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Empreinte militaire en Lorraine (02-2017) Jean-Paul Streiff

De Wicri Lorraine
L'impôt du sang : la circonscription dans le département de la Meuse (1800-1815).


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Auteur : Jean-Paul Streiff


« L’ogre, le buveur de sang » hérite d’une armée forgée par la Révolution. La Convention et le Directoire ont conçu un système de recrutement national qui fournit des combattants animés d’un esprit patriotique. L’Ancien Régime et la Révolution ont façonné un encadrement de qualité, les sous-officiers. Napoléon, comme le Grand Carnot avant lui, en ont fait des officiers à la solide expérience du combat.

Alors que la conscription touche 20 à 21 % de la population pendant la première guerre mondiale, elle ne concerne que 7 à 8 % des Français sous le Consulat et l’Empire[1]. Annie Crépin mesure le poids de la conscription par rapport à la population, de l’an VIII à 1812 : 4,5 %, 3 % pour 1813 et 1,04 % pour 1814[2]. Les 17 levées de 1800 à 1815 totalisent 1 660 000 hommes et une perte de 600 000 morts ou disparus (36,14 %) bien plus lourde qu’en 1914-1918 (25 %). Mais qu’en est-il dans le département de la Meuse ?

LES OPÉRATIONS DE REGROUPEMENT

Sous le Consulat et l’Empire, la conscription est régie par la loi du 19 fructidor An VI (8 septembre 1798), loi Jourdan-Delbrel, du nom des députés qui l'ont proposée : Pierre Delbrel[3]et Jean-Baptiste Jourdan[4] . Elle est basée sur le principe que « tout Français est soldat et se doit à la défense de sa patrie ». Elle établit le service militaire obligatoire pour les célibataires de 20 à 25 ans répartis en 5 classes d'âge. Au Ministère de la Guerre, la conscription est gérée par un directeur général des revues et de la conscription qui remplace, en 1806, le Comité des inspecteurs en chef aux revues. Le Directeur est secondé par un administrateur civil, A. A. Hargenvilliers. Dans le département, le préfet est le fonctionnaire directement responsable des opérations de conscription. « L'Instruction Générale sur la conscription » organise le recrutement. D’abord un sénatus-consulte arrête le contingent national ; un décret impérial fixe la date de la levée, puis la Direction Centrale répartit les effectifs par département. C’est le préfet qui répartit le contingent par arrondissement et les sous-préfets par canton.

Le jour du tirage, les jeunes gens sont convoqués au chef-lieu du canton puis présentés au sous-préfet en présence des maires, de la gendarmerie et de l’officier de recrutement. On écarte d’abord les réformés d'office : les handicapés et ceux dont la taille est inférieure à 1,488 m soit 4 pieds 6 pouces 11 lignes. Jusqu'en l'an XI le minimum requis était de 1,598 mètre, le décret du 29 décembre 1804 l'abaisse à 1,544 mètre. L'instruction générale sur la conscription du 1er novembre 1811 abaisse encore la taille à moins de 1,488 mètre. Certains conscrits déclarent leurs handicaps :

« Les conscrits qui se déclareront muets, sourds, atteints d’épilepsie, de rétention ou d'incontinence d’urine, d’ulcères, de hernies, etc… »

Les autres cas de réformes sont examinés par un Conseil de recrutement présidé par le préfet assisté des autorités, d'un médecin et du sous-préfet de l'arrondissement. Ce Conseil fixe la liste complémentaire qui doit compenser les défections.

LES CONSCRITS RÉFORMÉS

Tableau n°1 : Arrondissement de Verdun. An XII. Registre « destiné à inscrire les dires des conscrits qui se prétendent infirmes et les décisions de la commission chargée de prononcer leurs réclamations ».
Cantons Nombres de conscrits qui se déclarent infirmes Reconnus impropres au service Propres au service
Verdun 52 31 21
Charny 30 22 8
Clermont 34 20 14
Étain 54 34 20
Fresnes 71 53 18
Souilly 19 9 10
Varennes 31 18 13
Total et pourcentages 291 187 64,3% 104 35,7%


La lecture de ce registre atteste du dénuement médical des villes et des campagnes. Beaucoup de handicaps sont liés à des accidents mal réparés, à des fractures mal réduites. La variole laisse des cicatrices et des séquelles oculaires. Les malheureux « poitrinaires » rongés par la tuberculose crachent le sang sans être soignés. Les plaies scrofuleuses, d’origine tuberculeuse, ne sont pas traitées. D’autre part, l’officier du recrutement écarte les hommes atteints d’hémorroïdes et qui ne peuvent marcher, ceux à qui il manque des dents pour déchirer la cartouche et charger le fusil. Il écarte ceux qui ont des problèmes de vue ou qui « ne peuvent supporter les bricoles (sangles) du sac ». Certains conscrits, près de 40%, tentent aussi de se faire réformer et sont reconnus aptes, à tort ou à raison.

Les conscrits peuvent être exemptés du service pour des raisons familiales : les mariages avant la date de promulgation de la levée sont nombreux, le conscrit dont le père aura 71 ans, l’aîné des fils d'une veuve, mais aussi : les conscrits qui font des études ecclésiastiques, les élèves de certaines écoles, les frères de militaires vivants, décédés au service ou réformés, les fils aînés de veuves, l'aîné d'orphelins, etc…

Fichier:Empreinte militaire en Lorraine (02-2017) Jean-Paul Streiff - Avis de la préfecture.jpg
Avis de la préfecture du 30 vendémiaire an XIV de la réunion du Conseil de recrutement, durant 4 jours, à la préfecture à partir du 14 brumaire an XIV. Arch. dép. Meuse, 1 R 17.
Quelques exemples de réformes en l’an XIV :

Verdun

Jacques-Christophe Pheiffer : taillé de la pierre il y a environ dix ans. La commission a reconnu qu’il a subi l’opération de la taille mais elle n’a pu décider si les suites de cette opération le mettaient hors d’état de servir ; renvoyé au conseil de recrutement. Le conscrit ci-contre a été réformé définitivement par le conseil de recrutement d’après le rapport des officiers de santé.

