Chanson de Roland/Manuscrit d'Oxford/Laisse XXIV/Gautier/319. Guenes

De Wicri Chanson de Roland
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Note sur Guenes

Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 089.jpg[82] Vers 319. Guenes. Quel que soit le type latin dont on fasse dériver le mot Guenes (Wenilo, Wenilus, etc. etc.), le vocatif ne peut avoir un s. Voy., à la note du v. 15, notre Théorie sur les vocatifs.

M. Müller fait observer qu’il manque ici, comme dans le texte de Venise (IV), une strophe dans laquelle Charles spécifierait le message qu’il confie à Ganelon. (Éd. T. Müller, p. 20.) Or le texte de Versailles et celui de Venise (VII) comblent cette lacune, et nous trouvons dans notre Chanson elle-même (428 et ss., 469 et ss.) les éléments d’une reconstitution facile. Nous n’avons pas osé insérer, dans notre texte lui-même, aucune addition notable ; mais nous nous sommes réservé de proposer au public, dans le cours de ces notes, les interpolations véritablement nécessaires. Voici donc comment nous proposerions de restituer le couplet absent, et, dans cette restitution, nous avons soin de suivre toutes les lois de notre dialecte :

Bel sire Guene, dist Carles, entendez :
De meie part Marsiliun direz Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 090.jpg[83]
Que il receivet seinte chrestientet.
Demi Espaigne li voeill en fieu duner.
L’altre meitiet averat Rollanz li ber.
Se ceste acorde il ne voelt otrier,
Suz Saraguce le siége irai fermer :
Pris e liez serat par poestet,
Ad Ais le siet serat tut dreit menez :
Par jugement serat illoec finez ;
Là murrat-il à doel e à viltet.
Tenez cest brief ki est enseellez,
Enz el’ puign destre à l’ paien le metez.

Les Remaniements (Versailles et Venise VII) nous offrent deux autres Couplets, à la suite de celui que nous venons de restituer. Dans le premier, Guenes reçoit l’arc des mains du Roi (xxviii de Versailles) et le brise en voulant le tendre ; dans le second (xxix), il reçoit le bâton. Cette dernière circonstance étant très-clairement marquée dans notre texte d’Oxford (v. 341), nous ne pensons pas que le second de ces couplets appartienne à la Version originale. Quant à l’autre épisode, il se trouve ailleurs dans notre texte. (Vers 766 et ss.) Chez notre rajeunisseur, il est plein de répétitions inutiles et de certains traits relativement modernes. Voici, d’ailleurs, ces deux laisses : Li Emperere ot sa gent assemblé — Et uns et autres à Cordes la cité. — Or, est Guenes mot mal atalenté, — Rollant esgarde, si l’a araisoné : — « Cuvert, dit-il, tu as le sen desvé ; — A grant martire as mon cors délivré, — Quant sor moi as le message torné. — Or irai là, ja n’en ert trestorné. » — Nostre empereres l’a un poi regardé : — « Guene, dit-il, trop en avez parlé. » — Un arc li tent, et Guenes l’a cobré, — D’un chief en autre l’a froissié et cassé : — « Hé ! Dex, dist Challes, par ta sainte bonté, — Por cest felon somes toz tormenté. — Par cel Seignor qui primes me fist né, — Je ne lairoie chier ne soit comparé : — Car Guenelons est mot de mal pensé ; — De felonie le voi mot escaufé ; — Vers traïson a tot son cors torné. — Li rois Marsilles, se il le sert à gré, — Toz nos vendra por sa grant cruauté. — Terre de France hui chiet en grant vilté. »Guenes s’acline devant les piés Challon, — Tendi ses mains, si reçut le baston. — Il prist les briés o tot le qairelon, — En une boiste le mist por garison ; — Puis, pria Deu qu’il doinst maleïçon — A toz icels qui l’jugièrent par non : — « Par cel Seignor qui forma Lazaron, — Se Dex ce done qui sofri passion — Que j’en repaire à ma sauvation, — Jà ne ferai onques de mesprison — Que de Rollant n’en prenge vengeson. » (Versailles, vers 426-458.)


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