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Annales de l'Est (1892) Jacques

De Wicri Lorraine
Bandeau Annales de l'Est.jpg


Note : le texte qui suit est repris de Gallica. Il n'est en l'état pas traité, l'affichage n'est donc pas adapté, et il n'a pas été vérifié (la version texte est le résultat d'un OCR, avec toutes les approximations que l'on connait).


Lettres inédites de Vauban et de Louvois sur les fortifications de Nancy (1672)


 
 


Informations sur l'article
Auteur : Victor-Melchior Jacques
Période historique : Moderne
Discipline : Histoire militaire
Type : Correspondance
Informations de publication
Année : 1892
Numéro : 1



Les fortifications de Nancy, rebâties et embellies sous Charles III et terminées seulement sous Henry II, avaient été détruites pendant l'été de 1662, selon les stipulations du traité de Vincennes entre Louis XIV et le duc Charles IVt. Lorsque, en 1670, le roi de France envahit de nouveau la Lorraine et en chassa le malheureux duc, il acheva de ruiner toutes nos places fortes, pour tenir plus aisément notre pays sous son joug. Mais il ne tarda pas à regretter cette faute; car, dans sa pensée et dans la pensée de Louvois, son conseiller, la Lorraine devait être la base, le point de départ de toutes les opérations militaires qu'il méditait contre la Hollande et contre la maison d'Autriche de quelle utilité n'aurait pas été une citadelle fortement défendue pour protéger les armées qu'il entretenait et les provisions de guerre qu'il entassait dans notre pays 1 Il fallut donc penser à bâtir cette nouvelle forteresse. Mais où convenait-il mieux de l'établir? Quelle ville lorraine, quelle situation offrait le plus d'avantages ? Pour s'en rendre un compte exact, Louvois dépêche en Lorraine Vauban, déjà illustre par tant de sièges glorieux et par la construction ou le rétablissement de tant de places fortes. C'est dans ces circons1. Voir Lionnoie, Hiatoire dÆJ Nancy, l, 454, <162. ,D'Haussonville, Histoire de la réunion de la Lorraine ~i la France, r, 330, et III, 353.

tances qu'en avril 1672, au moment où Louis XIV déclarait la guerre à la Hollande, s'engage la correspondance suivante entre Vauban et Louvois, entreLouvois et l'intendant des Troisrvêchés momentanément chargé de la Lorraine. Nous l'avons crue intéressante pour les détails qu'elle donne sur les fortific:1tions de Nancy cette époque, pour la lumière qu'elle jette sur le caractère de Vauban et sur le génie éminemment pratique de Louvois. Du reste, aucun historien ne nous paraît avoir eu connaissance de ces lettres.

Elles se trouvent aux archives anciennes du ministère de la guerre, dans le volume n° 292, avec la correspondance administrative de Louvois'. Les lettres du ministre ont été écrites par un secrétaire; celles de Vauban sont, croyons-nous, autogruphes.

Nous n'en reproduisons pas l'orthographe, qui n'a pas d'intérêt en elle-même, surtout quand elle est celle d'un secrétaire ; du reste, l'importance historique de ces lettres dépasse de beaucoup leur valeur littéraire.

l

LETTRE DE VAUBAN A LOUVOIS.

Nancy, le 5° avril 187~.

Il y a deux jours, Monseigneur, que je serais parti d'ici, si j'avais pu rencontrer un plan de Nancy. Monsieur Charuel n'en avait point, et n'en a jamais pu trouver un raisonnable, quelque diligence qu'il ait pu faire depuis mon arrivée. J'ai la fin déterré ce brouillon qui était entre les mains d'un fou pas tant fou, pourtant, puisque j'ai eu toute8 les peines du 1. C'est dans ces archives que nous avons trouvé les éléments d'une élude sur la Lorraine de 1670 à 1696.

2. Charuel était intendant en Lorraine depuis l'arrivée des Français en 1670. En avril 1672, il allait quitter Nancy, car Lonvois, qui avait en lui la plus grande confiance, venait de l'appeler à l'intendaoce de l'armée de Flandre commandée par le maréchal de Créqui. Après la guerre de Hollande, il revint en Lorraine et reprit ses fonctions jusqu'eo septembre 1691, époque de sa mort. Son nom est bien Charuel, et non pas Cliériiel, comme écrit d'Haussonville, et après lui quelques historiens lorrains.

monde à le tirer de lui pour quatre louis, encore n'a-ce été que ce matin. Il est bon et assez juste.