Ambly

Claude-Antoine Collin. Mal d’yeux. Fistule lacrymale avec suppuration habituelle suite de la petite vérole, impropre au service.

Sivry-la-Perche

Jacques Lefebvre. Borgne de l’œil gauche, l’œil droit faible. Propre au service.

Verdun

Jean-Baptiste Blanchet. Borgne de l’œil gauche, l’œil droit faible. Jugé impropre.

Ornes

Jean-François Péridon. Les doigts de pieds croisés, hémorroïdes. Défaut de conformation dans les doigts du pied. Humeurs dartreuses à l’anus et hémorroïdes habituelles. Impropre au service.

Ornes

Jean-François Devaux. Coup de pied de cheval au milieu de la mâchoire inférieure qui lui a cassé plusieurs dents. Réformé sur l’observation de l’officier de recrutement que le conscrit n’avait pas les dents incisives.

Futeau

Gabriel-Louis de Finance. Fou à l’hospice de Charenton près de Paris.

Rarécourt

Jean Guillaume. Sourd. Reconnu par plusieurs maires composant la commission et suivant un certificat délivré par sa commune, jugé impropre.

Maucourt

François Pipareaux. Mal à la main et au pied gauche. Infirmités constatées. Le pouce de la main gauche luxé sans aucun espoir de réduction par dilacération de la capsule articulaire et commencement d’atrophie de la main. Impropre au service.

Marchéville

Jean-François Thuillier . Défaut de dents. A perdu toutes les dents incisives de la mâchoire supérieure, généralement reconnu impropre.

Pintheville

Nicolas Quiltaut. Mal à l’épaule droite. L’humérus du bras droit plus court que l’autre de 4 pouces au moins, vice de conformation naturel, et de plus ayant la clavicule fracturée et non réduite, reconnu universellement impropre.

Fresnes

Pierre Laurent. Rien. Renvoyé dans la salle pour tirer avec les autres.

Manheulles

Joseph Ayet. Manchot du côté gauche. Estropié du bras gauche ayant perdu l’humérus en entier par suite d’un dépôt et n’ayant aucune partie osseuse dans le bras. Jugé généralement impropre.

Mouilly

Dominique Latache. Poitrinaire. Attaqué de symptômes caractéristiques d’aptisie pulmonaire, maladie héréditaire et habituelle dans sa famille. Ce dernier fait attesté par le maire et plusieurs autres de la commission. Impropre.

LE REMPLACEMENT

Enfin, le service militaire peut-être évité par le remplacement. Le décret du 8 fructidor an XIII (26 août 1805), souligne les difficultés du remplacement.

« Le remplacement qui avait été sous le Directoire utile à l’État, écrit Bernard Schnapper, était devenu sous l’Empire la première concession au désir de sécurité d’une mince couche de la population. Il allait devenir une pièce essentielle d’un système de recrutement qui offrirait à la population le plus large degré de tranquillité, celui de la monarchie censitaire[5]. »

Les remplaçants doivent être du même département, avoir moins de trente ans, une taille d’au moins 1,64 m. Le prix du remplaçant est fixé par un acte notarié. Le système bien accepté au début, est rejeté à partir de la guerre d’Espagne.

Certains conscrits se mutilent volontairement pour échapper au service militaire. Parfois des chirurgiens les aident. Le 1er décembre 1805, Jean-Baptiste Hyardin, chirurgien à Laheycourt, est condamné par le tribunal de police correctionnelle de Bar-sur-Ornain à 100 F. d’amende, un mois de prison et à l’affiche de 200 exemplaires du jugement ainsi qu’aux frais de procédure ?

« Pour s’être permis de proposer à quelques jeunes gens, l’usage de moyens propres à les soustraire par de feintes infirmités, à la loi sur la conscription[6]. »

Ainsi, le 5 décembre 1806, Chaumont, Radouan, Igier, Grosjean et Chastin convaincus de s’être mutilés volontairement sont envoyés sous escorte à Strasbourg dans une compagnie de pionniers. Pourtant, le maire de Han-devant-Pierrepont, et la mère du malheureux conscrit, affirment « que la perte du doigt de Chastin est un accident[7] ».

RÉFRACTAIRES ET DÉSERTEURS

Les réfractaires, selon la loi du 6 floréal an XI, sont les conscrits absents lors du recrutement. Ils ont un délai d’un mois pour se présenter devant le capitaine de recrutement.

« Celui qui, à l'expiration du délai d'un mois, ne se sera point présenté ou n'aura pas fait admettre un suppléant sera, sur la plainte du capitaine de recrutement, déclaré par le préfet ou le sous-préfet, conscrit réfractaire. »

Pour l’ensemble du pays, le pourcentage de réfractaires est en moyenne de 27% de l’an IX à l’an XIII. Il baisse à 6% entre 1806 et 1810 puis remonte à 10% à partir de 1813. Cependant dans la Meuse, les chiffres sont beaucoup plus faibles. Déserteurs et réfractaires ne sont qu’une poignée pour plusieurs centaines de conscrits. Par exemple, le comptage de 1807 des conscrits de 1806 ne signale aucun déserteur sur 1 808 hommes au dépôt et seulement 3 réfractaires (0,16 %)[8].

La loi désigne comme déserteur un conscrit disparu entre le conseil de révision et sa destination vers un régiment. Ainsi, Jean Humbert du 55e de ligne remplaçant de Hubert-Ignace Thiébaut de Rosnes canton de Vavincourt, conscrit de 1806, est condamné comme déserteur le 10 novembre 1807. Hubert-Ignace Thiébaut l’a fait arrêter par la gendarmerie le 10 juillet 1807, 4 mois avant sa condamnation. Il a été reconduit au dépôt du 55e de ligne où il sert. Thiébaut a ainsi évité la caserne.

LE POIDS DE LA CONSCRIPTION

À titre de comparaison, le prélèvement opéré sur la population est d'environ 7% sous l'Empire, alors qu'il est de 20% entre 1914 et 1918.

