Meurthe-et-Moselle pendant la guerre, ont été évoqués dans les mises au point de Simone Pesquiès-Courbier, Jean-Noël Jeanneney et Denis Woronoff sur la question du « non-bombardement » des usines De Wendel[16]. Cette affaire politique concerne davantage les établissements sidérurgiques que les mines et ne sera pas abordée ici. Néanmoins, les archives, en particulier celles trouvées aux Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle et dans les fonds de l'entreprise Saint-Gobain-Pont-à-Mousson SA, permettent d'éclairer une autre question de Briey. Celle-ci s'est exprimée, pendant le conflit, avec les débats sur l'utilisation des ressources en minerai de la zone occupée par l'ennemi ainsi qu'autour de l'intérêt stratégique d'une opération militaire visant à reprendre le bassin ferrifère aux Allemands.

L'exploitation des mines de fer occupées de 1914 à 1918 s'effectue, tout d'abord, conformément aux buts de guerre germaniques. Même s'ils paraissent être précisément fixés au début du conflit, ils évoluent en fonction de la situation économique et militaire de l'Allemagne. Deux phases de dommages et de pillages différentes peuvent ainsi être mises en évidence. Dans les usines sidérurgiques contrôlées par l'occupant, la production a été interrompue[17]. Les Allemands ont procédé au déménagement de tout ce qui pouvait l'être avec, conjointement, la destruction de tout ce qui ne pouvait pas être déplacé. Bien qu'il soit possible de distinguer deux périodes dans la gestion allemande, celles-ci ont des caractéristiques proches dans la mesure où la seconde consiste en une aggravation des contraintes établies dans la première. L'occupation s'accompagne aussi d'évolutions techniques différentes dans les entreprises minières et les entreprises sidérurgiques. Dans ces dernières, il n'y pas eu de mises en place de nouvelles installations. Au contraire, elles ont été pillées.

L'EXPLOITATION DES MINES OCCUPÉES PAR LES ALLEMANDS

Les mines de fer de 1914 à 1916

Dès octobre 1914, le contrôle de l'autorité allemande s'applique à toutes les mines des bassins de Briey et de Longwy à l'exception de celle de Pulventeux, appartenant à la société Röchling de Volklingen, et à la minière[18] R. Böcking, propriété exclusive de la société allemande du même nom et prolongement français d'une exploitation luxembourgeoise du même type. Un décret du chancelier impérial institue à Metz une Zivilverwaltung fur das Gebiet von Briey und Longwy ; au sein de celle-ci, il existe une branche chargée de la « protection » des mines et usines : Schutzverwaltung des Bergwerke und Hütten. Pour l'occupant allemand, il s'agit de tirer profit au maximum de l'opportunité économique et stratégique que constitue le contrôle du bassin ferrifère nord lorrain. Sur le plan de l'exploitation et des livraisons de minerai, l'ingénieur des mines, chargé du rapport au Conseil Général de Meurthe-et-Moselle sur le fonctionnement des mines de fer départementales pendant le conflit, mentionne les 3 objectifs de l'administration allemande au début de l'occupation : « 1° Assurer l'exhaure, (…) ; 2° Enlever les stocks de minerai existant sur le carreau des mines, stocks évalués à 800 000 tonnes et sous-estimés, ainsi que le prouvent les expéditions ; 3° Remettre en marche deux ou trois mines pour continuer après épuisement des stocks, les envois au quantum prévu de 250 000 tonnes par mois »[19]. En 1915, pour reprendre les opérations d'extraction et de transport, les Allemands remettent en marche deux ensembles de mines[20]. Le premier centre d'exploitation, situé à Homécourt dans le bassin de Briey, comprend trois remises en exploitation successives : les mines d'Auboué (propriété de l'entreprise Pont-à-Mousson), et celles du Haut des Tappes et du Fond de la Noue d'Homécourt. Le second, créé à Hussigny dans le bassin de Longwy, permet le redémarrage des mines d'Hussigny, de Godbrange et des minières de la Côte Rouge et de Lorraine industrielle. Alors que la décentralisation de l'administration allemande se poursuit, avec des directions d'exploitation dans 6 sites différents où sont dirigées de deux à six concessions[21], les fluctuations du marché du minerai de fer modifient les exportations. À la fin de l'année 1915, d'importants arrivages de minerai suédois change les destinations des convois de minette[22]. Jusqu'alors, la Schutzverwaltung dirigeait le minerai de Lorraine occupée vers les régions rhénanes. Ensuite, elle a dû réorienter ses expéditions vers le sud-ouest de l'Empire, notamment vers la Lorraine annexée. Toutefois, cette situation est de courte durée car, dès le printemps 1916 : « Pour s'opposer à la hausse du change suédois et parer à un arrêt possible de la navigation dans la Baltique[23], les prévisions s'orientent vers une diminution notable des minerais phosphoreux de Suède et une augmentation mensuelle de 100 000 tonnes dans l'extraction des mines occupées ; de plus, ce tonnage prévu devra être en grande partie dirigé sur les pays rhénans, le Sud étant supposé pouvoir se suffire à lui-même »[24]. Surtout, afin d'atteindre les objectifs de production définis par le programme Hindenbourg et pour éviter une baisse trop importante de la production d'acier Martin, les autorités allemandes intensifient l'exploitation. Comme le signale l'Ingénieur des mines Leprince-Ringuet : « Avant de pouvoir exploiter, il faut d'abord rapporter dans ces différentes mines tout le matériel que les Allemands ont pris de leur propre aveu comme produit fini, c'est-à-dire rails, câbles, trolleys et tous les autres matériaux de cuivre, etc. »[25].

