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Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - Michel Parisot

De Wicri Lorraine
L'embranchement ferroviaire du dépôt de munitions américain du Rozelier à Verdun.


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Auteur : Pierre Labrude et Michel Parisot

La question des embranchements ferroviaires destinés aux installations de l'Armée américaine en France à l'époque de la Communication Zone et de la première intégration à l'OTAN n'a fait l'objet que de très rares études : Spaite[1] et, très récemment, nous-mêmes[2]. De ce fait, ce sujet est très mal connu. Pourtant les historiens devraient s'y intéresser car les accords franco-américains qui entérinent la création de cette ligne mentionnent clairement l'emploi de la voie ferrée pour les mouvements de matériels et d'approvisionnements[3]. Cette pratique n'est que la suite de ce qui s'est passé en 1944 et 1945, et qui a été très bien décrit récemment par Messieurs Jean et Jean-Claude Laparra à propos de la base logistique de Verdun[4].

Dans l'organisation de la Communication Zone ou ComZ ou Line of Communication ou LOC, Verdun occupe une place importante puisque la cité est le siège du commandement de la section avancée de la ligne (Advance Section ou Adsec) et elle le reste jusqu'au départ des Américains en 1967, même si son déclin commence plusieurs années auparavant, et que des changements interviennent dans les structures et dans leurs appellations (TASCOM puis 4th Logistical Command). Plusieurs des dépôts verdunois sont reliés au réseau SNCF[5].

La Section avancée de la ligne - tout comme sa section de base (Basec) dont le commandement s'exerce depuis la région Poitou-Charente : La Rochelle ou Poitiers selon les moments - dispose d'un important dépôt de munitions établi sur plusieurs milliers d'hectares dans la forêt de Trois-Fontaines (Trois Fontaines Ammunition Depot ou TFAD)[6], en limite du département de la Meuse, non loin de Robert-Espagne. Ce grand dépôt est doté d'un embranchement ferroviaire dont il existe encore des traces. Selon Domange[7], c'est en 1959 que débute la réalisation d'un tel dépôt à côté du fort du (ou "de") Rozelier et de l'ouvrage de Déramé à Verdun. Le capitaine Baudelot[8], pour sa part, fait remonter la construction des abris bétonnés (souvent appelés "igloos") à une date un peu plus précoce et il indique "1958 à 1960". Ces abris sont disposés le long de routes (ou rues, figure 1) concentriques et disposent de portes anti-souffle à ouverture électrique et manuelle. À l'époque américaine, ces installations de stockage, qui existent encore et qui sont utilisées par l'Armée française sous le nom actuel de "Groupement Munitions du Rozelier"[9], constituent une annexe de celles de Trois-Fontaines.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude-une rue du dépôt.jpg
Figure 1 : une "rue" du dépôt au moment de sa construction. Plusieurs "igloos" sont visibles du côté droit. On remarque aussi les importants fossés de chaque côté du passage.

Nous n'envisagerons pas ici la question, toujours débattue de nos jours, de la présence d'armes nucléaires sur ce site, mais seulement la construction de l'embranchement ferroviaire destiné au mouvement des munitions, et de ce que nous avons pu savoir de son exploitation. Nous avons en effet eu le bonheur de disposer du dossier réalisé en 1962 par le capitaine Henri Baudelot, l'officier du Génie chargé de la liaison entre l'US Army et l'Armée française pour la réalisation de cet embranchement. Ses notes, complétées par des photographies et des plans, nous ont été remises par son arrière-petite-fille, Madame Julie Herman. Elles évoquent plusieurs chantiers mais surtout la construction de cette voie ferrée d'un peu plus de dix kilomètres de longueur, comportant des ouvrages d'art, et des portions en remblais ou tranchée encore bien visibles actuellement en dépit du déferrement intervenu en 2009[10]à la suite de son déclassement par l'Armée en 2006. Cette voie ferrée s'embranche à Eix-Abaucourt sur la ligne 5 de la région Est de la SNCF, actuellement codée 085 000, qui relie Saint-Hilaire-au-Temple à Hagondange[11].

Avant d'envisager la construction de l'embranchement, il nous semble utile de fournir au lecteur quelques informations sur cette ligne ferroviaire. À l'issue de la description des travaux réalisés par les unités du Génie, nous évoquerons brièvement les ouvrages fortifiés de Rozelier et de Déramé qui appartenaient à la place forte de Verdun et qui sont proches de l'embranchement sur la fin de son parcours, puis nous présenterons succinctement les deux unités de l'US Army Corps of Engineers qui ont effectué les travaux.

LA VOIE FERRÉE DE SAINT-HILAIRE À HAGONDANGE[12].

Cette ligne de 176 kilomètres de longueur à écartement normal et partiellement électrifiée en 1956, relie l'actuelle région Champagne-Ardenne à la Lorraine. Demandée par les villes de Reims et de Metz à la suite de l'annonce du tracé de la ligne Paris-Strasbourg par Bar-le-Duc et Nancy, elle fait l'objet de longues et difficiles discussions et elle est finalement concédée à la Compagnie de l'Est en 1863[13]. Elle constitue le tracé le plus court entre Metz et Paris. Les premiers tronçons mis en service, à voie unique, se trouvent du côté champenois, jusqu'à Sainte-Menehould en 1867, et la portion qui nous intéresse ici, Verdun/Conflans-Jarny, est achevée en juin 1873. Le reste de la ligne, jusque Hagondange, est réalisé ensuite et en plusieurs étapes jusqu'en 1925. L'armement est léger, de manière à permettre un déferrement rapide en cas de conflit avec l'Empire allemand qui, lors des discussions en vue du traité de Francfort, s'est opposé à sa mise à double voie[14]. À Verdun, la ligne croise celle reliant Sedan (par Pont-Maugis) à Lérouville (ligne 19 de la région Est11), d'où l'intérêt stratégique de la gare et de ses raccordements, y compris à l'époque américaine, non seulement pour la logistique mais aussi pour le soutien sanitaire des forces.

La ligne est mise à double voie entre Saint-Hilaire et Verdun en 1880 et le reste après la guerre de 1914-1918 à la demande de la Commission de défense des frontières pour faciliter la concentration des troupes dans l'éventualité d'une mobilisation : entre Conflans et Eix-Abaucourt en 1923 puis jusqu'à Verdun en 1936, ce délai étant dû à la nécessité de percer une seconde galerie pour le tunnel de Tavannes. Toutefois, compte tenu des difficultés d'exploitation de la ligne et de son faible trafic, elle est remise à voie unique entre 1972 et 1973 : de Verdun à Etain le 27 juillet 1973 puis jusqu'à Conflans le 5 août. Des gares sont fermées et les plans des voies de celles qui sont conservées sont simplifiés. Aussi, à l'époque américaine, la voie est-elle double et la gare d'Eix-Abaucourt comporte t-elle plusieurs voies de service et de garage en plus de l'embranchement militaire.