Tableau n° 2 : Recrutement an XII-1814.
Classe Nombre de conscrits Exemptés % Bon pour le tirage Contingents %
An XII 4 320 1 587 36,7 2 733 505 10,9
An XIII 2 057 699 33,9 1 358 710 34,5
An XIV 2 313 798 33,77 1 647 483 20,8
1806 3 380 1 050 31,06 2 330 623 18,4
1807 - - - - 625 18,4
1808 - - - - 467 -
1809 - - - - 645 -
1810 - - - - 842 -
1811 2 705 538 19,8 2 167 917 42,3
1812 2 806 599 21,3 2 207 845 38,3
1813 2 403 583 24,2 1 820 1 031 42,9
1813 - - - - 453 -

Lorsque les données sont disponibles, il est possible de constater qu’environ le tiers des conscrits sont exemptés ou réformés. Par rapport à une classe d’âge le nombre d’appelés varie de 10 à 34%, en fonction des besoins en hommes.

La pression s’accroit dans les dernières années du règne, surtout à partir de 1812.

Tableau n°4 :Répartition des conscrits de 1807. Sénatus-consulte du 4 décembre 1806[9].
Lois et arrêtés Meuse
1792 7 416
1793 8 580
An VII 4 389
An VIII 319
An IX et X 520
An XI 284
An XII 505
An XIII 710
An XIV 483
1806 623
1807 625
1808 467
1809 645
1810 842
1811 917
1812 845
1813 1 031
1814 453
Total 29 654

29 654 Meusiens sont appelés dans les armées de la Révolution, du Consulat et de l’Empire, soit 10 à 12 % de la population. Le préfet et les sous-préfets répartissent la levée par arrondissements et cantons.

Les hommes sont ensuite distribués dans l’armée active et dans la réserve, puis par régiments. Ainsi, le décret du 18 avril 1807 disperse les conscrits de 1808 de la façon suivante : 156 à la Légion de Metz, un seul au 2e Carabiniers, 6 au 11e Cuirassiers, 2 dans les Fusiliers de la Garde, 35 au 8e régiment d’artillerie à pied, 15 au 1er de Hussards, 76 au 3e régiment d’infanterie de ligne et 176 au 55e régiment d’infanterie de ligne.

La propagande décrit des conscrits joyeux partant la fleur au fusil. Le Narrateur du 28 novembre 1813 décrit le départ des conscrits :

Les 1 500 conscrits de 1814 et des six années précédentes qui forment le contingent de la Meuse viennent de partir avec hilarité et résolution. La défection des alliés, la retraite sur le Rhin, doublent l’énergie de la jeunesse et réveillent dans tous les cœurs français les sentiments magnanimes[10].

Le Journal de l’Empire du 5 mai 1813, se félicite de la qualité physique des conscrits meusiens :

On ne croît pas, écrit-on de Bar-sur-Ornain, qu’il soit encore sorti du département de la Meuse une masse d’hommes aussi remarquables par la stature et la force, que ceux qui composent le contingent des conscrits levés sur les six classes du premier ban. Ils ont été répartis entre la garde impériale, l’artillerie à pied et le 134e régiment d’infanterie de ligne. Le sieur Beslile, conscrit de 1812, de la ville de Ligny, appelé à l’armée active, est d’une taille de 6 pieds 2 pouces. Plusieurs de ses frères, tous beaux hommes, l’ont devancé dans la carrière militaire.

Pour se rendre au corps, les conscrits partent par détachements accompagnés d’un officier ou d’un sous-officier, même parfois seul, « sans conducteur ». Par exemple, les conscrits de 1806, désignés pour le 55e régiment d’infanterie de ligne, au nombre de 227, quittent la Meuse entre le 13 octobre 1806 et le 5 août 1810. Des 35 détachements partis en 1810, l’essentiel du contingent est en route entre le 13 octobre et le 7 novembre 1806. 93 conscrits dirigés par le lieutenant Muneret se mettent en route le 13 octobre, 39 avec le lieutenant Buzy le 28 octobre et 11 le 7 novembre avec le caporal Roussel. Certains partis en solitaire ne rejoignent pas le dépôt. Pour ces raisons, un conscrit parti seul le 3 décembre, déclaré réfractaire est remplacé par un autre conscrit. Parfois, les déserteurs font le chemin avec les gendarmes.

LES VIVANTS ET LES MORTS

Après la défaite et l’exil, en 1817, les opposants accusent Napoléon d’avoir fait tuer sept millions de soldats. Mais Jacques Houdaille a démontré que le bilan des victimes est de 600.000 morts pour 1.660.000 Français mobilisés, près de 36%. Ce pourcentage est bien plus élevé que celui de la première guerre mondiale, 25% des 8 millions de mobilisés. Toutefois, les victimes de l’hôpital sont plus nombreuses que les morts au combat : 303 000 contre 87 500. Il reste bien des incertitudes pour les soldats rayés des contrôles : sont-ils morts ? ont-ils déserté ?

La première évaluation date de 1842 et les pertes sont estimées à 1 300 000 ou 1 400 000 hommes. Mais l’estimation reprise dans tous les manuels jusqu’au XXe siècle est de 1 700 000 hommes, chiffre admis par Hargenvilliers, chef du bureau du recrutement sous l’Empire. Selon lui, 250 000 jeunes échappent à la conscription et les déserteurs sont estimés au minimum à 180 500[11]. Jacques Houdaille publie, en 1972, les résultats d’un sondage au 1/500e dans les registres matricules, complété par les listes de médaillés de Sainte-Hélène[12]. Il chiffre les pertes humaines, entre 1803 et 1815, à 900 000 hommes, beaucoup plus que les estimations précédentes mais inférieures aux chiffres du XIXe siècle. D’autre part, il publie des estimations régionales et pour l’Est de la France (Alsace-Franche-Comté-Lorraine) qui font apparaître au moins 30% de décès.

LES CONSCRITS MEUSIENS DU 55e RÉGIMENT D'INFANTERIE DE LIGNE

En constituant un « échantillon » de 785 conscrits ou volontaires, il est possible d’avoir une approche plus humaine du phénomène. Entre 1803 et 1805, le 55e régiment d’infanterie de ligne, ancien régiment de Condé, incorpore 785 conscrits meusiens.