L'intensification de l'extraction et de l'expédition de la minette renforce l'inquiétude des industriels, de certains hommes politiques et de l'État-major français au sujet de l'avenir du bassin de Briey. Une campagne de lobbying en faveur de la reconquête du bassin ferrifère de Briey est même lancée dans l'objectif de convaincre les stratèges militaires et le gouvernement français de la nécessité impérieuse de lancer une offensive en direction de cette zone. Des articles de journaux comme L'Oeuvre ou L'Intransigeant le prouvent : « Si on avait monté de ce côté une attaque analogue à celle qui a été exécutée sur la Somme, les mêmes progrès eussent suffit pour placer une partie du bassin [9 lignes censurées]. La distance est la même. Or, des hauteurs en question, on bat, à 8 kilomètres, les puits de Bouligny et de Gondreville [(il s'agit, sûrement, de Joudreville)] »[26]. En toile de fond de ce mouvement, la condamnation, a posteriori, de l'abandon du bassin au début du conflit et, surtout, des interrogations sur l'utilisation du minerai par les Allemands. En somme, certains polémistes se demandent si le fer extrait de Meurthe-et-Moselle occupée ne sert pas à fabriquer massivement des armes qui tuent, ou des matériels qui contribuent à tuer, les Français et leurs alliés. Une « question de Briey » se développe dans l'opinion publique. Néanmoins, dès la fin de l'année 1916, des membres du Comité des Forges et des journalistes répondent à ceux qui estiment que le minerai de Lorraine occupée est massivement exploité contre la France : « Nous sommes convaincus que les Allemands désirent l'annexion du Bassin de Briey en vue de l'avenir, mais que pour l'instant il ne leur sert pas à grand-chose. En l'occupant ils ont surtout visé à nous priver d'un centre d'approvisionnement de minerai et d'importantes usines métallurgiques. En résumé, le [journal] Le Temps a parfaitement raison d'appliquer le mot légende à l'opinion qui tiendrait à s'accréditer que les allemands nous font la guerre avec les ressources de Briey »[27]. En effet, de 1914 à 1918, le total des expéditions de minerai meurthe-et-mosellan vers l'Allemagne atteint 14,1 millions de tonnes soit un chiffre bien inférieur à la production de 1913 qui dépassait les 18 millions de tonnes[28]. La production la plus importante a été atteinte en 1917 – plus de 5 millions de tonnes – dans le contexte de la réalisation du programme Hindenbourg.

L'exploitation et la surexploitation de certaines parties du gisement (1917-1918)

À partir de janvier 1917, l'occupant allemand décentralise les services de la Zivilverwaltung qui est elle-même dissoute. La Bergverwaltung d'Homécourt gère l'exploitation et la remise en marche des mines de fer des bassins de Briey et de Longwy tandis que la Rohstof und Maschinenverteilungstelle des Kriegsamts – la « Rohma » – prend en charge le pillage du matériel des mines et des usines. Jusqu'à l'armistice, les occupants ont essayé de faire fonctionner de façon continue 14 mines dans le bassin de Briey ; pour des raisons techniques, et dans le cas du site de Jarny à cause de la proximité du front, cinq de celles-ci se sont arrêtées au cours de l'année 1917[29]. Dans le bassin de Longwy, deux minières et deux mines, Godbrange et Hussigny, ont été exploitées par les Allemands. Dans ces dernières, les élargissements de chantiers dans les galeries et les dépilages ont été effectués selon des méthodes destinées, toutes les deux, à extraire un maximum de minette au mépris des règles habituelles de sécurité et même de rendement optimal (c'est-à-dire permettant la reprise de l'extraction à proximité des zones déjà exploitées). Malgré leur volonté d'exploiter au mieux les mines de fer de Meurthe-et-Moselle, les Allemands n'ont pas pu en expédier beaucoup de minerai[30]. En 1913, dans le bassin de Longwy, 2,95 millions de tonnes avaient été extraites, mais de 1915 à 1918, la production totale contrôlée par les Allemands y atteint seulement 3,67 millions de tonnes[31]. Surtout, pour les autorités françaises qui récupèrent les exploitations à la fin du conflit, au-delà du manque à gagner qu'a pu constituer la perte de tonnage, ce sont les méthodes de surexploitation appliquées à des périmètres souterrains très limités qui posent problème. En effet, pour l'Ingénieur des mines Leprince-Ringuet : « L'administration allemande a toujours exploité d'une façon barbare, visant avant tout à accroître de n'importe quelle façon le tonnage extrait »[32]. Ainsi, la surexploitation de certaines parties du gisement, consécutive notamment au manque de main-d'œuvre pour l'appliquer à une plus grande échelle, a eu des caractéristiques géologiques bien précises dans les mines de fer de Lorraine. Les autorités allemandes ont privilégié le court terme en dépilant les quartiers préparés sans mettre en place de nouveau traçages. L'élargissement des chantiers a aussi fragilisé le réseau souterrain. L'ensemble des saccages du gisement entraîne l'impossibilité d'exploiter certains secteurs après guerre. Comme les enlèvements de matériels et les destructions, ils gênent la reprise de l'exploitation. Néanmoins, le retour de la main-d'œuvre permet assez rapidement cette dernière. Pendant le conflit, les effectifs des personnels employés dans les mines de fer avaient beaucoup diminué tandis que sa composition s'était nettement transformée dans le contexte de l'application de règlements professionnels issus de la législation en vigueur en Allemagne.


Tableau n° 1 : Les quantités de minerai de fer de Meurthe-et-Moselle occupée expédiées vers l'Allemagne selon les chiffres de l'administration allemande (1914-1918)[33].
Productions et expéditions en milliers de tonnes
1914 avant guerre 1914 1915 1916 1917 1918 Total (1914-1918)
Mines du bassin de Briey 8812 0 780 2226 4562 3767 11336
Mines du bassin de Longwy 1465 0 239 417 660 655 1971
Pris au stock (+) et mis au stock (-) - +79 +1053 +173 -182 -303 +820
Total 10277 79 2073 2816 5040 4119 14127