La ligne présente de fortes rampes (15 pour 1000) et des courbes d'assez faible rayon (300 m), aussi nécessite t-elle des doubles tractions et des renforts par une machine en pousse, en particulier pour le franchissement du seuil où se trouve le tunnel de Tavannes, et la vitesse est-elle limitée. Pour ces raisons, les trains importants et rapides ne l'ont jamais empruntée[15]. Le tunnel de Tavannes, situé entre Fleury-devant-Douaumont et Eix-Abaucourt, d'un peu moins de 1200 mètres de long et de 5 mètres de large, construit à partir de 1868 et qui n'était pas terminé au moment de la guerre de 1870, est tristement célèbre par la catastrophe survenue le 4 septembre 1916. La seconde galerie, qui a été percée lors de la mise à double voie, est celle qui est utilisée aujourd'hui. En décembre 1944, la Résistance a entravé le passage des convois allemands en sabotant ces installations.

Au moment où l'US Army fait construire l'embranchement, et comme déjà indiqué, la gare d'Eix-Abaucourt comporte plusieurs voies de garage et de manoeuvre[16]. Il s'agit d'une part dans le sens impair[17], de cinq voies, numérotées 1, 3, 3 bis, 5 et 7, raccordées à la ligne à chacune de leur extrémité (sauf la voie 7) et situées de part et d'autre face aux installations de la gare, et d'autre part dans le sens pair, de deux voies, numérotées 4 et 6, dont une complètement en tiroir (la voie 6) et l'autre se terminant le long de la façade latérale du bâtiment marchandises (figure 2). La gare comporte aussi un bâtiment voyageurs édifié dans le style habituel de la Compagnie de l'Est au moment de la reconstruction qui a suivi la Première Guerre mondiale.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - la gare d'Eix-Abaucourt.jpg
Figure 2 : la gare d'Eix-Abaucourt. Au premier plan une des voies militaires. A gauche le wagon couvert est sur une des voies de garage impaires, cependant que la rame qui stationne devant la halle marchandises occupe la voie 4 (collection M. Parisot).

La construction du faisceau américain conduit à la disparition ou au remodelage des voies 5 et 7 de la SNCF ainsi que de ce qui restait des anciennes installations de la ligne de la Woëvre (de Commercy à Montmédy), en particulier son ancienne gare, dont il occupe les emplacements[18]. Il comporte, du côté impair, trois voies parallèles à celles de la SNCF avec deux prolongements munis d'un butoir. Ces voies se raccordent aux deux voies de la ligne 5, par l'intermédiaire des voies de garage SNCF du côté de Verdun, et directement du côté d’Étain où se trouvent les deux prolongements. Elles communiquent entre elles par des aiguillages placés approximativement en leur milieu. Les plans montrent que ces voies sont situées du côté droit du bâtiment voyageurs en direction d’Étain et à peu près centrées par rapport à la halle marchandises. Selon le plan présent dans l'ouvrage de Minarie9, la voie conduisant au dépôt du Rozelier prolonge la voie médiane du faisceau.

La mise de la ligne 5 à voie unique comme elle l'était initialement, plusieurs années après le départ des Américains de notre pays en 1967, sans intervention sur le faisceau militaire, ne modifie pas sa possibilité de communication avec la voie SNCF par chacune de ses extrémités. Mais la situation évolue : la gare d'Eix-Abaucourt est fermée en 1980 et, le raccordement n'étant pas utilisé par l'Armée française, les aiguilles d'accès au faisceau sont déposées en 2008 avec suppression de la signalisation correspondante, l'Armée finit par s'en séparer en 2006 et l'embranchement est totalement déposé en 2009[19].

LA CONSTRUCTION DE L'EMBRANCHEMENT AMÉRICAIN[20].

Une réunion préparatoire se tient le 2 juin 1959 à la citadelle de Verdun, dans les locaux de l'arrondissement des travaux du Génie, avec les autorités américaines et françaises, les représentants de l'Administration des Domaines et de la SNCF, et les architectes auteurs du projet. Des sondages sont réalisés par l'entreprise Solery en vue de l'étude des propriétés des sols à partir du 4 septembre. Puis une réunion est organisée le 25 février 1960 avec l'état-major du 249th Engineer Battalion (Construction) au quartier Sidi-Brahim d’Étain où stationne temporairement une fraction de cette unité chargée des constructions de l'Armée américaine dans notre région. Ce bataillon (l'équivalent du régiment dans l'Armée française) est en garnison en Allemagne (caserne Kleber à Kaiserslautern) et il détache des unités, section ou compagnie, à l'occasion de travaux importants. Pour sa part, le quartier d’Étain acccueille une partie du 97th Engineer Battalion (Construction), qui terminera les travaux de l'embranchement. Une reconnaissance du terrain a lieu le 2 mars 1960.

Les piquetages sont réalisés le 26 mars par les experts et géomètres de l'entreprise Robert Bissinger de Strasbourg. L'abattage des arbres (figure 3) et le débroussaillage sont entrepris le 28 et les travaux débutent en gare d'Eix-Abaucourt le 13 avril. Ils commencent sur la rue S (terminologie militaire américaine) à l'intérieur du dépôt le 28 avril. Leur prolongation entraîne la modification des emprises des propriétés traversées à compter du 17 mai. L'embranchement devant passer en dessous de la ligne 5 de la région Est SNCF, une réunion à ce sujet à lieu le 7 juin. Les travaux de la gare de triage à trois voies, en face du village d'Eix, commencent le 17 de ce mois et ceux du passage inférieur précité le 15 juillet. Ce passage est celui de l'ancienne voie du S.-E., mais il doit être modifié.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - l'abattage des arbres.jpg
Figure 3 : l'abattage des arbres par les sapeurs américains.

L'épandage du ballast commence le 20 mars 1961 et la pose des rails à partir de la gare d'Eix débute le 1er juillet pour se terminer le 23 novembre. Le premier train de munitions emprunte l'embranchement dès le lendemain… Des révisions des installations et la fin de la pose des voies sont réalisées par le 97th Engineer Battalion et se terminent le 28 août 1962. Le contrôle définitif intervient le 20 octobre.