En attendant le retour de mon courrier, j'en réduirai un en petit, où je vous marquerai le cour8 de la Meurthe, afin de pouvoir vous figurer la pensée qui m'est venue en l'esprit sur la construction d'une nouvelle citadelle dans la prairie. Je vous y marquerai aussi le plan des rues et des bâtiments le8 plus proches de la vieille citadelle, afin de voir comment l'on pourra faire pour avoir un' peu d'esplanade, au cas que le roi prenne le parti de la rétablir.

Du surplus, mon sentiment est de rétablir les deux villes, et n'en faire qu'une de deux, pour les rai8on8 dites en mon mémoire ou tout au moins de rétablir la citadelle, et la faire suivre la réforme marquée dan8 le plan par le8 lignes de point8 rougis, et permettre à Monsieur de Lorraine de rebâtir la ville, et même l'y exciter La disposition y est très favorable et ce dernier dessein coûterait peu de chose.

Quoique le nouveau dessein de citadelle que je vous propose fût très excellent je ne vous le conseillepas, parce que sa construction vous coûterait autant que le rétabli8sement de Nancy, ne ferait rien pour elle et ne serait pas tont à fait bien considérable, si Nancy n'était rétabli, comme j'aurai l'honneur de vous le faire voir à mon retour.

La situation de Lunéville ne me paraît ni propre, ni néceesaire à une fortification et où j'ose bien m'as8urer que la dépense ne serait guère moindre que celle du rétablissement de Nancy. Car enfin il y faudrait faire toutes choses générale8 quelconques, et faire venir tous le8 matériRuJt de loin et par charrois. Mon agenda et le brouillon que j'y ai joint vous eJtpliqueront enffisamment ce que c'est. Au reste la circonvallation de Nancy aurait bien deux fois et demie le tour de celle de Lunéville. Je vous conjure, Monseigneur, de ne pas me laisser ici longtemps car la campagne s'approche' et mon équipage est fait, comme il plaît à Dieu. J'ai l'honneur d'être, Monseigneur.

1. C'est-à-dire de faire suivre à la citadello les lignes nouvelles que lui traçait Vauban.

2. A cette époque, le roi de France ne paraissait pas résolu à annexer définitivement la Lorraine depuis plus d'un an des négociations avaient été entamées pour décidor Louis XIV à remettre Charles IV en possession de ses États. Le roi y consentait, il la condition qu'une ormée rrançaise occuperait toujours notre pays et tiendrait garnison dans une citadelle bàtie par les Lorrains sur leur propre territoire et sur des plans fixés par lui. Le duc de Lorraine préféra l'exil à cette humiliation permanente.

3. La nouvelle citadelle qu'il propose de bâtir dans la prairie.

4, f.~ campagne de Hollnnde qui commençn en mai suivant.

II

LETTRE DE Louvois A VAUBAN.

se avril 1672

Je reçus hier, avec votre lettre du 5" de ce mois, les plans et mémoires qui y étaient joints. Le roi ne veut rien faire à Lunéville et 8e fixe à la fortification de Nancy sur les vieux vestiges. Il veut bien, suivant votre avis, ne pas relever la séparation de la vieille ville d'avec la nouvelle, et, jU8que8 à ce que l'on ait pu examiner la chose de plus près, que l'on ne travaillera point à ce qui pourrait nuire au dessein de la citadelle que vous auriez à proposer eutre la rivière et la vieille et nouvelle ville, vi8-à-vi8 des bastions Saint-Jncques, Vaudémont et de8 Dames.

Il veut bien enco~e que l'on ne travaille point quant à. présent à relever le 8econd retranchement du côté de la porte Notre-Dame et désire que l'on ne fasse rien non plus au retranchement de la citadelle contre la vieille ville, non plus qu'aux endroit8 des bastion8 le Duc et le lllar~luie, le8quel8 il faudrait réformer pour accommoder la citadelle suivant les point8 marqués, de rouge daus votre plan; c'est-à-dire qu'il faut 8e restreindre à travailler à la face gauche du bastion le Duc, à son flanc gauche, à la courtine qui le joint avec le bastion dit le Marquis, à la face du flanc droit dudit bastion le Marquis qu'il faut laisser tont ce qui est entre le bastion le Marquis et le bastion de Salm 8ans y toucher quant à présent, et travailler au bastion de Salm et à ceux de Notre-Dame, de Saint-Jean, Saint-Thiébaut, Saurnpt, Saint-Nicolas, Haraucourt, la Madeleine à la face et flanc droit du bastion Saint-George et aux courtines qui joignent tous lesdits baetious ensemble, laissant tout ce qui est depuis l'angle Hanqué du bastion Saint-George jusques à celui du bastion le Duc sans y rien faire quant à présent,jusque8 à ce que Sa Majesté ait pris son parti sur la citadelle et déterminé si elle la fera refaire à l'endroit où elle a été ci-devant du côté de la porte NotreDame, ou à celui marqué E dans votre plan.

