La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/1872/Volume 2/Notes/Keiser Karl Magnus Kronike

De Wicri Chanson de Roland
< La Chanson de Roland‎ | Léon Gautier‎ | Édition critique‎ | 1872‎ | Volume 2‎ | Notes
Révision datée du 17 septembre 2023 à 12:11 par Jacques Ducloy (discussion | contributions) (Traduction de la Keiser Karl Magnus's Kronike)

Traduction de la Keiser Karl Magnus's Kronike


 
 

logo lien interne Cette page est en phase de création pour des raisons de cohérence des liens dans ce wiki (ou au sein du réseau Wicri).
Pour en savoir plus, consulter l'onglet pages liées de la boîte à outils de navigation ou la rubrique « Voir aussi ».

Traduction de la Keiser Karl Magnus's Kronike

Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 259.jpg[252] II. — Traduction de la Keiser Karl Magnus’s Kronike.

L’Empereur ayant soumis l’Espagne et la Galice, ainsi qu’il a été dit plus haut, il restait néanmoins encore un château qu’il n’avait pu réduire. On l’appelait Saragus, et il était situé sur une montagne élevée. Il avait un roi qui se nommait Marsilius et qui était païen. Marsilius dit à son conseil : « Voilà l’empereur Charlemagne qui vient ravager notre pays ; arrêtons de bonnes résolutions. » Un roi qui se nommait Blankandin lui répondit (il était vieux et sage) : « Ne craignez pas, seigneur, lui dit-il ; mais écrivez à l’Empereur que vous voulez devenir son homme lige et embrasser la foi chrétienne, et faites-lui de riches présents. L’Empereur est vieux et se reposerait volontiers, s’il le pouvait. S’il désire quelque otage, envoyez-lui mon fils et le vôtre ; il vaut mieux perdre deux hommes que nous perdre tous avec tous nos domaines. » Tous dirent que c’était un bon conseil.

L’Empereur, étant en Espagne, assiégeait un château appelé Flacordes ; l’envoyé du roi Marsilius y vint et exposa son message, disant que le roi Marsilius voulait passer en France pour voir l’Empereur, se constituer son vassal et lui rendre hommage pour l’Espagne. L’Empereur, ayant lu la lettre, donna l’assaut au château de Flacordes ; il l’emporta du coup et tua tous ceux qui ne voulurent pas se faire chrétiens. Puis il réunit son conseil et fit lire devant lui la lettre de Marsilius. Quelques-uns dirent qu’il fallait s’en rapporter à cette lettre ; c’étaient ceux qui auraient bien voulu s’en retourner chez eux. Ils prièrent l’Empereur d’accepter les otages. Mais Roland dit à l’Empereur : « Si vous vous fiez à la lettre du roi Marsilius, vous vous en repentirez tant que vous vivrez ; vous savez bien que c’est un homme faux. Nous avons conquis toute l’Espagne ; conquérons aussi maintenant ce seul château qui reste, avant de partir d’ici. D’ailleurs Marsilius ne peut pas se défendre contre vous ; les hommes d’Afrique et les Turcs sont tous battus, et il ne peut recevoir d’eux aucun secours. Marchons sur Saragus et ne désemparons pas que nous n’ayons tué Marsilius, ou qu’il ne soit chrétien ! »

Le comte Gevelon, beau-père de Roland, se leva ensuite et dit à l’Empereur : « Il me semble que les paroles de Roland ont plus d’emportement que de sagesse. Le roi Marsilius vous offre son hommage Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 260.jpg[253] et veut se faire chrétien. Il est impie de vouloir la guerre, quand on peut avoir la paix. Mon avis, en conséquence, est que vous envoyiez un homme sage à Marsilius, pour faire avec lui une alliance qui soit solide, et ramener ici des otages. » L’Empereur demanda qui il conviendrait le mieux d’envoyer à cet effet. Le duc Neimis s’offrit pour partir ; l’Empereur lui lança un regard courroucé, et dit : « Tu resteras auprès de moi cette première année (?). » Roland s’offrit aussi pour partir ; Olivier dit : « Il n’est pas bon que tu partes, car tu es trop vif ; tu serais plutôt il une cause de désunion que de concorde. » Roland dit : « Y a-t-il quelqu’un plus propre pour ce message que le duc Gevelon, mon beau-père ? » Tous furent de cet avis. L’Empereur ordonna donc à Gevelon de se rendre auprès du roi Marsilius. Et Gevelon dit à Roland : « C’est toi qui es cause de ce qui arrive ; aussi ne serai-je plus désormais ton ami. Et c’est toi qui es cause aussi que nous restons si longtemps après la victoire gagnée. Si je reviens de ce voyage, je causerai ta mort et celle de tes compagnons. Donc je vais partir ; mais je sais bien que je n’en reviendrai pas en vie, car le roi Marsilius me fera tuer. » Roland et les douze Pairs rirent de ces paroles, et Gevelon fut si furieux qu’il hésita sur ce qu’il devait faire. Des lettres furent écrites, et le secrétaire les remit à Gevelon pour qu’il les portât à Marsilius ; mais Gevelon détourna les mains, et les lettres tombèrent par terre. Les douze Pairs sourirent, et Roland dit : « Si l’Empereur m’avait confié les lettres, la peur ne me les aurait pas fait lâcher, et elles ne seraient pas tombées par terre. »