Pénurie et recours à de la main d'œuvre forcée dans les mines de fer

L'exemple de la gestion du personnel des mines de fer par l'occupant a des particularités liées, à la fois, à la pénurie de main-d'œuvre ouvrière spécialisée et à l'emploi de prisonniers de guerre. Il constitue une illustration des problèmes de main-d'œuvre auxquels sont confrontés des occupants qui cherchent à utiliser à leur profit les installations prises à leur ennemi. Avant le déclenchement du conflit, les mines de fer de Meurthe-et-Moselle emploient 15 545 personnes[34]. Pendant la guerre, les Allemands manquent de main-d'œuvre. Les ouvriers français sont partis. Le personnel italien – en 1913, 60% des effectifs des mines de Meurthe-et-Moselle[35] – a également quitté le département ; les autorités italiennes refusant qu'ils soient réembauchés par l'occupant avant même l'entrée en guerre de l'Italie[36]. À la reprise de l'exploitation, les Allemands enrôlent donc de force quelques rares mineurs afin de bénéficier de spécialistes de l'extraction. Surtout, ils font appel à la main-d'œuvre forcée constituée par les prisonniers de guerre. Des soldats anglais, belges et français ont ainsi travaillé dans les mines de fer. Toutefois, les Russes sont les plus nombreux à être employés (voir tableau n° 2). Ils sont même majoritaires sur tous les sites sauf à Hussigny où ils ne furent pas envoyés[37]. Leurs conditions de travail sont très pénibles : « En avril 1917, 42 % des prisonniers étaient en état de travailler ; 48,5 % étaient plus ou moins malades et 9,5 % incapables de tout travail »[38]. Les prisonniers russes sont, à la fois, sous-alimentés, maltraités et soumis à des conditions de travail très dangereuses (voir tableau n° 3). Les morts au travail des détenus russes semblent d'ailleurs avoir été dissimulées : « Certaines personnes restées pendant l'occupation nous ont affirmé que le chiffre des tués par accidents, surtout parmi les prisonniers russes, dans les mines, avait été effroyable, au point que les cadavres étaient remontés et enterrés clandestinement et que des autopsies factices devaient très souvent attribuer le décès à une maladie »[39]. Avec l'intensification de la production, le nombre d'accidents mortels progresse. Cette augmentation en chiffre absolu est conjointe à la croissance du taux d'accidents mortels. Elle s'explique dramatiquement, et facilement, par l'insuffisance des mesures de sécurité mises en place pour protéger les détenus. Les prisonniers ne sont que rarement des spécialistes des tâches minières. À certains postes, au chargement et au roulage notamment, les accidents sont ainsi très nombreux. L'affaiblissement physique renforce le caractère dangereux du métier. En effet, les prisonniers russes ne touchaient pas directement le maigre salaire qui était prévu pour eux[40]. Leurs possibilités d'acheter de la nourriture en plus de leur ration quotidienne s'en trouvaient donc fortement limitées.

Tableau n°2 : Évolution des effectifs ouvriers dans les mines de fer de Meurthe-et-Moselle occupées (1915-1918)[41].
Juin 1915 Janvier 1916 Septembre 1916 Décembre 1916 Juillet 1917 Janvier 1918 Mai 1918 Septembre 1918
Prisonniers de guerre russes 411 557 1863 3952 4322 ? ? ?
Total 1206 2383 3269 6248 7951 8038 7785 8324


Tableau n°3 : Le nombre et le taux d'accidents mortels dans les mines de fer de Lorraine (1914-1917)[42].
Années Accidents mortels Accidents pour 1000 ouvriers
1914 35 2,80
1915 43 4,37
1916 58 4,45
1917 83 5,36


Durant toute la durée du conflit, les salaires versés aux mineurs des exploitations occupées ont été inférieurs à ceux pratiqués en France et, singulièrement, à ceux qui avaient cours dans le Bassin ferrifère de Nancy resté français[43]. D'ailleurs, pendant la période de l'occupation, les gains salariaux varient selon les années et les catégories de personnels : « Ainsi, en 1916, ces salaires atteignaient 8 à 9 marks pour les mineurs civils, 5 à 8 marks pour les rouleurs ; les P[risonniers de] G[uerre] touchaient de 2,5 marks à 5 marks en moyenne. Au moment de l'armistice, les mineurs étaient payés 8 marks en régie, de 10 à 15 marks à la tâche ; les manœuvres 6,5 marks environ au fond, et 5,5 marks au jour. Il s'y ajoutait pour les ouvriers allemands, depuis 1918, une indemnité de vie chère de 5 marks et des indemnités de charges de famille de 10 marks par mois pour la femme et 5 marks par enfant jusqu'à 14 ans »[44]. Les salariés français sont, quant à eux, « payés en bons de ville à raison de 1,25 F puis 1,33 F pour 1 mark »[45]. Une assurance contre les accidents – Arbeiterunfallfürsorge – ainsi que des caisses de maladies – Betriebskrankenkassen – ont été mises en place par les Allemands. Ces dernières l'ont été sur la base de la loi française du 29 juin 1894 sur les caisses de secours et les pensions[46]. Les travailleurs des mines bénéficient du ¼ du salaire normal pendant une période de maladie et de la gratuité des frais médicaux et d'obsèques[47]. Il a même existé une caisse d'épargne à 4% d'intérêts[48]. Malheureusement, tous les fonds de ces institutions de prévoyance sont partis avec les Allemands en 1918[49]! Ainsi, l'organisation salariale et la protection sociale allemandes n'ont pas beaucoup laissé de traces dans les mines de fer de Meurthe-et-Moselle. En revanche, les destructions infligées à certaines parties des cités ouvrières ont dû nécessiter des reconstructions. Celles-ci n'ont pas eu l'ampleur de celles réalisées dans les usines.