L'intention du roi est que l'on ne travaille cette année, aux endroits que j'ai marqués ci-des8us, qu'à relever les terres du rempart, à découvrir les décombres du rasement, et à réparer et arranger.le8 pierres les unes sur les autres, et les séparer dudit décombre, de manière qu'elles soient à portée l, Le lieu d'où cette lettre fut adressée à Vauball n'est point marqué; lacour avait été tout l'hiver à Versailles c'est de là sans doute que Louvois écrit. 2. Phrase incorrecte; il faudrait o et vous fait dire que l'on ne travaillera ou bien a Il veut que l'on ne travaille pas.

d'être employées facilement au printemps de l'année prochaine que l'on fasse tirer incessamment du moellon dans les endroits les plus proches de Nancy, et où il est le meilleur, afin qu'après l'avoir fait, l'on puisse commander une grande quantité de chariots du pays pour l'amener au pied des bastions et courtines où l'on reconnaîtra qu'il en pourra manquer que l'on fasse aussi tirer des pierres de taille aux endroits où elles se pourront trouver les meilleures, observant que le roi ne veut faire faire aucune architecture à ce revêtement, ni employer des pierres de taille à autre chose qu'aux angles et au cordon.

A l'égard de la chaux, je crois qu'il faut chercher des pierres qui soient propres à en faire, et les faire amener dans les fossés lorsque les décombres en seront tirés, et y faire construire des fours, et faire autour d'iceulx une grande provision de bois pour la cuire au printemps.

Donnez sur tout cela à Monsieur de Choisy et au sieur de Saint-Lo toutes les instructions nécessaires pour bien exécuter ce qui est de l'iuteution du roi, et venez ensuite ici pour vous mettre en état de suivre Sa Majesté qui partira de Saint-Germain le vingt-cinq de ce mois pour s'en aller voyager en Hollande. Monsieur de Saint-Pouenge a a onze cents écus entre ses mains pour votre équipage.

P.-S.-Depuis cette lettre écrite, j'ai cru queje devais vous faire observer qu'il me semble que j'ai toujours ouï dire que les murailles de Nancy étaient fort épaisses que, si cela est, les fondations étant demeurées entières, toutes les terres qui sont restées derrière étant solides par le long temps qu'il y a qu'elles ont été portées, les fascines étant aussi abondantes que vous me le marquez et la chaux aussi bonne que j'ai ouï dire qu'elle était en ce pays-là, ce ne serait peut-être pas une affaire que de diminuer le profil de manière qu'il ne faudrait point de nouveaux moellons, et que les vieux matériaux seraient plus que suffisants pour faire le revêtement sur le profil que vous réglerez. Songez à cela avant que de donner à M. de Choisy et au sieur de Saint-Lo les mémoires dont j'ai parlé ci-dessus. L M. de Choisy était intendant des Trois-Évêchés; Louvois venait d'ajouter la Lorraine à son département pour le temps où Charnel serait employé en Flandre. a. M. de Sainl-Lo était un ingénieur formé par Vauban. C'est lui qui dirigea tous les travaux des fortifications de Nancy.

B. M. Colbert de Saint-Poueuge était le cousin du ministre ColtJert; il avait rempli les fonctions d'intendant de l'armée à l'arrivée en Lorraine du maréchal de Créqui.

III

Louvois A Ciroisy, INTENDANT DE LORRAINE ET DES TROIS-ÉVÊCHÉS. 86 avril 1672.

Vous verrez par la copie de la lettre que j'adresse au sieur de Vauban la

résolution que Sa Majesté a prise à l'égard de la fortification de Nancy. Son intention est que vous preniez les mesures nécessaires pour la faire exécuter, commandant une certaine quantité de paysans par prévôtés pour y travailler pendant tout l'été, et imposant sur le Barrois et autres lieux les plus en état de fournir de l'argent ce qui pourra être nécessaire pour y faire travailler continuellement douze ou quatorze cents soldats des troupes qui seront logées à Nancy, auxquels il faut séparer des tâches par compaguies, et les toiser, afin que vous vous puissiez prendre à chaque officier, si la besogne n'est pas faite dans le temps que vous lui marquerez. Et afin que les soldats travaillent mieux et n'aient pas besoin de tant de surveillance pour les pousser, il est à. propos de faire travailler à la toise, la mettant sur un pied que chaque soldat puisse gagner six ou sept sols par jour et empêchez, s'il vous plaît, que les officiers ne leur retiennent rien sous quelque prétexte que ce puisse être.

