Académie de Stanislas (1816) Caumont, Masco

De Wicri Histoire de la Lorraine

Le savoyard et l'ours

Anecdote locale


 
 

StanislausLeszczynski.jpg
Académie de Stanislas
Société Royale des Sciences, Lettres, Arts et Agriculture de Nancy
Bibliothèque Stanislas de Nancy.jpg
Brehm oursmasco.jpg

Cette page introduit un poème, écrit par Pierre-Henri de Caumont et paru dans le Précis analytique des travaux de la Société des sciences, lettres et arts de Nancy.

Ce poème met en vers l'histoire de l'ours Masco, exposé dans une cage du Palais Ducal de Nancy et un petit ramoneur savoyard.

Avant-propos

Pour la réédition numérique de ce poème :

  • la présentation initiale a été respectée ;
  • le texte a été légèrement modernisé (par exemple, « enfans » devenant « enfants », sauf dans les fins de vers pour respecter les rimes ;
  • des illustrations ont été ajoutées.
Cette sculpture de Luca della Robbia illustre une discussion entre Platon et Aristote.Elle est ici utilisée pour signaler un paragraphe sujet à controverses. Un conseil !!!
Ne pas hésiter à lire ce poème à haute voix

Le poème

Académie de Stanislas (1816) pages f159.jpg[159]

LE SAVOYARD ET L'OURS
ANECDOTE LOCALE
Par M. De Caumont

 

Faibles mortels, sur vos yeux la folie

Dès votre enfance attachant son bandeau,

Vous égare sans cesse aux chemins de la vie,
Et guide encor vos pas aux portes du tombeau !
C'est elle qui, pour vous, prodiguant les chimères,

Repait de biens imaginaires
Votre crédule vanité;

C'est elle dont la voix vous décerne l'empire
Du globe , ou. tels qu'un songe enfant d'un vain délire,

Bientôt vous aurez existé !...
Mais vainement votre éloquence

Des noms les plus pompeux a paré vos défauts,

Je trouve, chez les animaux ,

Des êtres dont l'instinct passe votre science :
Je vois , chez la fourmi, la sage prévoyance,
Dans le rusé renard, les finesses de cour ;
Les lions, du héros m'offrent le caractère,
Et peut-être chez eux, pour briller au grand jour ,
Maint Achille ignoré n'attend plus qu'un Homère !
Mais, en talents c'est peu de nommer vos égaux

Ces favoris de la nature,
Et l’espèce la plus obscure

Académie de Stanislas (1816) pages f160.jpg[160] Bien souvent, en vertus, vous offre des rivaux.
« Eh quoi, me direz-vous, dans l'ardeur qui vous guide ,

« Transfuge de l'humanité,

« Vous soutiendrez que l'Ours a l'allure stupide
« Peut loger en son sein la générosité ! »
Oui l'Ours, et pourquoi non ? voit-on toujours les grâces

Servir d'escorte à la bonté ?

Dans le récit d'un fait à l'histoire emprunté

Daignez suivre un instant mes traces.
Je vous promets la vérité.


Charles le Téméraire
René II
Les confédérés

Au temps ou sur les bords que la Meurthe féconde,
René, le bon René faisait chérir ses lois,
Un Prince, trop fameux par les sanglants exploits

Dont il fit retentir le monde,

Répandit en ces lieux le meurtre et la terreur !
En proie a la famine, en ces moments d'horreur.
La capitale enfin allait être asservie,
Lorsqu'à l'appel sacré du devoir, de l'honneur,

Les fils de l'antique Helvétie,

Secondant des Lorrains le généreux effort,
Aux rangs des Bourguignons vinrent jeter la mort.
Depuis cet heureux jour qui vit fuir les alarmes ,
L'Ours, dont les traits hideux figuraient dans les armes

De ces guerriers libérateurs,

Loin d'inspirer l'effroi, porta dans tous les cœurs

Un souvenir rempli de charmes,Académie de Stanislas (1816) pages f161.jpg[161]

Et sous le toit pompeux par le Prince habité;
Dès lors, gage vivant de l'antique alliance Ursus arctos isabellinus (in Perm Zoo).jpg
Maint Ours, bien a regret perdant sa liberté ;

Recut des mains de la reconnaissance
Une triste hospitalité.


De ces nombreux reclus vous esquissez l'histoire.

N'est pas mon projet aujourd'hui :

Je dirai seulement, et l'on pourra m'en croire

Qu’après avoir vécu sans gloire,
La plupart moururent d'ennui:
Palais Ducal de Nancy

Enfin dans le palais de Léopold-le-Sage,

Un de leurs épais successeurs

Du fond de ses forêts réduit en esclavage ;
De la cage , a son tour , recueillit les honneurs.
Masco, c'était son nom, peu fait pour les grandeurs,
Au milieu de la cour gardait le ton sauvage

Et certaine sévérité
Que gens grossiers et sans usage
Tout bonnement nomment férocité.