En 1791, le régiment de Condé devient le 55e régiment d’infanterie, puis la 55e demi-brigade en 1793. Il prend son nom de 55e régiment d’infanterie de ligne en 1803. En 1792, le régiment est en garnison à Longwy, à Metz et à Montmédy. Ses bataillons participent aux batailles de Valmy en 1792, d’Austerlitz en 1805 et d’Eylau en 1807, au siège de Gênes en 1800. Son drapeau, suivant les règlements de 1812 et de 1815, porte les noms d’Ulm (1805), Austerlitz, Iéna (1806) et Eylau. Le régiment a combattu en Espagne, à Medina de Rioseco en 1808, à Almonacid en 1809 et Albuera en 1811. Au moins un bataillon disparaît pendant la campagne de Russie, en 1812. Enfin le 55e régiment d’infanterie de ligne, après s’être distingué à Bautzen et Dresde en 1813, à Orthez et Toulouse en 1814, est à Waterloo le 18 juin 1815.

Il nous a paru intéressant d’étudier le destin de ces hommes qui parcourent tous les champs de bataille de l’Europe. Parti d’une liste d’un millier de noms, il ne reste plus, après vérifications, que 785 Meusiens. La tenue des registres est en cause. D’abord les inscriptions en double font disparaître près de 200 incorporés. Parfois les noms et les prénoms sont mal orthographiés. Il manque des données. Le registre n’indique pas toujours ce qu’est devenu le soldat. Malgré tout, les registres ont permis d’avoir une idée plus précise du parcours de 785 conscrits. En comparant avec les statistiques établies par Jacques Houdaille pour des soldats de l’Est de la France, on peut formuler un certain nombre de conclusions.

Tableau n° 5 : Destins d’après les registres matricules dans l’Est de la France (en pourcentages) et les registres matricules du 55e régiment d’infanterie de ligne. SHD, 21 YC 457.
Destins Est de la France[13] 55e Régiment d’infanterie de ligne
- % Nombre %
Morts au combat ou de blessures 15,8 68 9,7
Morts à l’hôpital 4,6 120 16,9
Prisonniers 24,6 64 9
Rayés à l’hôpital et rayé pour longue absence 10,6 109 15,4
Désertions 6,3 68 11,1
Congés, vétérances, etc. 13,6 129 18,2
Licenciés après avril 1814 18,8 111 15,8
Promus officiers 3,0 28 3,9
Total 100,0 707 100
Destin inconnu 5,4 78 10

Le conscrit, en arrivant au dépôt, est incorporé dans une escouade d’une dizaine d’hommes commandée par un caporal. Un sergent commande deux escouades. Quatre escouades forment une section commandée par un lieutenant. Le capitaine dirige une compagnie composée de deux sections. Le bataillon de ligne compte six compagnies : quatre de fusiliers et deux compagnies d’élite, une de grenadiers, l’autre de voltigeurs. Les grenadiers sont de grande taille alors que les voltigeurs sont plus petits. Le régiment est formé de 2 à 3 bataillons et jusqu’à cinq, mais le 5e, accueille les conscrits, en formation au dépôt. Les bataillons d’un même régiment peuvent être séparés. L’un peut combattre en Espagne et l’autre en Autriche.

À la lecture des registres matricules du régiment, on découvre le sort souvent tragique des malheureux conscrits. Certains sont réformés en arrivant au dépôt. Ainsi, Nicolas Drouard, né à Breux le 6 février 1783, est déclaré infirme et renvoyé dans sa commune pour être remplacé. La malchance s’abat alors aussi sur un conscrit de son canton qui est appelé pour le remplacer. D’autres sont condamnés pour des faits que l’on suppose graves. Mathieu Mazelot, né en 1782 à Pouilly-sur-Meuse, « est condamné aux bataillons de guerre en Espagne à dix ans de fer », le 1er avril 1810.

En tête du registre, les volontaires de 1792. Le sergent Jean-Claude Lejeune né à Broussey-en-Woëvre (Meuse) le 6 juin 1766, arrivé en 1792 obtient un congé avec pension le 1er août 1811. Le sergent Jean-Baptiste Pilotte, né à Stenay, le 29 novembre 1782, est arrivé le 15 août 1792. Il a signé un engagement de dix ans en 1793. Il quitte l’armée avec une pension, le 26 novembre 1808.

LES DÉSERTEURS

Certains désertent, ils ne représentent qu’environ 11,1 % du contingent, alors que Jacques Houdaille trouve 6,3% pour les soldats de l’Est de la France. En ne comptabilisant pas les désertions massives de 1814, le taux de désertions des conscrits meusiens du 55e régiment avoisine les 4,5%.

Pierre Minet, né à Naives-devant Bar, le 3 janvier 1776, arrive au corps le 2 août 1795. Il est blessé au bras gauche à la bataille de la Trebbia, en Italie, le 1er messidor an VII (19 juin 1799). Il est déclaré déserteur et condamné par contumace à 7 ans de travaux publics et 1 300 F d’amende. Parmi les déserteurs, on relève quelques situations surprenantes. Jean-Baptiste Dupré, né en 1764 à Sepvigny, est condamné par contumace à la peine de mort et à 1500 F d’amende pour désertion. Il rentre au dépôt et est acquitté le 20 mars 1807. Il passe même dans le corps des vétérans le 23 juillet 1808. Joseph Briot, né en 1783 à Demange-aux-Eaux, jugé par contumace pour désertion en l’an XII, est mort à l’hôpital de Lille le 7 messidor an XIII. Était-il déjà à l’hôpital au moment de sa condamnation ?

Jean-Baptiste Charpentier (Varennes-en-Argonne, 25 mars 1782-Varennes, 15 mars 1838) vigneron à Varennes, est condamné pour désertion puis acquitté. Il reprend sa place dans son bataillon. De même, Nicolas Trousselar natif de Flabas, est jugé par contumace et condamné à 7 ans de travaux publics et 1500 F d’amende. Il est toutefois amnistié le 20 juin 1807 et reprend son poste dans sa compagnie. Un autre acquitté à son retour au corps, Jean Baptiste Baillet, né en 1782 à Gercourt, pourtant condamné à la peine de mort et 1500 F d’amende pour désertion, continue son service jusqu’à son terme.