Il en faut faire de même à l'égard des paysans commandés dans les prévôtée, auxquels il faut assigner une certaine quantité d'ouvrage, après laquelle faite, ils seront relevés par d'autres des mêmes prévôtés, afin que l'envie de s'en retourner chez eux les fasse travailler avec plus de diligence. Et je crois que pour cela vous devez disposer les tâches que vous leur donnerez de telle manière qu'ils puissent, en bien travaillant, les faire en trois semaines, et en ne travaillant que médiocrement, les faire en un mois; et obliger un -officier par chaque prévôté d'être sur les lieux pour prendre soin de les conduire.

Il faut demander à. toutes les villes de Lorraine tous les outils nécessaires pour fournir il. ce travail, c'est-à-dire des bêches, des pelles, des piques et des hottes, et leur ordonner de les rendre à Nancy dans le dernier jour de ce mois.

Vous ferez loger dans Nancy les paysans commandés pour le travail, afin qu'ils pnissent s'y appliquer avec plus d'assidnité.

Vous me donnerez incessamment part de tout ce que vous aurez concerté avec ledit sieur de Vauban sur ce que dessus, et de tout ce que vous croyez pouvoir faire pour réussir dans tout ce dont Sa Majesté vous charge, afin

que je puisse vous faire encore savoir les intentions du roi auparavant son départ.

Sa Majesté désire que le sieur de Saint-Lo prenne soin de la direction de tous ces travaux et qu'il ait une inspection générale sur tout ce qui se fera. Il pourra prendre sous lui des gens pour le soulager aux choses dont il aura besoin.

IV

VAUBAN A Louvois.

De Nancy, ce 10a avril 1672.

J'ai reçu, Monseigneur, celle qu'il vous a plu m'écrire du 4" de ce mois. J'eus tant de hâte de vous dépêcher mon courrier de peur de vous faire attendre que je ne me donnai pas le temps de bien observer toutes choses. C'est ce qui a fait que, depuis son départ, j'ai reconnu qu'une citadelle n'était pas praticable dans la prairie, à ca.use des fréquentes inondations, qui s'élèvent quelquefois jusques à sept ou huit pieds au-dessus, ainsi que je l'ai vu marqué en différents endroits, et que je l'ai entendu par le rapport de gens dignes de foi. Cela exclut absolument le projet, parce qu'une citadelle dans la prairie y ferait l'effet d'une digue en travers, qui ferait encore monter les eaux beaucoup plus haut ce qui inonderait tout le pays et entraînerait peut. être la ville et la citadelle, ou du moins en gâterait l'une on l'autre, et peut-être toutes les deux.

Je me réduis donc au rétablissement de Nancy, comme j'ai eu l'honneur de vous le proposer en premier lieu, avec son réduit auquel je ne voudrais même rien faire d'extraordinaire que de le relever du côté de la ville, et lui prolonger la face de main droite qui ne l'est pas assez, s'entend supposé que Monsieur de Lorraine ne rentre pas en son pays, comme le bruit en court fort ici. Car, en ce cas, la moindre chose sera capable de contenir le bourgeois, qui de lui-même n'est pas trop remuant

Monsieur le maréchal de Créqui est venu ici, avec Monsieur de Choisy, je crois, pour voir ce que j'y ferais, quoiqu'il n'en ait point fait le semblant. Il m'a fait demander mon sentiment sur tout ceci je n'ai pas cru lui devoir faire finesse d'une chose que tout le monde devine, au mouve.ment qu'on me voit faire, et que vous ne m'avez pas ordonné de cacher. Il n'aime pas fort les citadelles, et apporte pour cela des raisons fort élo1. Ce passage prouve que l'intention de Louvois était bien de bâtir certains ouvrages pour maintenir la population de Nancy; les Lorrains sc sont plaints amèrement de ces pr~cautions hostiles prises contre eux.

quentes, mais dont le sens est renfermé chez soi. Ils s'en sont retournés aujourd'hui. Monsieur de Choisy m'a dit que vous lui aviez mandé que je lui donnerais un mémoire de ce qu'il y avait à faire ici. J'en donnerai un à Saint-Lo, que j'attends aujourd'hui ici, avec ordre de lui en donner copie. J'attends avec grande impatience le retour de mon courrier, car je ne fais plus rien ici.

J'ai l'honneur d'être, Monseigneur

Ces lettres prouvent que les Lorrains n'ont pas exagéré la valeur des fortifications de Nancy bâties par Charles III, puisque Vauban lui-même, après avoir bien cherché, n'a rien trouvé de mieux que de les rétablir sur le plan primitif. Les travaux furent en effet exécutés sur toute l'étendue du rempart, et pendant quatre années, Nancy et la Lorraine, déjà épuisés par tant de malheurs, se virent accablés de logements, de corvées, d'impôts et de vexations pour rebatir une citadelle, dont Louis XIV devait retirer tous les avantages. V. JACQUES.