Bull. Soc. sci. Nancy (1883) Millot

De Wicri Nancy
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Étude sur les orages dans le département de Meurthe-et-Moselle


 
 

Titre
Étude sur les orages dans le département de Meurthe-et-Moselle
Auteur
Charles Millot
In
Bulletin de la Société des sciences de Nancy.
Dates
  • création : 1883
  • mise en lecture 25 février 2020
En ligne
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/32172/ALS_1883_6_16.pdf

Le texte

Les sous-titres sont de la rédaction de Wicri/Nancy[NDLR 1].

La Commission météorologique départementale, qui fonctionne depuis 1878, n'a cessé, au milieu de ses différentes occupations, de porter une attention toute particulière à l'étude des orages.

Motivation régionales : l'été 1883

Dans le but d'arriver un jour à armer les agriculteurs contre les pertes, heureusement toutes locales, mais trop souvent désastreuses, que leur font subir ces météores, elle a rassemblé le plus grand nombre de données qu'elle a, pu se procurer en faisant appel aux instituteurs du département. Elle a trouvé dans ces observateurs instruits un concours empressé et éclairé; c'est ainsi que, pour le seul mois de juillet 1883, la Commission a reçu, de différents points du département, 357 bulletins d'orages. Aussi, grâce aux hommes dévoués qui représentent la science dans nos campagnes, espérons-nous un jour pouvoir dissiper les ténèbres dont cette question des orages est encore enveloppée.

Notre intention n'était pas de prendre, si tôt la parole, mais d'attendre l'appoint de connaissances que nous auraient encore fourni plusieurs années d'observations. Le désastre éprouvé par plusieurs communes des cantons de Lunéville-Nord et de Saint-Nicolas, et en particulier par la malheureuse ville de Rosières, nous a décidé à ne pas différer plus longtemps la publication de ce que nous savons au sujet des orages, sauf à rectifier et à compléter plus tard ce que nos conclusions auraient de trop hâtif et d'incomplet.

Influence de l'Atlantique Nord

On sait que, dans nos latitudes, existe, au-dessus de l'Atlantique nord et de l'Europe occidentale, la branche septentrionale d'un vaste circuit aérien, véritable gulf-stream atmosphérique, comme l'a appelé M. de Tastes, se mouvant de gauche à droite autour d'une zone de calmes et de hautes pressions. Ce fleuve aérien; qui traverse la France de l'O.-S.-O. à l'E.-N.-E., est par-semé de mouvements tournants qui sont une conséquence mécanique du frottement de l'air en marche contre l'air calme ou moins rapide situé sur sa rive gauche. Ce sont ces mouvements tournants qui nous amènent les tempêtes en hiver et les orages en été; ils sont animés d'un mouvement de rotation en sens in-verse des aiguilles d'une montre, c'est-à-dire de droite à gauche, et la force centrifuge engendre une dépression à leur centre. C'est dans leur demi-cercle méridional que souffle la tempête, parce que le mouvement de rotation dirigé dans le même sens que le mouvement de translation s'ajoute à celui-ci ; dans le demi-cercle septentrional, au contraire, ces deux mouvements, dirigés en sens inverse, se contre-balancent en partie et l'on y jouit souvent du calme, malgré la baisse barométrique.

Aussi la tempête étant rarement circulaire, préférons-nous donner à ces mouvements tournants le nom de dépression, de préférence à celui de cyclone, qu'on leur applique souvent, et qui doit, selon nous, être réservé aux ouragans ou tempêtes tournantes complètes des régions tropicales.

Les dépressions sont rarement isolées, elles se suivent généralement à la file en formant une sorte cle chapelet, ce qui constitue une série de mauvais temps. Le vaste courant aérien qui les en-traîne se déplace lui-même avec la zone des hautes pressions qu'il entoure, et les fluctuations de cette masse centrale et de son circuit déterminent les variations de notre climat[1].

En hiver, à cause de la différence de température entre nos latitudes et les latitudes plus méridionales, le gulf-stream aérien a une grande force et les dépressions y sont considérables. S'il passe sur nos contrées, les tempêtes du S.-O. nous donnent un hiver doux et pluvieux. Si, au contraire, notre pays est dans la zone des calmes et des hautes pressions, où règne ce que l'on a improprement appelé un anticyclone, on a un hiver froid et sec, comme celui de 1879-1880, par exemple.