Il faut cependant attendre le 28 janvier 1963 pour que l'embranchement soit transféré au service local du Génie américain, et le 1er février pour l'approbation définitive de la SNCF. Les plans sont remis à l'US Army le 5 août 1963. Plusieurs dizaines d'améliorations des installations apparaissent encore nécessaires. Elles sont exécutées à partir du 12 novembre et contrôlées le 6 décembre. D'autres sont encore à réaliser et leur mise en oeuvre a lieu le 17 février 1964. Les travaux sont entièrement effectués par la main d’œuvre militaire américaine du 249e puis du 97e bataillon du Génie US. Il a fallu deux années (novembre 1959 - décembre 1961) pour construire les installations, mais presque cinq en comptant tous les délais, toutes les contraintes administratives et les améliorations nécessaires pour réaliser entièrement cette voie ferrée de quelques kilomètres !

L'ensemble, à écartement normal (1,447 m) comporte, en plus du raccordement de part et d'autre de la gare SNCF d'Eix-Abaucourt (figure 4) et des trois voies de réception et de garage, six passages à niveau dont quatre équipés de barrières automatiques (et même trois de plus en tenant compte des chemins agricoles à Moulainville), deux passages inférieurs et un passage supérieur ainsi que deux "ponts aqueducs". Une gare de triage à trois voies, située dans la plaine, permet de sectionner les rames à distance réglementaire des habitations. Ce sectionnement est rendu nécessaire par la rampe, de 3,5% au maximum, qui conduit au dépôt.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - le raccordement.jpg
Figure 4 : le raccordement vu en direction d’Étain avec, à droite, la gare SNCF.

La voie est en déblai jusqu'à Moulainville, puis en corniche jusqu'au passage à niveau avec le chemin vicinal ordinaire n° 4 (aujourd'hui route départementale 24A qui joint Moulainville à la D 603 vers Verdun), et enfin en tranchée profonde, creusée dans le roc (figure 5), jusqu'au dépôt de munitions dans lequel il pénètre à proximité de l'ouvrage de Déramé (figure 6). La gare y est située presque en face de cet ouvrage et comporte deux voies le long des quais de déchargement, puis deux voies en terminus à 250 mètres environ de l'ouvrage du Rozelier.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - la gare à l'intérieur.jpg
Figure 6 : la "gare" à l'intérieur du dépôt avec, en haut de la photographie, des emplacements d'"igloos"..

L'AMPLEUR DU CHANTIER[21].

Les travaux préparatoires et les reconnaissances effectuées révèlent l'ampleur du chantier et montrent quelles en seront les principales difficultés. Afin d'en minimiser le coût, qui serait plus important si les travaux étaient réalisés par l'Armée française ou des entreprises privées, le choix se porte sur des unités spécialisées de l'US Army, dont le matériel est plus puissant, plus résistant et de capacité plus importante que celui de notre armée et des entreprises civiles. Cet aspect du chantier doit être pris en compte avec précision car l'usure prévue et l'entretien à envisager sont considérables. Le coût est évalué à quatre millions de dollars au lieu de cinq dans la première hypothèse. Néanmoins des entreprises civiles participent à la construction du dépôt.

Selon un article paru dans le quotidien local et figurant dans le dossier du capitaine Baudelot, malheureusement non daté, mais que nous situons au printemps de l'année 1961, l'embranchement mesure 10,6 kilomètres de longueur, mais 14,7 si l'on tient compte des aiguillages et des voies de réception et de triage. Au moment où il écrit son article, le journaliste indique que les arbres ont été coupés sur une surface de 15 hectares et que leurs souches ont été arrachées, qu'environ 150.000 mètres-cubes de déblais, 127.000 de remblais et 32.000 de ballast ont été déplacés ou mis en place. Ceci a nécessité 15 tonnes d'explosifs et environ 500 mouvements de camions par jour. En dehors du ballast, la voie a nécessité 25.000 traverses et plus de 150.000 tire-fonds.

LES MOYENS MIS EN ŒUVRE[22].

Le chantier dépend à la fois de l'Armée française et de l'US Army puisqu'il s'effectue au profit de cette armée et avec ses moyens sur le territoire français et sur des terrains qui appartiennent ou qui viennent d'être acquis par le ministère des Armées. Pour la France, il s'agit de la direction de l'arrondissement des travaux du Génie de Verdun, dont le directeur est le lieutenant-colonel Barrat, avec une équipe de liaison placée sous la responsabilité du capitaine Baudelot. Pour sa part, le 249th Engineer Battalion est placé sous le commandement successif des lieutenants-colonels Garret et Shearer. Le service Voies et Bâtiments (VB) de la région Est de la SNCF participe aussi aux travaux par la section 1547, implantée à Verdun, du 154e arrondissement de travaux.

Le bureau du chantier est installé dans une remorque-bureau américaine (figure 7), dotée du téléphone et de la radio, installée près de la ferme de Moulainville-la-Basse et du futur passage à niveau avec l'actuelle route départementale 24. Des jeeps équipées de radio sont continuellement présentes sur le chantier pour assurer les liaisons des responsables et la transmission des messages. Compte tenu de son importance et des difficultés prévues, deux compagnies renforcées du bataillon sont présentes, soit 400 personnels, avec 240 véhicules dont 116 engins lourds parmi lesquels 29 bulldozers. Si nous avons bien compris, les renforcements sont issus des 510th et 525th Engineer Companies qui stationnent à Jeanne d'Arc Caserne à Dommartin-le-Toul, sur le site où se trouve l'hôpital militaire américain.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - la remorque-bureau.jpg
Figure 7 : la remorque-bureau installée à Moulainville-la-Basse..

LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES[23].

Les difficultés qu'il est prévu de rencontrer, auxquelles s'ajouteront d'autres impondérables, ont plusieurs origines. Tout d'abord, dans la zone considérée et en particulier sur le plateau, la neige est abondante en hiver et elle y séjourne, cependant qu'en été se produisent de violents orages. Ceci entraîne le nécessité d'évacuer de grandes quantités d'eau, dans un minimum de temps lors des grosses précipitations, et donc de prévoir de larges et profonds fossés revêtus de murs en pierres sèches et plates, posées par des spécialistes dans un travail long et délicat. La présence de tels fossés et de systèmes élaborés d'évacuation des eaux est constante dans les installations américaines de cette époque, même en plaine. On les voit très bien sur la figure 1.

En second lieu, le chantier traverse la ligne de front de la guerre de 1914-1918 d'où la présence certaine de restes de ce conflit, en particulier vraisemblablement d'abondantes quantités de munitions, de nombreux débris divers, d'anciens abris et sapes, et aussi de tombes, de fosses ou de squelettes. C'est ainsi que plus de 8.000 obus de divers calibres seront découverts, ainsi que des ouvrages qu'il a fallu explorer, nettoyer et éventuellement consolider en vue du passage de la voie, et que quatre squelettes de soldats ont été mis à jour.