La désertion n’est-elle pas liée aux conséquences des combats ? Au cours de la bataille les hommes se perdent commotionnés, en état de choc. L’ivresse est aussi à prendre en compte. Sans les pièces des procès, il est difficile de comprendre les raisons de la désertion.

Elle est encore plus fréquente en 1814. À la fin des combats, les soldats n’attendent pas la démobilisation officielle et rentrent dans leurs foyers. Dominique Didelot de Bar-sur-Ornain, conscrit de l’an XIII, déserte le 31 avril 1814. François Jacques de Vignot, conscrit de 1804, retourne au village le 24 mai 1814.

LES MORTS

Près de 10% meurent au combat ou des suites de leurs blessures, chiffre bien inférieur aux 15,8% des soldats de l’Est de la France. On peut supposer que cet écart est dû à la mauvaise tenue des registres matricules du 55e régiment. Parmi les 68 tués au combat ou morts des suites de leurs blessures, quatre le sont à Austerlitz (1804), neuf à Eylau (1807), 24 en Espagne dont cinq lors de la bataille d’Albuera (1811). La majorité, 120, décède à l’hôpital souvent de fièvre, probablement du typhus. Nicolas Jouron (Haucourt-la-Rigole (Meuse), 1783-19 janvier 1811) est tué par des brigands en Espagne.

D’autres ont des morts moins glorieuses. Pierre Villaret de Commercy, conscrit de 1804, est mort au camp par « excès de boisson », le 9 frimaire an XIII (30 novembre 1804). François Quentin de Thillombois, conscrit de 1805, est mort par accident à Blaye en Gironde, le 12 août 1808. Il y a des miraculés, comme Jean-Nicolas Denis, né en 1783 à Avocourt. Il est déclaré mort, mais en réalité, il était prisonnier depuis le 2 août 1813 et rentre au dépôt le 4 septembre 1814.

LES PRISONNIERS

Les soldats du 55e régiment échappent à la captivité, 9,4% contre 24,6% pour les conscrits de l’Est. Faut-il encore mettre en cause la tenue des registres ? Le caporal Jean-Baptiste Vignon, né en 1783 à Aubréville, est fait prisonnier en Espagne, le 23 mars 1811. Il meurt sur l’île de Cabrera, dans l’archipel des Baléares, le 22 février 1813. 9 000 prisonniers, sont transférés des pontons de Cadix sur cette île déserte dépourvue de ressources en eau, avec une nourriture insuffisante et sans soin. Seuls 2 000 survivants en ont réchappé.

Figurez-vous un rocher totalement nu, pas un arbre, pas une case, un climat brûlant pendant l’été ; l’hiver, assez souvent, un vent du nord piquant… les autres ont succombé à la faim, à la soif (il n’y a qu’une seule source qui coule goutte à goutte dans cette île), l’ardeur du soleil et le froid[14]».

Pour certains historiens, il s’agit du premier camp de concentration de l’histoire. Le grenadier François Clinquart de Villécloye est fait prisonnier lors de la bataille d’Albuera, le 16 mars 1811, et meurt sur un ponton, une prison flottante, dans la rade de Lisbonne, en septembre 1811. Édouard Gouin, fils d’un rescapé, décrit ces lieux :

Des trous, des cales, des fosses, des cloaques puants, des boîtes étouffantes, des cages sales, des bouges ténébreux, pas assez élevés pour qu’on se tienne debout, pas assez larges pour qu’on se tienne couché…pas autant qu’on en accorde à un enseveli[15]… ».

Cependant, le sous-lieutenant Pierre, né le 26 février 1783 à Horville, conscrit de 1804, prisonnier le 30 juin 1813, rentre au dépôt, le 14 juin 1814.

LES OFFICIERS

Les promotions au grade d’officiers sont plus importantes : 3,9 contre 3%. Parmi les 28 conscrits devenus officiers, voici quelques exemples. Christophe Mangin, né le 25 juillet 1772 à Saint-Mihiel, s’engage en 1791. Il passe par tous les grades : caporal en 1793, sergent en l’an X, sous-lieutenant en l’an XIV, lieutenant en 1806, enfin capitaine le 17 novembre 1808. Le sous-lieutenant Jean-Hippolyte André, né le 13 août 1782 à Villotte-devant-Louppy, arrive au corps le 6 janvier 1804. Il passe également par tous les grades jusqu’à celui de sous-lieutenant en 1813. Il est prisonnier à Kulm en Bohême, le 30 août 1813. De retour de captivité le 3 juillet 1814, il est à nouveau prisonnier le 18 juillet 1815. Chevalier de la Légion d’honneur le 29 octobre 1826, il est blessé deux fois, à Eylau d’un coup de feu à la main droite, et à Kulm d’un coup de feu à la jambe gauche[16]. Côme¬ Nicolas Arnould (Aubréville (Meuse), 27 septembre 1783-24 octobre 1845), lieutenant en 1814, capitaine au 19e régiment d’infanterie de ligne est blessé d’un coup de feu à la mâchoire le 21 juin 1813 à Vittoria en Espagne. Il est chevalier de la Légion d’honneur le 10 avril 1832[17]. Paul-Nicolas Humblet (Écurey (Meuse), 1783-16 juillet 1805), termine une carrière commencée en 1805, passant de caporal à colonel en 1833, avec le grade d’officier de la Légion d’honneur en 1823, décoré de l’ordre de Saint-Ferdinand d’Espagne[18].


Toutefois, le destin de 10% des conscrits, rayés des contrôles pour trop longue absence, est inconnu contre 5,4% pour l’échantillon de Jacques Houdaille. Cet indice pose la question de la tenue des registres matricules. Sont-ils morts, prisonniers ou renvoyés dans leurs foyers ? Ce sont souvent des militaires hospitalisés et l’on peut craindre, pour eux, une issue fatale.

LES « VIEUX DÉBRIS »

C’est ainsi qu’ils se nomment eux-mêmes tous ces soldats de la Grande Armée de Napoléon. Méprisés par la Restauration, ils se regroupent pour ne rien oublier de l’épopée de leur jeunesse.

