Histoire poétique de Charlemagne (1905) Paris/Livre troisième/Chapitre I : Différence entre versions

De Wicri Chanson de Roland
(L'élément mythique)
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trouve à  peine  la  trace  de  leur  source.  Là  est  la  grande  différence entre  notre  épopée  et  celles  de  l'Inde,  de  l'Iran  et  de  la  
 
trouve à  peine  la  trace  de  leur  source.  Là  est  la  grande  différence entre  notre  épopée  et  celles  de  l'Inde,  de  l'Iran  et  de  la  
 
Grèce  <ref> En  Allemagne,  les  débris  d'une  antique  mythologie  et  des  souvenirs  historiques  assez  vagues  se  sont  combinés pour  produire  ie  cycle  national.</ref>  Elle  a  germé,  elle  est  née  et  elle  a  fleuri  sur  un  sol  tout historique  ;  elle  n'est  comparable  en  cela  qu'aux  ébauches  épiques  
 
Grèce  <ref> En  Allemagne,  les  débris  d'une  antique  mythologie  et  des  souvenirs  historiques  assez  vagues  se  sont  combinés pour  produire  ie  cycle  national.</ref>  Elle  a  germé,  elle  est  née  et  elle  a  fleuri  sur  un  sol  tout historique  ;  elle  n'est  comparable  en  cela  qu'aux  ébauches  épiques  
dont  se  compose  \q  Rotnancero national  de  l'Espagne  *.  
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dont  se  compose  le ''Romancero'' national  de  l'Espagne<ref>Nous  entendons  par  là,  soit  le cycle du  Cid,  soit  surtout les  ''romances fronterizos''.</ref>.  
  
 
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plus  anciens,  dont  le  sens  était  d'ailleurs  perdu  avant  même  la  
 
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destruction  du  paganisme,  ont  été  soudés  à  l'histoire  de  Charles,  
 
destruction  du  paganisme,  ont  été  soudés  à  l'histoire  de  Charles,  
mais  ils  peuvent  encore  en  être  détachés.  Toutefois  ces  récits  eux-  
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mais  ils  peuvent  encore  en  être  détachés.  Toutefois  ces  récits  eux-mêmes sont  tellement  compliqués  de  souvenirs  historiques,  qu'il  
mômes sont  tellement  compliqués  de  souvenirs  historiques,  qu'il  
 
 
ne  sera  pas  toujours  aisé  de  les  préciser  avec  la  rigueur  que  l'on  
 
ne  sera  pas  toujours  aisé  de  les  préciser  avec  la  rigueur  que  l'on  
 
pourrait  souhaiter.  
 
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Dans  le  vaste  ensemble  des  traditions  que  nous  avons  rapportées dans  le  livre  précédent,  nous  en  remarquons  trois  qui  offrent  
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une  certaine  analogie;  toutes  trois  nous  parlent  d'une  épouse  
 
une  certaine  analogie;  toutes  trois  nous  parlent  d'une  épouse  
injustement  repoussée  par  son  mari,  mais  finissant  par  faire  re-
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injustement  repoussée  par  son  mari,  mais  finissant  par  faire  reconnaître son  innocence  ;  il  s'agit  de  Berte,  d'Hildegarde  (Blanchefleur,  Sibile)  et  d'Olive,  la  mère,  la  femme  et  la  sœur  de  Charlemagne.  Tous  les  récits  de  ce  genre  semblent  avoir  un  fonde-  
connaître son  innocence  ;  il  s'agit  de  Berte,  d'Hildegarde  (Blan-
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ment essentiellement  mythique  :  ils  parlent  sans  doute  de  l'épouse du  soleil,  captive  ou  méconnue  pendant  la  durée  de  l'hiver,  
chefleur,  Sibile)  et  d'Olive,  la  mère,  la  femme  et  la  sœur  de  Ghar-
 