En. été, à cause du peu de différence de température entre nos régions elles latitudes plus méridionales, le circuit aérien a une force moindre, les dépressions y sont peu considérables (à peine de quelques millimètres) ; par conséquent, pas de grandes tempêtes comme en hiver, mais en revanche la chaleur et les actions chimiques et physiologiques qui en sont la conséquence engendrent l'électricité et donnent naissance aux orages.

Si le fleuve aérien passe sur nos contrées, on a un été orageux, pluvieux et de température variable comme celui de 1883 ; si, au contraire, notre pays se trouve dans la zone des calmes et des hautes pressions, on a un été chaud, sans orages, mais aussi très sec.

« Dans nos contrées occidentales, dit M. de Tasles, président de la Commission météorologique d'Indre-et-Loiré,. on constate des orages en toute saison. Mais les rares orages de la saison d'hiver, qui n'ont jamais lieu que par des bourrasques océaniques de l'Ouest ou du Sud-Ouest, présentent des caractères bien différents de ceux de la belle saison. Du sein de grosses nuées chassées par un vent violent, retentissent un ou deux coups de tonnerre  : ce sont les dernières manifestations électriques'd'un orage formé fort au large de nos côtes et qui ne sont signalées souvent que par un petit'nombre de communes. Des orages semblables sont aussi observés dans'la belle saison, sur le bord méridional des mouvements tournants dont le centre suit ordinairement une trajectoire passant sur les Iles Britanniques, dans la direction S.-O.-N.-E. Mais les véritables orages d'été, ceux qui offrent le spectacle le plus imposant et sont accompagnés de phénomènes électriques d'une grande intensité, ont une allure bien différente. Lorsque la zone des hautes pressions, des calmes et des temps secs et chauds a recouvert nos contrées pendant quelques jours, et que le régime des vents marins du Sud ou du S.-O.' s'établit chez nous, ces cou-rants arrivent par les régions supérieures, où leur présence nous est signalée par l'apparition de cirrus nombreux, animés d'un mouvement apparent, très lent du S.-O.au N.-E. et formant de bizarres et charmants dessins • (on. pourrait les désigner sous le nom de cirrus-dentelles). Un orage se forme bientôt surplace et le même fait se produit sur plusieurs points différents; quand l'orage se forme et éclate, il lui arrive souvent de planer sans dé-placement sensible pendant quelque temps, puis il se dirige len-tement dans la direction du courant qui en a provoqué la forma-tion, c'est-à-dire du Nord au N.-E.; il parcourt ainsi un espace plus ou moins étendu jusqu'à ce qu'il ait épuisé son action. Ces différents groupes orageux, formés à des altitudes différentes et suivant des trajectoires qui ne sont pas toujours parallèles, se rencontrent, se superposent et ces points de recoupement sont fréquemment le théâtre des phénomènes les plus violents, grêle, tourbillons de vent, coups foudroyants, etc. Ce régime orageux se prolonge rarement au delà de trois ou quatre jours, et, quand les courants du S.-O. sont franchement établis, les manifestations électriques cessent et on passe par une.période simplement plu-vieuse; si la direction générale du transport de l'air persiste de l'Ouest à l'Est pendant une longue période, les orages deviennent rares et insignifiants  : ils affectent alors le caractère des orages d'hiver[2].  »

Formations des orages

Ajoutons que les orages d'été sont fréquemment soumis à une influence horaire, c'est-à-dire que, dans une période orageuse, ils éclatent à la même heure pendant plusieurs jours consécutifs.

Kaemtz[NDLR 2] a dépeint avec beaucoup de vérité les signes précurseurs de ce météore  :

«Souvent l'orage se forme plusieurs heures avant d'éclater. Le matin, le ciel est complètement pur  ; vers midi, on remarque des cirrus isolés qui donnent au ciel un aspect blanchâtre  ; le soleil est pâle et blafard, il y a des parhélies ou des couronnes autour du soleil. Plus tard, les cumulus apparaissent, et en s'étendant ils se confondent avec la couche supérieure. Peu de temps avant que l'orage éclate, on voit une troisième couche, que l'on remarque surtout dans les pays de montagnes: toutefois, je l'ai aussi aperçue dans les plaines de l'Allemagne, quoique moins bien que sur les Alpes.»
« La formation des orages est précédée d'une baisse lente et continue du baromètre, comme cela doit être quand des cirrus occupent le ciel. Le calme de l'air et une chaleur étouffante, qui tient au manque d'évaporation de la surface de notre corps, sont des circonstances tout à fait caractéristiques. Cette chaleur n'affecte pas proportionnellement le thermomètre  ; elle est propre aux couches inférieures de l'air, car elle décroît rapidement avec la hauteur.  »

C'est au décroissement rapide de la température dans la verticale que M. Renou attribue la plus grande visibilité des montagnes éloignées quand un orage menace  :

« Par cet état de l'atmosphère, l'échange d'air qui a toujours lieu plus ou moins entre les différentes couches superposées, éclaircit l'air du côté où il est le plus chaud et le trouble profondément du côté où il est le plus froid  ; de là des nuées très épaisses et nettement circonscrites, à de grandes hauteurs, et, dans les couches inférieures, une transparence plus grande que d'habitude. Cet état atmosphérique est précisément celui qui a lieu pendant les orages[3]. ».

