Histoire poétique de Charlemagne (1905) Paris/Introduction

De Wicri Chanson de Roland
logo lien interne Cette page est en phase de création pour des raisons de cohérence des liens dans ce wiki (ou au sein du réseau Wicri).
Pour en savoir plus, consulter l'onglet pages liées de la boîte à outils de navigation ou la rubrique « Voir aussi ».

Introduction

I.

La poésie primitive se divise en deux grands courants  : la poésie lyrique et la poésie épique. La première est l'expression de sentiments, la seconde est le récit d'événements. Elles commencent par être à peu près confondues; chez certains peuples, elles n'arrivent même pas à se séparer complètement. Elles sont encore assez mêlées, mais marchent déjà vers la distinction définitive, dans la poésie héroïque ou nationiale, qui sert de préparation et de base à l'épopée.

Cette poésie existe chez presque tous les peuples dont la civilisation commence  ; elle correspond à peu près à cette phase de leur développement que l'histoire appelle la période barbare. Elle est l'expression du sentiment national  ; c'est en elle que le peuple prend, pour ainsi dire, conscience de lui-même. Elle seule, dans ces temps fort éloignés de la réflexion politique, peut assurer aux membres de la nation la ferme et constante idée de leur fraternité et de leur originalité. Ce qui lui donne tout-à-fait sa forme et sa valeur, c'est le contact, presque toujours hostile, du peuple avec ceux qui l'cntouiient. La poésie est alors une affirmation éclatante et enthousiaste de la nationalité  ; elle est en même temps le sti- mulant du courage et de la vertu civique  ; c'est elle qui mène aux combats, qui célèbre les dieux de la patrie, qui chante les ancêtres, qui honore les mœurs héréditaires, qui maudit les ennemis ou les oppresseuis, et qui devient la plus haute récom- pense deé bien-faisants, la plus sanglante punition des traîtres ou des lâches.

On comprend facilefnent que cette poésie participe aux deux genres poétiques  ; elle est le plus souvent lyrique par sa forme, et épique par son sujet. Elle parle de batailles, de triomphes ou de défaites, d'aventures hardies, d'exploits merveilleux , mais elle ne les raconte pas, elle s'exalte à leur propos  ; étant improvisée et contemporaine des faits, elle ne cherche guère qu'à rendre et à concentrer l'impression qu'ils ont produite, et, obéissant aux lois de la poésie, elle les présente dans un ordre particulier et leur donne une signification idéale.

De ce premier état de la poésie nationale, bouillonnement con- fus et nécessairement passager , il faut qu'il se dégage quelque chose de plus durable. Pour cela, il faut que l'élément épique prédomine et restreigne le lyrisme de la forme. C'est ce qui a lieu chez les peuples qui ne sont pas seulement impressionnables à la manière des sauvages^ qui ont encore en eux le germe d'un développement historique, le sentiment de la solidarité des pères et des fils, d'hier et d'aujourd'hui. Ceux-là ne tardent pas à éprouver le besoin non-seulement d'exprimer les sentiments que leur cause leur vie nationale, mais encore de raconter les événe-- ments de cette vie, de conserver la mémoire des anciens temps et de léguer à leurs descendants le souvenir de ce qui se passe sous leurs yeux. Cette tâche revient naturellement à la poésie, qui s'en acquitte à sa manière, soumettant les faits à ses lois, transportant l'idéal dans le réel, développant les tendances nationales , satis- faisant les aspirations, les rêves et les rancunes du peuple. Sa forme, encore passionnée, fragmentaire et saisissante, est cepen- dant obligée de devenir bien plus claire, plus régulière, plus objective  ; l'élément lyrique perd beaucoup de terrain  ; la poésie nationale s'achemine vers l'épopée.