lemagne.  Tous  les  récits  de  ce  genre  semblent  avoir  un  fonde-  
 
ment essentiellement  mythique  :  ils  parlent  sans  doute  de  l'é-
 
pouse du  soleil,  captive  ou  méconnue  pendant  la  durée  de  l'hiver,  
 
 
mais  rentrant  avec  la  saison  nouvelle  dans  les  droits  qu'elle  n'au-  
 
mais  rentrant  avec  la  saison  nouvelle  dans  les  droits  qu'elle  n'au-  
rait jamais  dû  perdre  *.  Cette  donnée  primitive,  commune  à  un  si  
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rait jamais  dû  perdre<ref>Cette idée  a  été  poursuivie  et,  à  notre avis,  démontrée
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dans  une  ingénieuse  et savante  étude  de  M.  Zacher  :  ''Die
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Historie von  der  Pfalzgrüfin  Genovefa,  Kônigsberg, 1860</ref>.  Cette  donnée  primitive,  commune  à  un  si  
 
grand  nombre  de  légendes,  a  été  fortement  modifiée  par  l'esprit  
 
grand  nombre  de  légendes,  a  été  fortement  modifiée  par  l'esprit  
 
chrétien  qui  s'est  emparé  de  ce  vieux  mythe  et  lui  a  donné  une  
 
chrétien  qui  s'est  emparé  de  ce  vieux  mythe  et  lui  a  donné  une  
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retrouve  de  très-anciens  souvenirs  de  la  vieille  religion  germa-  
 
retrouve  de  très-anciens  souvenirs  de  la  vieille  religion  germa-  
 
nique, qui  se  sont  conservés,  plus  primitifs  encore,  dans  une  va-  
 
nique, qui  se  sont  conservés,  plus  primitifs  encore,  dans  une  va-  
 
*  Nous  entendons  par  là,  soit  le  cycle  von  der  Pfalzgrûfin  Genovefa,  Kônig-s-
 
 
du  Cid,  soit  surtout  les  romances  fronte-  berg,  iSCO.
 
rizos.  3  C'est  ce  point  de  vue  qu'a  heureuse-
 
 
s  Cette  idée  a  été  poursuivie  et,  à  notre  ment  développé  M.  Wolf  dans  son  livre
 
 
avis,  démontrée  dans  une  inf^énieuso  et  sur  les  Ancietis  poèmes  Iiéroîques  fran-
 
 
savante  étude  de  M.  Zachcr  :  Die  Historié  çais.
 
  
  

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Histoire poetique Charlemagne 1905 Paris p 431.jpg

Livre III

Chapitre I

Histoire poetique Charlemagne 1905 Paris p 431.jpg
Ne tout mençonge, ne tout voir,
Ne tout fable, ne tout savoir.
Wace,

L'élément mythique

L'époque à laquelle se développa l'épopée carolingienne n'était pas propre à la formation de mythes. Une religion bien définie, solidement assise dans tous les esprits, s'opposait à la création de ces figures hardies par lesquelles les hommes primitifs expriment leur sentiment du divin, et qui prennent par la suite, dans l'imagination des peuples, une réalité objective qu'elles n'avaient pas à l'origine. Dès ses premiers bégayeraents, la poésie populaire française chante des héros très-vivants , des actions très-concrètes  ; il n'y a pas à rechercher derrière ses personnages de passé mystérieux; il n'y a pas à constater d'altération introduite par l'ignorance et le changement des temps, et aboutissant à des récits oii se re- trouve à peine la trace de leur source. Là est la grande différence entre notre épopée et celles de l'Inde, de l'Iran et de la Grèce [1] Elle a germé, elle est née et elle a fleuri sur un sol tout historique  ; elle n'est comparable en cela qu'aux ébauches épiques dont se compose le Romancero national de l'Espagne[2].

Histoire poetique Charlemagne 1905 Paris p 432.jpg

Si donc il y a dans l'épopée française un mélange mythique, on peut affirmer qu'il n'est pas originaire  ; des récits beaucoup plus anciens, dont le sens était d'ailleurs perdu avant même la destruction du paganisme, ont été soudés à l'histoire de Charles, mais ils peuvent encore en être détachés. Toutefois ces récits eux-mêmes sont tellement compliqués de souvenirs historiques, qu'il ne sera pas toujours aisé de les préciser avec la rigueur que l'on pourrait souhaiter.