Si, devant son manoir un passant arrêté,
Sur le lourd montagnard jetait un œil timide,
Soudain, Masco blessé de la témérité
Grinçait en grommelant une dent homicide,

Et l'indiscret fuyait épouvanté.

La crainte qu'il causait dans peu fut si complète

Qu aussitôt que le moindre enfantAcadémie de Stanislas (1816) pages f162.jpg[162]

S'avisait de crier, la menace était prête.
C'était le méchant Ours qu'on nommait à l'instant

En répétant prenez garde a la bête !

Cependant en ces lieux versant les noirs frimats ,

Régnait alors l'hiver le plus terrible

Dont le souffle jamais ait glacé nos climats.
La famine au teint pale accompagnait ses pas
Et l'affreux désespoir suivant le couple horrible
Pour ressource, au malheur apportait le trépas.

Dans un asile obscur cédé par l'indigence,

Gémissait sous le poids de sa triste existence

L'un de ces utiles enfants Ramoneur.jpg

Qui des monts de Savoie, au retour des autans,
Vont vendre leurs travaux à l'heureuse opulence ;
Pourtant, plein de courage au milieu des douleurs
Sans se plaindre en héros, il souffrait sa misère;

Et Michel ne versait des pleurs

Qu'en songeant qu'il mourrait sans embrasser sa mère.

Une nuit, que le vent du nord

En son séjour glacé redoublant de furie
Dans ses sens engourdis allait porter la mort.
L'infortuné Michel par un dernier effort,
Voulut encore tenter de prolonger sa vie.

La loge de l'Ours prisonnier,
Bien à l'abri de la tempête,

Comparée au désert de son affreux grenier,
Offrait à ses regards la plus douce retraite::Académie de Stanislas (1816) pages f163.jpg[163]
Morfondu, grelotant, il s'y traine à tâtons
Et les barreaux entr‘eux offrant assez d'espace;

Michel sans crainte, sans soupçons,

Près du fier étranger s'insinue et se place.

Troublés dans leur premier sommeil
Les gens d'humeur atrabilaire
Ont toujours un fâcheux réveil !

Aussi, dans cet instant, qui peindrait la colère

Du terrible ôté de ces lieux ?

Il se lève, il mugit, et d'un bras furieux
Va venger son repo,s punir le téméraire;.

Mais à l'aspect du faible enfant

Qui d'un accent timide imploré sa clémence;

Et tombe a ses genoux tremblant,

De la douce pitié Masco sent la puissance;
Ces bras, où dans sa rage il allait étouffer

L'innocent objet de sa haine

Le pressent maintenant, et de sa tiède haleine Masco et le ramoneur.jpg
Le bon Ours sur son sein cherche a le réchauffer.
Apres des soins si doux vous devinez , je pense ;
Que des nouveaux amis le sommeil fut parfait
Michel était bercé par l'heureuse innocence.

Masco dormait sur un bienfait !


Le lendemain, sitôt que la lumière
Teignit les bords de l'horison,

L'enfant, sans l'éveiller quitta son compagnon Académie de Stanislas (1816) pages f164.jpg[164]

Et la cabane hospitalière.

D'une nuit de repos ses bras étaient plus forts,
Aussi des noirs circuits de sa route secrète
La suie à pleines mains tombait sous ses efforts ;
Et le travail fini, de plus joyeux accords ,
Sur le sommet des toits ornaient sa chansonnette.

Aux murs de la cité quand la paisible nuit
Eut déployé son voile sombre,
Michel, à la faveur de l'ombre,

Au gite protecteur revint encor sans bruit. Palais Ducs Lorraine - Nancy (FR54) - 2022-02-26 - 6.jpg
Il était temps : déjà dans son inquiétude
Masco, de son retour accusait la lenteur;
Vivre isolé naguère était son habitude ,
Mais du plaisir d'aimer il connait la douceur,

Et désormais il craint la solitude.
Enfin Michel parait ; de frivoles discours

Des transports du reclus affaibliraient l'image,

Et les humains, d'ailleurs en leur langage,

Traduiraient mal, hélas la franchise de l'Ours !
Non content de coucher son petit camarade,
Le maître du logis, après mainte embrassade ,
Lui montra qu'à sa table il aurait à souper.
Des besoins de son hôte , heureux de s'occuper,

Plus sobre qu'a son ordinaire,

Ce jour, le bon Masco de son ample repas
Avait , pour son ami, pris le soin de distraireAcadémie de Stanislas (1816) pages f165.jpg[165]

Les morceaux les plus délicats.
Depuis longtemps Michel ne dinait guère,
Aussi , bien loin de refuser

Sur l'heure il profita de l'aimable surprise

Qu'on avait voulu lui causer,
La chère n'était pas esquise
Mais quel régal n'est pas parfait

Quand l'appétit , l'amitié , la franchise,

Président au joyeux banquet !

