Chanson de Roland (1922) Bédier/Notes critiques

De Wicri Chanson de Roland

Notes critiques

La chanson de Roland (1922) Bédier I. A. page 305.jpg[305]


NOTES CRITIQUES


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L’objet de ces notes est de communiquer au lecteur un relevé de toutes les différences qui sont entre le texte de la Chanson de Roland donné ci-dessus et le texte du manuscrit d’Oxford.

J’ai eu sans cesse sous les yeux au cours de mon travail la reproduction photographique de ce manuscrit que M. Stengel a publiée à Heilbronn en 1878[1] et l’excellente transcription diplomatique qui l’accompagne[2]. En outre, j’ai soigneusement étudié l’original, à la Bibliothèque Bodléienne.

J’ai adopté les mêmes procédés de transcription que les précédents éditeurs de la Chanson de Roland ; j’ai résolu comme eux les abréviations, interprété comme eux les particularités relatives à la séparation ou à la liaison de certains mots, comme eux distingué le v de l’u, le j de l’i, introduit des majuscules, distribué des signes d’accentuation et de ponctuation, etc. Il serait difficile de rendre compte par le menu de ce travail. Ce serait inutile d’ailleurs, puisque la photographie du manuscrit d’Oxford reste facilement accessible à chacun, et puisque je n’ai fait qu’adopter des conventions et me conformer à des pratiques très généralement admises et qui sont celles de presque tous les éditeurs de nos anciens textes. La chanson de Roland (1922) Bédier I. A. page 306.jpg[306] Il suffit de signaler ici les quelques cas où j’ai recouru, pour interpréter la lettre du manuscrit, à des procédés qui demandent une explication.

a) Le scribe écrit très souvent au’ra, au’rill, liu’re, receu’rez, muu’ra, etc. Je crois légitime de transcrire avra, avrill, etc., et non pas avera, averill, etc. : car jamais on ne rencontre dans le manuscrit auera, auerill, etc., tandis que, par treize fois, aux vers 290, 423, 473, 840, 924, 948, 1044, 1076, 1303, 1405, 1742, 2140, 2904, le scribe a écrit aurai, aurat, etc.

b) Le copiste élide presque toujours, devant un mot commençant par une voyelle, l’e de la préposition de et du pronom te. Il y a quatre exceptions (de ocire 149, de acer 2089, de hume 3713, te amerai 3598) : j’ai pris le parti de les écarter.

Persuadé que le poète (comme presque tous les poètes du XIIe siècle) se réservait la liberté d’élider ou de ne pas élider l’ e de la conjonction se et que les copistes du moyen âge écrivaient indifféremment, en cas d’élision, saltre ou se altre, car ils savaient que leurs lecteurs ne s’y tromperaient pas, j’ai par trois fois, pour la commodité du lecteur moderne, aux vers 1867, 2136, 3834, fait l’élision, contrairement au manuscrit, qui donne se altre, se or, se il.

De même, et pour les mêmes raisons, j’ai 20 fois élidé l’ e de que, contrairement à la lettre du manuscrit : c’est aux vers 197, 303, 310, 406, 837, 1476, 1505, 1535, 1848, 2230, 2287, 2407, 2439, 2667, 2689, 2949, 3519, 3689, 3752, 3909.

c) Le nom du héros est le plus souvent écrit en abrégé : R. une seule fois (au v. 2118), Roll’ 171 fois. Mais aux quatorze lieux (v. 175, 392, 557, 902, 914, 923, 935, 947, 1073, 1106, 1413, 1773, 1883, 2152) où il est écrit en toutes lettres, on lit Rollant, jamais Rollanz, bien que huit fois sur les quatorze il soit employé comme sujet. Je me suis résolu à l’écrire partout sous la forme Rollant.

Par ailleurs, chaque fois que j’ai cru devoir modifier en quelque chose la lettre du manuscrit, c’est que je La chanson de Roland (1922) Bédier I. A. page 307.jpg[307] me suis cru, à tort ou à raison, en présence d’accidents de plume, de distractions ou d’erreurs du copiste. La liste, au premier regard, en paraîtra bien longue. Mais un bon nombre des remarques qui suivent ont un caractère purement descriptif : elles signalent les fréquents « repentirs » du copiste, elles indiquent que dans tel mot telle lettre est mal formée ou effacée, qu’on peut en tel cas hésiter entre deux lectures, etc. Ou bien elles renseignent sur les méfaits d’une seconde main (et peut-être d’une troisième). Dès le XIIe siècle ou le XIIIe, des leçons écrites par le premier copiste ont été grattées, et, 70 fois environ, on leur a substitué par conjecture d’autres leçons. Notre relevé montre le peu d’autorité de ces retouches : plus de 50 d’entre elles ont été faites à contre-temps et à contre-sens, ce qui doit inspirer à l’égard des vingt autres, même quand elles semblent judicieuses, une légitime méfiance.