Dans le vaste ensemble des traditions que nous avons rapportées dans le livre précédent, nous en remarquons trois qui offrent une certaine analogie; toutes trois nous parlent d'une épouse injustement repoussée par son mari, mais finissant par faire reconnaître son innocence  ; il s'agit de Berte, d'Hildegarde (Blanchefleur, Sibile) et d'Olive, la mère, la femme et la sœur de Charlemagne. Tous les récits de ce genre semblent avoir un fonde- ment essentiellement mythique  : ils parlent sans doute de l'épouse du soleil, captive ou méconnue pendant la durée de l'hiver, mais rentrant avec la saison nouvelle dans les droits qu'elle n'au- rait jamais dû perdre[3]. Cette donnée primitive, commune à un si grand nombre de légendes, a été fortement modifiée par l'esprit chrétien qui s'est emparé de ce vieux mythe et lui a donné une vie nouvelle. L'épouse souffrante et résignée est devenue un des plus beaux tj'pes du moyen âge, qui s'est plu à le reproduire sous cent formes différentes  ; et plus d'un récit, demeuré dans la mé- moire populaire, le propose encore chaque jour à l'admiration et à l'émulation '. Ces quelques mots suffisent pour les deux derniers de nos récits; incorporés évidemment à la tradition carolin- gienne sans avoir de lien réel avec elle, ils ne sauraient nous ar- rêter longuement. L'histoire de Berte au grand pied est plus inté- ressante, et se complique d'ailleurs d'autres éléments; on y retrouve de très-anciens souvenirs de la vieille religion germa- nique, qui se sont conservés, plus primitifs encore, dans une va-


VÉRITÉ ET POÉSIE. 433

riante restée populaire jusqu'à nos jours  ; elle se rattache en outre à l'histoire réelle et par le nom de Berte, et par d'autres circonstan- ces ; elle offre enfin des détails très-curieux et susceptibles de four- nir de précieux renseignements à la mythologie comparée. Malheu- reusement l'étude à laquelle donnerait lieu cette belle légende dé- passerait les limites de notre sujet, auquel elle n'a qu'un rapport indirect; nous ne pouvons qu'indiquer ici tout l'intérêt de ce travail.

Dans les légendes françaises qui sont personnelles h Gharle- magne, nous ne voyons qu'un trait qui semble réellement mythi- que ; c'est le commerce criminel de Charles avec sa sœur. Nous retrouvons ce trait dans presque tous les systèmes mythologiques  : Osiris est l'époux d'Isis , comme Zeus l'est de Héra  ; mais le rap- prochement le plus curieux est celui d'Arthur, le héros du grand cycle breton  ; il est comme Gharlemagne l'amant de sa scsur, et Gauvain, de même que Roland, est le fruit de cet inceste. L'union du principe mâle et du principe femelle, à la fois coéternels. issus de même source, et se complétant, se fécondant l'un l'autre, tel est le sens intime de cette légende  ; mais, comme beaucoup d'autres, elle a perdu, en traversant les siècles, sa signification primitive, et n'a plus gardé que son immoralité, sur laquelle a porté naturel- lement la critique. Les premiers chrétiens censurent amèrement l'inceste qui trône au haut de l'Olympe. Dans les cycles du moyen âge, on a cherché à adoucir l'odieux de ce récit; la faute de Ghar- lemagne lui est remise par un miracle exprès de Dieu  ; quant à Arthur, on suppose que c'est par erreur qu'il a commis le crime dont il s'agit, et ne sachant pas que la femme dans le lit de la- quelle il s'était glissé fût sa sœur \ Il faut remarquer, au reste, que dans les poëmes carolingiens les allusions à ce récit sont rares (voy. ci-dessus, p. 381) et que la tradition qui fait naître Roland du comte Milon est de beaucoup la plus répandue.

L'absence presque complète de traces mythiques dans la légende française de Gharlemagne est une des preuves que l'on peut ap- porter pour faire voir que les chansons de gestes sont de Ibrraa-. tion purement romane. En Allemagne, où un vaste cycle mytho- logique survécut longtemps, à l'état de vagues récits, de supers- titions tenaces, de dénominations populaires, r» la religion qui en

, * Voyez le Roman de Merlin.

