Les légendes épiques (1908) Bédier/Vol. 1/Avant-propos
Cette page introduit un avant propos du premier volume des Légendes épiques de Joseph Bédier.
Il peut également être considéré comme un avant-propos pour la collection.
Avant-propos
Section 1
Au début de l'année 1904, des circonstances fortuites m’amenèrent à relire ou à lire les poèmes du cycle de Guillaume d’Orange, en grammairien d'abord plutôt qu’en critique littéraire : je travail lais alors à une édition du Charroi de Nimes et c'est pour les besoins de cette entreprise que je parcourus les romans du même groupe. Mis en goût par ces lectures, je préparai pour l’année scolaire suivante (1904-1905) un cours sur ces romans.
Je voyais que plusieurs problèmes restaient soumis à la controverse et qu’il y avait encore çà et là place en ce domaine pour des recherches nouvelles : mais, à vrai dire, je désirais surtout me mettre au courant des résultats acquis : connaissant mal les chansons de geste, je saisissais l’occasion d’en étudier quelques-unes de près, pour la première fois de ma vie, et je me résignais à l’avance à me faire en ce cours, sur nombre de questions, simplement le rapporteur de vérités dès longtemps établies.
Surtout sur les questions d’origines : tout était dit sur la formation de ces légendes, et leur mystère. me semblait-il, était éclairci. Avec presque tous les critiques, je tenais pour assuré que le principal héros de ces romans, Guillaume, étant un personnage historique du temps de Charlemagne, avait d’abord été transfiguré par la légende au temps même de Charlemagne. Ces premières formations légendaires, sous quel aspect convenait-il de se les représenter ? Etaient-ce à l'origine des « cantilènes », des « chants lyrico-épiques » ? ou déjà des épopées, déjà des chansons de geste, plus courtes seulement que les chansons conservées? ou des récits héroïques en prose, transmis oralement de génération en génération ? Les érudits en disputaient, mais ce n'était là qu'un problème accessoire, car toutes les théories connues des origines de l’épopée française se réclament en dernière analyse d’un même principe général, accepté de tous comme un axiome : à savoir que les romans du xn e et du xm e siècles ne sont que le dernier aboutissement d’un travail poétique commencé plusieurs siècles plus tôt; que l’épopée française, « spontanée » et « populaire » à l'origine, est « née des événements, exprimant les sentiments de ceux qui y prenaient part ; » que la légende de Charlemagne et de ses compagnons est essentielle ment l’œuvre de leurs contemporains ; que Guillaume d’Orange et Roland et Ogier et les autres furent d’abord célébrés de leur vivant ou dès une époque voisine de leur mort, en ces jours où « les guerriers se sentaient eux-mêmes personnages épiques et d avance entendaient dans la mêlée la chanson insultante ou glorieuse que l'on ferait sur eux ».
J’étais depuis longtemps acquis à cette doctrine [1] : je prévoyais donc que je n'aurais en ce cours qu’à la rappeler sommairement et pour mémoire ; je devais m'en tenir, après tant d’autres, à appliquer aux légendes du cycle de Guillaume d’Orange la théorie des origines lointaines et populaires de l’épopée française, telle qu’elle a été exposée par Gaston Paris, avec la force et la magnificence que l’on sait, dans l'Histoire poétique de Charlemagne, telle quelle a été depuis reproduite et précisée par de nombreux savants.
Section 2
Chemin faisant, je vis pourtant qu’elle s’appli quait mal aux légendes du cycle de Guillaume : qu elle se fondait en ce cas particulier sur des hypo thèses sans résistance , et que, pas un fait ne l'appuyant, un certain groupe de faits la contredisaient. Plus j'analysai ce groupe de faits, plus il me sembla
Notes de l'auteur
- ↑ On peut le voir dans un article de la Revue des Deux Mondes (t. CXXl, 1894, p. 915-918), où je l’ai exposée avec enthousiasme, et non sans déclamation.