Revue internationale de l'enseignement (1898) Nécrologie, Heydenreich

De Wicri Nancy
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Titre
Nécrologie d'Albert Heydenreich
Auteurs
Hippolyte Bernheim, Amédée Gasquet
In
Revue internationale de l'enseignement, tome 36, Juillet-Décembre 1898. pp. 470-472.
Source numérique
Persée

Le texte de la nécrologie

M. Heydenreich

M. Heydenreich, doyen de la Faculté de médecine de Nancy, est mort, dans sa quarante-neuvième année, des suites d’une piqûre anatomique qu’il s’était faite au cours d’une opération, il y a quelques années, et qui lui avait inoculé le virus d’une dangereuse maladie.

M. le professeur Bernheim a bien voulu représenter la Société d’enseignement supérieur à ses obsèques.

Eloge du pasteur Nyegaard

M. le pasteur Nyegaard a fait d'abord l’éloge du défunt :

«M. le professeur Heydenreich, a-t-il dit, est une victime de cette noble profesion médicale... Il s’est vu mourir lentement, mais sûrement, sans proférer un murmure.

... M. Heydenreich était un doyen admirablement représentatif du caractère spécial, mixte, de noire Faculté nancéienne, héritière de l’ancienne Faculté de Strasbourg. Alsacien de naissance et d’éducation, chassé de Strasbourg, sa ville natale, par l’odieuse annexion, il était devenu, par son mariage, membre d’adoption d’une famille de professeurs et de médecins lorrains, gendre du vénéré docteur Parisot... Il semblait donc tout naturellement désigné pour symboliser en sa personne, dans les honneurs du décanat, la greffe des traditions savantes de l’Alsace médicale sur le tronc de l’ancienne Ecole de médecine de Nancy.

Eloge du professeur Bernheim

Puis, M. le professeur Bernheim a rappelé les travaux et les services de M. le Doyen Heydenreich :

... Edouard-Albert Heydenreich est né à Strasbourg le 9 novembre 1849, d’une ancienne et honorable famille alsacienne. Après une brillante scolarité au lycée de sa ville natale, il y commença ses études à la Faculté de médecine.

En 1868, il obtenait une mention honorable au concours pour le prix de fin d’année. En 1869, il est nommé externe a l’hôpital civil et attaché aux services de Küss et de Sédillot. La guerre vint, avec les horreurs du siège et du bombardement. Notre jeune étudiant reste bravement à son poste, au milieu des blessés, à l’ambulance du séminaire protestant, sous la direction de nos collègues, MM. Hecht et Gross.

Quand l’autorité militaire allemande fit évacuer les ambulances de Strasbourg, en octobre, il courut faire son devoir dans l’armée française comme garde national mobile au 5e bataillon du Haut-Rhin, puis, comme aide-major requis dans le service de santé.

Après la guerre, il quitte l’Alsace pour conserver sa nationalité française et achève ses études médicales à Paris. Au concours de 1871, il est nommé externe des hôpitaux. En 1872, il est classé quatrième sur la liste des nominations à l’internat. 11 est deux fois lauréat des hôpitaux, avec deux mentions honorables aux concours pour les prix de l’externat et les prix de l’internat.

Après de fortes études faites à la Faculté de Paris et dans les services hospitaliers de Broca, Richet, Fauvel et Duplay, Heydenreich soutint, le 7 février 1877, sa thèse inaugurale, qui lui valut une mention honorable.

L’année suivante, il sortit victorieux des épreuves difficiles du concours pour l’agrégation, section de chirurgie, et fut attaché à la Faculté de médecine de Nancy.

Depuis, et pendant vingt ans, il a été des nôtres ; grâce à son labeur assidu et à ses rares qualités, il franchit rapidement les échelons qui devaient le conduire au sommet de la hiérarchie scientifique. Chargé du cours annexe des maladies des yeux en 1879, professeur de pathologie externe en 1881, professeur de clinique chirurgicale en 1885, après la retraite de notre vénéré maître et doyen Tourdes, la Faculté, à l’unanimité, le désigna, bien que l’un des plus jeunes, pour les fonctions triennales du décanat, et lui renouvela, à trois reprises ces fonctions, témoignage flatteur de notre confiance dans l’homme et dans l’administrateur.

Durant sa trop courte carrière, l’activité scientifique de notre collègue est attestée par de nombreuses publications. Déjà, ses travaux d’étudiant, comptes rendus de faits observés à la clinique ou à l'amphithéâtre, publiés dans les bulletins de la Société anatomique, ses Revues de chirurgie, insérées dans les Archives générales de médecine, dénotent ses aptitudes chirurgicales et pré¬ ludent à sa carrière scientifique.

Je ne puis que mentionner ici ses publications capitales. Sa thèse inaugurale : Des fractures de l'extrémité supérieure du tibia, est une œuvre originale et utile, qui comble une lacune dans l'histoire de la pathologie des fractures. Sa thèse d’agrégation : Les accidents provoqués par l’éruption de la dent de sagesse, est le premier travail d’ensemble paru sur ce point spécial de la pathologie de l’éruption et de l’évolution dentaire. Les idées émises par l’auteur dans ces deux thèses sont restées classiques et font loi dans la matière.