28


434 LIVRE IIL

était l'âme  % les quelques récits qui se rattachent à Charlemagne offrent au mythologue un butin plus riche que l'immense épopée française. H s'est passé là un fait extrêmement fréquent dans l'his- toire des poésies ou des religions; on a transporté à un héros nouveau les récits dont un plus ancien était l'objet. Ce phéno- mène est une conséquence très-logique du défaut d'équilibre qui vient tôt ou tard à s'établir entre la popularité d'un nom et celle d'une tradition  ; on abandonne le nom, qiii ne représente plus rien à l'esprit, mais on conserve le récit, qui plaît encore à l'ima- gination. Il arrive souvent alors que le héros, plus familier aux nouvelles générations, qui a pris la place de l'ancien, hérite peu à peu d'un grand nombre de ses attributions et de ses aventures. Ces complications de la poésie populaire rendent souvent fort em- barrassante Fétude historique de ses manifestations; elles ne commencent à se débrouiller un peu que depuis les grands tra- vaux qui ont enregistré soigneusement tous les mythes des peu- ples les plus divers, et qui permettent déjà d'en saisir au moins la parenté générale.

C'est ainsi que les Germains transportèrent à Charles quelques- uns des attributs des dieux qu'il avait détruits. Saxo Gramma- ticus raconte que le dieu Balder, après une victoire remportée par son armée, fit jaillir pour la désaltérer une fontaine d'un rocher aride (Grimm, D, M., 139-40); et nous avons vu (page 360) le même prodige attribué à Charles par des chroni- ques peu éloignées de son époque et consacré au douzième siè- cle dans l'office que l'Église lui composa. Mais ce fut surtout Odin avec lequel on le confondit  : la Grande Ourse, appelée dans beaucoup de pays le Char d'Odin, fut nommée en Allemagne Karlswagen , en Angleterre Charleswain , char de Charles (Grimm, ib., p. 138); et dans la Hesse, c'est dans la montagne d'Odin {Gudensberg) qu'on racontait que reposait le grand empe- reur, en attendant sa résurrection (voy. ci-dessus, p. 428). Cette résurrection elle-même, emblème du soleil vainqueur de l'hiver, promise à Charles dans les pays germaniques, est un souvenir des anciennes croyances sur Odin.

S'il fallait en croire l'auteur d'un travail singulier récemment publié en Allemagne  % il n'y aurait pas besoin de recourir à cette

  • Le livre de J. Grimm, D«<fscAffAfyMo- * H. Mùller, Aquœ Grani, Apollo

logie, a mis cette vérité hors de doute. Granus tmd dsi' mythische Carohts der


VÉRITÉ ET POÉSIE. 435

explication des prodiges attribués à Charles par les légendes ger- maniques. Il ne s'agit pas en effet dans ces légendes de l'empereur Charles, qui n'a été introduit là que par une confusion bien pos- térieure, mais du dieu Aar/^ dieu des Francs de Troie (car l'auteur admet avec d'autres savants l'existence d'une Troie franque, dont est originaire le Hagen de Tronje des Nibelungen, et qui a donné lieu aux récits sur l'origine phrygienne des conquérants de la Gaule). Ce dieu Karl était, il est vrai, inconnu jusqu'à M. Millier, mais il l'obtient par une opération très-simple et dont voici l'ana- lyse : le mot Karl vient du grec xpaÀY]?, qui lui-même est tiré de xpéwv, roi, maître ^ KpôXv]; donc donne en allemand A «r^ qui veut dire aussi maître, héros, et en outre époux, amant, ce qui se trouve être précisément, par une coïncidence bien remarquable, le sens du sémitique Baal, Bel, Bélus. Or Bélus est le dieu du soleil, donc Karl est aussi le dieu du soleil *  : qui peut en douter après cela '? Ainsi Karl et Apollon sont identiques, et c'est là le dieu qu'on adorait à Aix sous le nom d'Apollo Granus, d'oii Aquœ Grani. Ce Granus môme est un synonyme de BaaJ, Apollon et Karl  ; en effet, il vient de ypaîvw, verbe grec qui signifie fendre; deypcivo) on a fait yp^voç, morceau de bois fendit., puis torche, puis soleil et enfin Apollon lui-même  ; il est vrai que Ypàvoç ne se trouve nulle part, mais il est d'autant plus méritoire d'avoir ainsi restitué cette belle série de significations qu'il a parcourue, depuis mor- ceaii de bois jiuqu'h Apollon *. On se souvient que dans une des variantes de la tradition sur les étranges amours de Charles, qui s'est conservée à Aix-la-Chapelle, et que nous avons rapportée plus haut (p. 384), la nymphe qui séduit Charles a sous la langue un grain d'or [granum)  : ce trait est une confirmation éclatante de l'hypothèse do M. Millier ^ Une fois en si belle voie, il ne s'arrAte

trojaniscke Frankcn, dans les Jahrbûcher sance au moins, le seul nom de dieu

fur Allerthumsfreunde im Rheinlande, indo-européen qui lût en même temps un

1863. nom d'homme.

