Histoire Nancy (1811) Lionnois/Éloge

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Histoire Nancy (1811) Lionnois, tome 3, f9.jpg

Le texte original

Histoire Nancy (1811) Lionnois, tome 3, f9.jpg[1] L'HOMME qui a fait le plus noble usage des talens que la nature lui a départis, qui les a ornés de toutes les vertus qui peuvent leur donner de l'éclat, cet homme assurément a droit à l'estime et à la reconnaissance de ses concitoyens. Tel fut le savant Abbé Lionnois , que la mort vient d'enlever à sa patrie , aux lettres et à ses amis [1]. C'est après une maladie longue et cruelle qu'il a terminé la carrière qu'il a si honorablement remplie : c'est en emportant les regrets de tous ceux qui [ont connu qu'il descend glorieusement dans le tombeau. Déjà quelques amis ont entrelacé de fleurs son urne cinéraire. Déjà la voix mélodieuse de la poésie s'est mêlée aux mâles accents de l'éloquence pour célébrer dignement son éloge [2]. Déjà même l'Artiste apprête son burin pour graver sur sa tombe une légère esquisse de la douleur et de la reconnaissance publiques.

Histoire Nancy (1811) Lionnois, tome 3, f10.jpg[2] Et moi, qu'il daignoit honorer Je l'amitié la plus tendre , serai-je donc le dernier à verser des larmes sur ses cendres ? et ne dois-je pas aussi payer à sa mémoire le juste tribut de vénération qui lui est dù ? Puisse donc ma faible voix se faire entendre au milieu de cet admirable concert de louanges ! puisse l'hommage pure que je lui adresse ne pas être indigne de lui !

J.J. Bouvier, connu sous le nom de Lionnois, naquit à Nancy en 1730. Il était fils de N. Bouvier natif de Lyon , qui vint s'établir en Lorraine, sous le règne du Duc Léopold. Il fit ses premières études au Collège des Jésuites de Nancy, et il eut, pour contemporains de classes , plusieurs de ces hommes distingués, qui décorent le long tableau des illustres personnages que cette ville a vu naître. Son père , peu favorisé des dons de la fortune, ne pouvant fournir aux dépenses nécessaires à son éducation , le jeune Lionnois fut obligé de recourir à la bienfaisance des gens aisés, qui. suppléèrent, avec plaisir, au défaut de ses moyens. Excité par une noble émulation, il répondit, par les progrès qu'il fit dans ses études, aux espérances que ses heureuses dispositions avaient fait concevoir à ses bienfaiteurs. Il n'attendit pas qu'il eut fini tous ses cours pour se faire une ressource de ses talents. Dès la troisième classe de latin, il enseignait les premiers éléments de cette langue aux enfants qu'on voulait bien lui confier. Des succès aussi brillants lui acquirent bientôt une réputation qui le fit désirer dans les meilleures maisons de Nancy, pour soigner l'éducation des jeunes gens. Dans le nombre des personnes qui le recherchoient, Madame la Présidente d'Hofflize eut l'avantage de le décider à se charger de l'éducation du plus jeune, de ses fils. M. Lionnois s'acquitta de cet emploi avec tin succès qui couronna les espérances de cette Dame. Cette éducation finie, il se rendit aux désirs de 'M. de Mérigny qui l'avoit prié de continuer celle de MM. ses fils. Il remplit cette nouvelle tâche ave^ le même succès.

Histoire Nancy (1811) Lionnois, tome 3, f11.jpg[3] Toutes ces éducations particulières terminées j M. l'Abbé Lionnois établit en 1761, un pensionnat à Nancy, qui devint en peu de temps si célèbre, que des élèves y accouraient de toutes les parties de l'Europe [3]. Déjà , en 1766, sa réputation jouissait d'un tel éclat, que l'auteur de l'excellent éloge de Callot ne craignait pas de lui donner dans cet ouvrage le nom de fameux Instituteur [4]. De pareils succès sont étonnants ; mais ils ne le paraîtront cependant pas à ceux qui savent quel était la méthode d'enseignement de M. Lionnois. C'était par le moyen de tableaux qu'il enseignait la Chronologie, la Géographie, l'Histoire, etc. Ces tableaux étaient ornés d'une infinité de gravures ou images, que les enfants voient ordinairement avec tant de curiosité et de plaisir, et qui en frappant leurs sens, fixent leur attention. Par ce moyen ingénieux, ses élèves s'instruisaient, pour ainsi dire, en s'amusant. Cette manière d'enseigner, bien différente de nos méthodes ordinaires, si arides et si fastidieuses pour la jeunesse, vient d'être renouvelée en partie Histoire Nancy (1811) Lionnois, tome 3, f12.jpg[4] par M. Lesage. L'Atlas historique qu'il a publié récemment est déjà à sa seconde édition. Les journaux en vantant l'excellence de ce mode d'enseignement, ont donné les plus grands éloges à M. Lesage, comme si réellement il en était l'inventeur. Mais déjà plus de 40 ans auparavant, M. l'Abbé Lionnois avoit pratiqué cette méthode, et si elle n'a pas eu tout le succès qu'elle méritait, c'est qu'il eut le malheur d' avoir affaire à un Libraire fripon qui, fit banqueroute, et emporta en Russie presque toute l'édition de ses tableaux. Aussi cet ouvrage y est-il plus connu qu'en France. Ce revers porta le plus grand échec à la fortune de M. l'Abbé Lionnois, et fut une des causes principales de sa ruine.

