Chanson de Roland/Manuscrit d'Oxford/Laisse XIX/Gautier/264. Turpin

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Turpin

Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 082.jpg[75]

Quant à Turpin, nous n’avons pas ici à parler du véritable archevêque de ce nom, qui vécut sur le siège de Reims depuis l’an 756 ou 753 (suivant le Gallia), jusqu’en l’année 811, ou 788, ou (suivant le Gallia) 794. Si, dans notre légende, Turpin joue un si grand rôle, c’est à cause de l’importance historique de son siège. Le vrai Turpin a d’ailleurs vécu longtemps sous Charlemagne, et survécu de plusieurs années au désastre de Roncevaux. (Voir Flodoard, Hist. de l’Égl. de Reims, II, cap. xvii)

Nous n’avons pas davantage à traiter ici la question tant de fois controversée de la Chronique du Faux Turpin. Dans sa thèse De Pseudo Turpino (1865), M. G. Paris est arrivé, comme nous l’avons dit, à cette conclusion scientifique que « les cinq premiers chapitres ont été écrits, vers le milieu du xie siècle, par un moine de Compostelle », et que « les chapitres vi et ss. l’ont été, entre les années 1109-1119, par un moine de Saint-André de Vienne ». La même année, l’auteur des Épopées françaises (I, 70 et ss.) plaçait, avec moins de précision, cette célèbre Chronique à la fin du xie siècle ou au commencement du xiie siècle-. (Ceux qui voudraient lire la Chronique de Turpin en trouveront le texte au tome II du Philippe Mouskes de M. de Reiffenberg. M. A. de Saint-Albin vient de la traduire en français, à la suite de la Chanson de Roland ; Lacroix, 1865.)

Pour nous borner à étudier Turpin dans nos Chansons de geste, nous trouvons deux légendes fort différentes sur son origine et sa naissance. Suivant la Karlamagnus Saga (I, 26), il est de Rome, et c’est le Pape qui le laissa à Charles ; suivant Aspremont (Lavall., 123, f° 64), il est Français, et sorti de l’abbaye de Jumiéges pour monter sur le siège de Reims. Dist l’Apostoles :

« Amis, dont estes né ?
D’outre les mons de France, lou regné.
Moines prisiés ai-jo lonc tancs esté,
En Normendie, soz Rouen la cité
Dedens Umièges... etc. »

Il joue Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 083.jpg[76] d’ailleurs un rôle important dans tout ce poëme d’Aspremont, où se révèle sa nature plus militaire que sacerdotale. Il est jeune encore : Gentix hons fu et jones chevaler (éd. Guessard, p. 2, v. 47), et n’aime que les belles armes et les beaux chevaux. C’est lui que l’Empereur envoie à ce terrible « Girart do Fraite » pour lui demander son aide contre Agolant, et l’on sait avec quelle fierté sublime notre archevêque remplit ce message. Girart le veut assassiner : il le maudit fort courageusement, et l’abandonne à sa destinée. (P. 13, v. 76 et ss.) ═ Et lorsque la grande guerre contre les Sarrazins est dans toute sa force, au milieu de la plus terrible bataille, il n’y a encore que Turpin qui ait le courage de porter, au front de l’armée, le bois de la vraie croix qui devient entre ses mains étincelant comme un soleil. (Lavall., 123, f° 64.)

C’est Turpin qui, dans Ogier, surprend le Danois endormi et le livre à Charlemagne ; mais c’est lui surtout qui, au lieu de le laisser mourir de faim, comme l’Empereur l’a ordonné, sauve le héros, le nourrit, le traite de son mieux et le réserve ainsi à la chrétienté, qui en aura bientôt le plus grand besoin. (Ogier, 9607-9660.)

Dans Renaus de Montauban, il refuse également de tuer Richard, et déclare très-fièrement qu’il n’a jamais versé une seule goutte de sang chrétien. (Éd. Michelant, p. 263.)

Il prend part à la grande expédition qui doit se terminer à Roncevaux. L’Entrée en Espagne le met, comme les autres Pairs, aux prises avec le géant Ferragus : il est vaincu. (Mss. fr. de Venise, xxi, f° 23-26.) Dans la bataille sous Pampelune, son courage éclate, ses exploits sont magnifiques. (Ibid., f° 149, v°.)

Mêmes coups de lance et d’épée dans Gui de Bourgogne, où le terrible archevêque coupe en deux la tête du païen Emaudras, aux grands applaudissements d’Huidelon et de Dragolan. (Vers 3666 et ss.) ═ Turpin est compté au nombre des douze Pairs par Roncevaux (Textes de Paris, de Venise VII, etc.), l’Entrée en Espagne, le Voyage (son gab consiste à jongler à cheval avec quatre pommes, v. 395-507), la Karlamagnus Saga, Otinel, la Chronique de Weihenstephan, etc. ═ On sait comment meurt à Roncevaux l’Archevêque soldat, le « Guerrier de Charles ».

Mais la Chronique de Turpin, comme on doit s’y attendre, a le soin de faire survivre Turpin au désastre qu’il raconte... Lors de la mort de Roland, l’Archevêque était près de Charles. Or, le 17 mai, il célébrait la Messe des morts, quand il vit passer dans le ciel les Diables qui emportaient l’âme de Marsile, les Anges qui conduisaient l’âme de Roland. Il raconte cette vision à Charlemagne, et, sur ces entrefaites, Baudouin arrive, qui a assisté à la mort des Pairs et confirme de tout point les affirmations de Turpin. ═ Tous les auteurs qui se sont guidés sur le faux Turpin ont reproduit à peu près la même fable, et se sont également gardés de faire mourir Turpin à Roncevaux. Nous avons Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 084.jpg[77] énuméré ces auteurs dans notre Notice sur Charlemagne. (V. la note du v. 94. — Cf. les Acta Sanctorum septembris, 1er sept., p. 338.)


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