L'OCCUPATION DES USINES SIDÉRURGIQUES

Tableau n° 4 : Les installations sidérurgiques du bassin de Longwy au déclenchement du conflit[50]
Hauts-Fourneaux Aciéries Thomas Aciéries Martin Fonderies Laminoirs Forges
Société des Aciéries de Micheville 6 (dont 1 en construction) 1 - - Oui -
Aubrives-Villerupt 2 - - Oui - -
Lorraine industrielle 2 - - - - -
Marc Raty 4 - - - - -
Société des Aciéries de Longwy (usine de Mont-Saint-Martin) 7 1 1 1 Oui -
Société des Aciéries de Longwy (usine de Moulaine) 2 - - - - -
Société des haut-fourneaux de la Chiers 4 1 - - Oui -
Société de Saintignon et Cie 4 - - - - -
Société métallurgique de Senelle-Maubeuge (usine de Senelle-Longwy) 5 1 1 1 - Oui
Société métallurgique de Senelle-Maubeuge (usine de Villerupt) 2 - - - - Oui
Société des Forges de la Providence 3 1 - - Oui //
Société métallurgique de Gorcy 2 - 1 - Oui //
Société française métallurgique - - - - Oui -

Le temps des réquisitions (1914-1916)

Le registre lexical employé par Félix Leprince-Ringuet comme par Auguste Pawlowski pour désigner les enlèvements de matériels dans les usines de Longwy et des alentours s'apparente à celui employé par les instances judiciaires dans les affaires de banditisme. Après l'armistice, les entreprises allemandes coupables d'avoir contribué au pillage des installations sidérurgiques longoviciennes sont même précisément désignées : « Les sociétés allemandes qui ont le plus dévalisé la région sont, dans l'ordre décroissant de culpabilité : Thyssen, Röchling, Rombas, Knutange »[51]. Aux yeux des contemporains, les déprédations allemandes apparaissent comme les manifestations d'un projet prémédité : « Les dévastations et les vols ont donc bien été systématiques, et résultaient nettement d'un plan arrêté d'avance, sous l'inspiration des conseillers techniques fournis à l'autorité militaire par l'industrie d'outre-Rhin »[52]. Au vu des événements qui se sont produits dans les établissements industriels français du Nord de la Meurthe-et-Moselle, il semble qu'il y ait eu plusieurs différents types d'actions de pillage. Dans les usines, la Schutz commence par réquisitionner. Dès le 1er novembre 1914, elle s'empare des tôles d'acier et des feuilles de fer blanc entreposés à Mont-Saint-Martin[53]. Elle demande aux entreprises sidérurgiques de procéder à l'inventaire des marchandises dont elle veut dépouiller les usines. Par exemple, le 26 décembre, on demande aux aciéries de Longwy une fourniture continue et permanente de ballast, crasse et crassette destinés à la réfection des routes. Comme en Belgique et dans le Nord de la France, la Schutzverwaltung met en place un programme de pillage systématique des machines-outils : principalement, les tours, les marteaux pneumatiques et les câblages en cuivre. D'ailleurs, sur ce dernier point, un rapport du Verein Deutscher Eisenhüttenleute – l'association des sidérurgistes allemands – justifie la conduite des occupants : « (…), si notre production ne suffit plus, et que nos stocks importants s'épuisent, nous prenons, naturellement contre des indemnités correspondantes, tout ce qui est fait en cuivre dans les pays occupés : conduites et câbles électriques, coussinets des machines, tuyères des hauts-fourneaux, chaudières des sucreries, cuivrerie de ménage jusqu'au dernier loquet »[54]. Dès la fin de 1914, le commandement militaire allemand a besoin de matériaux pour l'industrie et les infrastructures impériales. Les réquisitions concernent alors tous les équipements et toutes les productions des usines sidérurgiques, notamment ce qui est issu de la production interrompue[55].

Tableau n° 5 : Les réquisitions allemandes de la fin de l'année 1914 à la Société des Aciéries de Longwy sur les sites de Mont-Saint-Martin et de Moulaine[56]
Usine de Mont-Saint-Martin Usine de Moulaine
22 octobre - 1 million de briques de laitier, des bois et des traverses de fer pour les voies ferrées
1er novembre Les tôles d'acier et les feuilles de fer-blanc -
25 novembre L'acier et la fonte, les produits en fonte,les demi-produits et produits-finis -
4 décembre Les scories brutes -
16 décembre Les matériaux stockés en magasin pour les voies de campagne -
23 décembre L'aluminium, la fonte de fusion, la fonte spiegel, l'hématite,les lingotières, le nickel, les outils, les tours et machines -
26 décembre Le ballast, les crasse et les crassettes qui doivent être livrés régulièrement aux Allemands -


En 1915, les exigences allemandes vis-à-vis des usines deviennent plus dures. Les confiscations de matériels se multiplient. Surtout, les premiers ordres de démontage accroissent la pression allemande sur les entreprises françaises occupées. À la Société des Aciéries de Longwy, Alexandre Dreux, qui était resté sur place, doit faire procéder à des inventaires sur tout ce que l'usine contient comme outils, machines et matériels : les wagons le 8 avril 1915, les matériels électrique et les rails le 6 mai 1915 ainsi que les boulons et les vis le 22 mai 1915 ! Conjointement à cet inventaire, l'usine est dépouillée de son cuivre et de ses tôles. Il n'y a pas de remise en route des hauts-fourneaux : « M. Dreux s'y refusa avec la dernière énergie. D'ailleurs, le matériel n'était guère en état pour une reprise du travail »[57]. Les ouvriers l'empêchent également : « La résistance opposée par le personnel (…) avait profondément irrité l'autorité allemande »[58]. Cette forme de protestation a des conséquences sur le régime d'occupation : « À partir du 29 mai 1915, les Aciéries [de Longwy] doivent communiquer [aux occupants] chaque semaine le programme des travaux à exécuter la semaine suivante et le résumé des travaux de la précédente ; défense formelle est faite d'employer quoi que ce soit sans autorisation préalable des Allemands »[59].

Des confiscations aux destructions (1916-1918)

Les confiscations s'intensifient de 1915 à 1916. Le 8 janvier 1916, il y a même une évacuation des usines situées au nord de la voie ferrée Longwy-Luxembourg : des nouveaux laminoirs, 3 hauts-fourneaux et la mine de Coulmy.