Indépendamment de ces tableaux, M. Lionnois a composé, à l'usage de son Pensionnat, un cours d'études et plusieurs traités particuliers sur différentes branches d'enseignement, notamment un abrégé de l'Histoire ancienne, une Histoire de France, un Traité du Blason, etc. Il a même composé un Rudiment pour la langue latine, que l'on dit excellent. Mais dans le nombre de ses livres élémentaires, sa Mythologie est un de ceux qui ont obtenu le plus grand succès. La multiplicité d'éditions et de contre-façons qu'on en a faites, dépose assez en faveur de son mérite. Elle n'a pas eu moins de vogue chez l'étranger qu'en France; elle a été traduite en plusieurs# langues, et même en Russe et en Polonais[5]. Nous croyons devoir raconter une anecdote au sujet de la dernière édition qui a paru il a deux ou trois ans. Un de nos journaux littéraires t en rendant compte de cette édition, reprocha à son auteur d'avoir mis à contribution le Dictionnaire de la Fable, publié il y a peu d'années, par M. Noël, et de l'avoir même pillé mot à mot. Pour m'assurer de la vérité de cette inculpation de plagiat, j'allai Histoire Nancy (1811) Lionnois, tome 3, f13.jpg[5] trouver l'Abbé Lionnois, et je lui fit part de l'injuste accusation du journaliste. Je n'ai jamais lu, me répondit-il, le Dictionnaire de M. Noël, et ce que l'on me reproche de lui avoir dérobé, était écrit trente ans avant la publication de son ouvrage.

Lors de la dissolution de la Compagnie de Jésus, qui n'eut lieu en Lorraine que deux ans après la mort du Roi de Pologne, M. Lionnois obtint en 176&, la place de Principal du nouveau Collège de Nancy, qui venait d'être substitué à celui des Jésuites. Il eut à lutter dans cette circonstance contre M. Drouas, Evêque de ï)oul, qui vouloit faire donner cette place à une de ses créatures. Mais appuyé par M. de la Galaizière, alors Intendant de la Province , il l'emporta par cette puissante protection. Ce Prélat, mortifié d'avoir échoué dans cette lutte , ne pardonna pas à l'Abbé Lionnois ce petit désagrément ; il ne pardonna pas non-plus au Collège de Nancy, d'avoir refusé d'admettre dans son enseignement le Cours de philosophie qu'il venait de faire imprimer, et qui est connu sous le nom de Philosophie, de Toul. On. prétend que , pour s'en venger, il fonda dans cette dernière ville, le Collège Saint-Claude, dont la fondation lui coûta plus de 5oo,ooo livres [6].

Notes originales

  1. Il mourut le quatorze Juin 1806, à trois heures après midi , après une douloureuse agonie.
  2. Les journaux de la Meurthe et de la Meuse ont retenti de Ses éloges. M. Laugier, Négociant à Nancy , amateur zélé des sciences, ardent ami des lettres, des arts et des artistes, a payé aussi sa dette à l'amitié , en composant une Épitaphe en vers, pour être gravée sur le monument simple qu'il a fait élever, à ses frais, à ce digne Citoyen , près de la place où reposent , dans le cimetière de Boudonville , les cendres de nos augustes Princes et Princesses de Lorraine , arrachées de leur caveau sur la fin de Février 1794 et transférées dans ce lieu.
  3. Les Anglais et les Allemands fréquentaient beaucoup ce Pensionnat. Plusieurs même de ces pensionnaires étrangers ont marqué dans leur patrie, et un des Ministres actuels du Roi de Bavière, a été un des écoliers de l'Abbé Lionnois. Le nombre des jeunes gens qui étaient élevés dans ce Pensionnat se montait jusqu'à cent et quelquefois même au-delà. Seize maîtres , distingués par leurs connoissances et leurs talents , y enseignaient en quatre années révolues , la cours des humanités jusqu'à la Philosophie exclusivement.
  4. Voyez page 39 des notes. Cet éloge est du Père Husson, mort à Nancy, Provincial des Cordeliers. Ce religieux qui a illustré son Ordre, avait beaucoup d'esprit et de connaissances , et surtout il était doué d'une dose de patriotisme lorrain qui allait jusqu'à t'enthousiasme. Il est aisé de s'en apercevoir dans l'éloge de Callot. Les journaux du temps ont dit le plus grand bien de cet ouvrage, et n'ont pas manqué de rapporter le beau trait qui y est consigné. Ce grand artiste, invité par Louis XIII à graver le siège de Nancy comme il avait gravé celui de la Rochelle : Je me couperait plutôt le pouce, répondit Callot. De lâches courtisans engagent leur Maître à employer la contrainte : Non , dit ce Monarque, le Duc de Lorraine est trop heureux d'avoir des sujets si affectionnés et si fidèles.
  5. La vraie édition de cet ouvrage se vend. chez M. Haener père, imprimeur à Nancy , qui en est propriétaire.
  6. Si ce fait est vrai, cette généreuse vengeance auroit été hien. profitable à la ville de Toul sans la révolution. Ce Prélat, élève du fameux Languet , Archevêque de Sens , ne devoit pas aimer l'Abbé. Lionnois qui n'était rien moins que partisan des Jésuites. Du reste, M. Drouas, à son Jésuitisme près , étoit un Evèque bien recommandable sous beaucoup de rapports ; et l'on auroit bien pu , à cause de ses bonnes qualités , lui épargner quelques-unes. des tracasseries* qu'il a essuyées»