Nuvola apps important.png Attention, suite à une faille de sécurité, la plupart des liens vers les serveurs d'exploration sont désactivés.

-

Annales de l'Est (1888) Collignon2

De Wicri Lorraine
Bandeau Annales de l'Est.jpg


Deux lettres inédites de Marceau


 
 


Informations sur l'article
Auteur : Albert Collignon
Période historique : Contemporaine
Discipline : Histoire militaire
Type : Biographie
Informations de publication
Année : 1888
Numéro : 1


(Messidor-Thermidor an IV.)


Les deux lettres de Marceau que l'on va lire sont tirées de la collection d'autographes de la Bibliothèque de Nancy qui nous a fourni déjà des lettres de Beaurepaire et de Ney. Elles n'ont trait à aucun événement historique et nous apprennent peu de chose sur la vie de leur auteur. Néanmoins elles offrent cet intérêt qu'elles ont été écrites dans les derniers mois de cette existence si brillante et si courte. Elles sont d'ailleurs alertes et gaies, enlevées avec une vivacité toute militaire et répondent bien l'idée que l'on se fait du caractère de Marceau.

Ces lettres portent les dates du 21 messidor et du 6 thermidor an IV (9 juillet et 24 juillet 1796). Or, deux mois après, le 3e complémentaire an IV (19 septembre 1796), dans le défilé d'Altenkirchen, Marceau était atteint par la balle d'un chasseur tyrolien, et le surlendemain succombait, âgé seulement de 27 ans, dans tout l'éclat de sa jeune gloire.

Le correspondant de Marceau est le commissaire des guerres Robert, alors en résidence à Nancy. Ancien officier d'état-major aux armées de l'Ouest et des Côtes de Brest, Robert était l'ami du général. C'est lui qui fut chargé de liquider sa succession, dans les premiers jours de frimaire an V[1]. Marceau lui avait laissé des papiers auxquels il attachait une grande importance et une malle remplie d'effets qui, vendus à Nancy, ne produisirent que quelques cents francs[2]. On verra par les lettres qui suivent que le général lui avait aussi confié ses chevaux et lui remettait en partie le soin de ses intérêts.


ARMÉE DE SAMBRE-ET-MEUSE.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ.
1re DIVISION.
Au quartier général à Croutznach, le 21 du mois
de messidor, 4e année républicaine.
Marceau, général de division, au commissaire des guerres Robert.
A la bonne heure, cette fois vous êtes exacte[3] à répondre et vous savez au moins faire plaisir aux gens ; à la faveur de cette bonne action on vous passe votre petit mensonge, et sans attendre l'arrivée des lettres prétendues perdues, on se dédomage à la lecture de votre dernière. Qui n'en serait pas flatté ? Vous exprimez avec tant de facilité le sentiment que vous dittes posséder qu'il n'i a que la réciprocité d'assurance qui puisse tirer de là celui qui toutes ces belles paroles sont adressées. Recevez donc de sa part et témoignages d'amitié et dévouement bien sincères.

Venons à mes moutons à présent, au moins à mes chevaux. Faites-moi le plaisir de me renvoyer mons Michel avec la nouvionne et le cheval entier ; gardez la petite noire qui peut sans danger être laissée toute l'année dans une prairie, et veuillez faire avoir un soin particulier et de mon cerf et de l'autre cheval, et tout aussitôt qu'ils se porteront bien, faites-les mettre en route par l'autre domestique.

Je suis seulement peiné du mal que je vous donne et des tracasseries que vous ont occasionné mes domestiques. Si quelques coups de bâton fortement appliqués sur leurs épaules pouvaient diminuer le désagrément que ces gaillards-là vous ont causé, vous seriez parfaitement dédomagé. Car, à leur arrivée, ils sentiront le poids de mon bras. Mais cela ne suffit pas, je le sens, et je m'empresse de vous offrir le tribut de ma reconnaissance.

Faites agréer à votre petite mais charmante femme l'expression de mon respectueux intérêt ; jouez avec elle au rachat du gage, et que le premier baiser que vous lui donnerez soit pour moi. Vous m'entendez, je suis loin.

Adieu, je vous embrasse aussi, vous, quoique vous soyez homme et que ces messieurs me déplaisent infiniment.

MARCEAU.