Une circulaire du 26 juillet 1916 oblige même la fourniture des plans et dessins des usines aux Allemands. D'ailleurs, depuis la circulaire du 13 mai 1916, les entreprises sidérurgiques ne sont plus indépendantes : la Schutzverwaltung les dirige directement : « [cette circulaire] consacre définitivement la mainmise de l'envahisseur sur les propriétés françaises »[60]. Aucune correspondance ne peut être échangée directement entre l'administration des usines et l'extérieur. La direction des usines doit remplir des bons auprès de la Schutz pour toute demande de matériel. À partir de novembre 1916, des destructions importantes ont lieu : « L'ordonnance du 18 novembre 1916 ouvrait l'ère des dévastations sans nom. Celles-ci s'échelonnent jusqu'à l'armistice, et se répartissent en deux phases dont la première s'achève le 26 avril 1917 »[61]. Dans le courant de l'année 1917, la Rohma ordonne que tous les travaux non exécutés au profit de l'armée allemande soient arrêtés. Des prisonniers français et russes ainsi que des déportés belges sont utilisés pour la manutention des opérations de démolition. Jusqu'au 15 décembre 1916, le paiement des maigres salaires de ces travailleurs forcés est même effectué par les usines en cours de disparition ! À partir d'août 1917, les installations industrielles de la Société des Aciéries de Longwy sont méconnaissables : « L'usine a pu être alors comparée à un gigantesque parc à ferrailles, encombrée soit des débris des grosses machines qui n'avaient pas pu être transportées en Allemagne, soit des monceaux de matériaux provenant des autres établissements des Ardennes, de la Champagne et de la Meuse qu'on triait avec soin avant de les acheminer sur la Germanie »[62]. À la fin de la guerre, les établissements de Mont-Saint-Martin sont détruits : « Deux hauts-fourneaux [(sur 7)] ont été complètement démolis. Pour les autres, la superstructure existe mais il manque la maçonnerie réfractaire, tantôt les soufflantes, tantôt les installations d'épuration des gaz et les tuyauteries »[63]. En 1918, le résultat des destructions et des déménagements d'installations est le suivant : « Toutes les machines utilisables sont parties et nombre d'ateliers sont rasés complètement »[64]. Cinq hauts-fourneaux ont été complètement détruits : 2 à la Société des Aciéries de Longwy, 2 aux usines de la Chiers et un aux usines de Saintignon[65]. Ceux qui restent en place sont inutilisables à cause du démontage des machines de centrale, des pièces de cuivre, des soufflantes des tuyauteries et des tuyères nécessaires à leur fonctionnement[66]. Les installations neuves ont été déménagées en Allemagne, notamment en Lorraine annexée : « C'est ainsi qu'une partie des laminoirs de Micheville est à Carlshutte (Thionville), que ceux de Rehon ont été pris par Röchling, que ceux de Mont-Saint-Martin, en particuliers les trains continus ont été dirigés partie sur Rombas, partie sur Knutange et partie sur Thyssen »[67]. Dans les aciéries, les fours Martin ont été démontés tandis que « les convertisseurs ont, en règle générale, été brisés sans ménagement »[68]. Tous les stocks ont été envoyés en Allemagne. Enfin, tout ce qui ne pouvait pas être déplacé a été détruit ou était en train de l'être dans les derniers mois du conflit. Ces ultimes destructions relèvent de la stratégie de la terre brûlée. Elles résultent également des limites techniques du déplacement de pans entiers d'installations industrielles de taille très importante : « En plus, toutes les machines cassées ont été expédiées à l'état de mitraille ; une grande partie de l'usine de Micheville était dans cet état à l'armistice faute de moyens de transport pour avoir pu déménager la ferraille »[69].

OCCUPATION, ÉVOLUTIONS TECHNIQUES ET DESTRUCTIONS

La vie quotidienne des populations civiles

Les atteintes aux bâtiments témoignent de la brutalité de l'occupant, renforcée au cours de la guerre par le passage de la zone occupée sous administration militaire : « L'arrondissement de Briey a un traitement particulier. Destiné à être annexé en cas de victoire, il est placé d'abord sous l'autorité civile allemande de Metz (10 septembre 1914), puis celle du gouverneur militaire (23 décembre 1916) »[70]. La proximité du front entraîne aussi la présence de nombreux soldats et installations militaires dans les villages du Pays-Haut : « Dans les gares, le trafic militaire remplace les rames de minerai de naguère. Bouligny est un centre de ravitaillement et de la poste aux armées ; à Auboué, 150 cartographes allemands travaillent à établir les cartes du front ; Baroncourt trie les convois de matériels et de renforts ; Audun-le-Roman, Conflans-Jarny, Montmédy deviennent des centres nerveux ferroviaires de première importance »[71]. Subissant les réquisitions et l'arbitraire de l'occupation militaire, les populations civiles restées sur place doivent aussi supporter la cohabitation avec les troupes allemandes qui s'installent dans les formes d'habitat issues de l'industrialisation : « À Bouligny, dans les cités [minières] désertées, les chevaux du train des équipages sont installés dans des logements en rez-de-chaussée ; à Auboué, les soldats occupent les cités abandonnées par les mineurs italiens »[72].

Dans la sidérurgie, les Français restés sur place qui travaillent pour la Schutz puis pour la Rohma, doivent se plier à leurs directives. Le contexte professionnel est alors le suivant : « Ainsi, indépendance des établissements supprimée, les usiniers et leur personnel doivent l'obéissance passive aux autorités militaires d'occupation. Celles-ci contrôlent et administrent les usines à l'intérieur, et sont les intermédiaires obligés entre celles-ci et le dehors »[73]. Dans le cadre de leur activité professionnelle, comme les dirigeants et les employés de la Société des Aciéries de Longwy, ils subissent la sévérité des occupants : « Les amendes infligées à M. A. Dreux et au personnel, les extorsions, les arrestations arbitraires vont de pair avec le pillage et les destructions »[74]. Les Allemands répriment fortement toutes les tentatives de protestation et de résistance : « M. A. Dreux est incarcéré deux fois, mis au secret, et doit comparaître à plusieurs reprise devant un Conseil de Guerre. Ingénieurs, contremaîtres et ouvriers partagent le même sort ; plusieurs dont le directeur Sabas, les électriciens Latour et Richard, le contremaître Postal, le chauffeur Hartert sont durement condamnés et subissent de longues détentions »[75]. Les corvées, les vexations, les brimades constituent le lot quotidien des civils français : « Les relations occupants-occupés sont des relations de domination »[76]. Malgré les distributions de la Croix Rouge, les habitants ont du mal à se nourrir : « Les États-Unis [(jusqu'en 1917)] font parvenir des vivres par la Hollande. Mais l'occupant en détourne la majeure partie et la remplace par de la farine K.K. La ration d'un pain noirâtre descend à 100 grammes par jour »[77]. Néanmoins, il faut signaler des rapprochements entre la population civile et les militaires allemands : « L'abbé Gaspard curé de Saulnes, regrette que des habitants aient trop facilement fait " Kamerad ! Kamerad !" avec les occupants et tout penaud il écrit que sa paroisse aurait battu le record "de baptêmes d'enfants boches" »[78].

