Chanson de Roland/Manuscrit d'Oxford/Laisse I/Gautier/7. Marsilie
Vers 7. — Marsilie. O. À cause du cas sujet, Marsilies.
═ Nous allons résumer ici, d’après le texte de toutes nos chansons, « l’Histoire poétique, la Légende de Marsile, » et nous ferons successivement le même travail sur tous les héros du Roland. Nous espérons, par cette suite de monographies, résoudre d’avance quelques difficultés de notre vieux poëme, et mettre en lumière la physionomie réelle de tous les acteurs de ce grand drame. ═ C’est durant l’enfance et la première jeunesse de Charlemagne que Marsile fait sa première apparition dans notre Épopée. Le jeune roi de France, persécuté dans son propre royaume par Heudri et Lanfroi, fils de Pépin et de la fausse Berthe, est forcé de s’enfuir en Espagne, à la cour du roi Galafre, père de Marsile : c’est là qu’il se cache, durant plusieurs années, sous le nom de Mainet. Or, Galafre a une fille, Galienne, pour laquelle Charles se prend du plus vif et du plus charmant amour. C’est cet amour qui lui inspire ses premiers exploits ; c’est en pensant à Galienne qu’il triomphe de Braimant, ennemi de Galafre. Un jour enfin il se fait reconnaître comme « l’hoir de France », et épouse Galienne. Mais le frère de la jeune fille, Marsile, n’a point vu ce mariage d’un bon œil. Il est jaloux de Charles, il le veut perdre, il l’attire dans une embuscade. Charles déjoue la ruse, terrasse Marsile, et finit par lui pardonner. (Charlemagne de Girart d’Amiens, B. N. 778, f° 38 r° — 50 v°. Ce poëme, ou plutôt cette compilation, appartient au premier quart du xive siècle.) ═ Tout autre est le récit du Karl, de ce poëme allemand dont l’auteur est connu sous le nom de « Stricker » (1230). D’après cette légende, c’est Marsile qui, tout au contraire, aide fort gracieusement le jeune fils de Pépin à conquérir son royaume contre deux traîtres appelés Winemann et Rappoldt (Guinemant et Rabel). ═ Mais, le plus souvent, Marsile est représenté comme un adversaire de Charles même enfant. Nous le retrouvons, dans une des deux versions d’Otinel, sous les traits d’un roi d’Espagne qui s’est emparé de Rome et députe Otinel comme ambassadeur à Charlemagne. (Otinel, xiiie siècle, édition Guessard, v. 23 — 137 et ss.) Or, le messager païen se convertit et devient le plus terrible ennemi de son ancien maître. (Ibid., v. 211-659.) La guerre s’engage, et les chrétiens mettent le siége devant Attilie. Le
poëte n’hésite point à faire mourir son Marsile à la fin de la Chanson, et de la main d’Otinel. (2660-2132.) ═ Le Karl Meinet (compilation du xive siècle, conçue il peu près dans le même goût que le Charlemagne de Girart d’Amiens) ne donne pas aussi rapidement le coup de mort à Marsile. L’auteur nous y représente « Ospinel » comme un roi de Babylone qui, après avoir défié les douze Pairs, lutte avec Olivier. Mais le Sarrazin se convertit et meurt après s’être fait baptiser. Or, il était fiancé à la fille du roi Marsile, à Magdalie. Celle-ci veut le venger, mais tombe au pouvoir de Roland et s’éprend trop rapidement du héros chrétien. Roland ne répond que trop facilement à cette trop ardente affection, et il faut qu’Olivier sépare violemment la fille de Marsile et le fiancé de la belle Aude. (G. Paris, d’après Ad. Keller, Histoire poétique de Charlemagne, pp. 489-496.) ═ Quoi qu’il en soit, tous les poëtes et tous les légendaires s’obstinent, malgré l’auteur d’Otinel, à faire vivre Marsile plus longtemps, et il convient, d’ailleurs, de considérer ce poëme comme une œuvre de la décadence. ═ En réalité, c’est dans l’Entrée en Espagne que le véritable Marsile se fait pour la première fois connaître. C’est contre Marsile que la grande expédition d’Espagne est dirigée. Il apprend par ses espions l’arrivée des Français, et, comme il est bon nigromans, écrit sur les bords d’un grand vase rempli d’eau les noms de tous les règnes de la terre ; puis, il place un batelet sur cette eau : « Le royaume vers lequel se dirigera ce petit vaisseau, sera celui que Charlemagne a l’intention de conquérir. » Le batelet s’arrête du côté de l’Espagne : Marsile pâlit d’effroi. (L’Entrée en Espagne, compilation poétique du commencement du xive siècle, mais renfermant quelques éléments du xiiie siècle- ; mss. fr. de Venise, n° xxi, f° 7.) Le roi païen envoie alors un bref à Charles, et ce « bref » commence tout comme un diplôme ou une lettre patente de la Chancellerie du roi de France (Nos, Marsile, par la Dex grace, etc.). La guerre éclate à la suite d’une très-fière réponse de l’Empereur, et c’est à son neveu Ferragus que Marsile confie le soin de chasser les Français. (Entrée en Espagne, f° 8-11.) Ferragus est un géant : il défie les douze Pairs, surtout Olivier et Roland. Les terribles duels commencent sur-le-champ, et onze Pairs sont vaincus et faits prisonniers. Roland, seul, reste invaincu. (Ibid., f° 11-31.) Mais Roland suffit, et, après un combat très-long, il renverse et tue le Géant. (Ibid., f° 31-79.) Marsile est attristé, mais non pas découragé de cette mort de son neveu : Malceris, en effet, résiste aux Français sous les murs de Pampelune, et son fils Isoré s’y couvre de gloire. (Ibid., f° 90-102.) Mais, malgré tant de courage, le jeune païen est fait prisonnier, et eût été mis à mort sans la généreuse intervention de Roland. (Ibid., f° 102-125.) Cependant Marsile et Malceris vont unir leurs efforts contre les Français, et