Le repas terminé, nos deux amis, en songes ,

Retrouvèrent dans leur sommeil
Le plaisir pur qui sans mensonges
Les attendait a leur réveil,


Longtemps, dans ce bonheur suprême ,
Le couple uni vit écouler ses jours:
Le bonheur embellit toujours !
Déjà Masco ne semble plus le même;
Avec chacun des spectateurs nombreux
Qui s'attroupaient devant sa cage,
Le solitaire autrefois si sauvage
Devenait presqu'affectueux ;

Mais si des vêtements d'une couleur obscure,
Des dents d'ivoire, un teint un peu chargé

Lui rappelaient la mine, la tournure
De son aimable protégé ,

C'étaient des bonds, des yeux, une tendresse,Académie de Stanislas (1816) pages f166.jpg[166]

Qui faisaient répéter sans cesse :
Oh mon Dieu comme il est changé ;

De I'Oreste à longs poils, le Pilade fidèlc,
Michel , de son coté bien loge , bien nourri
Se parait chaque jour dune santé plus belle

Au fond de l'asile chéri;

Et déja sur les lis de son joli visage,
De la suie on voyait s'éclaircir le nuage

Sous les baisers de son ami.

Hélas nul ici-bas n'est heureux qu'à demi,
Et les jours les plus beaux sont troublés par l'orage!

Un certain soir le cuisinier

Du souper, par mégarde ayant oublié l'heure,
Ne parut que la nuit dans l'obscure demeure

De son vorace prisonnier.'

Il pensait que Masco ,ravi de sa présence,

Apres une longue abstinence ,

Sur ce repas tardif s'élancerait joyeux ;
Mais en vain du festin il montre l'abondance:
Immobile en un coin, 1'Ours, d'un œil furieux,
Semble au bruyant valet commander le silence ;
Un enfant contre lui doucement appuyé,
Sommeille sur le sein de l'animal farouche;
Et, fils d'un souvenir, voltige sur sa bouche.

Le sourire de l'amitié !

De cette étrange scène , historien fidèle. Académie de Stanislas (1816) pages f167.jpg[167]
L'observateur ému se retire sans bruit ,

Et, malgré l'ombre de la nuit ,
Dans le palais en répand la nouvelle.

Parmi les courtisans il est si peu d'amis

Qu'on traita ce récit de fable.

Et que pour admirer ce bienfait incroyable
Maints témoins près de l'Ours bientôt furent admis,
Tout entier à Michel, Masco voit avec peine
Ces nombreux spectateurs en son étroit domaine ;

Et jusqu'au retour du soleil.

Veillant sur son ami. retenant son haleine
En son geste il leur dit: respecter son sommeil!


La sombre nuit enfin terminant sa carrière,
Des les premiers accents de l'oiseau du matin,
L'enfant soupire, baille, et d'un œil incertain

Cherche la naissante lumière.

Mais de quels mouvements n'est-il pas agité
A l'aspect imprévu de la foule attentive
Dans laquelle il croit voir en sa terreur naive
Les juges, les vengeurs de sa témérité ?
Il implore a genoux leur générosité
Tandis que le bon Ours le flatte, l'encourage,
Et de soins plus pressants sagement occupé
Quitte Michel, revient, lui montre le potage

Et lui répète en son langage :
Mange donc, tu n'as pas soupé !

Académie de Stanislas (1816) pages f168.jpg[168]

On conçoit aisément que cette nuit de gloire

Des deux amis termina le bonheur,

Et que du bon Masco le prince protecteur,
Ému par le récit de leur touchante histoire,
De Michel a son tour devint le bienfaiteur.
Dès lors l'aimable enfant nagea dans l'abondance
Au milieu du fracas d'une brillante cour;
Mais pour qu'il prit le ton de ce nouveau séjour
De revoir le pauvre Ours il reçut la défense.
Hélas il préférait les soins de l'indigence
Aux présents dédaigneux d'une froide pitié,
Et le triste Michel, en sa reconnaissance
Souvent sur le duvet qu'étale l'opulence
Regrettait en pleurant le sein de l’amitié.
Fléaux toujours croissants de sa nouvelle vie
Les soucis destructeurs, la brulante insomnie,
Se joignant aux chagrins dont il est obsédé,
Sous leurs coups redoublés Michel enfin succombe

Et bientôt descend dans la tombe
Où Masco l'avait précédé.


Dans ce récit sans art, comme sans imposture,

Nous voyons que le Créateur,
Sous la plus bizarre figure,
Cache par fois le meilleur cœur.
A la beauté, séduisante chimère ,

Craignons donc.... mais hélas d'une morale austère Académie de Stanislas (1816) pages f169.jpg[169]
Pourquoi chercher au loin des exemples nouveaux ?
Nous corrigerons-nous par de vaines images

Quand bien souvent nos propres maur
Ne peuvent nous rendre plus sages ?

Voir aussi

Source
Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33542m/f159.item