Mais, l'occupation allemande a aussi apporté des évolutions techniques pour l'exploitation minière. Des villages sont ainsi dotés de l'éclairage électrique. Les effets de ces changements d'infrastructures sont durables.

Les explosifs et la mécanisation du travail minier

À côté des recherches géologiques qui n'apportent rien de nouveau sur la connaissance du gisement de minette, les autorités d'occupation allemandes mettent en place de nouveaux moyens techniques dans les mines de fer.

L'utilisation de l'oxygène liquide révolutionne le travail de la mine. Mis au point en 1912 par Guillaume Weber, directeur de la mine de Wendel d'Hayange, l'emploi de cartouches trempées dans l'oxygène liquide présente, pour les mineurs, l'intérêt de travailler avec un matériel qui devient totalement inerte une heure après son trempage. La poudre noire, encartouchée ou non, n'ayant pas cette caractéristique, son remplacement commence à s'effectuer, en Moselle annexée, avant même le début du conflit. Pendant la guerre, les Allemands qui veulent économiser la poudre – sprengsalpeter – généralisent l'utilisation de l'oxygène liquide à l'ensemble des mines de fer occupées. Ils créent ainsi des centrales de production d'oxygène liquide dans les mines d'Auboué, Homécourt, Moutiers et Sancy. Comme l'emploi des explosifs nécessite une formation particulière : « Le personnel employé dans les mines étant en grande partie inexpérimenté, les allemands avaient confié de façon exclusive le poste de boutefeu à des mineurs de métier »[79].

Pour les explosifs, la Première guerre mondiale a donc accéléré la diffusion d'une technique nouvelle car la nécessité d'économiser un matériel éminemment stratégique s'est effectuée dans le contexte des premiers développements d'une innovation fondamentale. Vers 1910, la traction électrique et la perforation pneumatique font pleinement entrer le travail du mineur dans l'ère de la mécanisation. Pendant l'occupation, afin de parfaire celle-ci, la Schutzverwaltung développe les réseaux électriques et ferrés des exploitations minières de Meurthe-et-Moselle. Le développement du rail en Meurthe-et-Moselle du nord et le raccordement des réseaux de chemins de fer français de zone occupée et allemands de zone annexée permettent ainsi d'améliorer les conditions de transport du minerai lorrain. Les voies Auboué-Briey, Homécourt-Moyeuvre et Hussigny-Redange facilitent la circulation des wagons de minette avant même le retour de la Moselle à la France. Des raccordements de réseaux électriques sont également mis en place à la faveur de la construction de centrales électriques adjointes à différentes exploitations. Tout un système de stations et de sous-stations électriques[80] maille alors la Lorraine septentrionale par-delà la frontière de 1871. Il est remis, en bon état, aux autorités françaises à l'armistice permettant : « (…) [d'ouvrir] la voie à la mise en commun si désirable de la fourniture de l'énergie électrique pour les besoins des mines et l'utilisation dans un vaste réseau consommateur des excédents de puissance disponible des usines sidérurgiques »[81].

Bilan des déplacements de matériel et des destructions dans les usines

Tableau n° 6 : Les installations sidérurgiques du bassin de Longwy à la fin de la Première Guerre mondiale[82]
Hauts-Fourneaux Aciéries Thomas Aciéries Martin Fonderies Laminoirs Forges
Société des Aciéries de Micheville 5 (incomplets)* 1 - - Démolis ou enlevés -
Aubrives-Villerupt 2 - - Oui - -
Lorraine Industrielle 2 - - - - -
Marc Raty 4 - - - - -
Société des Aciéries de Longwy (usine de Mont-Saint-Martin) 5 (?) Détruite Détruite Détruites Détruits -
Société des Aciéries de Longwy (usine de Moulaine) 2 (?) - - - - -
Société des haut-fourneaux de la Chiers 2 Détruites - - Détruits -
Société de Saintignon et Cie 2 (dont un en état de fonctionner) - - - - -
Société métallurgique de Senelle-Maubeuge (usine de Senelle-Longwy) 5 1 1 - Oui -
Société métallurgique de Senelle-Maubeuge (usine de Villerupt) 2 - - - - Oui
Société des Forges de la Providence 3 Détruite - - Démontés //
Société Métallurgique de Gorcy 2 (incomplets)** - Démontée en partie - Oui //
Société Française métallurgique - - - Oui - -

* : Ils ne peuvent être mis à feu rapidement à cause de l'absence de soufflantes.

** : Il y manque des appareils et de l'outillage.


Pour les usines de Longwy et des alentours, les destructions organisées par les forces d'occupation sont considérables. Après l'armistice, les spoliations et les dévastations subies par les établissements industriels compromettent gravement le redémarrage de l'activité sidérurgique[83].

80 000 tonnes de matériels et d'outillage ont été enlevés à la Société des Aciéries de Longwy pour être utilisés en Allemagne[84]. Les convertisseurs et le matériel de l'aciérie Thomas avaient été installés à Hayange. L'aciérie Martin avait été démembrée : des pans de cette installation avaient été dispersés à Rombas, Aix-la-Chapelle, Dortmund et Osnabrück[85] ! Jusqu'à la fin de la guerre, les Allemands procèdent à la réinstallation des matériels enlevés : à Rombas, au moment de l'armistice, des éléments des laminoirs continus des aciéries de Longwy étaient encore en montage[86]. Comme l'écrit Auguste Pawlowski : « L'industrie allemande perfectionnait son outillage à bon marché »[87]. Le montant total des pertes financières subies par la Société des Aciéries de Longwy, pour les usines de Mont-Saint-Martin, de Moulaine ainsi que pour les mines de ces deux localités et celle de Tucquegnieux, s'élève à plus de 300 millions de francs[88].