LA LÉGION D'HONNEUR

Instituée le 19 mai 1802 par Napoléon Bonaparte, la Légion d’honneur récompense ceux qui ont rendu des « mérites éminents » à la Nation. En vertu de l'article 99 du sénatus-consulte organique du 28 floréal An XII (18 mai 1804), les légionnaires sont membres de droit du collège électoral de leur arrondissement. Les listes électorales de 1815, à la fin de la période, incluent des légionnaires, soldats, sous-officiers et officiers sans fortune[19]. Soldats de l’armée royale ou volontaires de 1792, ils représentent les premiers soldats citoyens de la période.

Il n’existe aux archives nationales que 57 dossiers (72 %) sur les 79 légionnaires sans fortune inscrits sur les listes électorales de 1815. Cet échantillon permet de distinguer un grand nombre de militaires de l’Ancien Régime. 21 ont servi dans les troupes royales. Ce sont souvent des sous-officiers qui prennent du galon dès 1793, hormis François Henri d’Elbée de la Sablonnière (Sonchamp (Yvelines), 9 février 1730-Stenay (Meuse), 10 mars 1813). C’est sans doute le plus ancien, entré en service le 1er mai 1743, lieutenant dans la milice de Chartres, il est blessé à la bataille de Fontenoy, le 11 mai 1745. Puis cornette au régiment de Penthièvre-cavalerie, il est grièvement blessé à la bataille de Rossbach, le 5 novembre 1757. Cet officier noble, chef d’escadron en 1788, devient lieutenant-colonel du 10e régiment de chasseurs à cheval le 25 juillet 1791, puis colonel commandant ce régiment le 29 juin 1792. Il est promu général de brigade à l’armée du Rhin le 8 mars 1793, puis en congé de retraite le 5 avril 1795. Il se retire à Stenay.

Le chef de bataillon Jacques-Jérôme Martin (Paris, 29 septembre 1755- ?), retiré à Verdun, a entamé une carrière militaire au régiment du Dauphin en 1774. Sergent en 1781, il est capitaine en l’an II. Le général Bonaparte le nomme chef de bataillon du 12e régiment d’infanterie de ligne, lors du passage du Piave le 20 ventôse an V (10 mars 1797), en Italie. Soldat aguerri, il a combattu en Amérique de 1779 à 1783. Embarqué sur un navire de l’escadre commandée par le comte de Guichen (1712-1790), il est blessé au visage lors du combat devant la Guadeloupe, le 13 octobre 1781. Il est également blessé de deux coups de baïonnette à l’avant-bras droit[20] le 25 frimaire an II (15 décembre 1793) à Landau et d’un coup de feu à l’épaule gauche au cours de la bataille de Bosco le 2 brumaire an VIII (24 octobre 1799). Il est chevalier de la Légion d’honneur le 26 prairial an XII (15 juin 1804)[21].

21 sont des volontaires nationaux, citoyens engagés dans les bataillons constitués en 1791 et 1792. Par exemple, Simon Gillet (Brouennes (Meuse), 7 avril 1769-Paris, 16 mars 1827), fils de Jean-Baptiste laboureur et d’Anne Bergeron, s’engage comme grenadier dans le 1er bataillon des volontaires de la Meuse en septembre 1791. Il passe rapidement sergent en l’an II, puis sous-lieutenant au 24e régiment de ligne en l’an XI, lieutenant de gendarmerie d’élite de la garde impériale en l’an XIV, puis aux chasseurs à pied de la garde le 9 avril 1806. Capitaine au 18e de ligne, il participe à la bataille d’Eylau, le 16 février 1807. Retraité le 5 mai 1809, il reprend du service dans la garde nationale de Paris. Il est blessé d’un coup de sabre à la main droite et d’un coup de feu à la jambe gauche, le 10 juin 1807, lors de la bataille d’Heilsberg, aujourd’hui Lidzbark Warmiński. Il est chevalier le 14 mars 1806<ref<Arch. nat., LH/1135/84.</ref>.

Louis-Joseph Baillot (Bar-le-Duc (Meuse), 22 avril 1768-Bar-le-Duc (Meuse), 27 août 1827), colonel de chasseurs à cheval, en retraite à Bar-sur-Ornain est le fils du notaire Nicolas Baillot et de Thérèse Demangeot. Sous-lieutenant au 4e régiment de dragons le 20 septembre 1791, il est rapidement lieutenant en mars 1793, puis capitaine en nivôse an IV, chef d’escadron le 27 juin 1807, aide de camp du général Oudinot, et colonel à la bataille de Wagram le 17 juillet 1809. Il est nommé colonel du 2e régiment de cavalerie légère le 26 janvier 1811, puis colonel au 5e régiment en septembre 1811. Il est chevalier de la Légion d’honneur le 27 mars 1807, puis officier le 21 février 1813. Lors de la bataille de Wagram, le 1er juillet 1809, à la tête du corps d’armée du maréchal Oudinot, il est blessé d’un coup de feu au côté droit, Il a eu un cheval tué sous lui le 22 mai 1809 à la bataille d’Essling[22].

Certains sont dans la misère et réclament des aides. Par exemple François Olivier (Belleville-sur-Meuse (Meuse), 16 février 1775-Belleville-sur-Meuse (Meuse), 26 mars 1828), fils de Barthélémy vigneron et de Margueritte d’Imbly. Ce caporal du 14e régiment d’infanterie légère s’est engagé dans le 7e bataillon de la Meuse le 15 mai 1793 Il a fait les campagnes de 1793 jusqu’en 1806. Déjà blessé en l’an VII, il est à nouveau atteint de trois coups de feu à l’affaire de la Horia en Calabre, « 2 coups de feu au bras gauche et un autre au ventre », le 14 juillet 1806. Il est décoré, chevalier de la Légion d’honneur le 21 mars 1806. Retraité à Belleville-sur-Meuse, il réclame des secours en juin et juillet 1817. Sa retraite de 219 F. et son traitement de la Légion d’honneur ne suffisent pas pour nourrir sa famille, une femme et trois enfants en bas âge.

La modique pension et son traitement de la légion sont à beaucoup près insuffisant pour subvenir à tant de besoins, étant sans autre ressource, puisqu’il n’a point d’État à faire valoir, ayant passé le temps de sa jeunesse au service pendant vingt années et il est privé, par suite de ces infirmités, de la faculté de se livrer à aucun genre de travail. Il ose donc supplier votre excellence de vouloir bien lui procurer de prompts secours lieutenant des bienfaits de Sa Majesté une gratification extraordinaire qu’il espère avec autant de confiance que de respect pour votre excellence[23].