La troisième difficulté vient du terrain. S'il est d'un emploi aisé au début de l'embranchement où il se trouve "en plaine" et sur les terrains de l'ancien Meusien[24], il n'en est plus de même ensuite. C'est ainsi qu'il est prévu de construire la gare de triage dans la plaine de la Woëvre, qui est marécageuse, à l'emplacement d'un ancien étang. La marne bleue qui s'y trouve doit être partiellement remplacée par de la chaux, ce qui conduit à la formation avec elle d'une sorte de ciment, appelé "clinker". Il s'agit d'une opération lourde, au cours de laquelle les hommes et les machines s'enlisent, ce qui nécessite de les attacher par de gros câbles, et occasionne de nombreuses avaries aux engins, d'où autant de réparations. Il faut aussi y assurer un drainage constant, détourner deux ruisseaux et réaliser des aqueducs de 33 mètres de longueur et de 2 mètres de largeur (figure 8).

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - un aqueduc en construction.jpg
Figure 8 : un aqueduc en construction dans la plaine de Woëvre à l'emplacement futur du faisceau de triage.

Le quotidien local montre des engins lourds en cours de réparation, en particulier un bulldozer dépourvu de ses chenilles. Dans un autre reportage, à l'occasion des travaux de construction des rues à l'intérieur du dépôt, une photographie des moyens d'une entreprise montre un petit camion, certainement d'un modèle d'avant-guerre, qui ne peut être comparé par sa taille et sa puissance, aux véhicules américains. Ceci confirme la sagesse d'avoir confié ce chantier à des matériels militaires lourds et endurants (figure 9). C'est ainsi que le quotidien local a pu un jour titrer : "D'Abaucourt au Rozelier, le Génie américain, sous la pluie et dans la boue, mène à bien une oeuvre de titan…".

La conformation du "ravin du Champ Bailly" à Moulainville nécessite de terrasser la plate-forme de la voie en corniche après abaissement du niveau du sol et de construire un mur de soutènement (figure 10).

Un peu plus loin, dans le "Bois de Grimaucourt", compte tenu de la dénivellation à assurer et de la limite de pente compatible avec la marche des trains, la voie doit être creusée en tranchée d'une profondeur de 13 à 15 mètres (figure 11), entre la route stratégique et un chemin forestier, en tenant compte de l'ancien front et des restes de guerre, et avec la nécessité d'employer des explosifs. Cette portion de 3,5 kilomètres de longueur nécessitera huit mois de travaux et sera appelée "grand canyon".

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - la construction en surplomb.jpg
Figure 11 : la construction en surplomb (photographie précédente) et, en haut, la tranchée.

LES TRAVAUX DE GÉNIE CIVIL RÉALISÉS[25].

Envisageons-les depuis la gare d'Eix-Abaucourt. Au droit de celle-ci est réalisé le faisceau de réception qui longe la ligne 5 de la SNCF. Il faut déplacer la passage à niveau qui s'y trouve, ce à quoi contribue le service VB de la SNCF. Le passage de l'embranchement en dessous de cette voie nécessite le dégagement des culées du pont existant, puis son passage sous la route nationale conduit au déplacement du pont routier et justifie la pose transitoire d'un pont Bailey. Vient ensuite la réalisation du triage avec le drainage, le dépôt de la chaux à la place de la marne et la construction des aqueducs au dessus des ruisseaux. Dans cette zone de terrains agricoles où se trouvent Moulainville-la-Basse et Moulainville, il faut construire des ponts, voire de petits tunnels permettant l'accès aux champs et prairies, déplacer des conduites, surélever des lignes électriques, construire et carrosser des routes d'accès aux différentes parties du chantier. Dans la tranchée, le gel hivernal occasionne l'effritement de la pierre calcaire et la chute de blocs sur la voie (figure 12).

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - l'effritement du talus.jpg
Figure 12 : l'effritement du talus et la chute de pierres sur la voie.

La partie boisée du chantier nécessite d'abord de couper les arbres, tout en respectant le bois que l'Administration des Domaines mettra en vente, ce qui impose de le couper correctement et de l'empiler, puis de dessoucher au bulldozer et parfois à l'explosif. Nous avons vu plus haut les réalisations à Champ Bailly et dans le Bois de Grimaucourt. Il convient d'aménager les passages à niveau, de réparer les routes en continu, de minimiser autant que faire se peut les autres nuisances telles que la poussière et la boue, mais aussi le bruit qui sont liés au mouvement des camions américains. Les riverains de la route nationale[26]se plaignent de la boue présente sur la chaussée, d'où le risque d'accidents, et le transfert de celle-ci dans les maisons, en dépit des efforts de lavage préventif effectué par les conducteurs… Le journal local contient de nombreux articles relatifs aux travaux menés ainsi qu'aux désagréments qu'ils occasionnent au voisinage.

Les notes prises par le capitaine Baudelot n'indiquent pas l'origine des matériaux utilisés pour les opérations de génie civil, ni celle des matériels constituant la voie : rails, aiguillages, traverses, etc. On peut raisonnablement penser que les matériaux nécessaires sont extraits de carrières voisines du chantier et que la chaux est issue des environs de Verdun, Dugny constituant le premier nom qui vient à l'esprit. Nous savons par contre par différentes photographies que l'armement de la voie fait appel, au moins partiellement, à du matériel américain comme en témoignent des inscriptions portées sur des rails, avec la date de 1944[27], ou sur des leviers d'aiguillages qui ne sont pas du modèle habituel de la SNCF. Le système de fixation des rails aux traverses est du modèle américain (figure 13). Aussi peut-on se poser la question de l'origine de ces traverses…

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - un reste de traverse.jpg
Figure 13 : un reste de traverse avec un élément de fixation de rail d'origine américaine, ayant échappé au déferrement…

La fin de la pose de la voie, effective le 1er décembre 1961, ne marque pas la fin du chantier car, en dehors des réglages divers et des finitions, il faut remettre les terrains en état, réparer les chemins et les clôtures, et dédommager les propriétaires des inéluctables dégâts dus aux innombrables passages d'engins et peu ou mal réparables. Avant le passage de la première rame militaire, l'US Army organise une visite de l'embranchement avec mise en place d'un train spécial tracté par la locomotive n° 4007. Le convoi est l'objet d'une simulation d'attaque effectuée par les fantassins du 164e régiment d'infanterie de Verdun, alors stationné à la caserne Niel, et d'artificiers américains. Le parcours dure 45 minutes et frigorifie les invités, qui sont installés à découvert sur des wagons plate-formes sommairement aménagés !

LE PARCOURS DE L'EMBRANCHEMENT DEPUIS EIX-ABAUCOURT[28]

Depuis la gare et son faisceau de voies jusqu'au lieu-dit "La Fiéveterie", l'embranchement emprunte le parcours qui avait été celui de la ligne privée à voie métrique Vaux-devant-Damloup/Commercy concédée par le département à la Société générale des chemins de fer économiques - dite S.E. - en 1913[29].