La thérapeutique chirurgicale contemporaine, publiée en 1888, est un volume de 800 pages, qui expose avec netteté et élégance la plupart des opérations, nouvelles à cette époque, que la pratique de l’antisepsie a permis d’entreprendre : elle laisse entrevoir toute la portée merveilleuse de la chirurgie de l’avenir.

Le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales doit à Heydenreich de nombreux articles : Artères et veines cubitales, pathologie des os, ostéite, péroné, articulations péronéo-tibiales, pathologie et médecine opératoire du péioste, tibia, épaule.

Le traité de chirurgie de Duplay et Reclus lui doit l’étude : Mâchoires.

Citerai-je enfin les nombreuses communications à des sociétés savantes et articles, plus de 200, parus dans les publications périodiques.

Les lecteurs de la Semaine médicale savouraient avec plaisir ses études intéressantes et instructives, qui passaient au critérium d’un esprit droit et d’un jugement sûr, toutes les nouveautés chirurgicales. Son dernier travail qui date à peine de quelques années, étudiait la ponction lombaire et mettait au point les indications et les contre-indications de cette opération, à peine connue en France, avec ce bon sens robuste et cette netteté d’exposition simple et lumineuse qui étaient comme la dominante scientifique du maître.

Le chirurgien était comme l’écrivain, simple, sûr, consciencieux... Dès l’année 1887, la Société de chirurgie appréciait sa valeur en lui décernant le titre de membre correspondant... Jamais il n’a manqué à son devoir professoral et, jusqu’au dernier jour, alors que l’altération progressive de sa physionomie trahissait l’atteinte fatale, il se donnait tout entier à ses malades et à ses élèves, cachant, avec une héroïque discrétion, ses malaises physiques et les pressentiments d’une âme trop clairvoyante... Sous son habile administration, la Faculté n’a cessé de prospérer et le chiffre de nos élèves s’est accru jusqu’au double... Ses aptitudes administratives et la sympathie qu’il inspirait lui valurent de nombreuses fonctions : directeur du service départemental d’assistance publique et de vaccine, président de la Société de médecine de Nancy, membre du Conseil d’hygiène et de salubrité du département, vice-président de la Société des Amis de l’Université ; tous ces devoirs qui le surchargeaient il les remplissait avec une conscience toujours égale, et partout ses conseils faisaient autorité...

Témoignage du Recteur Gasquet

M. le Recteur Gasquet a parle au nom du Conseil de l’Université et du Ministre de l’Instruction publique :

«Les mêmes qualités qui faisaient de lui l’administrateur exemplaire, probité de l'âme, sincérité, mélange exquis de courage retenu et de discrétion attentive, avaient tôt fait de lui gagner les cœurs...

Sa mort fut celle d’un homme de ce caractère concentré et profond ; elle répondit à sa vie. Il n’ignorait pas quel germe de contagion mortelle il portait en lui ; l’acuité de ses sens, familiarisés avec la maladie, lui permettait d’en suivre les insidieux progrès. Mais son visage ne disait rien de ces impressions intimes, de cette confrontation quotidienne avec la cruelle et implacable ennemie. Il eût trop craint, en manifestant ses appréhensions, d’attrister des yeux qu’il voulait voir riants et fermés aux visibles traces d’un mal dont rien n’enrayait la marche ; il eût trop craint de voiler d’un deuil prématuré un cœur que d’obscurs pressentiments avaient pourtant plus d’une fois effleurés à son insu. C’est pourquoi il allait, intrépide et stoïque, fidèle à sa tâche multiple et régulière, exact à ses devoirs de professeur et de clinicien, exact aux obligations habituelles du monde, jaloux jusqu’au scrupule de dérober pour lui-même aux autres une heure de cette vie, dont le terme était si inéluctablement marqué. Jamais, même dans l’intimité, un mot ne lui échappa qui trahît ses préoccupations cachées. A ceux qu’inquiétait l’altération de ses traits et qui lui conseillaient le repos et le soin de lui-même, il répondait par quelque mot bref, comme pour égarer leur soupçon et dépayser leur sollicitude. On sentait qu’à insister, on risquait de désobliger cet homme excellent, qui voulait faire jusqu’au bout bon visage à sa destinée... ».

Autres discours

Des discours ont encore été prononcés par M. Tourdes, doyen honoraire de la Faculté de médecine, au nom du Comité central d’assistance médicale et d'hygiène publique ; par M. le docteur Remy, au nom de la Société de médecine ; par M. Blondel, au nom de la Société des Amis de l'Université ; par M. le docteur Braun, au nom des anciens élèves de M. le professeur Heydenreich ; par M. Mathieu, au nom des internes de l’hôpital ; par M. Ch. Garnier, président de l’Association générale des étudiants.


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