François Gavaud ou Gaveau (Semur (Côte-d(Or), 4 juin 1773-Montzéville (Meuse), 11 avril 1849) Ce carabinier au 25e léger, en retraite à Montzéville, est veuf avec 4 enfants à charge. Il est amputé de l’avant-bras droit . Le 21 avril 1840, il écrit au grand chancelier de la Légion d’honneur pour demander des secours. J’ai l’honneur de venir comme les années précédentes me rappeler à vos bons souvenirs pour vous prier de ne pas m’oublier dans la distribution de secours de cette année car malgré les besoins que j’en avais les années passées j’en ai encore plus besoin cette courante, venant d’avoir le malheur de perdre ma femme qui dans mon infirmité m’était de la plus grande utilité par sa tendresse ses soins inouïs et son économie. N’ayant d’autre secours que ceux du gouvernement paternel j’espère qu’il continuera de me traiter comme un de ses braves pour tout ce qui sera utile à mon existence…

D’autres handicapés ne réclament rien. C’est le cas de Jean Arquevaux (Verdun (Meuse), 17 avril 1765-Marres (Meuse),14 juin 1849). Ce lieutenant au 51e régiment d’infanterie de ligne, déjà blessé aux deux jambes au passage du pont d’Arcole le 26 octobre 1796, a « la jambe gauche emportée » lors de la bataille d’Austerlitz, le 2 décembre 1805. Il est chevalier de la Légion d’honneur le 14 mars 1806[24].

Également, à l’image de Jean Agnès (Marville (Meuse), 20 janvier 1777-Marville (Meuse), 28 juillet 1828), fils de Nicolas et de Catherine Jamin, maréchal des logis au 10e régiment de cuirassiers en retraite à Marville, fait chevalier de la Légion d’honneur le 14 avril 1807 . Le malheureux a échappé à la boucherie d’Eylau mais très diminué :

Ce sous-officier a reçu, à la bataille d’Eylau du 8 février 1807, 22 blessures sur diverses parties du corps dont les principales sont : 1. Un coup de sabre à la jambe gauche qui ayant divisé le calcanéum et le tendon d’Achille cause une claudication très sensible. 2. Un coup de lance dans les fausses côtes de la partie gauche qui est très pénétrant. 3. Un autre coup non moins pénétrant à celle supérieure de l’avant-bras gauche qui lui a occasionné une tumeur lymphatique et gêne extrême dans la flexion de ce membre. 4. Un autre coup de sabre à la face droite qui lui a laissé une grande difficulté dans la mastication : blessures très graves qui le rendent absolument infirme et hors d’état de faire aucun service … Les infirmités du sieur Agnès proviennent et sont une des événements de la guerre, ce qui joint à la ponctualité qu’il a constamment mise dans ses devoirs, à une intrépidité rare et à une moralité soutenue, le rendent extrêmement digne des bontés et de la justice de sa majesté l’Empereur et roi. Ce militaire est dans l’intention de se retirer à Marville…fait à Haguenau le 31 décembre 1807.

Nicolas Barrois (Ville-Issey (Meuse), 5 juillet 1769-Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), 7 juin 1828), sous-lieutenant de dragons en retraite après 39 ans de service, a fait toutes les campagnes de 1793 jusqu’en 1807. Il est chevalier de la Légion d’honneur le 14 avril 1807[25]. Il est hors d’état de continuer le service :

… A été blessé d’un coup de feu au siège de Fort Vauban, dans le 10 novembre 1793. La balle a frappé sur la partie moyenne du tibia de la jambe gauche ; il existe une cicatrice enfoncée et adhérente ; les mouvements de cette partie sont gênés ; il est atteint depuis longtemps d’une affection érésipélateuse qui s’est fixée sur la tête la face ; qui a eu un dépôt aux deux oreilles, l’ouïe est lésée des deux côtés ; il est depuis cette époque sujet à des douleurs de tête, lesquelles se manifestent particulièrement lorsque l’atmosphère se trouve chargée et dans les temps orageux ; il existe un écoulement de matière purulente par l’oreille gauche, il y a surdité complète de ce côté, cette infirmité n’offre aucune rémission, elle est permanente. Il est en outre attaqué de douleurs rhumatismales, lesquelles dans un temps brumeux deviennent d’une intensité qui l’obligent de garder le lit. Ces infirmités proviennent des fatigues de la guerre et ont considérablement augmenté pendant les campagnes de Moravie et de Pologne…

Tous ces militaires sont oubliés sous la Restauration. Il faut attendre l’événement du Second Empire pour que ces vieux soldats soient honorés.

LA MÉDAILLE DE SAINTE-HÉLÈNE

Napoléon III, le 12 août 1857, décerne la médaille de Sainte-Hélène à tous les combattants français et étrangers sous les drapeaux de 1792 à 1815 vivants au jour de sa création. Cette reconnaissance tardive ne concerne, dans la Meuse, qu’une poignée de survivants, surtout des combattants des derniers feux de l’Empire.

D’ailleurs, certains la refusent à l’image de Rémy Mangin fils de François et Marguerite Petitjean né le 3 juillet 1783 à Ligny, incorporé le 3 janvier 1804 au 55e régiment d’infanterie de ligne. Voltigeur le 13 août 1806, caporal le 1er septembre 1807, sergent le 8 octobre 1809, il déserte le 26 septembre 1812 en Espagne. Est-ce pour cette raison que ce linéen refuse d’être décoré ou que sa médaille lui est retirée ? Des familles la refusent pour leur défunt. Ainsi à Réchicourt, les parents d’André Jacques ancien caporal au 9e régiment de chasseurs à pied, décédé renvoient la médaille. Enfin, la médaille arrive trop tard. C’est le cas pour Pierre-François Marchal, ancien cordonnier, 73 ans décédé à Condé le 2 mars 1858.