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - le trajet de l'embranchement.jpg
Figure 14 : le trajet de l'embranchement dessiné par le capitaine Baudelot.

Il reste (figure 14) d'abord parallèle à la ligne puis s'en écarte pour se rapprocher de la rivière, le ruisseau de Tavannes. Il coupe le chemin départemental n° 24 (CD 24, aujourd'hui "route") qui se dirige vers Damloup par un passage à niveau dans une courbe à 90° et passe sous la voie SNCF puis sous la route (RN 3 actuelle). Après un nouveau passage à niveau sur le même CD 24, non loin du lieu-dit "La Fiéveterie", l'embranchement se dirige à gauche vers la gare de triage à trois voies, qui longe "Les Trois Poiriers", puis passe non loin de "Les Trois rivières" ; il enjambe deux ruisseaux, dont le "ruisseau d'Eix", à cet endroit. Après la sortie du triage, entre Houyette et Nitouvelle, une courbe conduit la voie vers le village de Moulainville-la-Basse en passant à proximité de l'ancienne halte du S.-E. Un passage à niveau franchit à nouveau le CD 24 près de la ferme de Moulainville-la-Basse, et c'est après ce passage que débute la rampe qui conduit au dépôt (figures 15 et 16).

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - la voie.jpg
Figure 15 : la voie vue en direction de la gare de triage, au niveau de l'ancien passage à niveau de Moulainville-la-Basse. La photographie est prise à l'automne 2009 pendant les travaux de déferrement.
Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - la voie 2.jpg
Figure 16 : la voie vue au même endroit et au même moment en direction du dépôt. On voit nettement le début de la rampe et la végétation qui tend à s'étendre sur la voie inutilisée.

La voie franchit un petit pont, passe à proximité de Moulainville (figure 17), longe la "Côte Saint-Pierre", le lieu-dit "Le Cugnet" et le chemin vicinal ordinaire n° 4 (CVO 4, aujourd'hui départementale 24 A) qui est franchi dans une courbe vers la gauche à presque 90° entre "Chaté" et "Le Champ Bailly". Après un cheminement presque rectiligne dans la forêt domaniale de Sommedieue, elle se rapproche de la rue S qui conduit à l'une des entrées du dépôt et qu'elle franchit par un passage à niveau. Il s'agit de la route militaire venant de la D 24 A et de la D 603. Une courbe vers la droite la rend parallèle à la rue A, rectiligne, au niveau de l'ouvrage de Déramé. Elle comporte deux voies face aux quais de déchargement qui se trouvent au niveau des rues C et D du dépôt. L'embranchement se termine par deux voies avec butoir à 250 mètres environ du fort de Rozelier.

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - vue aérienne.jpg
Figure 17 : vue aérienne de la voie au niveau du village de Moulainville.

Actuellement la photographie aérienne publiée par Google Maps permet de suivre avec précision le parcours de l'embranchement maintenant disparu, depuis son origine en gare d'Eix jusqu'à son extrémité à l'intérieur de l'actuel dépôt de munitions. Un ensemble de plans et de photographies des installations se trouve par ailleurs dans l'ouvrage de Minarie9.

LES OUVRAGES FORTIFIÉS : FORT DE ROZELIER ET OUVRAGE DE DÉRAMÉ

Le fort de Rozelier[30](ou Fort Margueritte[31]) est construit entre septembre 1877 et mai 1879 à l'Est de la place de Verdun, à une altitude de 393 mètres et initialement avec un effectif de plus de 600 hommes, en vue de surveiller une des routes venant de Metz, ce côté de la place et les intervalles entre les forts de Moulainville et d'Haudainville. Il bénéficie de diverses modernisations à partir de 1889 et jusqu'à la Première Guerre mondiale. À l'issue de celle-ci, il reste armé, puis il est utilisé jusque dans les années 1960. Il appartient encore au domaine militaire et se trouve inclus dans l'enceinte de l'actuel "Groupement Munitions du Rozelier".

Le forum sur Internet portant sur l'embranchement18 indique que la construction d'un dépôt de munitions sur le site du Rozelier et de l'ouvrage de Déramé a été entreprise en 1938. Il mentionne la présence d'alvéoles devant cet ouvrage à ce moment et montre une photographie aérienne de 1940 où, selon lui, de tels ouvrages apparaissent près du fort de Rozelier.

L'ouvrage de Déramé[32]est plus récent : 1902-1905, plus moderne mais plus petit que celui de Rozelier puisque l'effectif prévu n'est que de 150 hommes. Il est construit entièrement en béton armé à la place d'une ancienne position en terre et pierre, à l'altitude de 374 mètres, entre le fort de Moulainville et celui de Rozelier, dont il défend les intervalles. Il bénéficie aussi de modifications jusqu'à la guerre. Comme son voisin, il reste une propriété militaire et son accès est interdit.

LES 249th ENGINEER BATTALION ET 97th ENGINEER BATTALION (CONSTRUCTION)

Le 249e bataillon du Génie[33]de l'US Army a d'abord appartenu à la Réserve. Intégré à l'armée active en 1955, il stationne à Kleber Kaserne à Kaiserslautern en Allemagne fédérale de 1955 à 1960. En mars de cette année, ses éléments sont employés en France pour la construction de différentes infrastructures américaines, en particulier dans les bases aériennes. Il revient en RFA en 1965 et stationne alors à Karlsruhe. Dissous en 1991, il a été reformé depuis sur le territoire des États-Unis. L'unité dispose aujourd'hui d'un superbe insigne en forme d'écu portant le lion des Flandres et quatre fleurs de lys sur fond rouge, et il a pour devise : "Build, Support, Sustain", ce qui peut se traduire par : "Construire, Soutenir, Entretenir", car ces verbes ont plusieurs sens.

Pour sa part, le 97e bataillon du Génie[34]est recréé aux États-Unis en septembre 1950. Il embarque au début du mois de novembre sur un navire de transport militaire qui le conduit à Bremerhaven, sur la mer du Nord à l'embouchure de la Weser, où il arrive le 23. Aussitôt le débarquement effectué, ses soldats prennent place dans un train qui les amène le 24 à la gare de Toul d'où des camions les conduisent sur l'ancien aérodrome français de la Croix-de-Metz. Ses compagnies sont ensuite réparties dans la région en vue de participer aux constructions réalisées pour l'US Army : Toul, Verdun, Étain et Vassincourt. Les compagnies en garnison à Verdun stationnent non pas à Verdun même mais à la Caserne Maginot à Thierville-sur-Meuse. C'est sans doute la compagnie C qui participe aux travaux de l'embranchement.