Gevelon reprit les lettres, partit pour aller trouver le roi Marsilius et lui remit le message. Le roi Marsilius le reçut amicalement. Blankandin dit à Gevelon : « Je sais bien que l’empereur Charlemagne est un puissant (géant ou guerrier, sens étymologique) ; mais maintenant il est vieux. Je crois que Roland, un des douze pairs, le pousse beaucoup à la guerre et aux combats. » Le duc Gevelon répondit : « C’est vrai, comme tu le dis ; Roland surtout est cause de tout cela, et nous avons eu beaucoup de mal par sa faute. Plût à Dieu qu’il fût mort ! nous aurions aujourd’hui une bonne paix. Mais il ne sera satisfait que lorsqu’il aura conquis le monde entier. » Quand le roi eut lu la lettre, il vit que l’Empereur se qualifiait de « roi légitime de la terre d’Espagne » ; c’est pourquoi il entra en colère et frappa Gevelon avec un bâton. Gevelon tira son épée, et dit : « L’Empereur demandera que ma mort soit vengée. » Le conseil du roi intervint, et dit que le roi avait tort. Un des hommes de Marsilius, nommé Langelif, lui dit : « Écoute les paroles de Gevelon : ce peut être meilleur pour nous que tu ne le penses. » Le roi Marsilius dit alors à Gevelon : « Je reconnais que j’ai eu tort envers toi, et j’en userai mieux à ton égard. » Et il lui donna un manteau qui valait Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 261.jpg[254] cent livres d’argent, et dit : « Je m’étonne que ton maître soit si avare (ou ambitieux, au sens allemand), étant si âgé. » Gevelon répondit : « L’Empereur est un noble seigneur, favorisé (mot à mot bien vu) de Dieu, et j’aimerais mieux mourir que d’avoir son inimitié. Tant que Roland vivra, nous n’aurons jamais la paix ; les douze Pairs sont tellement fiers (superbes rendrait mieux le sens et le mot à mot, qui est prodigue, luxueux), qu’ils ne craignent personne. » Le roi Marsilius dit : « J’ai quatre cent mille hommes de troupes : puis-je avec eux résister à la puissance de l’Empereur ? » Gevelon lui répondit : « Il n’y a pas à y songer pour l’instant. Je veux te donner un meilleur conseil : envoie à l’Empereur de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, et deux hommes en otage que l’Empereur emmènera en France. Roland restera pour la garde du pays. Marche alors sur lui avec toutes tes troupes et divise ton monde en quatre parties, afin qu’elles ne combattent pas toutes ensemble et sur un seul point. Et tu le fatigueras plus facilement. » Le roi Marsilius le remercia de son conseil et dit : « Il est bien sûr qu’avec un tel plan nous vaincrons Roland. » Gevelon lui en fit serment et demanda que le roi lui jurât aussi de ne pas le trahir ; le roi jura qu’il ne le trahirait point. Les conseillers de Marsilius jurèrent ensuite et dirent qu’ils vaincraient sûrement Roland.