Dans d'autres usines sidérurgiques de la zone occupée de Meurthe-et-Moselle, les ravages de l'occupation sont semblables à ceux subis par la Société des Aciéries de Longwy. Aux usines d'Homécourt, les destructions sont considérables[89]. Après le conflit, les entreprises sidérurgiques françaises du Nord de la Meurthe-et-Moselle reconstituent leurs capacités de production. Cette véritable reconstruction s'effectue en trois étapes : la réinstallation du matériel récupéré, la mise en place d'installations neuves pour compléter les anciennes et la remise en route de la production. En 1929, année de production sidérurgique record en France[90], des usines sont encore en cours de réaménagement : à la Société des Aciéries de Longwy, les hauts-fourneaux nos 2 et 3 détruits pendant la Grande Guerre sont encore en train d'être rénovés[91].

CONCLUSION

De 1914 à 1918, à Longwy et aux alentours, l'occupation allemande, durement vécue par les populations civiles restées sur place, n'a pas eu les mêmes conséquences dans les mines de fer que dans les usines.

Dans les exploitations minières, conjointement aux pillages et à la surexploitation de certaines parties du gisement, elle a contribué à faire progresser techniquement le réseau ferré de part et d'autre de la frontière franco-allemande, avant la transformation de celle-ci en limite départementale franco-française. Mais, elle a surtout montré les limites des possibilités de l'exploitation d'établissements industriels dans le cadre de pénuries de main-d'œuvre et de matériels ; malgré, d'ailleurs, les projets visant à s'emparer d'une industrie minière afin, en cas de victoire de l'Allemagne, de la destiner à compléter la puissance industrielle germanique. Pour les usines longoviciennes, la situation fut plus difficile. D'une certaine façon, les Allemands ont mené la guerre à cette industrie. En effet, ils ont supprimé la concurrence en détruisant les installations sidérurgiques. À la fin du conflit, le bilan des destructions et des vols est catastrophique. Bien que les cadres, les objectifs et les résultats de l'occupation allemande dans ces deux secteurs d'activité industrielle soient différents, ils ont en commun une forme d'organisation économique qui combine la gestion rationnelle et le pillage. Ces deux caractéristiques préfigurent la mise en coupe réglée de toute l'économie française pendant la majeure partie de la Deuxième Guerre mondiale.

ILLUSTRATIONS DE L'ARTICLE.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (10-2010) Pascal Raggi - Longwy 1.jpg
Longwy : Vue d'ensemble des aciéries de Mont-Saint-Martin avant la guerre[92].
Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (10-2010) Pascal Raggi - Longwy 2.jpg
Longwy : Chaudières détruites du haut-fourneau n°6 des aciéries de Mont-Saint-Martin[93].
Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (10-2010) Pascal Raggi - Longwy 3.jpg
Longwy : Restes des fours à réchauffer et des chaudières des laminoirs des aciéries de Mont-Saint-Martin[94].