La troisième couche de nuages dont parle Kaemtz se voit fréquemment de la plaine lorraine dans la direction des Vosges  : c'est celle qui affecte la forme d'un champignon ou d'une enclume et qui surmonte les cumulus. Elle a reçu des météorologistes le nom de trombe intemubaire; sa formation est attribuée à l'action du soleil sur la surface supérieure des Gouches nuageuses de cumulus: «Lorsque le mauvais temps est prochain, dit M. Rozet, les cirrus descendent à l'état de cirro-stralus, et de la surface supérieure des cumulus s'élèvent des colonnes qui, parvenues à une certaine hauteur, s'étalent en champignons.  » Il paraît cer-tain que l'électricité y joue un rôle très important; elle est pro-bablement conduite, parles trombes internubaires, des hautes régions où, d'après les aéronautes, elle existe à l'état positif avec une tension toujours croissante, vers la région des cumulus for-més parles vapeurs de la surface terrestre, qui sont chargées d'électricité négative. L'équilibre rompu est rétabli par les orages. Toutefois, d'après M. Rozet, il y a des cas où les couches de cirrus et de cumulus, mlieu de communiquer par une trombe inter-nubaire, se rapprochent assez pour que de fortes décharges élec-triques s'établissent entre elles.

Franklin et de Saussure avaient déjà fait cette remarque que les orages n'apparaissent jamais lorsqu'il n'existe qu'une seule couche de nuages.


Il est cependant une certaine forme de nuage orageux qui n'est pas rare et qui semble à elle seule renfermer la foudre dans son sein  : nous voulons parler des grains arqués. Ces grains, comme leur nom l'indique, ont la forme d'un grand arc noir, générale-ment assez surbaissé, dont les deux pieds semblent toucher le sol, et qui marche avec rapidité suivant une trajectoire perpendicu-laire à la ligne qui joindrait les deux pieds de l'arc. Le plan de cet arc n'est pas vertical, il est toujours incliné en avant  ; le bord in-férieur du nuage est nettement tracé et le segment qu'il em-brasse est généralement d'un blanc brillant; le bord supérieur, au contraire , est assez diffus, surtout au sommet de l'arc, qui est toujours-moins sombre que les pieds. Ceux-ci sont au contraire très noirs et lancent la foudre et la grêle à torrents, tandis que, sous la voûte, on ne reçoit qu'une pluie, souvent diluvienne il est vrai. Combien de temps ce nuage conserve-t-îl sa forme? Sans doute les inégalités du sol le déforment ou le divi-sent. Dans ce dernier cas, l'arc se rompt à sa partie supérieure, les deux portions d'arc se résolvent en pluie ou sont attirées par leurs pieds respectifs  ; on a alors deux orages séparés qui chemi-nent chacun de leur côté. Même quand les grains arqués sont le mieux formés, la partie supérieure est toujours plus claire que les pieds, ce qui dénote une tendance à la rupture de l'arc.

Ces grains produisent aussi la saute de vent au N.-O., par la-quelle se termine fréquemment dans nos pays le mauvais temps de S.-O. Ils sont très connus des marins et nous nous étonnons du silence des auteurs à leur sujet; ils ne sont pas particuliers à l'Océan, puisque nous en avons observé assez souvent en Lorraine depuis 1878.

La foudre et la grêle

Nous voici amené à parler maintenant des chutes de foudre et de la grêle.

A propos du tonnerre, nous ne répéterons pas ce que tout le monde sait de la préférence que la foudre semble avoir pour les édifices élevés, les objets métalliques, les arbres, surtout ceux qui sont isolés, et du danger qu'il y a de se réfugier sous leur abri. Nous ajouterons cependant une remarque sur laquelle M. Pierson, ancien instituteur à Vézelise, a appelé notre attention et qui nous semble avoir quelque fondement, si nous en croyons nos propres souvenirs; à savoir que, parmi les arbres qui bordent les routes, ceux qui sont le plus fréquemment foudroyés sont ceux qui se trouvent dans les parties coudées ou les bifurcations des chemins. Il est bon d'en avertir les voyageurs et les travailleurs des champs.