L'EXPLOITATION DE L'INFRASTRUCTURE

Cet aspect est presque totalement inconnu. Nous avons pu rencontrer Monsieur Pierre Blairet, qui a effectué sa carrière de cheminot à la gare de Verdun et qui a bien voulu nous livrer son témoignage. Il évoque brièvement cette activité de la gare et de la ligne vers Étain dans son ouvrage, Cheminot, paru en 1998[35][[Catégorie:]].

Les trains viennent pour l'essentiel d'Allemagne et de Belgique, en ayant dans ce cas transité par Anvers, ils pénètrent dans notre pays par Thionville et passent par Conflans-Jarny. Ceux qui proviennent de La Rochelle et d'Orléans transitent par Châlons-sur-Marne, mais ils sont peu nombreux. Aucun ne provient de Lérouville ni de Sedan. Le trafic entre Trois-Fontaines et Le Rozelier ne s'effectue que par camions.

Tous les trains vont jusqu'à la gare de Verdun où ils stationnent et sont éventuellement reformés par retrait des wagons destinés aux autres embranchements américains de la ville, par ajout de wagons freinés de part et d'autre des wagons transportant des matières dangereuses, et par adjonction d'un wagon couvert derrière le tender de la locomotive qui est une machine vapeur 140 C[36]appartenant au dépôt de Verdun. Les wagons utilisés pour le transport des munitions sont des wagons couverts spéciaux K (à l'époque la lettre de série désignant les wagons couverts), qui, en raison de leur chargement, sont munis de pare-étincelles au-dessus des roues.

Ces trains sont formés en gare de Verdun à partir de la voie 17, réservée aux Américains, et assemblés sans lancer compte tenu de leur chargement. Il existe à la gare un bureau américain du Rail Transport Office (RTO), dirigé par un Français, Monsieur Houdin pendant de nombreuses années, qui s'occupe de tous ces transports. En effet, la gare reçoit tous les jours des wagons "américains", chargés de matériels ou de marchandises périssables, comme du lait en provenance de Belgique, qui sont déchargés en gare. Ces wagons sont aussi destinés au dépôt dit Chicago ainsi qu'à Verdun Signal Depot, dans l'ancienne usine de la société La Viscose. Le chargement des wagons destinés au dépôt du Rozelier peut être très réduit, quelques dizaines de kilogrammes dans le cas de ce qu'on pense être des têtes de missiles, et il ne dépasse pas vingt tonnes par wagon, des caisses qui n'occupent que le plancher ou qui sont empilées. Aucun marquage particulier ne distingue les wagons "américains", qui appartiennent la plupart du temps à la SNCF et rarement à la Deutsche Bundesbahn.

La rame destinée au Rozelier, constituée au plus de vingt wagons, est tirée par une locomotive 140 C qui, venant de Verdun, s'engage à Eix-Abaucourt sur le faisceau constitué des voies américaines. La disposition des aiguillages et des voies, avec un cul-de-sac au Rozelier, oblige à refouler la rame qui vient se placer sur la voie médiane du faisceau qui se prolonge directement par l'embranchement montant au dépôt. La circulation est limitée à 30 kilomètres à l'heure[37]. La locomotive refoule donc la rame jusqu'à son entrée et sans y pénétrer, ce transit étant effectué en présence des seuls agents de la SNCF. Les 140 C sont suffisamment puissantes pour assurer ce service sans difficulté. La descente s'effectue à la vitesse maximale de 40 kilomètres à l'heure.

La rame est donc prise en charge par les militaires américains à son entrée au dépôt, qui dispose, pour le mouvement des wagons, d'un locotracteur diesel, ainsi, selon M. Blairet, que d'un camion type GMC ou Reo équipé de roues ferroviaires et peut-être d'un cabestan. Il est exceptionnel que la locomotive française pénètre dans l'enceinte militaire.

Il n'y a pas constamment de rames à l'intérieur de l'emprise et un mouvement ne s'effectue pas chaque jour, d'autant que la place y est limitée par le nombre des voies. La fréquence a bien sûr été très grande au début lorsque le dépôt était en cours d'aménagement. Ultérieurement, il a envoyé beaucoup de wagons isolés en Allemagne. En principe, pour ne pas multiplier les mouvements, une rame chargée remplace une rame vide, celle-ci étant disposée sur la gare de triage de Moulainville ou en gare d'Eix. Le déchargement doit normalement s'effectuer dans les vingt-quatre heures, temps normal de mise à disposition des wagons par la SNCF. Au-delà, une redevance est due par le client.

L'embranchement est entretenu par la section de Verdun du service de la voie, avec le concours de sociétés privées spécialisées dans les travaux ferroviaires.

DISCUSSION, SYNTHÈSE ET CONCLUSION

La construction de cet embranchement ferroviaire de plus de dix kilomètres de longueur, doté d'importantes infrastructures (deux faisceaux de trois voies et plusieurs passages à niveau) et ayant nécessité de difficiles travaux de génie civil en raison de la géologie des terrains traversés et du relief, a donc été une entreprise lourde, longue et coûteuse. Les travaux ont demandé deux années si l'on s'en tient à la durée minimale ayant autorisé une utilisation de la voie. Mais au total, selon les notes du capitaine Baudelot, on arrive à presque cinq années, ce qui est considérable. Bien sûr, l'US Army ne pouvait pas savoir à ce moment que l'usage qu'elle ferait de l'embranchement serait très bref et qu'il lui faudrait avoir restitué les installations dont elle bénéficiait pour le 1er avril 1967 : même pas cinq années si l'on ne considère qu'une phase de construction de deux années et une exploitation à partir du début de l'année 1962 !

La réalisation de tels embranchements ferroviaires, plus ou moins longs et dans des conditions qui peuvent être difficiles, est très habituelle à l'époque où l'Armée américaine s'installe dans notre pays. Le transport ferroviaire est prévu par les conventions américano-françaises, c'est alors un moyen de déplacement classique et journalier pour les chargements volumineux et/ou pondéreux, et l'US Army, qui a pourtant l'habitude du transport routier et qui dispose pour cela, dans notre pays, de plusieurs bataillons du Transportation Corps, l'utilise abondamment. Elle a aussi l'habitude de s'installer correctement dès qu'elle le peut, et elle pense certainement être en France pour longtemps ! Rappelons à ce propos que les constructions sont prévues pour une durée de cinquante années… Aussi, la période 1962-1967 apparaît-elle à nouveau très courte…