Certains la perdent en raison de condamnations. La médaille est retirée à Wendel Scherrer de Bar-le-Duc, cavalier au 2e régiment de chasseurs à cheval en 1815, en raison d’une condamnation à 2 mois de prison, en 1849, pour escroquerie.

Enfin d’anciens militaires demandent cette distinction. Par exemple, Antoine Aubryot, âgé de 76 ans en 1857, domicilié à Vertuzey, fait une demande « d’autant plus encore que trois de ses frères sont morts à l’armée ». Le 27 juillet 1858, le maire de Mouzay plaide en faveur de Claude-Louis Laboissière tisserand de sa commune :

Cet ancien militaire incorporé sur la fin de 1812 au 27e régiment d’infanterie de ligne, a fait les campagnes de 1813 à Lützen, Bautzen, Dresde et Leipzig, après lesquelles il est rentré en France les deux jambes gelées, a rejoint son corps en 1814, tant son dévouement à l’Empereur était grand, et a assisté à l’affaire de Waterloo où il a été fait prisonnier, ensuite, après être resté huit mois dans cet état en Angleterre, est rentré en France quatre mois après le licenciement de l’armée, sans aucun papier justificatif de ses services.

Les maires sont très actifs. Ainsi, le maire de Vigneulles, le 26 août 1861, réclame la décoration pour Augustin-Nicolas Douvry, boulanger de sa commune, « le seul de nos anciens militaires qui n’ait point encore obtenu cette distinction ». De même le maire d’Auzéville sollicite la médaille, le 23 juillet 1860, pour Jean-Joseph Divin, né le 30 mars 1791, « oublié jusqu’à aujourd’hui ».

Certains revendiquent eux-mêmes maladroitement leur droit à la médaille, comme Jean-Baptiste Buzard, habitant de Bar-le-Duc, cultivateur, né le 13 septembre 1790 à Bannoncourt (Meuse) fils de Pierre et Jeanne Chaudois. Entré au 13e régiment de voltigeurs de la Garde impériale le 12 novembre 1813, conscrit de 1810. Il déserte le 8 juin 1814[26]. Il est rappelé au 2e bataillon du train des équipages de la garde, le 4 mai 1815, puis passe au 3e escadron du train des équipages, le 1er octobre 1815[27].

CONCLUSION

Au terme de cette recherche, il faut constater bien des incertitudes. Rien ne permet de déterminer avec précision les pourcentages de décès, de désertions, de disparitions… Les registres matricules sont bien trop imprécis. Toutefois, les documents permettent de tracer les parcours individuels, tragiques ou heureux, de tous ces patriotes qui n’ont souvent laissé à la postérité que leurs noms dans les registres. Leurs cadavres semés à travers toute l’Europe reposent dans des fosses communes ou des tombes anonymes. Dans les cimetières meusiens leurs sépultures disparaissent. Seuls les monuments à la gloire des généraux et maréchaux, dressés sur les places des cités meusiennes, rappellent leur mémoire.

NOTES

  1. Natalie Petiteau, Lendemains d’Empire. Les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle, Paris, 2003, p.39.
  2. Annie Crépin, La conscription en débats ou le triple apprentissage de la nation, de la citoyenneté, de la République (1798-1889), Arras, 1998,p.167.
  3. Pierre Delbrel (Moissac (Tarn-et-Garonne), 1er juillet 1764-Moissac (Tarn-et-Garonne), 2 mars 1846). Conventionnel, membre du Conseil des Cinq-Cents. Il s’oppose au coup d’État de brumaire.
  4. Jean-Baptiste Jourdan (Limoges (Haute-Vienne), 29 avril 1762-Paris, 23 novembre 1833). Il participe à la guerre d’indépendance des États-Unis. Général de la Révolution, maréchal d’Empire en 1804, grand aigle de la Légion d’honneur en 1805, comte de Jourdan en 1815. Après 1830, ministre des Affaires Étrangères, il est nommé gouverneur des Invalides.
  5. Bernard Schnapper, Le remplacement militaire en France. Quelques aspects politiques, économiques et sociaux du recrutement au XIXe siècle, Paris, S. E. V. P. E. N., 1968, 326 p.
  6. Le Narrateur de la Meuse, 8 décembre 1805.
  7. Archives départementales de la Meuse (Arch. Dép. Meuse), 1 R 17
  8. Arch. nat., F9/219.
  9. Arch. nat., F9/219.
  10. Le Narrateur de la Meuse, 2 novembre 1813.
  11. Jean-Paul Bertaud, Quand les enfants parlaient de gloire : l’armée de Napoléon au cœur de la France de Napoléon, Paris, 2006, 460 p.
  12. Jacques Houdaille, « Pertes de l'armée de terre sous le premier Empire, d'après les registres matricules », dans Population, 27e année, n°1, 1972 p. 27-50.
  13. Jacques Houdaille, « Pertes de l'armée de terre sous le premier Empire, d'après les registres matricules », dans Population, 27e année, n°1, 1972 p. 27-50.
  14. Louis Pujol, « Le rapatriement des prisonniers de Cabrera (1814) », dans Revue rétrospective, 1890, p.357-360.
  15. Édouard Gouin, Les pontons d’Angleterre et la censure en France, Paris, 1841, 8 p., p.5.
  16. Arch. nat., LH/34/98.
  17. Arch. nat., LH/55/86.
  18. Arch. nat., LH/1326/25.
  19. Arch. nat., F1c III Meuse 5.
  20. Arch. nat., LH/1100/22.
  21. Arch. nat., LH/1760/26.
  22. Arch. nat., LH/93/15.
  23. Arch. nat., LH/2014/46.
  24. Arch. nat., LH/57/32.
  25. Arch. nat., LH/10/29.
  26. SHD, GR 20 YC 96, matricule n° 3 100.
  27. SHD, GR 20 YC 209, matricule n° 122.



  Pour citer cet article :
Jean-Paul Streiff - L'impôt du sang : la circonscription dans le département de la Meuse (1800-1815) - Projet Empreinte militaire en Lorraine
Consulté en ligne le <date du jour> - Url : http://ticri.univ-lorraine.fr/wicri-lor.fr/index.php?title=Empreinte_militaire_en_Lorraine_(02-2017)_Jean-Paul_Streiff

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