NOTES

  1. Du 4 au 12 septembre 1914, la bataille du Grand Couronné remportée par l'armée française permet de tenir Nancy et de renforcer le front au moment de la contre-offensive de la Marne.
  2. Des exécutions d'otages, des viols, des destructions de maisons prouvent la brutalité de la conquête allemande. Maurice Barrès a célébré « Gerbévillers-la-martyre » commune meurthe-et-mosellane presque entièrement détruite et dont une partie des habitants a été massacrée.
  3. François Roth, Encyclopédie illustrée de la Lorraine, Metz-Nancy, Éditions Serpenoise-PUN, 1994, tome 4.2 L'époque contemporaine. Le vingtième siècle 1914-1994, p.8.
  4. 18 concessions dans le bassin de Briey et 15 dans celui de Longwy.
  5. Félix Leprince-Ringuet, « Rapport sur l'industrie minière en Meurthe-et-Moselle », in Revue Industrielle de l'Est, n°1280, 28 septembre 1919, p.767.
  6. Jean-Arthur Varoquaux, Histoire d'une profession : les mines de fer de France, Paris, Chambre Syndicale des mines de fer de France-UIMM éditions, 1995, p.187.
  7. Celles d'Amermont-Dommary, Piennes et Murville.
  8. Les mines du bassin de Nancy échappent, quant à elles, à l'occupation allemande.
  9. F. Leprince-Ringuet, op. cit., p.765-769.
  10. Gérard Canini, La Lorraine dans la guerre de 14-18, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1984, 127 pages.
  11. François Roth, « Lorraine annexée et Lorraine occupée 1914-1918 » in Jean-Jacques Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau (sous la dir. de), Les sociétés européennes et la guerre de 1914-1918, Paris, Publications de l'Université de Nanterre, 1990, p.289-309
  12. François Roth, Encyclopédie illustrée de la Lorraine, op. cit., 272 pages.
  13. F. Leprince-Ringuet, « Rapport sur l'industrie minière en Meurthe-et-Moselle », in Revue Industrielle de l'Est, n°1280, 28 septembre 1919, p.761-769, n°1281, 5 octobre 1919, p.791-795, n°1282, 12 octobre 1919, p.817-819, n°1283, 19 octobre 1919, p.841-845, n°1284, 26 octobre 1919, p.869-871. Félix Leprince-Ringuet (1873-1958), X-mines, a été nommé inspecteur général des mines en 1924 après avoir réalisé de multiples missions et voyages d'étude et rédigé de nombreux rapports et ouvrages. Il est le père du physicien Louis Leprince-Ringuet. Pour davantage de renseignements biographiques, voir le Dictionnaire biographique français contemporain, Paris, Pharos, 2e édition, 1954, p.407.
  14. Auguste Pawlowski, La métallurgie lorraine sous le joug allemand. 51 mois de pillages et de dévastation (août 1914-octobre 1918), Paris, Dunod et Pinat éditeurs, 1919, 133 pages.
  15. Jean Scherbeck, Les Aciéries de Longwy 1880-1930, Mulhouse, 1930, 189 pages.
  16. Simone Pesquiès-Courbier, « François De Wendel est-il intervenu auprès du Haut Commandement français en faveur de ses usines de Lorraine au cours de la guerre de 1914-1918 ? », La Revue lorraine populaire, avril 1988, p.134-136. Jean-Noël Jeanneney, François de Wendel en République. L'argent et le pouvoir 1914-1940, Paris, Seuil, 1976, p. 67-107, Denis Woronoff, François de Wendel, Paris, Presses de science Po, 2001, p.56-66.
  17. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.765.
  18. Minière : exploitation à ciel ouvert ou à extraction souterraine de courte durée.
  19. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.767.
  20. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.769.
  21. Ibidem.
  22. Minette : nom familier donné au minerai de fer lorrain dont l'inconvénient majeur réside dans sa faible teneur (35 % en moyenne).
  23. En 1915, les sous-marins britanniques coulent plusieurs navires de surface allemands dans la mer Baltique : le Pommern (2 juillet), le Prinz Adalbert (28 octobre) et le Bremen (17 novembre).
  24. F. Leprince-Ringuet, op. cit., p.769.
  25. Félix Leprince-RinguetI, op. cit., p.769.
  26. « Le "Bulletin des Armées" s'occupe de la minette », L'Oeuvre du 9 décembre 1916.
  27. Extrait de L'Écho des Mines du 12 novembre 1916 reproduisant l'article du quotidien Le Temps, cité dans une correspondance entre Camille Cavallier, directeur des usines de Pont-à-Mousson SA, et un de ses chefs de service.
  28. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.767.
  29. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.769.
  30. Cf tableau n°1.
  31. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.767.
  32. Félix Leprince-Ringuet, op. cit, n°1281, 5 octobre 1919, p.795.
  33. D'après Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p. 767. Les chiffres donnés par les exploitants français ne diffèrent que très légèrement de ceux donnés par l'administration allemande.
  34. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.767.
  35. Maurice Duruy, Rapport sur l'industrie minière en Meurthe-et-Moselle, Nancy, 1933, p. 25.
  36. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.791.
  37. Ibidem.
  38. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.793.
  39. Ibidem.
  40. Gérard Walter, L'évolution du problème de la main-d'œuvre dans la métallurgie de la lorraine désannexée, Mâcon, 1935, p.185-189, cité par Serge Bonnet, L'Homme du fer. Mineurs de fer et ouvriers sidérurgistes lorrains, tome I, 1889-1930, 2e édition, Nancy-Metz, Presses universitaires de Nancy-Éditions Serpenoise, 1986, p.182.
  41. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.793.
  42. Gérard Walter, op. cit., in Serge Bonnet, op. cit., p.183.
  43. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.793.
  44. Ibidem.
  45. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p. 793.
  46. Ibidem.
  47. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.793.
  48. Ibidem.
  49. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p. 793.
  50. D'après Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.869-871.
  51. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.817.
  52. Auguste Pawlowski, op. cit., p.115.
  53. Auguste Pawlowski, op. cit., p.21.
  54. « La sidérurgie mondiale pendant la guerre vue par les Allemands », Bulletin du Comité des Forges, n°3287, 26 mars 1915, p.22.
  55. Cf tableau n°5.
  56. D'après Auguste Pawlowski, op. cit., p.21-22 et p.25.
  57. Auguste Pawlowski, op. cit., p.28-29.
  58. Auguste Pawlowski, op. cit, p.29.
  59. Jean Scherbeck, op. cit., p.42.
  60. Ibidem.
  61. Auguste Pawlowski, op. cit., p.58.
  62. Auguste Pawlowski, op. cit., p.62.
  63. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.869.
  64. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.817.
  65. Ibidem.
  66. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.817.
  67. Ibidem.
  68. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.817.
  69. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.819.
  70. Gérard Canini, op. cit., p.70.
  71. Gérard Canini, op. cit., p.70-71.
  72. Gérard Canini, op. cit., p.71.
  73. Auguste Pawlowski, op. cit., p.45.
  74. Jean Scherbeck, op. cit., p.43.
  75. Ibidem.
  76. François Roth, « Lorraine annexée et Lorraine occupée 1914-1918 », op. cit., p.301.
  77. Gérard Canini, op. cit., p.71.
  78. François Roth, « Lorraine annexée et Lorraine occupée 1914-1918 », op. cit., p.302.
  79. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.795.
  80. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.795.
  81. Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.871.
  82. D'après Félix Leprince-Ringuet, op. cit., p.869-871.
  83. Cf tableau n°6.
  84. Jean Scherbeck, op. cit., p.49.
  85. Jean Scherbeck, op. cit., p.50.
  86. Ibidem.
  87. Auguste Pawlowski, op. cit., p.108.
  88. Jean Scherbeck, op. cit., p.48-49.
  89. Auguste Pawlowski, op. cit., p.108-115.
  90. Cette année-là, 6,4 millions de tonnes d'acier sont produites dans les usines de Lorraine. Il faut attendre 1952 pour que ce chiffre soit dépassé. Voir Jean-Arthur Varoquaux, op. cit., p.187-188.
  91. Jean Scherbeck, op. cit., p.52.
  92. Source : Auguste Pawlowski, La métallurgie lorraine sous le joug allemand. 51 mois de pillage et de dévastation (août 1914-octobre 1918), Paris, Dunod et Pinat, 1919, dos de la page de couverture).
  93. Source, Auguste Pawlowski, op. cit., p.23).
  94. Source, Auguste Pawlowski, op. cit., p.79.


Article publié dans
Cédric Andriot, Fabienne Henryot, Philippe Martin et Philippe Masson (dir.), Longwy, les hommes, la guerre, le fer, Haroué-Nancy, Éditions Gérard Louis, 2013, p.174-197.



  Pour citer cet article :
Pascal Raggi - L'occupation allemande des mines et des usines de Longwy et des alentours pendant la Première Guerre mondiale. - Projet Empreinte militaire en Lorraine
Consulté en ligne le <date du jour> - Url : http://ticri.univ-lorraine.fr/wicri-lor.fr/index.php?title=Empreinte_militaire_en_Lorraine_(10-2010)_Pascal_Raggi

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