Pour sa part, l'Armée française, qui reprend en 1967 ce site proche de Verdun, ville militaire importante, alors que Trois-Fontaines est très grand et peut-être trop isolé, n'a pas les mêmes besoins, ni les mêmes moyens, d'autant qu'elle dispose déjà de nombreux dépôts de munitions répartis sur tout le territoire. De plus, le transport ferroviaire est confronté à des changements d'habitudes et de moyens : on lui reproche ses délais et les ruptures de charge qu'il impose. Se posent aussi des problèmes de coût. S'ils restent acceptables dans le cas de rames complètes, ils ne le sont plus dans le cas des wagons isolés, ce qui a d'ailleurs conduit à leur suppression et à celle des trains dits "chiffonniers". De plus, les mouvements de munitions français, même à l'époque de la Guerre froide, sont beaucoup moins importants que ceux des Américains, les régiments ne tirent pas des obus tous les jours, et ceci tient aussi en partie au grand nombre de dépôts existants, ce qui n'était pas le cas pour l'US Army dans notre pays[38]. Par ailleurs, l'Armée dispose d'un grand nombre de véhicules, qui peuvent se rendre jusqu'à la porte des bâtiments de stockage ou, du moins, à proximité, et qui, au fil des années, sont de plus en plus fréquemment équipés d'une grue pour le chargement des palettes d'obus et des conteneurs de missiles. Enfin, si l'entretien d'un embranchement est en partie lié au nombre des convois et à la charge des wagons qui l'empruntent, il constitue toujours une charge financière importante. Aussi et pour toutes ces raisons l'embranchement est-il peu utilisé par l'Armée de Terre, puis plus utilisé du tout, jusqu'à son inéluctable disparition qui est également une conséquence des réformes subies par les armées et de la réduction de leurs moyens.

Au total, un demi-siècle plus tard, il apparaît qu'une telle infrastructure a coûté beaucoup d'efforts et beaucoup d'argent pour un usage modeste. Il ne faut cependant pas oublier que la sécurité n'a pas de prix et que de telles installations y ont contribué, ne serait-ce que par la dissuasion qu'elles étaient susceptibles d'engendrer ! De tout cela, il ne reste aujourd'hui que quelques traces peu visibles et mal identifiables pour le profane : restes de passages à niveau avec leurs rails (figure 18), ponts devenus inutiles (figure 19), chemins utilisant d'anciennes plate-formes en corniche et en tranchée (figure 20), restes de traverses et de tire-fonds, etc…

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - les restes du passage à niveau.jpg
Figure 18 : les restes du passage à niveau de l'entrée dans le dépôt.
Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (07-2015) Pierre Labrude - l'ancien passage.jpg
Figure 19 : l'ancien passage inférieur sous la ligne 5 et, au fond le pont routier aujourd'hui inutile.

En dehors des "gens du pays", rares sont ceux qui savent à quoi était destiné ce qui reste des installations qu'ils peuvent découvrir ici et là. Pour leur part, les historiens de l'Armée américaine en France, qui sont peu nombreux, ont dans l'ensemble ignoré ces belles installations, et il en est de même jusqu'à présent des historiens du rail et des dépôts d'archives. Aussi ce travail pourra-t-il contribuer à les empêcher de tomber totalement dans l'oubli. Et ceci d'autant plus que l'importance de la ligne 5 ne cesse de décroître[39]

NOTES.