  • Il est fâcheux que xpàXTi; ne soit au- ^ qç. qyj est vrai dans tout cela, c'est

cunement grec  ; c'est un moi employé qu'un dieu gaulois, répondant assez à

par quelques historiens byzantins pour Apollon ou HéUos, et appelé Granus. ou

traduire le Krâl des peuples slaves  ; c'est plutôt Grannus, paraît avoir été adoré à

comme si on regardait sckah ou cacique Aix-la-Chapelle et avoir laissé sou nom à

comme des mots français. la ville (voyez une excellente dissertation

2 Entre les nombreuses raisons qui de M. Alfred Maury sur les dieux Ca-

enlèveat toute probabilité à cette hypo- mulus et Granus, Croyances et Légendes

tihèse, il y en a une que r^ous fournit la de l'AnUquife', p. 219 et suiv.).

philologie. Karl serait, à notre connais- * 11 est évident que ce grain est juste-


436 LIVRE III. — VÉRITÉ ET POÉSIE.

pas et nous donne les étymologies grecques de tous les noms francs qui lui tombent sous la main  ; les deux plus heureuses sont celles de Pépin (tcétojv, melon, grain de melon) et de Franc (cppacx-rb;, protégé, abrité, libre). Notons encore la triomphante explication du nom de Mayence. Mayence se dit en latin Moguntiacum; or il y a beaucoup de villes dont on attribue la fondation à Ulysse  ; le verbe grec fxovw, souflrir, avoir de la peine, est souvent appliqué au héros de l'Odyssée  ; donc Ulysse est par excellence 6 (xoySv, et c'est en son honneur que Mayence s'appelle ainsi  :

.... on ne s'attendait guère De voir Ulysse en cette affaire.

Nous avouons qu'il nous est impossible de prendre au sérieux le travail de M. Millier, et nous craignons que de pareilles fantai- sies ne compromettent gravement la science.

Cette histoire de la femme morte aimée par Gharlemagne sem- ble autoriser une explication mythique  ; mais nous ne l'avons pas découverte. Nous remarquerons seulement que le grain ou Tan- neau sous la langue, qui prolonge la vie ou du moins son appa- rence, donne tout au contraire à la vie l'apparence de la mort dans un très-beau conte allemand (Grimm, Kindermàhrchen, 53  : Sneewittchen). Dans un récit Scandinave relativement moderne, la Saga de Harald (chap. xxv, dans le Heiinskringla, I, 102) on lit  : «  Snafrid, femme de Harald aux beaux cheveux, mourut, et son visage ne subit pas la moindre altération, et resta aussi rosé que pendant sa vie. Le roi s'assit près du cadavre, pensant qu'elle reviendrait à la vie, et il y resta trois ans.  »

L'histoire de l'enfance de Gharlemagne, telle que la raconte la chronique de Weihenstephan (voy. ci-dessus, p. 229), ressemble trop à celle de cent autres héros, depuis Krischna jusqu'à Ro- land, pour ne pas avoir un fond mythique  : le jeune dieu grandit dans l'obscurité, le plus souvent méconnu, exposé même par ses parents, élevé au milieu de bergers, de paysans, reconnu enfin et triomphant; c'est sans doute encore l'image du soleil sortant des ténèbres de l'hiver ^ Si cette partie du récit de la chronique bavaroise était traduite du français, comme la suite, il faudrait modifier le jugement porté plus haut sur notre épopée  ; mais il est à peu près certain qu'il n'en est pas ainsi.

ment mis là pour donner une élymolo- de cette légende parlent d'un anneau, gie de Aquœ Grani; les autres versions ' Cf. Bréal, le Mythe d'Œdipe.

Notes de l'auteur

  1. En Allemagne, les débris d'une antique mythologie et des souvenirs historiques assez vagues se sont combinés pour produire ie cycle national.
  2. Nous entendons par là, soit le cycle du Cid, soit surtout les romances fronterizos.
  3. Cette idée a été poursuivie et, à notre avis, démontrée dans une ingénieuse et savante étude de M. Zacher  : Die Historie von der Pfalzgrüfin Genovefa, Kônigsberg, 1860

Voir aussi