Romania (1933) La Chanson de Roland, Fawtier, par Jeanroy

De Wicri Chanson de Roland

La Chanson de Roland, Étude historique, par Robert Fawtier.

Compte-rendu


 
 

   
Titre
La Chanson de Roland, Étude historique, par Robert Fawtier.
Auteur
Alfred Jeanroy
Dans
Romania
Version en ligne
sur le site Persée

Cet article est une revue critique de l'ouvrage :

Avant-propos

La mise en page (paragraphage) a été légèrement modifiée.

Le compte-rendu

Nous croyons devoir signaler sans rétard ce petit volume, à cause de son vif intérêt, que suffira à faire réassortir une sèche, analyse.

II se divise en six chapitres, étroitement enchaînés.

Ch. I (p. 3-13) ; l'état actuel de la question. — Cette question est celle de l'origine des chansons de geste en général, moins nettement tranchée, on le sait, par M. Bédier, que ne le croient ses zélés copistes ; les recherches et les théories les plus récentes sont ici brièvement et lumineusement exposées :

Ch. II (p. 15-63) : les différentes versions de la légende. — Ces versions sont celles du Pseudo-Turpin, du Carmen et de la chanson (texte d'Oxford). Les trois textes coïncident à peu près dans le récit de la bataille, mais ils diffèrent sensiblement sur les faits qui en sont le prélude ou la conséquence. Sur ceux-ci la tradition était donc, au moment où la recueillit le rédacteur de O, très flottante.

Ch. Ill (p. 65-107) : la date de la recension d'Oxford. — Des témoignages extérieurs, pour la plupart rassemblés en ces derniers temps, nous permettent d'affirmer qu'il existait, aux environs de 1050, un poème sur le désastre de Roncevaux ; mais il n'est pas certain qu'il se confondît avec O. En ce qui concerne cette dernière recension (« version» serait plus exact), les rapprochements faits entre elle et les textes ou traditions relatifs aux Croisades sont inopérants ; les essais d'identification de Turoldus sont également vains. Il est donc prudent de s'en tenir à l'affirmation énoncée ci-dessus.

Ch. IV (p. 109-50) : la théorie des routes de pèlerinage et la Chanson de Roland. -— L'auteur de O ignore tout de la géographie de l'Espagne, et notamment de la route de Compostelle à partir des Pyrénées ; il ignore même le lieu où il situe le combat, puisqu'il y fait évoluer une masse de près de 800.000 cavaliers. En revanche il connaît bien la portion de route qui rejoint Roncevaux ä Blaye. Mais les souvenirs rolandiens qu'on a complaisamment rélevés sur cette route n'y sont nettement attestés qu'à partir du début du XIIe siècle. Si à cette époque encore on dispute au sujet de remplacement de la tombe de Roland et de ses compagnons, « c'est que la découverte de celle-ci est récente ; elle est postérieure à la naissance de la légende rolandienne ; elle est née d'elle, elle ne l'a pas provoquée. » (p. 136.) Si le rédacteur de O avait puisé son inspiration dans les monastères jalonnant cette route, il en transparaîtrait quelque chose dans son œuvre, ce qui n'est pas.

Ch. V (p. 150-80) : l'affaire du 15 août 778. — D'un examen attentif des textes ; il résulte que les historiens officiels ont essayé d'en atténuer l'importance, mais que ce fut en réalité un échec sérieux, dont on se souvenait encore vingt ans, et, dans le public lettré, soixante ans après (p. 157 et 166).

Le chapitre VI (p. 181-210 : la transmission du souvenir) énonce sans ambages la conclusion qui se dégage de ce qui précède : cette persistance de la légende, au cours de deux siècles au moins, ne peut s'expliquer que par une série continue de chants, dont le plus ancien remonterait à la génération même des acteurs du drame ou à la suivante : il faut donc en revenir à la théorie depuis vingt ans abandonnée.

Voici donc de nouveau posée, par un historien uniquement préoccupé de ne tirer des textes que ce qu'ils contiennent, la question de l'origine des chansons de geste. Qu'elle soit résolue, M. F. lui-même ne le pense pas, mais ses arguments sont de ceux qu'on n'a pas le droit de négliger. Ils sont exposés dans un style ferme et sobre, dédaigneux de tout artifice et de toute rhétorique, où le contrôle est constamment facilité par des citations ou des analyses précises. Ce petit livre est à lire et à méditer.

A. Jeanroy.