  1. Spaite J., « Le rail au service de l'OTAN », Voie étroite, 2012, n° 248, p. 32-33 ; n° 249, p. 29-31, et 2014, n° 260, p. 33-35.
  2. Labrude P. et Parisot M., « Les embranchements ferroviaires des camps militaires américains et des bases aériennes de l'OTAN en Lorraine », en ligne sur ce site, décembre 2014.
  3. Raflik J., « Lorsque l'OTAN s'est installée en France… », Relations internationales, 2007, n° 129, p. 37-49.
  4. Laparra J. et Laparra J.-C., « Verdun, poumon logistique de l'armée américaine 1944-1945 »,Bulletin des sociétés d'histoire et d'archéologie de la Meuse, 2010-2011, n° 42-43, p. 79-123.
  5. Labrude P. et Parisot M., « Les embranchements ferroviaires des camps militaires américains et des bases aériennes de l'OTAN en Lorraine », en ligne sur ce site, décembre 2014.
  6. Sur le dépôt de Trois-Fontaines, on pourra consulter le site "camps-de-trois-fontaines.skyrock.com/" et celui du 97th Engineer Battalion (référence 21).
  7. Domange G., Verdun, l'OTAN et la base américaine 1950-1967, dans : Verdun Ville militaire, Collection "Connaissance de la Meuse", Typo-Lorraine-Imprimerie Frémont, Verdun, 2000, p. 41-70.
  8. Baudelot H. (capitaine), Les Hauts de Meuse, les travaux d'après-guerre exécutés aux engins, document pdf (Rozelier-Cne BAUDELOT.pdf), 62 pages, documentation communiquée aux auteurs par sa famille.
  9. "Groupement Munitions du Rozelier", élément de l'Etablissement principal de munitions d'Alsace-Lorraine.
  10. Minarie T., L'aventure du chemin de fer, Etain et son canton, Association "Etain d'hier et d'aujourd'hui", Imprimerie stainoise, Etain, 2012, 139 p., passim. L'embranchement est décrit et photographié aux pages 117-119.
  11. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_de_Saint-Hilaire-au-Temple_à_Hagondange, consulté le 27 novembre 2014. Cette ligne a beaucoup contribué au transport de la chaux fabriquée dans le département de la Meuse, dans les fours à chaux comme ceux de Billemont, Dugny, Haudainville ou Montgrignon, vers les unités sidérurgiques de Lorraine. Son débouché à Hagondange y était très favorable.
  12. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_de_Saint-Hilaire-au-Temple_à_Hagondange, consulté le 27 novembre 2014. Cette ligne a beaucoup contribué au transport de la chaux fabriquée dans le département de la Meuse, dans les fours à chaux comme ceux de Billemont, Dugny, Haudainville ou Montgrignon, vers les unités sidérurgiques de Lorraine. Son débouché à Hagondange y était très favorable.
  13. Minarie T., L'aventure du chemin de fer, Etain et son canton, Association "Etain d'hier et d'aujourd'hui", Imprimerie stainoise, Etain, 2012, 139 p., passim. L'embranchement est décrit et photographié aux pages 117-119.
  14. Minarie T., L'aventure du chemin de fer, Etain et son canton, Association "Etain d'hier et d'aujourd'hui", Imprimerie stainoise, Etain, 2012, 139 p., passim. L'embranchement est décrit et photographié aux pages 117-119.
  15. Schontz A., Felten A. et Gourlot M., La ligne de l'Argonne : Châlons-Verdun-Conflans-Jarny-Amanvillers-Metz, dans : Le chemin de fer en Lorraine, Éditions Serpenoise, Metz, 1999, p. 73-75.
  16. Minerie T., op. cit., "IV - La gare d'Eix-Abaucourt", p. 41-56. Les plans des installations présentés dans ces pages ne correspondent pas totalement à ceux issus de la SNCF reproduits p. 20 (Carnet de profils et schémas de lignes, Région Est SNCF, ligne 5, 1962) et l'embranchement n'y est pas indiqué.
  17. Dans notre pays, la circulation des trains s'effectue normalement à gauche sur les lignes à double voie, sauf sur l'ancien réseau d'Alsace-Lorraine issu de l'Annexion. Le sens pair est celui qui conduit un train vers Paris, et le sens impair celui qui amène un train en province depuis la capitale.
  18. Domengie H. et Banaudo J., Les petits trains de jadis - Est de la France, Les Éditions du Cabri, Breil-sur-Roya, 1995, "Meuse", p. 60 et 73. Schontz A., Felten A. et Gourlot M., Le réseau de la Woëvre. Commercy-Verdun-Montmédy, op. cit., p. 171-173. Minarie T., op. cit., "XI - La ligne de la Woëvre", p. 120-135.
  19. Minarie T., L'aventure du chemin de fer, Étain et son canton, Association "Etain d'hier et d'aujourd'hui", Imprimerie stainoise, Etain, 2012, 139 p., passim. L'embranchement est décrit et photographié aux pages 117-119.
  20. Baudelot H. (capitaine), Les Hauts de Meuse, les travaux d'après-guerre exécutés aux engins, document pdf (Rozelier-Cne BAUDELOT.pdf), 62 pages, documentation communiquée aux auteurs par sa famille.
  21. Baudelot H. (capitaine), Les Hauts de Meuse, les travaux d'après-guerre exécutés aux engins, document pdf (Rozelier-Cne BAUDELOT.pdf), 62 pages, documentation communiquée aux auteurs par sa famille.
  22. Baudelot H. (capitaine), Les Hauts de Meuse, les travaux d'après-guerre exécutés aux engins, document pdf (Rozelier-Cne BAUDELOT.pdf), 62 pages, documentation communiquée aux auteurs par sa famille.
  23. Baudelot H. (capitaine), Les Hauts de Meuse, les travaux d'après-guerre exécutés aux engins, document pdf (Rozelier-Cne BAUDELOT.pdf), 62 pages, documentation communiquée aux auteurs par sa famille.
  24. Domengie H. et Banaudo J., Les petits trains de jadis - Est de la France, Les Éditions du Cabri, Breil-sur-Roya, 1995, "Meuse", p. 60 et 73. Schontz A., Felten A. et Gourlot M., Le réseau de la Woëvre. Commercy-Verdun-Montmédy, op. cit., p. 171-173. Minarie T., op. cit., "XI - La ligne de la Woëvre", p. 120-135.
  25. Baudelot H. (capitaine), Les Hauts de Meuse, les travaux d'après-guerre exécutés aux engins, document pdf (Rozelier-Cne BAUDELOT.pdf), 62 pages, documentation communiquée aux auteurs par sa famille.
  26. http://forums.e-train.fr/trains/viewtopic.php?f=5&t=75796&start=60, consulté le 26 novembre 2014.
  27. Minarie T., L'aventure du chemin de fer, Étain et son canton, Association "Étain d'hier et d'aujourd'hui", Imprimerie stainoise, Etain, 2012, 139 p., passim. L'embranchement est décrit et photographié aux pages 117-119.
  28. Voir figure 14.
  29. Domengie H. et Banaudo J., Les petits trains de jadis - Est de la France, Les Editions du Cabri, Breil-sur-Roya, 1995, "Meuse", p. 60 et 73.
  30. Le fort du Rozelier, http://fortiffsere.fr/verdun/index_fichiers/Page4545.htm, consulté le 22 novembre 2014.
  31. Jean-Auguste Margueritte, né à Manheulles (commune appartenant aujourd'hui à la communauté de communes de Fresnes-en-Woëvre, dans le département de la Meuse) le 15 janvier 1823, général de division, commandant de la 2e brigade de cavalerie lors de la bataille de Sedan pendant la Guerre de 1870, blessé à la tête entre Floing et Illy le 1er septembre 1870 et décédé le 6 au château de Beauraing en Belgique, commandeur de la Légion d'honneur, père des écrivains Paul et Victor Margueritte.
  32. L'ouvrage de Déramé, http://fortiffsere.fr/verdun/index_fichiers/Page7578.htm, consulté le 10 décembre 2014.
  33. http://en.wikipedia.org/wiki/249th_engineer_Battalion_(United_States), consulté le 17 janvier 2015.
  34. http://www.catkillers.org/97thEngr/history-tfod-vass54-56.html, consulté le 15 janvier 2015.
  35. Blairet P. et Minella A.-G., Ma vie est mon métier Cheminot, Éditions du Rocher, Monaco, 1998, p. 59-61 et 75.
  36. Gillot J., Les locomotives à vapeur de la S.N.C.F. Région Est, Éditions Picador, Levallois-Perret, 1985, p. 206-211.
  37. Minarie T., L'aventure du chemin de fer, Étain et son canton, Association "Étain d'hier et d'aujourd'hui", Imprimerie stainoise, Étain, 2012, 139 p., passim. L'embranchement est décrit et photographié aux pages 117-119.
  38. L'US Army n'a que deux dépôts : Captieux dans le sud-ouest et Trois-Fontaines avec son annexe de Verdun dans notre région. Le dépôt de Saint-Mihiel (forêt de Gobessart et ancien quartier d'artillerie Sénarmont) appartient d'abord à l'US Air Force et il ne passe à l'US Army que peu avant le départ des troupes américaines.
  39. Collardey B., « La ligne de l'Argonne, le déclin d'un itinéraire marqué par l'Histoire », Rail Passion, 2014, n° 199, p. 64-73.


Les photographies en noir et blanc proviennent du document du capitaine Baudelot. Les photographies en couleur ont été prises par M. Parisot en mai 2015, à l'exception de la halle marchandise (figure 2) et de celles prises au passage à niveau de Moulainville en 2009 par P. Labrude.

Les auteurs expriment leur reconnaissance à Madame Julie Herman, arrière-petite-fille du capitaine Baudelot, qui a mis à leur disposition la documentation rassemblée par son arrière-grand-père et a autorisé son usage et sa reproduction. Ils remercient également Monsieur Pierre Blairet qui leur a très aimablement livré ses souvenirs de cheminot verdunois ayant souvent fréquenté professionnellement l'embranchement décrit dans cette publication. Ils n'oublient pas, dans ces remerciements, l'amicale contribution de Monsieur Michel Burgard.