Gevelon partit pour retourner auprès de l’Empereur, emportant avec lui beaucoup d’or et d’argent, et il dit à l’Empereur : « J’ai ici beaucoup d’or et d’argent que le roi Marsilius vous envoie, ainsi que les clefs du château fort de Saragus, avec les otages ; il se fera certainement chrétien et deviendra votre vassal. » L’Empereur remercia Dieu et dit : « Tu as accompli le message en fidèle serviteur. » L’Empereur réunit alors son conseil et ses hommes sages, et leur demanda qui d’entre eux voulait rester en arrière à Runtseval, qui était sur la frontière. Gevelon répondit : « Roland est celui qui convient le mieux, et il est parfaitement l’homme qu’il faut pour rester ici à garder le pays. » L’Empereur jeta sur lui un regard courroucé et dit : « Quel sera donc le capitaine qui ramènera mon armée en France ? » Gevelon répondit : « Ce pourrait être Olger le Danois. » Roland reprit et dit : « Gevelon, si je reste ici avec l’arrière-garde, je ne serai pas aussi effrayé que tu l’as été quand tu as laissé tomber la lettre de tes mains. » L’Empereur dit à Gevelon : « Tes paroles ont un sens étrange. » Roland dit : « Seigneur, je resterai volontiers avec l’arrière-garde. » L’Empereur fut tellement touché de ces paroles que les larmes lui coulèrent des yeux, et il dit : « Restez aussi, vous, les douze Pairs, avec vingt mille hommes, et Roland sera votre capitaine. » Puis l’Empereur fit ployer les tentes et lever le camp, et il se mit en marche pour la France.

Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 262.jpg[255] Tous les hommes du pays de France eurent peur pour Roland, et des larmes furent versées à cause de lui. L’Empereur lui-même étant fort contristé, le duc Neimis lui dit : « Que craignez-vous ? Pourquoi êtes-vous soucieux et triste ? » L’Empereur lui dit : « J’ai rêvé, cette nuit, que l’ange de Dieu venait vers moi et qu’il brisait mon épée entre ses mains. C’est pourquoi je crains que Gevelon n’ait tramé quelque mauvaise machination avec Marsilius et n’ait trahi Roland. Si j’éprouve ce malheur, je ne m’en consolerai jamais. C’est pourquoi je recommande mon neveu à Dieu tout-puissant. »

Le roi Marsilius s’étant enquis que Roland était à Runtseval, comme il a été dit auparavant, rassembla de tout son pays les rois, ducs et comtes, chevaliers et écuyers, de sorte que, dans les trois jours, il eut quatre cent mille soldats. Il fit placer ses dieux sur le rempart, et on leur fit des sacrifices. Puis il choisit douze de ses hommes, les meilleurs qu’il eût, pour les opposer aux douze Pairs : le premier était Adelrot, le fils de sa sœur ; le second, Falsaron, son frère ; le troisième, Corsablin ; le quatrième, le comte Turgis ; le cinquième, Eskravit ; le sixième, Estorgant ; le septième, Estormatus ; le huitième, le comte Margaris ; le neuvième, Germiblas ; le dixième, Blankandin ; le onzième, Timodes ; le douzième, Langelif, qui était le frère du père du roi Marsilius.

Le roi Marsilius s’arma avec tous ses hommes, et marcha vers Runtseval. Olivier était sur une haute montagne, et voyant venir cette grande armée, il dit à Roland : « Voici venir une grande armée d’Espagne ; il est donc évident que Gevelon nous a trahis. » Mais Roland fit semblant de ne pas entendre ce qu’il disait. Olivier reprit : « Voici venir une grande armée avec des harnais bleus, des bannières rouges et des boucliers polis, et nous avons bien peu de monde. C’est pourquoi il serait prudent de souffler dans ton cor pour rappeler l’Empereur, qui viendrait à notre secours. » Roland répondit : « Je serais malade si l’Empereur et la France perdaient de leur réputation et de leur gloire par ma faute ; mais j’aurai auparavant entassé de si grands monceaux avec Durendal qu’on en parlera tant que durera le monde. » Olivier répondit : « On n’est point pour cela peureux, parce que l’on recherche son avantage et son bien. J’ai vu tant de païens que toutes les montagnes en étaient couvertes, toutes les vallées remplies, et tu ne tarderas pas à voir un grand choc entre nos gens, car nous sommes trop peu de monde contre tant de milliers d’hommes et une aussi puissante armée. » Roland répondit : « Soient brisés en deux les cœurs et les poitrines des hommes pusillanimes ! »

Quand Roland vit que les païens étaient arrivés tout près, il dit à ses hommes : « Vous savez tous que l’Empereur nous a choisis dans son armée et nous a placés ici pour garder ce pays s’il en


Voir aussi

Source
https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Gautier_-_La_Chanson_de_Roland_-_2.djvu/260