En dehors de la question d'emplacement, y a-t-il des essences que le tonnerre semble préférer? D'après les observations de M. Golladon, de Genève, l'arbre le plus, souvent attaqué est le peuplier, dont le sommet ne garde aucune trace du passage du fluide, ce qui prouve que cette espèce est douée d'un pouvoir conducteur plus grand que celui des autres. Le chêne, notam-ment, quand la foudre tombe sur lui, perd sa partie supérieure. L'orme, au contraire, quoique frappé plus haut que le peuplier, garde, comme celui-ci, intactes les menues branches de sa cime. M. Golladon a constaté que les jeunes poiriers survivent aux atta-ques de la foudre, et que les vieux y succombent  ; ce qui semble une preuve delà supériorité du pouvoir conducteur des jeunes branches. La conséquence pratique que l'auteur tire de ses obser-vations est qu'il convient d'employer le peuplier comme paraton-nerre près des habitations, en ayant soin de mettre leurs racines en communication avec une source ou avec un terrain humide. Autrement il pourrait se faire que la foudre quittât le peuplier poursuivre quelque autre direction, comme il est arrivé dans un cas où on l'a vue passer au travers d'une maison pour gagner la mare voisine

Il existe aux portes de Nancy un endroit où l'on peut vérifier' les propositions qui précèdent: les peupliers qui bordent la route de Toul, entre la ferme de M. Gœtzmann et l'auberge des Quatre-Vents et même plus loin, jusqu'à la descente des Baraques, sont assez souvent abîmés par la foudre, qui leur casse des branches ou arrache de grandes bandes d'écorce à leurs troncs, toujours en respectant la cime; et jamais, à notre connaissance, le tonnerre n'est tombé sur la ferme ni sur l'auberge, toutes deux dépourvues de paratonnerre.

Il est un phénomène assez curieux et encore inexpliqué, que chacun peut constater à Nancy sur la courbe des petits baromè-tres enregistreurs qui fonctionnent à l'étalage des opticiens  : c'est que chaque coup de tonnerre s'y trouve inscrit par une augmen-tation brusque et momentanée de la pression, et le trait que dé-crit la plume fait en ce point un petit crochet vers le haut, du moins dans les orages d'été. Dans les orages d'hiver, ce crochet ne se remarque que quand le tonnerre accompagne le grain de saute de vent au N.-O.

Quant à la grêle, nous ne dirons pas comment elle se forme, pour un bon motif, c'est qu'on n'en sait rien. Bien des explica-tions en ont été données depuis la théorie de la « danse des pan-lins  » de Volta. Dans' ces dernières années, M. Faye avait émis sur la grêle une théorie qui semblait devoir conquérir tous les suffrages (Annuaire du Bufeau des longitudes pour l'an 4877), quand M. Colladon est venu expliquer la formation des grêlons par un phénomène analogue à celui qui a produit le verglas de surfusion de janvier 1879. Cette idée est en train de succéder à la théorie de M. Faye, mais il s'en faut de beaucoup qu'on doive la regarder comme un fait définitivement acquis à la science. M. Colladon, pas plus que M.. Faye, n'explique pourquoi la grêle ne tombe que très rarement la nuit.

Les théories importent peu, du reste, aux habitants des campa-gnes, et, fidèle à l'esprit dans lequel est conçue cette note, nous nous bornerons à enregistrer les faits observés.

Comment se répartit la .grêle à la surface du sol et quelle est à cet égard l'influence de la configuration du terrain  ?

Nous ne pouvons mieux faire, pour répondre à cette question, que de reproduire ce qu'en dit M. Lespiaull, dans son Happort sur les orages de l'année iS18 dans le S.-O. de la France, en ajoutant que nos observations nous ont conduit au même ré-sultat.

Notes de l'article

  1. De Tastes
  2. Rapport sur les orages de l'année 1879 dans le département d'Indre-et-Loire.
  3. On sait à Nancy que les Vosges s'aperçoivent nettement quand il va y avoir un orage, ou au moins de la pluie.

Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. Ils peuvent donc être modifiés en vue d'améliorer la lisibilité de l'article.
  2. Kaemtz (Ludwig Friedrich), méteorologiste né à Treptow le 11 janvier 1801, mort à Saint-Pétersbourg le 20 décembre 1867.