ARMÉE DE SAMBRE-ET-MEUSE.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ.
1re DIVISION.
Au quartier général de Wisbaden, le 6 du mois
de thermidor, 4e année républicaine.
Au commissaire des guerres Robert.
Obligé, mille fois obligé, mon cher Robert, de ce que vous avez bien voulu, en songeant à moi, songer encore à mes interêts ; mais je ne puis faire l'acquisition que vous me proposez car, outre qu'elle est trop conséquente, elle ne me paraît pas devoir me convenir ; elle n'est d'aucune espèce de rapport et vous sentez qu'il me faut de quoi vivre. D'ailleurs, je n'ai plus de mandats[4], ma sœur[5] a employé ceux que nous avions et je me trouve bonnement à la paye de la ramée. Vous savez qu'elle n'est pas conséquente et que, quoiqu'on n'en dépense pas du tout, puisque les mandats n'ont pas cours, il n'en faut pas moins attendre beaucoup de tems pour amasser une certaine comme. Si cependant il se trouvait un certain bien qui valût une quarantaine ou cinquantaine de mille livres et que vous voulussiez me conserver le même intérêt, je vous serais obligé de le soumissionner et payer tout de suite à lettre vue. Je vous ferai passer le montant de la soumission ou vous chargerai d'en toucher le prix dans une lettre de change que je vous enverrai. Je sais que si vous trouviez un pareil objet vous devriez le prendre pour vous. Je serais loin de le trouver mauvais, aussi vous aurais-je bien grande obligation si vous faisiez pour moi ce que je vous demande.

J'attends avec impatience mes chevaux ; ceux que j'ai ici sont cruellement fatigués. Faites-moi donc savoir, je vous prie, quelle espèce de maladie a le jeune cheval alezan. Car il n'était pas malade quand il est parti ; pour la petite, gardez-la ainsi que je vous l'ai marqué.

Mille choses à votre délicieuse épouse ; pour vous amitiés bien sincères.

MARCEAU.


Robert, se conformant au désir du général, soumissionna en Lorraine, moyennant 20,000 fr. payables en mandats et représentant en numéraire à peu près 5,000 fr., une petite propriété nationale qu'il invita Marceau à acquérir. Mais celui-ci se trouva hors d'état de faire cette dépense, inférieure pourtant à celle qu'il avait prévue. Sa réponse à Robert, publiée par M. Charles Comte, contraste par un ton quelque peu découragé et mélancolique avec l'entrain des précédentes. Nous croyons utile de la reproduire car elle conclut ce petit épisode d'affaires toutes privées :


ARMÉE DE SAMBRE-ET-MEUSE.
1re DIVISION. - AILE DROITE.
Marceau, général de division, au commissaire des guerres Robert.
14 thermidor an IV (1er août 1796).
J'ai reçu, mon cher Robert, avec vos différentes lettres mes trois chevaux qui malheureusement sont loin d'être bien portants ; la nouvionne est en bien mauvais état, le cerf a la jambe grosse comme le corps et le petit sauvage ne peut rien me promettre de bon. Vous voyez que je ne suis pas heureux ; recevez mes remerciements pour les soins que vous avez bien voulu leur donner et veuillez me renvoyer les autres ; pensez, mon cher Robert, que je n'oublierai point vos bons offices et que je m'estimerai heureux de pouvoir les réciproquer.

J'ai donné les trois Louis que vous m'aviez chargé d'avancer ; je vous ai répondu aussi pour la soumission : je me trouve ma foi hors d'état de rien acquérir ; je suis ruiné de fond en comble, il me reste la cappe et l'épée, l'honneur et la vie qui ma foi devient un fardeau quand elle ne peut présenter de moyens de Bonheur. Je laisse au tems maître de tout à améliorer mon sort ; en attendant, recevez pour vous et votre épouse les assurances de mon sincère attachement.

Envoyez-moi l'entier, car je le vendrai mieux qu'en France il faut que le domestique passe par Trèves, Traarbach, Simmeren et Bingen.

MARCEAU.

Notes et références

  1. Nous empruntons ces détails à l'intéressante notice de M. Charles Comte, professeur au lycée de Versailles, Notes et documents sur Marceau. Extrait de la Révolution française. Paris, Charavay, 1886.
  2. Le chiffre total de la succession de Marceau ne dépassa pas 15,000 ou 16,000 fr.
  3. Nous respectons le petit nombre de négligences d'orthographe qui se rencontrent dans ces lettres.
  4. Papier-monnaie qui avait cours forcé en remplacement des assignats.
  5. Émira Marceau, femme de l'ancien conventionnel Sergent.