Mes autres notes offrent le recensement complet des leçons du manuscrit que j’ai écartées les tenant pour fautives. Je suis intervenu le moins souvent que j’ai pu, et la plupart des critiques m’en feront reproche, je le sais. Je crains tout au contraire de n’avoir été que trop enclin à appeler « fautes » maintes leçons que d’autres sauront peu à peu justifier, à mesure qu’on aura mieux étudié, dans les manuscrits du XIIe siècle, les particularités du français qui se parlait et s’écrivait en Angleterre autour du scribe d’Oxford. Je tiens de Quintilien un précepte excellent, et donc méconnu (de moi tout le premier) : In veteribus libris reperta mutare imperiti solent, et dum librariorum insectari volunt inscientiam, uam confitentur.



À la première page du manuscrit, l’écriture est effacée en plusieurs lieux, surtout dans les mots ci-après relevés (les lettres entre crochets sont celles qui sont devenues tout à fait ou presque illisibles) : 1 magne[s], 2 Espaig[ne], La chanson de Roland (1922) Bédier I. A. page 308.jpg[308] 6 [mu]ntaigne, 27 or[e], 28 [e al] fier, 29 [Fe]deilz, 30 [V]os. — 16 Li eperes — 19 derupet — 31 Le second hémistiche a été écrit sur un espace gratté. — 42 Enveius — 43 Ce vers a été écrit après coup dans la marge de droite ; on y avait écrit aussi, au-dessous de ce vers, quelques mots qui ont été grattés. — 63 Une lettre ou deux ont été grattées après Clarin. — 73-4 Le vers 74 précède dans le manuscrit le vers 73 ; mais le scribe, s’apercevant de son erreur, a rétabli l’ordre véritable en écrivant dans la marge de gauche b en regard du vers 74, a en regard du vers 73. — 91 Ce vers a été écrit sur un espace gratté. — 118 e la cuntenance fier — 122 Je ne crois pas que tut ait été ajouté après coup, bien que l’encre semble n’être pas la même pour ce mot et pour l’ensemble de la page (voir le mot reis du v. 116, dont l’encre est de la même teinte que celle du mot tut). — 124 Que d’s aurez — 126 La dernière lettre du vers a été retouchée : salvetet ou salvetez ? — 137 Il y a dans le manuscrit trois points après tent (tent… ses mains). — 147 Voet par : mais le t de Voet a été ajouté sur grattage. — 158 fait Chares — 171 e sun neu ... Henri — 178 la est écrit dans l’interligne. — 197 ad manque — 202 de ses paienueiat quinze — 203 Chancuns — 214 empere — 240 Après ce vers une ligne d’écriture (dont il subsiste quelques traces) a été grattée et laissée en blanc,. — 261 blarcher (ou blancher) — 268 al Sarazin en Espaigne — 283 les oeilz manque — 290 grant contrire — 300 un poi degerie — 310 Entre ben et aler les lettres qu ont été grattées, mais imparfaitement. — 325 ço manque — 354 nerc s. guariz — 367 messag — 378 funt e duc — 385 Le d de predet a été gratté, mais imparfaitement. — 391 Il y a un signe semblable à l’accent aigu sur l’ u d’ avriumes. Le même signe reparaît sur l’ a de quias 764, sur l’ e de feste 2860, sur l’ y de byse 2300, sur l’ o de or 1540, sur l’u de hum 805, sur l’ u de veue 2297, sur l’ i de Ais 1888, sur l’ a de Guineman 3014, sur ier 2791, sur oi 1210, sur le premier a de amerat 494, sur l’ y de Yvoerie 1895, etc. : une quarantaine de

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Notes de l'article

  1. Photographische Wiedergabe der Hs. Digby 23, ...veranstaltet von Edmund Stengel, Heilbronn, 1878.
  2. Das altfranzoesische Rolandslied, genauer Abdruck der Oxforder Hs. Digby 23, besorgt von Edmund Stengel, Heilbronn, 1878.

Voir aussi

Sources